Rapport de Lord Durham/01

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RAPPORT DE LORD DURHAM.

Haut-Commissaire de Sa Majesté, etc, etc. Sur les affaires de l’Amérique Septentrionale Britannique.


À la très-excellente majesté de la reine,

En me confiant le gouvernement de la province du Bas-Canada durant la période critique de la suspension de la constitution, il a en même temps plu à votre majesté de m’imposer une tâche non moins difficile et d’une importance beaucoup plus permanente, en me nommant « haut-commissaire pour régler les questions importantes qui existaient dans les provinces du Haut et du Bas-Canada relativement à la forme et au gouvernement futur des dites province. » Afin de me mettre en état de remplir ce devoir avec le plus d’avantage, je fus non seulement revêtu du titre, mais de tous les pouvoirs de gouverneur-général de toutes les provinces de S. M. dans les provinces de l’Amérique du Nord, et mon autorité ne fus pas limitée par mes instructions par aucune de ces restrictions qui dans le fait avaient privé les ci-devant gouverneurs du Bas-Canada de tout contrôle sur les autres provinces, quoique dans la pratique on les leur avait nominalement subordonnées. Ce fut donc en addition aux devoirs de l’administration des affaires d’une province étendue et en trouble, aux devoirs législatifs dont on me surchargea durant la suspension du gouvernement représentatif, et aux communications constantes que je fus obligé d’entretenir non seulement avec les lieutenant-gouverneurs, mais aussi avec des individus des autres cinq provinces que j’eus à chercher la nature et l’étendue des questions, du règlement desquelles dépend la tranquillité des Canadas ; que j’eus à mettre sur pied diverses enquêtes étendues relativement aux institutions et à l’administration de ces provinces et à trouver les réformes convenables dans le système de leur gouvernement, propre à réparer les maux qui existaient, et à poser les fondements de l’ordre, de la tranquillité et des améliorations.

La tâche à moi imposée de régler les questions qui affectaient la forme et l’administration du gouvernement civil fut naturellement limitée aux deux provinces dans lesquelles le règlement de ces questions étaient devenu d’une nécessité urgente, par les événements, qui d’un côté avaient sérieusement mis en danger et qui d’un autre côté avaient suspendu l’opération de la constitution existante. Mais quoique cette nécessité ne s’appliquât qu’à ces deux provinces, l’étendue de mon autorité sur toutes les provinces de l’Amérique Britannique du Nord, dans le but évident de me mettre en état de régler avec plus d’efficacité les questions constitutionnelles qui s’agitaient dans les deux provinces, avec des instructions particulières contenues dans les dépêches du secrétaire d’état, amena sous ma considération le caractère et l’influence des institutions existantes dans toutes les provinces. Je trouvai dans toutes ces provinces une forme de gouvernement si approchante dans l’ensemble, des institutions généralement si semblables et si liées, des intérêts, des sentiments et des habitudes si semblables, que je m’aperçus immédiatement que j’en viendrais à une décision sans faire un usage convenable des matériaux que l’on avait mis à ma disposition, si je ne faisais des enquêtes aussi étendues que mes pouvoirs me permettraient de le faire. Quelle liaison inséparable d’intérêts je trouvai dans les provinces de votre majesté dans l’Amérique du Nord, jusqu’à quel point se ressemblent les maux que j’y rencontrai et qui demandent les mêmes remèdes, est un sujet important qu’il sera de mon devoir de discuter très pleinement avant de clore ce rapport. Mon objet maintenant se borne à expliquer l’étendue de la tâche qui me fut imposée, et de faire ressortir le fait, qu’une enquête dirigée dans l’origine vers deux provinces de votre majesté dans l’Amérique du Nord, s’est nécessairement étendue à toutes.

Pendant que je voyais s’élargir ainsi le champ de l’investigation, et que chaque jour d’expérience et de réflexion imprimait plus profondément sur mon esprit l’importance de la décision qu’il serait de mon devoir de suggérer, il devint également clair que cette décision pour être d’aucun service, devait être prompte et finale. Je n’eus pas besoin d’observations personnelles pour m’en convaincre ; car les maux que j’avais à guérir sont des maux qu’aucune société civilisée ne peut longtemps endurer. Il n’y a aucune classe ou section des sujets de votre majesté dans l’un ni l’autre des Canadas, qui ne souffre pas et du mal existant et du doute qui plane sur la forme et la politique à venir du gouvernement. Tant qu’on laissera subsister le présent ordre des choses, les habitants actuels de ces provinces n’auront aucune sécurité pour leurs personnes ni pour leurs biens, aucune jouissance de ce qu’ils possèdent, aucun aiguillon vers l’industrie. Le développement de ces vastes territoires est arrêté ; et la population, qui devrait être attirée pour les remplir et les fertiliser, se dirige vers des états étrangers. Chaque jour pendant lequel un arrangement final et stable est retardé, la condition des colons s’empire, les esprits s’exaspèrent davantage, et le succès d’aucun plan d’ajustement devient plus précaire.

Je connus la nécessité de la promptitude dans ma décision sur la plus importante des questions commises à mes soins, de très bonne heure après mon acceptation de la mission qu’il avait plu, à Votre Majesté de me confier. Avant de laisser l’Angleterre, j’assurai aux ministres de votre majesté que le plan que je suggérerais pour le gouvernement futur des Canadas, serait prêt pour le commencement de la prochaine session ; et quoique j’eusse pourvu à ce que, sous toutes les circonstances, les mesures que je pourrais suggérer pussent être expliquées et appuyées dans le Parlement par quelqu’un qui aurait participé à leur préparation, j’ajoutai qu’il n’était pas improbable que je croirais de mon devoir impérieux envers les provinces qui m’étaient confiées, de me trouver à mon siège dans la Chambre des Lords, pour expliquer mes propres vues, et appuyer mes propres recommandations. Ma résignation de la charge de Gouverneur-Général n’a donc en aucune façon précipité ma suggestion du plan qui me parait le plus propre pour régler la forme et la politique à venir du gouvernement des Canadas. Il m’a bien, il est vrai, empêché d’achever quelques enquêtes que j’avais instituées, dans la vue d’effectuer des réformes pratiques d’importance essentielle, mais cependant secondaire. Mais cet événement n'a nui en rien au principal de mes devoirs comme haut commissaire — celui de suggérer la constitution future de ces colonie, si ce n’est en ce que les circonstances qui l’ont accompagné a occasionné l'intrusion indue d’une affaire étrangère dans le temps qui restait pour la complétion de mes travaux.

En vérité, les affaires administratives et législatives qui demandaient journellement mon attention, pouvaient, avec difficulté, être expédiées par le travail le plus incessant de ma part, et de celle de ceux qui m’avaient accompagné d’Angleterre, ou que j’employai en Canada.

C’est dans ces circonstances et sous de tels désavantages, que ce rapport a été préparé. Il se peut donc que je ne présente pas un fondement aussi étendu et aussi complet que je l’aurais désiré, pour les mesures de vaste et permanente importance que le Parlement trouvera nécessaire d’adopter. Mais il embrassera tous les sujets qu’il est essentiel que Votre Majesté ait sous les yeux, et il montrera que je ne me suis pas contenté de développer pleinement les vices qui gisent à la racine des maux des provinces à l’Amérique Septentrionale, mais aussi que je suggère les remèdes qui, au meilleur de mon jugement, amèneront une cure effective.

Les mêmes raisons et les mêmes obstacles m’ont empêché d’annexer une plus grande somme de détails et d’exemples que, sous des circonstances plus favorables, il aurait été de mon devoir de recueillir, pour rendre clair et familier à tout le monde chaque point d’un état de choses sur lequel peu d’informations correctes et beaucoup de fausses ont eu cours jusqu’à présent en ce pays. Je ne puis donc que regretter qu’une telle diminution dans son efficacité ait été une conséquence nécessaire des circonstances dans lesquelles le rapport a été préparé. Je me flatte encore cependant que les matériaux que j’ai recueillis quoiqu’ils ne soient pas aussi amples que je l’aurais désiré, seront néanmoins trouvés suffisants pour mettre la législature impériale en état de former une décision saine sur les intérêts importants qui sort embrassés dans le résultat de ses délibérations.

Ces intérêts sont en vérité d’une importance considérable ; et de la marche que votre Majesté et votre Parlement adopteront, à l’égard des colonies de l’Amérique Septentrionale, dépendra l’avenir non seulement d’un million et demi de sujets de votre Majesté qui habitent maintenant ces provinces, mais de toute la population que ces vastes et fertiles territoires sont propres et destinés à contenir par la suite. Aucune partie du continent Américain ne possède de plus grandes ressources naturelles pour le maintien de populations nombreuses et florissantes. Une étendue presque illimitée du sol le plus riche est encore inculte, et peut être utilisé pour les fins de l’agriculture. On n’a encore à peine touché aux trésors de forêts inépuisables du meilleur bois d’Amérique, et des régions étendues des minéraux les plus précieux. Sur toute la ligne de la côte maritime, autour de chaque Isle, et dans chaque rivière, se trouvent les pêches les plus considérables et les plus riches du monde. Le meilleur combustible et la force motrice de l’eau la plus abondante se trouvent utilisables pour les fabriques de qualité commune, qui trouveront un marché facile et sûr. Le commerce avec les autres continents est favorisé par la possession d’un grand nombre de hâvres sûrs et spacieux ; et la conformation du pays en général présente la plus grande facilité pour toute espèce de communication par terre. On y trouve des matériaux en profusion pour l’industrie agricole, commerciale et manufacturière : il dépend de la décision actuelle du Parlement Impérial de déterminer au profit de qui ils seront exploités. Le pays qui a fondé et maintenu ces colonies au prix de beaucoup de frais pécuniaires et de sang, a droit d’attendre en retour que leurs ressources seront tournées au profit de sa population surabondante ; elles sont le patrimoine légitime du peuple Anglais, l’ample apanage que Dieu et la nature ont réservé dans le nouveau monde pour ceux à qui le sort n’a donné que des héritages insuffisants dans l’ancien. Au moyen d’institutions sages et libres, elles peuvent être encore assurés aux sujets de votre Majesté, et la connexion assurée, par le lieu d’une origine, et les avantages mutuels peuvent continuer la liaison avec l’empire Britannique des vastes territoires de ses provinces de l’Amérique Septentrionale, et de la nombreuse et prospère population dont elles ne peuvent manquer de se remplir.