Rational (Durand de Mende)/Volume 1/Premier livre/Chapitre 03

La bibliothèque libre.
Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 1p. 41-66).
Livre premier


CHAPITRE III.
DES PEINTURES, DES VOILES ET DES ORNEMENTS DE L’ÉGLISE.


I. Les peintures et les ornements qui sont dans les églises sont les lectures et les écritures des laïques ; ce qui a fait dire à Grégoire (De consecrat., dist. iii, cap. Perlatum)[1] : « Autre chose est d’adorer les peintures, autre chose est d’apprendre, par l’histoire que représente cette peinture, ce qu’on doit adorer ; » car ce que l’écriture montre à ceux qui la lisent, la peinture l’enseigne aux ignorants qui la regardent, parce que, sans instruction, ils voient en elle ce qu’ils doivent suivre et le lisent dans ces peintures, eux qui ne connaissent pas leurs lettres. Or, les Chaldéens adorent le feu et forcent les autres à faire de même, en brûlant toutes leurs idoles. Quant aux païens, ils adorent les représentations ou images et les idoles, ce que les Saracènes ne font pas eux, animés qu’ils sont par cette parole : « Tu ne feras pas la ressemblance de toutes les choses qui sont dans le ciel, ou sur la terre, ou dans les eaux, ou sous la terre » (Exode, chapitre xx) ; et par d’autres autorités encore qui suivent immédiatement le passage précité. Et ils nous reprennent fortement sur cet article ; mais nous n’adorons pas ces images, et nous ne les appelons pas des dieux, et nous ne mettons pas en elles l’espérance de notre salut, parce que cela serait de l’idolâtrie ; mais nous les vénérons en nous rappelant le souvenir des faits accomplis qu’elles nous représentent.

De là les vers suivants :

Toi qui passes, honore prosterné l’image du Christ ;
N’adore pas cependant l’image, mais ce qu’elle représente.

Croire qu’elle est Dieu serait manquer de raison, car elle a été
Une pierre matérielle, sculptée par la main d’un ouvrier.
Et l’image que tu vois n’est ni un Dieu ni un homme ;
Mais c’est Dieu et un homme que cette sainte image représente.

Et ailleurs :

Car c’est Dieu que l’image t’enseigne ; mais elle-même n’est pas Dieu.
Regarde-la, et honore dans ton ame ce que tu sais qu’elle représente.

II. Les Grecs se servent aussi d’images, et ils les peignent, comme on dit, depuis le nombril au-dessus, et non plus bas, afin d’ôter à ceux qui les voient[2] toute occasion de pensée imprudente et ridicule ; ils ne font aussi aucune image sculptée, à cause de ce qu’on lit dans l'Exode, chapitre xx : « Tu ne feras pas de sculptures ni d’images. » De même, dans le Lévitique, chapitre xxvi, il est dit : « Tu ne feras pas d’idole ni de sculpture ; » et aussi, dans le Deutéronome, chapitre iv : « De peur que par hasard, cédant à l’illusion et trompés par elle, vous vous fassiez une image taillée et sculptée. Vous ne vous fabriquerez pas non plus des dieux d’or et d’argent. » Et le Prophète s’écrie : « Les idoles des nations sont l’or et l’argent, œuvres des mains des hommes. Qu’ils leur deviennent semblables ceux qui les font et tous ceux qui placent leur confiance en elles ! Qu’ils soient confondus tous ceux qui adorent des images taillées, et qui se glorifient dans leurs idoles ! » Moïse dit encore au peuple d’Israël : « De peur que par hasard, jouet de l’erreur, tu n’adores les choses qu’a créées le Seigneur ton Dieu. »

III. Voilà pourquoi aussi le roi Ezéchias brisa le serpent d’airain que Moïse avait élevé, parce que ce peuple, contre le précepte de la loi, faisait brûler de l’encens devant lui.

IV. On voit donc, par ces autorités et par d’autres semblables, que le trop grand usage des représentations est réprouvé ; car l’Apôtre dit, dans sa première Lettre aux Corinthiens : « Nous savons, en effet, qu’il n’y a rien à attendre des idoles dans ce monde, et qu’il n’y a qu’un seul Dieu. » Et les simples et les faibles pourraient être facilement entraînés à l’idolâtrie par le trop grand et indiscret usage des peintures ou des sculptures. Ce qui a fait dire à la Sagesse : « On ne doit pas de respect aux idoles des nations, parce que les créatures sont employées par elles à porter à la haine de Dieu et à tenter l’ame des hommes ; enfin, elles sont comme un piège pour les pieds des hommes insensés. » Mais il n’est point blâmable d’user modérément des peintures pour représenter le mal qu’on doit éviter et le bien qu’on doit imiter. Voilà pourquoi le Seigneur dit à Ezéchiel : « Entre et vois les plus grandes abominations qu’ils commettent. » Et, étant entré, il vit toute une peinture de reptiles et d’animaux, et l’abomination et toute l’idolâtrie peintes sur la muraille de la maison d’Israël. Or,’Grégoire, expliquant et exposant cela (in Pastorali, lib. II, cap. XX), dit : « Les représentations des choses extérieures attirent Dieu dans l’intérieur de l’ame ; et, en quelque sorte, tout ce que l’on pense, en voyant de feintes images, se peint dans le cœur, s’il n’est plus vrai de dire que l’objet auquel on pense avec attention dans son cœur se peint à nos yeux d’images fictives. » Le Seigneur dit encore au même Ezéchiel : « Prends une pierre et place-la devant toi, et tu traceras dessus la cité de Jérusalem. » La parole suivante de l’Évangile prévient ce qui a été dit, à savoir : que les images sont les livres des laïques : « Ils ont, dit le Christ, Moïse et les prophètes, qu’ils les écoutent. » On parlera aussi de cela dans la quatrième partie, sous la troisième particule du canon, au mot Servitutis. Le concile d’Adge (De consec. y dist. iii, cap. Placuit) défend de faire des peintures dans les églises, et de peindre sur les murailles ce qu’on honore et ce qu’on adore. Mais Grégoire (De consec., dist. iii, cap. Perlatum) dit : qu’il n’est pas permis de briser les peintures sous le prétexte qu’elles ne doivent pas être adorées, car on voit que la peinture émeut plus l’esprit que l’écriture. En effet, par la peinture, le fait accompli est placé devant les yeux, tandis que par l’écriture la chose arrivée est rappelée à la mémoire en quelque sorte par ouï dire, ce qui émeut moins l’ame. Voilà pourquoi aussi dans l’église nous ne témoignons pas un si grand respect pour les livres que pour les images et les peintures.

V. Des peintures ou des représentations, les unes sont sur l’église, comme le coq ou l’aigle ; les autres hors de l’église, à savoir : aux portes et au front du temple, comme le bœuf et le lion ; les autres enfin au dedans, comme les bas-reliefs et les divers genres de sculptures et de peintures que l’on fait, ou sur les vêtements, ou sur les murs, ou sur les vitraux ; de quelques-unes desquelles il est dit dans le Traité de l’Église, qu’elles ont été prises et imitées du tabernacle de Moïse et du temple ou de l’époque de Salomon. Or, Moïse écrivit ; mais Salomon écrivit et peignit, et il orna les murs du temple de ciselures et de peintures.

VI. Et il faut savoir que l’on peint surtout l’image du Sauveur dans l’église de trois manières, qui sont les principales et les plus convenables de le r,résenter, savoir : ou assis sur un trône, ou suspendu au gibet de la croix, ou en quelque sorte assis dans le sein de sa mère et reposant sur ses genoux. Or, parce que Jean-Baptiste montra le Christ avec le doigt, en disant : « Voici l’agneau de Dieu, » quelques-uns représentaient le Christ sous la figure d’un agneau, « Cependant, comme l’ombre a passé et que le Christ est vraiment homme, dit le pape Adrien (De consecrat., dist. iii, cap. Sextam), nous devons le peindre sous la forme d’un homme. » Car ce n’est pas l’agneau de Dieu qu’on doit représenter principalement sur la croix ; mais, après y avoir mis un homme, rien n’empêche de peindre un agneau dans la partie inférieure ou postérieure, puisqu’il est le véritable agneau qui porte les péchés du monde. C’est donc de ces manières, et de diverses autres, que l’image du Sauveur est retracée, à cause des différentes significations qu’elle entraîne avec elle.

VII. Car, peint dans la crèche, il rappelle sa nativité ; sur le sein de sa mère, nous voyons son enfance ; peint ou sculpté sur la croix, c’est sa passion ; et quelquefois on met près de la croix le soleil et la lune en éclipse, pour désigner sa patience ; peint montant des degrés, c’est son ascension ; représenté comme assis sur un trône ou sur un siège élevé, il indique sa présente majesté et la puissance qu’il possède désormais, comme s’il disait : « Toute puissance m’a été donnée dans le ciel et sur la terre ; » selon cette parole : « J’ai vu le Seigneur assis sur un siège élevé, etc., » c’est-à-dire : « Le Fils de Dieu régnant sur les anges ; » selon cette parole : « Toi ce qui es porté sur les ailes des chérubins. » Et quelquefois on le peint ainsi que le virent Moïse et Aaron, Nabad et Abiu ; à savoir, sur la montagne ; et, sous ses pieds, il y avait en quelque sorte un marche-pied de saphirs, dont l’éclat était celui d’un ciel serein. Or, parce que, comme le dit saint Luc : « Alors ils verront le Fils de l’Homme qui viendra sur une nuée avec une grande puissance et une grande majesté, » voilà pourquoi on le peint entouré d’anges qui le servent toujours et sont sans cesse à ses côtés. On les représente avec six ailes, d’après ce passage d’Isaïe : « Les séraphins se tenaient debout auprès de lui ; ils avaient chacun six ailes ; deux leur ce servaient pour voiler leur face, deux pour cacher leurs pieds ce et deux pour voler. »

VIII. On représente aussi les anges à la fleur de l’âge et dans une tendre jeunesse ; car ils ne vieillissent jamais. Quelquefois encore on peint l’archange Michel foulant aux pieds un dragon. selon ces paroles de Jean, dans l’Apocalypse : « Il y eut une grande bataille dans le ciel ; Michel combattit avec le dragon. » Ce combat est la séparation des anges, la persévérance et l’affermissement des bons, et la ruine des méchants ; ou bien c’est dans la présente Église la persécution que souffrent les fidèles. Quelquefois aussi on représente autour de Dieu vingt-quatre vieillards, d’après la vision du même Jean ; ils sont vêtus d’habits blancs et portent sur leurs têtes des couronnes d’or ; ces vieillards représentent les docteurs de l’ancienne et de la nouvelle loi, qui sont douze pour leur foi à la Trinité, qu’ils annoncent et proclament dans les quatre parties du monde ; et ils sont vingt-quatre à cause des bonnes œuvres et des observances de l’Évangile. Lorsqu’on leur met des lampes dans les mains, cela représente les dons de l’Esprit saint ; et si l’on étend sous leurs pieds une mer transparente, cela figure le baptême.

IX. Parfois encore on représente quatre animaux, d’après la vision d’Ezéchiel et de saint Jean. On place la figure de l’homme et du lion à droite, celle du bœuf à gauche, et celle de l’aigle au-dessus des quatre autres. Ce sont les quatre évangélistes. Voilà pourquoi on les peint avec des livres à leurs pieds, parce qu’ils ont accompli dans leur ame et par leurs œuvres ce qu’ils ont enseigné par leurs paroles et leurs écrits. A Mathieu appartient la figure humaine ; Marc a celle du lion. On place ces deux personnages à la droite du trône de Dieu, parce que la naissance et la résurrection du Christ furent une joie générale pour tous. Voilà pourquoi on lit dans le Psalmiste : « L’allégresse a éclaté au matin. » Luc, c’est le veauj parce qu’il a commencé son livre en parlant du prêtre Zacharie, et a traité plus spécialement que les autres évangéHstes de la passion et de l’hostie du Christ. Car le veau est l’animal propre aux sacrifices des prêtres ; on compare aussi saint Luc au veau, à cause de ses deux cornes ; en effet, son livre contient les deux testaments ; le veau a quatre ongles aux pieds, et l’évangile de Luc contient les sentences des quatre évangélistes. Par le veau est encore figuré le Christ, qui fut immolé pour nous comme un veau ; et on le place à gauche, parce que la mort du Christ fut triste aux apôtres. On parlera de tout cela dans la septième partie, au chapitre des Évangélistes, et l’on y dira de quelle manière le bienheureux Marc doit être représenté. Jean a la figure d’un aigle, parce qu’il prend son vol vers les régions les plus élevées, lorsqu’il dit : « Dans le principe était le Verbe. » Cela signifie aussi le Christ, dont la jeunesse se renouvelle comme celle de l’aigle, parce que, ressuscité d’entre les morts, il fleurit et entre dans le ciel ; ici, l’aigle n’est pas représenté auprès du trône de Dieu, mais au-dessus de lui, parce qu’il figure son ascension et qu’il proclame que le Verbe est en Dieu. Mais on dira dans la septième partie, au chapitre des Évangélistes, pourquoi chacun des mêmes animaux avait quatre faces et quatre ailes, et comment on peut les peindre ; enfin on y traitera encore de tout cela d’une manière plus étendue.

X. Quelquefois aussi on peint autour du trône de Dieu, ou plutôt dessous, les apôtres, qui furent ses témoins jusqu’aux extrémités de la terre, par leur paroles et par leurs œuvres. Et on les peint chevelus comme les Nazaréens, c’est-à-dire les saints ; car voici la loi des Nazaréens : « Que, dès le temps de leur séparation de la vie commune des hommes, le rasoir ne passe pas sur leur tête. » On les représente aussi parfois sous la figure de douze brebis, parce que, comme des brebis, ils ont été mis à mort pour le Seigneur. Mais les douze tribus d’Israël sont quelquefois aussi peintes sous l’image de douze brebis. Parfois, cependant, des brebis sont peintes en grand nombre, ou peu nombreuses, autour du trône de la majesté de Dieu ; mais alors elles figurent autre chose, selon cette parole de saint Mathieu (xx), vers la fin de son évangile : « Lorsque le Fils de l’Homme sera venu dans sa majesté, alors il s’asseoiera sur le trône de sa gloire, mettant les brebis à droite et les boucs à gauche. » On dira dans la septième partie, et à l’article de leurs fêtes, comment les apôtres Barthélemi et André doivent être représentés.

XI. Et remarque que les patriarches et les prophètes sont peints avec des rouleaux dans leurs mains, et certains apôtres avec des livres, et certains autres avec des rouleaux. Sans doute parce qu’avant la venue du Christ la foi se montrait d’une manière figurative, et qu’elle était enveloppée de beaucoup d’obscurités au dedans d’elle-même. C’est pour exprimer cela que les patriarches et les prophètes sont peints avec des rouleaux, par lesquels est désignée en quelque sorte une connaissance imparfaite ; mais, comme les apôtres ont été parfaitement instruits par le Christ, voilà pourquoi ils peuvent se servir des livres par lesquels est désignée convenablement la connaissance parfaite. Or, comme certains d’entre eux ont rédigé ce qu’ils ont appris pour le faire servir à l’enseignement des autres, voilà pourquoi ils sont dépeints convenablement, ainsi que des docteurs, avec des livres dans leurs mains, comme Paul, Pierre, Jacques et Jude. Mais les autres, n’ayant rien écrit de stable ou d’approuvé par l’Église, sont représentés non avec des livres, mais avec des rouleaux, en signe de leur prédication. Ce qui fait que l’apôtre dit aux Ephésiens : « Le Seigneur a fait les mis apôtres, les autres prophètes, quelques-uns évangélistes, et quelques autres pasteurs et docteurs, pour l’œuvre de son ministère. »

XII. Et quelquefois la divine majesté est représentée avec un livre fermé dans les mains, parce que personne n’a été trouvé digne de l’ouvrir, que le lion de la tribu de Juda ; et parfois avec un livre ouvert, afin que chacun lise dedans ; car il est la lumière du monde, la voie, la vérité, la vie et le livre de vie. Et on dira dans la septième partie, au chapitre des Évangélistes, pourquoi Paul et Pierre sont représentés, l’un à la droite et l’autre à la gauche du Sauveur.

XIII. Jean-Baptiste est quelquefois peint comme un ermite.

XIV. Les martyrs sont représentés avec les instruments de leur supplice, comme Laurent sur le gril, Etienne avec des pierres ; et quelquefois on les peint avec des palmes, qui marquent leur victoire, selon cette parole : « Le juste fleurira comme la palme, » afin que, de même que la palme verdoie, ainsi leur mémoire soit conservée. Voilà pourquoi ceux qui viennent de Jérusalem portent des palmes dans leurs mains, pour marquer qu’ils ont servi et combattu pour ce Roi qui fut reçu honorifîquement à Jérusalem avec des palmes, et combattant ensuite, en ce même lieu, contre le diable, demeura vainqueur et entra en triomphe avec les anges dans le palais du ciel ; donc ce les justes fleuriront comme la palme et brilleront comme les étoiles. »

XV. On représente les confesseurs avec leurs attributs ; les évêques mitrés, les abbés encapuchonnés, et parfois avec des lis qui désignent la chasteté, les docteurs avec des livres dans leurs mains, et les vierges (d’après l'Évangile) avec des lampes.

XVI. On représente Paul avec le livre et le glaive ; avec le livre, parce qu’il est docteur ou à cause de sa conversion ; avec le glaive, parce qu’il est soldat du Christ. De là ces vers :

« L’épée est le zèle de Paul,
« Le livre est la conversion de Saul. »

XVII. Généralement, on peint les images des saints Pères quelquefois sur les murs de l’église, parfois sur le rétable de l’autel, quelquefois sur les vêtements sacrés et dans d’autres lieux différents, afin que nous méditions continuellement, non des choses confuses et inutiles, mais leurs actions et leur sainteté. Voilà pourquoi, dans l’Exode, il fut recommandé par la voix de Dieu d’appliquer sur la poitrine d’Aaron le rational du jugement, et de l’y attacher avec des bandelettes, afin que des pensées lâches ne s’emparent jamais du cœur du prêtre, mais que la raison seule l’attache ; et sur ce rational, qui représente aussi la vigilance, selon saint Grégoire, Dieu ordonna d’écrire les noms des douze patriarches.

XVIII. Assurément, porter toujours écrits sur sa poitrine les noms des Pères, c’est penser sans cesse à la vie des anciens. Et alors le prêtre s’avance irréprochable dans la vie, lorsqu’il considère sans relâche les exemples des Pères qui l’ont précédé, et qu’il suit leurs traces, et refoule au dedans de son cœur les pensées défendues, de peur de poser le pied de ses actions hors de la limite de la raison.

XIX. Il faut aussi considérer que Jésus est toujours peint couronné, comme s’il disait : « Sortez, filles de Jérusalem, et voyez le roi Salomon ceint du diadème dont l’a couronné sa mère. » Car le Christ fut couronné de trois manières. Premièrement, par sa mère, de la couronne de la miséricorde, au jour de la Conception ; cette couronne est double, à cause des biens naturels et gratuits, et voilà pourquoi on l’appelle diadème, ce qui signifie une double couronne. Secondement, il est couronné par sa marâtre de la couronne de misère et de souffrance, au jour de la Passion. Troisièmement, il est couronné par son père de la couronne de gloire, au jour de la Résurrection ; de là cette parole : « Tu l’as couronné, Seigneur, de gloire et d’honneur. » Enfin, il sera couronné par ceux de sa maison de la couronne de la puissance, au jour de la dernière révélation. Car il viendra, avec les vieillards et les sénateurs de la terre, pour juger l’univers dans sa justice et son équité. Ainsi, tous les saints sont peints couronnés, comme, si le Seigneur disait : « Filles de Jérusalem, venez et voyez les témoins [martyres) de Dieu avec les couronnes d’or dont les a couronnés le Seigneur. » Et, dans le livre de la Sagesse, il est dit : « Les justes entreront dans le royaume de la gloire, et ils recevront le diadème de la beauté de la main du Seigneur. »

XX. Et cette couronne dont nous parlons est peinte en forme d’un bouclier rond, parce que les saints de Dieu jouissent de la protection divine. C’est pourquoi ils chantent, pleins d’allégresse : « Seigneur, tu nous a couronnés, et entourés de ta ce protection comme d’un bouclier. » Mais cependant la couronne du Christ est distinguée de celle des saints par la figure de la croix, parce que c’est par l’étendard de la croix qu’il a mérité pour lui la glorification de sa chair, et pour nous la délivrance de la captivité et la jouissance de la vie. Et lorsqu’on représente un prélat ou un saint de son vivant, sa couronne n’a pas la forme d’un bouclier rond, mais carré, afin de montrer par là qu’il produit les fleurs des quatre vertus cardinales, comme on le voit dans la Légende du bienheureux Grégoire.

XXI. Parfois encore, on peint le paradis dans l’église, afin que sa vue invite à l’amour et à la recherche des récompenses célestes ; parfois aussi, on y représente l’enfer, afin de détourner les hommes des vices par la terreur des supplices ; quelquefois on y joint des fleurs et des arbres avec leurs fruits, pour représenter les fruits des bonnes œuvres, qui poussent par les racines des vertus et s’élèvent sur leurs tiges.

XXII. Or, la variété des peintures dans l’église désigne la variété des vertus, « L’Esprit-Saint donne à l’un les paroles de la sagesse, à l’autre les discours de la science, à l’autre la foi en lui, à l’autre la grâce de la pureté, à l’autre l’opération des miracles, à l’autre le don de prophétie, à d’autres le discernement des esprits, à d’autres le don des langues, à d’autres enfin, l’interprétation des Écritures. » Et les vertus sont représentées sous la figure d'une femme, parce qu’elles adoucissent et nourrissent. Les nervures des voûtes, que l’on nomme encore lambris et qui ornent la maison du Seigneur, figurent les serviteurs les plus simples et les moins instruits du Christ, qui ornent l’église non par leur doctrine, mais par leurs seules vertus. Et les bas-reliefs que l’on sculpte sur les murailles paraissent en sortir et s’avancer vers celui qui les regarde, parce que, quand la pratique des vertus devient d’une si grande habitude aux fidèles qu’elles leur paraissent innées en eux et comme toutes naturelles, ils arrivent à s’exercer à leurs diverses opérations sans effort. On dira dans la quatrième partie, au chapitre de la Révérence ou Génuflexion que l’on doit faire après la lecture de l’épître, comment on représente la synagogue. On dira aussi dans la troisième partie, au chapitre du Pallium, comment on peint le pallium des pontifes romains. Et on dira au commencement de la huitième partie, où il s’agit du Mois, comment on figure l’année, les douze signes célestes et les mois. Et on représente encore, à la volonté des peintres, diverses histoires tant du Nouveau que de l’Ancien-Testament, car ce les peintres et les poètes « ont toujours eu une égale puissance d’oser tout ce qu’il leur a plu.[3] »

XXIII. Enfin, les ornements de l’église consistent en trois choses, c’est-à-dire dans l’ornement de l’église, du chœur et de l'autel. L’ornement de l’église consiste en voiles, en tapis et en tentures de pourpre, de soie et d’autres choses semblables. L’ornement du chœur, ce sont des housses, des tapis que l’on étend sur le pavé, et des coussins (bancalia). Les housses (dorsalia) sont des draps que l’on suspend dans le chœur, derrière le dos des clercs. Les tapis dits tapeta substratoria sont ceux que l’on étend sous les pieds. Les tapis sont encore aussi des draps que l’on met sous les pieds, espèce de tapis de pied, et particulièrement réservés aux évéques, qui doivent fouler aux pieds les choses de ce monde. Les coussins (bancalia) sont des draps que l’on place sur les sièges ou bancs (bancas) qui sont dans le chœur.

XXIV. Les ornements de l'autel sont des coffres et des châsses (capsis), des tentures, des phylactères (phylatteriis), des chandeliers, des croix, des franges d’or, des bannières, des livres, des voiles et des courtines.

XXV. Et remarque que le coffre (capsa), dans lequel on conserve les hosties consacrées, signifie le corps de la Vierge glorieuse, dont le Psalmiste a dit : « Lève-toi, Seigneur, de ton repos, etc. » Il est parfois de bois, parfois d’ivoire blanc, parfois d’argent, parfois d’or et parfois de cristal. Et, selon ses diverses qualités, il exprime les différentes grâces du corps même du Christ. Le même coffre, lorsqu’il contient les hosties consacrées ou non consacrées, désigne la mémoire humaine ; car l’homme doit se rappeler continuellement les biens qu’il a reçus de Dieu, tant les temporels, qui sont figurés par les hosties non consacrées, que les spirituels, représentés par les hosties consacrées. Ce qui fut figuré dans l’urne où Dieu ordonna de déposer la manne, qui, bien que temporelle, représentait cependant par avance ce sacrifice spirituel, qui est celui que nous offrons ; et le Seigneur recommanda que cette urne fût un souvenir éternel pour les générations futures, comme on le lit dans l’Exode. Et les châsses (capsœ) posées sur l’autel, qui est le Christ, ce sont les apôtres et les martyrs ; les tentures et les linges de l’autel, ce sont les confesseurs, les vierges et tous les saints, dont le Seigneur dit au prophète : « Tu te revêtiras d’eux comme d’un vêtement. » Et l’on a parlé de cela dans le chapitre précédent. Mais phylatterium est une chose, et phylatteria en est une autre.

XXVI. Phylatterium, le phylactère, est une petite feuille ou bande de parchemin sur laquelle on écrit les dix commandements de la loi ; les pharisiens avaient coutume d’en porter devant eux en signe de piété. D’où il est dit dans l’Évangile : « Ils agrandissent leurs phylactères, et se glorifient dans les franges de leurs habits. » Et il est pris dans ce sens (xxvi, q. V, Non oportet). Et il est appelé phylactère (phylatterium), de phulattein et de thôrax la loi. Mais les Phylatteria (phylactères), c’est un petit vase d’argent ou d’or, ou de cristal ou d’ivoire, ou d’autre matière aussi précieuse, dans lequel sont enfermées les cendres ou les reliques des saints. Or, comme Elindius appelait les fidèles cendreux, pleins de cendres (cinericios), à cause de ce qu’ils conservaient ces cendres, il fut établi dans l’Église, contre son avis, qu’on les garderait d’une manière honorable et dans de précieux petits vases ; et ce nom est tiré de phulattein, garder, et de teron, une extrémité, parce que dans ces vaisseaux on garde quelque chose de l’extrémité du corps des saints, comme par exemple une dent ou un doigt, ou quelque chose de semblable. On place encore sur l’autel même, dans certaines églises, le tabernacle (tabernaculum), dont il a été parlé au chapitre de l’Autel.

XXVII. Aux coins de l’autel sont placés à demeure deux chandeliers, pour signifier la joie des deux peuples qui se réjouirent de la nativité du Christ ; ces chandeliers, au milieu desquels est la croix, portent de petits flambeaux allumés ; car l’ange dit aux pasteurs : « Je vous annonce une grande joie qui sera pour tout le peuple, parce qu’aujourd’hui vous est né le Sauveur du monde. » C’est le véritable Isaac, qui explique le rire de sa mère. Et la lumière du chandelier, c’est la foi du peuple, car le prophète dit au peuple juif : « Lève-toi, illumine Jérusalem , parce que ta lumière vient et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi. » Et l’apôtre dit au peuple gentil : « Vous étiez jadis ténèbres, mais maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur. » Car, à la naissance et au lever du Christ, une nouvelle étoile apparut aux mages, selon la prophétie de Balaam : « Il s’élèvera, dit-il, une étoile de Jacob, et une tige sortira d’Israël. » On a aussi parlé de cela dans le chapitre de l’Autel.

XXVIII. Les mouchettes ou les pincettes pour moucher la lampe, ce sont les paroles divines auxquelles nous coupons les lettres de la loi, et où nous révélons ainsi l’esprit qui luit, selon cette parole : « Vous mangerez les plus anciennes choses des anciens, et vous présenterez les anciennes aux nouveaux qui surviendront. » Les vases dans lesquels on éteint les mouchures des lampes sont les cœurs des fidèles qui observent la loi à la lettre.

XXIX. Les pincettes, dont la dent jumelle sert à attiser la flamme de la lampe, sont les prédicateurs, qui nous instruisent par les pages assorties de l’un et de l’autre Testament, et allument au feu de la charité ceux dont les mœurs sont déjà semblables et identiques.

XXX. Les écus ou écuelles (scuta), c’est-à-dire les vases d’une égale capacité, faits pour chauffer à l'intérieur comme à l’extérieur, sont les docteurs qui ne cachent pas le trésor que renferme leur cœur, mais qui en tirent des choses nouvelles et anciennes. Ils ne placent pas aussi la lampe sous le muids, mais sur le chandelier, afin que ceux qui sont dans la maison du Seigneur en reçoivent sur eux et en eux la lumière et la chaleur.

XXXI. La croix doit être aussi placée sur l’autel ; et c’est là que le porte-croix la prend et la dépose pour qu’on lui rende de nouveau ses hommages, parce que Simon le Cyrénéen porta la croix après l’avoir enlevée de dessus les épaules du Christ. La croix est placée sur l’autel, au milieu des deux chandeliers, parce que le Christ, dans l’Église, a été le médiateur entre deux peuples. Car il est la pierre angulaire, lui qui de deux choses n’en a fait qu’une, et à qui sont venus les pasteurs de la Judée et les mages de l’Orient. On parlera de cela d’une autre manière dans la préface de la quatrième partie, et au chapitre de l’Entrée du prêtre à l’autel.

XXXII. Le devant de l’autel est encore orné d’une frange d’or, selon cette parole de l’Exode (chap. xxv et xxviii) : « Tu me construiras un autel, et tu l’entoureras d’une guirlande haute de quatre doigts. » Or, l’autel signifie parfois le cœur de l’homme, dans lequel le sacrifice de la vraie foi doit être offert par la contrition ; et alors la frange d’or signifie la pensée de la bonne œuvre dont nous devons orner notre front pour luire devant les autres. Parfois l’autel signifie le Christ, et alors la frange d’or désigne on ne peut mieux l’ornement de la charité. Car, de même que l’or l’emporte sur tous les métaux, ainsi la charité est au-dessus des autres vertus ; ce qui fait que l’apôtre dit aux Corinthiens : « La charité est plus grande que toutes les autres vertus. » Nous devons donc ainsi orner notre jeunesse, dans sa fleur, de la frange d’or de la charité, afin d’être prêts à abandonner et à perdre notre vie pour le Christ. On dresse aussi les bannières sur l’autel, afin de rappeler continuellement dans l’église le triomphe du Christ, par lequel nous espérons à notre tour triompher de l’ennemi.

XXXIII. Le livre de l’Évangile est aussi placé sur l’autel, parce que l’Évangile a été publié par le Christ lui-même et que lui-même en rend témoignage. On dira dans la troisième partie, au chapitre des Vêtements de l’ancienne loi, pourquoi ce livre est orné au dehors. Enfin, les vases sacrés et autres, dans la maison du Seigneur, ont tiré leur origine de Moïse et de Salomon ; ces vases furent en grand nombre et d’un usage varié dans l’Ancien-Testament, comme on le lit dans l’Exode, et ils avaient différentes significations, desquelles nous ne traitons pas ici pour abréger.

XXXIV. Or, toutes les choses qui appartiennent à l’ornement de l’Église doivent être serrées ou couvertes pendant le temps de la sainte Quarantaine ; ce que l’on fait, suivant quelques-uns, le dimanche de la Passion, parce que dès ce moment la Divinité fut cachée et voilée dans le Christ ; car il s’abandonna lui-même et se laissa prendre et flageller ainsi qu’un homme, comme s’il n’avait plus en lui la puissance de la Divinité. Voilà pourquoi il est dit dans l’évangile de ce jour : « Et Jésus se cacha et sortit du temple. » Alors on couvre les croix, qui représentent la puissance de sa divinité. D’autres font cela dès le premier dimanche du Carême, parce que, dès ce moment, l’Église commence à parler de la Passion. C’est pourquoi, pendant ce temps, la croix ne doit être portée dans l’église que couverte ; et, selon la coutume de certains lieux, on ne garde dans le temple que deux voiles ou courtines seulement, dont l’une est mise autour du chœur, l’autre est suspendue entre Tautel et le chœur, afin que l’on ne voie pas ce qui est dans le Saint des saints ; et le sanctuaire et la croix, qui sont alors voilés, signifient la lettre de la loi, c’est-à-dire son observance selon la chair, ou bien que, dans l’Ancien-Testament et avant la passion du Christ, l'intelligence des saintes Écritures était voilée, cachée et obscure, et que ceux qui vécurent dans ce temps-là eurent toujours un voile devant les yeux, c’est-à-dire une science obscure. Ce voile signifie encore cette épée qui fut mise devant la porte du paradis. Or, pour exprimer que l’observance charnelle de la loi, l’obscurité et le glaive ont été rejetés et dispersés par la Passion du Christ, on enlève, la veille de Pâques, toutes ces courtines et ces voiles dont nous avons parlé. Il est parlé dans l'Ancien-Testament des animaux ruminants et aux ongles fendus, comme les bœufs qui labourent, c’est-à-dire discernent les mystères des Écritures et les comprennent selon l’esprit ; et c’est pourquoi, pendant le Carême, il n’y a qu’un petit nombre de prêtres qui entrent derrière le voile qui cache le sanctuaire, parce qu’il eur a été donné de connaître le mystère du royaume de Dieu.

XXXV. Et, à propos de cela, il est à remarquer que l’on suspend trois sortes de voiles dans l’église, à savoir : celui qui couvre les choses saintes, celui qui sépare le sanctuaire du clergé, et celui qui sépare le clergé du peuple. Le premier signifie la lettre de notre loi. Le second, notre indignité, parce que nous sommes indignes et, de plus, impuissants pour pénétrer de notre regard les choses du ciel. Le troisième, le frein que nous devons mettre à notre volupté charnelle. Le premier voile, c’est-à-dire les rideaux que l'on tend des deux côtés de l’autel, et dont le prêtre pénètre le secret, a été figuré, comme on le dira dans la quatrième partie, au chapitre de la Secrète, d’après ce qu’on lit dans l’Exode (xxxiv). Moïse mit un voile sur sa figure, parce que les fils d’Israël ne pouvaient soutenir l’éclat de son visage ; et, comme le dit l’apôtre, ce voile est encore aujourd’hui sur le cœur des Juifs. Le second voile, ou courtine, que, pendant le carême et la célébration de la messe, on étend devant l’autel, tire son origine et sa figure de celui qui était suspendu dans le tabernacle et qui séparait le Saint des saints du lieu saint, ainsi qu’on le dira dans la préface de la quatrième partie. Ce voile cachait l’arche au peuple, et il était tissu avec un art admirable et orné d’une belle broderie de diverses couleurs, et il se fendit lors de la passion du Seigneur ; et, à son imitation, les courtines sont encore aujourd’hui tissues de diverses couleurs très-belles. L’Exode, chapitre xxvi et xxxvi, traite du premier voile dont nous avons parlé, et dit comment doivent être faites les courtines. Le troisième voile a tiré son origine du cordon de muraille ou paroi qui, dans la primitive Église, faisait le tour du chœur et ne s’élevait que jusqu’à hauteur d’appui, ce qui s’observe encore dans certaines églises. Et on ne donnait pas plus d’élévation à ce mur, afin que le peuple, voyant le clergé psalmodier et chanter, en prît un bon exemple. Mais cependant, maintenant, on dresse en général ou on place un voile, ou bien enfin on élève un mur entre le clergé et le peuple[4], afin qu’ils ne puissent se voir réciproquement ; comme si l’on disait, par cette action même, au prêtre : « Détourne tes yeux, pour qu’ils ne voient pas la vanité, etc. »

XXXVI. Mais, le jour de la Parascève, ou Vendredi saint, on ôte tous les voiles de l’église, parce que, lors de la Passion du Seigneur, le voile du temple fut déchiré, et que c’est par elle que nous a été révélée l’intelligence du roi spirituel, qui, auparavant, était cachée à nos yeux, comme on l’a déjà dit plus haut : c’est alors que la porte du royaume céleste nous a été ouverte et que la force nous a été donnée, afin de ne pouvoir pas être vaincu, à moins que nous le voulions, en cédant à la concupiscence de la chair. Cependant, le voile qui sépare le sanctuaire du clergé est tiré ou enlevé à l’heure de vêpres de chaque samedi de carême, et quand l’office du dimanche est commencé, afin que le clergé puisse regarder dans le sanctuaire, parce que le dimanche rappelle le souvenir de la résurrection.

XXXVII. Voilà pourquoi cela a lieu aussi pendant les six dimanches qui suivent la fête de Pâques, parce qu’il n’y a aucun âge pour lequel la résurrection ne sera une joie éternelle. Mais c’est une joie figurée, qui est voilée par le ciel que représente ce voile ; de là vient que les dimanches nous ne jeûnons pas, et cela à cause de la gloire de la résurrection du Seigneur, qui arriva le dimanche. Or, le premier dimanche après Pâques signifie la joie qu’eurent nos premiers parents dans le paradis avant le péché. Le second figure la joie qu’un petit nombre d’hommes eurent dans l’arche de Noé, quand tous les autres eurent été noyés dans les eaux du déluge. Le troisième représente l’allégresse des fils d’Israël, pendant que les autres peuples étaient affligés par la famine qui eut lieu sous Joseph. Le quatrième, celle qu’ils éprouvèrent sous Salomon, en vivant dans la paix. Le cinquième, la joie qu’ils eurent en revenant de la captivité de Babylone. Le sixième, celle que les disciples ressentirent depuis la résurrection jusqu’à l’ascension, pendant que l’Époux fut avec eux par sa présence et ses apparitions.

XXXVIII. Dans les festivités aussi (festivitatibus), où on lit les neuf leçons de carême, le voile est levé ou tiré. Mais cet usage n’existe pas ainsi depuis la première institution de l’Église, parce qu’alors aucune fête n’était célébrée solennellement pendant le carême ; car, s’il se présentait une fête (festum), quelque jour que ce fût qu’elle arrivât, on en faisait la commémoration le samedi et le dimanche, comme on le voit dans le xxiii° canon du pape Martin (quaest. iii, Non oportet, el. ii et c, Non licet), et dans Bucard, liv. xiii, et tout cela à cause de la tristesse de ce temps. Ensuite, l’usage devint, au contraire, que, par exemple, la fête (festum) des neuf leçons serait célébrée solennellement le jour qu’elle tombait, et que, cependant, on jeûne ce jour-là, comme de coutume.

XXXIX. Dans les festivités, on tend les courtines dans les églises pour les orner, afin que de visibles ornements émeuvent notre ame pour les invisibles. Ces courtines sont parfois teintes de diverses couleurs, comme on l’a déjà dit auparavant, afin que, par la variété de ces couleurs, on voie et on sache que l’homme, qui est le temple de Dieu, doit être orné de la variété et de la diversité des vertus. La courtine blanche représente la pureté de la vie ; la rouge, la charité ; la verte, la contemplation ; la noire, la mortification de la chair ; la grise, la tribulation. On met aussi parfois sur les courtines blanches des draperies de différentes couleurs, pour exprimer que notre cœur doit être purgé des vices, et qu’il doit avoir au dedans de lui-même les courtines des vertus et la variété des couleurs des bonnes œuvres.

XL. Or, dans la fête de la Nativité du Seigneur, certaines églises ne suspendent aucune draperie dans l’église ; quelques-unes en mettent de nul prix, quelques autres de belles. Celles qui n’en mettent aucune figurent notre rougeur ; car, bien que nous ayons une très-grande joie de ce qu’un Sauveur nous est né, nous ne devons pas être cependant sans honte en pensant que notre péché a été si grand, qu’il a fallu que le Fils de Dieu lui-même se réduisît à rien pour nous, en prenant la forme d’un esclave ; et voilà pourquoi, même au jour de sa mort, nous ne faisons aucune solennité accompagnée d’allégresse ; mais un jeûne très-grand, quoique cependant nous solennisions la mort des autres saints avec allégresse, et que nous nous permettions, tant soit peu, de manger et de boire plus délicatement, comme on le dira dans la sixième partie, en parlant de la Parascève ou Vendredi saint. Certes ! nous rougissons, parce que le Seigneur est mort pour nos péchés ; mais les saints ont souffert, non pour nos péchés, mais pour le Christ. Ceux qui suspendent dans l’église des draperies de nul prix représentent par là la forme d’esclave que le Seigneur a revêtue pour nous, et les vils drapeaux dans lesquels il a été enveloppé ce jour-là. Ceux qui tendent de belles draperies pensent à la joie que l’on ressentit de la naissance d’un Roi, et montrent comment nous devons être pour recevoir un tel hôte.

XLI. Dans quelques églises, l’autel, dans la solennité de Pâques, est orné de couvertures précieuses, et l'on met dessus des voiles de trois couleurs : rouge, gris et noir, qui désignent trois époques. La première leçon et le répons étant finis, on ôte le voile noir, qui signifie le temps avant la loi. Après la seconde leçon et le répons, on enlève le voile gris, qui désigne le temps sous la loi. Après la troisième leçon, on ôte le voile rouge, qui signifie l’époque de la grâce, dans laquelle, par la Passion du Christ, l’entrée nous a été et nous est ouverte au Saint des saints et à la gloire éternelle. Et l’on a parlé des draperies et des linges de l’autel, dans le Traité de l’Autel.

XLII. Dans les principales festivités, on expose aux regards du peuple les trésors de l’Église, et cela pour trois raisons. Premièrement, par une considération de prévoyance, c’est-à-dire afin qu’elle paraisse, la prudence à les garder, de celui qui en a été chargé. Secondement, par respect pour la solennité. Troisièmement, en mémoire de leur offrande, c’est-à-dire en souvenir de ceux qui les ont d’abord offerts à l’Église. L’église est ornée agréablement les jours de fêtes au dedans et non au dehors, ce qui indique d’une manière mystérieuse que toute sa gloire lui vient du dedans : bien même qu’elle soit méprisable au dehors, cependant elle brille dans son ame, qui est le trône de Dieu. A elle donc se rapporte cette parole : « Je suis noire, ce mais belle, ô filles de Jérusalem, comme les demeures de Cédar et comme les tentes de Salomon. » Et le Seigneur dit par la bouche du prophète : « Mon héritage est dans sa beauté. » Le prophète, considérant encore cela, dit : « Seigneur, j’ai chéri la beauté de ta maison, » qu’ornent spirituellement la foi, l’espérance et la charité. L’église matérielle et la spirituelle doivent être purifiées, ce dont on parlera dans la septième partie, au chapitre de Pâques, et de la cinquième férie ou Jeudi de la Cène. Dans quelques églises, on a coutume de suspendre deux œufs d’autruches, et autres choses de ce genre, qui excitent l’admiration et que l’on voit rarement, afin que, par là, le peuple soit attiré à l’église et touché davantage par la vue de ces objets.

XLIII. Car quelques-uns disent encore que l’autruche, oiseau oublieux qu’elle est, abandonne ses œufs dans le sable ; enfin, après avoir vu une certaine étoile, elle s’en rappelle, revient à eux et les couve de son regard. On suspend donc des œufs d’autruche dans l’église pour exprimer que si l’homme, à cause de son péché, a été abandonné par Dieu, enfin éclairé subitement par une divine lumière, se souvenant de ses fautes, s’il se repent et revient à lui en voyant cette clarté brillante, il sera échauffé par les rayons de cette bienfaisante lumière dont il est dit aussi dans saint Luc que le Seigneur regarda à l’instant Pierre après qu’il eût renié le Christ. On suspend encore ces œufs dans l’église, afin qu’en les considérant chacun pense que l’homme oublie facilement Dieu, à moins qu’il ne soit éclairé par l’étoile, c’est-à-dire par la grâce influente de l’Esprit-Saint, et ne se rappelle de revenir à lui par la pratique des bonnes œuvres.

XLIV. Or, dans la primitive Église, on offrait le saint sacrifice dans des vases de bois et avec des vêtements ordinaires ; car, alors, les calices étaient de bois et les prêtres d’or ; mais maintenant c’est le contraire. Et le pape Séverin ordonna qu’on se servirait de vases de verre ; mais, parce qu’ils étaient fragiles, le pape Urbain, avec le concile de Reims, statua que l’on se servirait de vases d’argent ou d’or ; ou, en raison de la pauvreté des églises, de vases d’étain, parce que ce métal ne se rouille pas, et non pas cependant de vases de bois ou de cuivre. Le calice ne doit donc pas être de verre, à cause de sa fragilité et du danger où l’on est de répandre le sang du Christ ; ni de bois, car c’est un corps poreux et spongieux, et il absorberait le sang de Notre-Seigneur ; ni d’airain ou de cuivre, car la force du poison que produit ce métal provoquerait le vert-de-gris et le vomissement.

XLV. Et remarque que le nom du calice[5] a tiré son origine de l’Ancien et du Nouveau-Testament (Hier., xii) : « Le calice d’or de Babylone qui enivre toute la terre. » Et David : « Le calice dans la maison du Seigneur est plein de la douceur d’un vin pur et sans mélange. » Et ailleurs : « Je prendrai le calice du salut, et j’invoquerai le nom du Sei « gneur. » De même, on lit dans l’Evangile : « Pourrez-vous boire ce calice que moi je dois boire ? » Et encore : « Prenant le calice, il rendit grâces. » Et le calice d’or signifie les trésors de la sagesse cachés dans le Christ. Celui d’argent, la purification de la faute. Celui d’étain est le signe de la faute et de la punition ; car l’étain tient le milieu entre l’argent et le plomb ; et, bien que la chair du Christ n’ait pas été de plomb, c’est-à-dire pécheresse, elle a été cependant semblable à la chair sujette au péché. Et, bien qu’elle n’ait pas été d’argent, c’est-à-dire passible à cause de ses fautes, elle fut cependant passible pour notre faute ; car il porta lui-même nos faiblesses. On parlera du calice et de la patène au chapitre des Consécrations et des Onctions.

XLVI. Que si quelqu’un, par un esprit de petitesse dans la religion même, dit que le Seigneur commanda à Moïse de faire d’airain tous les vases du tabernacle, pour tous les usages et toutes les cérémonies, comme on le lit dans l’Exode, chapitres xxvii et xxviii, il est encore semblable, cet homme, à Juda, et l’ennemi de la femme qui versa des parfums sur les pieds du Christ, s’il dit aussi que les vases précieux et les autres ornements de ce genre pourraient être vendus et leur prix donné aux pauvres ; car nous en agissons ainsi, non parce que de vils ornements plaisent moins à Dieu que des ornements d’or, mais parce que les hommes offrent volontiers à Dieu ce qu’ils aiment le plus, et par leur adoration vainquent leur avarice. De plus, ces choses signifient les devoirs mortels de la piété que nous devons à Dieu, et la gloire future qui nous attend dans l’autre vie. Voilà pourquoi aussi, dans l’ancienne loi, le Seigneur commanda de faire le surhuméral du prêtre d’or, d’hyacinthe, de pourpre, d’une belle écarlate, d’un lin très-fin retors, et d’autres étoffes précieuses, afin de montrer de quelle grande diversité de vertus le prêtre doit briller. Dieu ordonna encore que l’autel le propitiatoire, le chandelier et les autres vases et ornements de l’autel seraient faits d’or et d’argent. On voit dans l’Exode, chapitres xxv, xxx et xxxviii, que Dieu commanda aussi de faire le tabernacle de diverses étoffes précieuses, comme on l’a déjà dit au chapitre de l’Église. Et le pontife de la loi se servait de divers autres ornements et habits magnifiques, comme on le dira dans la troisième partie, au chapitre des Vêtements de l’ancienne loi. On parlera encore de tout cela au chapitre de la Dédicace de l’Église, presque au commencement.

XLVII. Or, le concile d’Orléans a défendu que les divins mystères soient employés à l’ornement des noces, afin qu’ils ne soient pas profanés par le contact des méchants et la pompe impure du siècle ; ce qui montre certainement qu’on ne doit pas faire une chasuble de l’habit de quelque personne que ce soit, ou couper ce même vêtement pour en faire quelque autre ornement destiné à la célébration des sacrés mystères.

XLYIII. Le pape Etienne statua encore que personne ne se servirait des vêtements de l’Église pour des usages étrangers au culte divin, et qu’ils ne seraient touchés que par des hommes saints, de peur que la vengeance qui frappa Balthazar, roi de Babylone, ne vienne à son tour sur les transgresseurs de ces ordres.

XLIX. Le pape Clément a aussi établi que les morts ne seront ni ensevelis, ni enveloppés, ni couverts, eux ou leur cercueil, avec la palle (palla), c’est-à-dire les linges de l’autel, ni avec la nappe ou serviette qui couvre le calice y ni avec celle avec laquelle le prêtre essuie ses mains après la consécration.

L. Et quand les palles (pallæ), c’est-à-dire les corporaux et les voiles, qui sont les ornements de l’autel, ainsi que les courtines qui environnent l’autel seront salies, les diacres, avec les bas officiers de l’Église, les laveront dans la sacristie et non dehors. Et, pour laver les voiles qui servent à l’autel, on aura un bassin neuf[6]. Mais on lavera les palles, c’est-à-dire les corporaux, dans un autre vase. Les voiles des portes ou courtines qu’on tend dans les églises, aux fêtes et pendant le carême, seront blanchis aussi dans un autre vaisseau. Voici ce qui fut statué dans le concile de Lérida (De consec, dist. iv) : que toute église aie, pour laver le corporal et les palles de l’autel, des vases propres à cela et en dehors des autres usages, et dans lesquels on ne lavera rien autre chose. Et, selon le même Clément, si la palle ou les parements de l’autel, ou les ornements de la demeure dans laquelle le prêtre a coutume d’offrir le sacrifice, revêtu des habits sacrés, ou le chandelier, ou le voile, c’est-à-dire la draperie ou la courtine qui pend derrière l’autel, viennent à être consumés de vieillesse, qu’on les brûle, et que leurs cendres soient jetées dans le baptistère, ou dans le ciment de la muraille de l’église, ou dans les interstices des pavés, où personne ne passe. Et remarque que l’on fait cela parce que les ornements de l’Église sont bénis, comme on le dira au chapitre des Consécrations et des Onctions.

  1. Note 10 page 337.
  2. Durand, qui n’était pas à même de connaître aussi bien la symbolique orientale que l’occidentale, nous semble s’être mépris en cet endroit sur une particularité de l’iconographie chez les Grecs. Les orientaux ne représentent à mi-corps que Dieu le Père et le Fils, et parfois la sainte Vierge, qu’ils nomment panagia (la toute sainte). Ces représentations ont souvent plus de quatre pieds de hauteur, et égalent en grandeur les personnages saints ou anges représentés auprès d’elle. C’est une manière usitée chez les Grecs, pour faire comprendre quelle distance il y a entre la sainteté et la puissance du Père, du Fils ou de la sainte Vierge sa mère, et celles des autres saints.
  3. . . . . . . Pictoribus atque poetis
    Quidlibet audendi semper fuit… potestas.
      (Horace, Ars poetica.)

  4. Note 11 page 339.
  5. Le calice, vase sacré où se fait la consécration du vin dans le sacrifice de la messe, était originairement une tasse, une coupe servant à boire, en latin calix. Autour de la coupe d’un calice conservé dans l’abbaye de Saint-Josse-sur-Mer, on lisait ces deux vers latins :

     « Cum vino mixta sit Ghristi sanguis et unda,
    « Talibus his sumptis salvatur quisque fidelis. »
    « Que l’eau mêlée avec le vin devienne le sang du Christ.
    « Que chaque fidèle soit sauvé après les avoir reçus. »

      Il y avait des calices d’une seule agathe, comme au trésor de Saint-Denis celui de l’abbé Suger, autour de la coupe duquel on lisait : Suger abbas (Suger abbé). On y montrait aussi un calice de cristal, enchâssé de vermeil doré avec quelques pierreries, et qu’on disait avoir servi à saint Denys.

  6. Note 12 page 343.