Rational (Durand de Mende)/Volume 1/Deuxième livre/Chapitre 10

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Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 1p. 198-205).


CHAPITRE X.
DU PRÊTRE (DE SACERDOTE).


I. L’institution de l’ordre ou du rang sacerdotal a pris son origine dans l’ancienne loi, car on lit que le Seigneur fit cette recommandation à Moïse : « Choisis (lui dit-il) ton frère Aaron et place-le auprès de toi avec ses fils, que tu auras pris du milieu des enfants d’Israël, afin qu’ils soient mes prêtres. Donc Moïse oignit Aaron en qualité de grand-prêtre, et ses fils comme des prêtres inférieurs à lui. » Voilà pourquoi le prophète dit : « Moïse et Aaron furent au nombre des prêtres [du Seigneur], » c’est-à-dire les premiers et les plus grands entre les prêtres. Cependant Moïse, lui, fut bien au-dessus d’Aaron par le rang et aussi plus grand par l’administration (xxii, distinct. Sacro, in gloss.). C’est à cause de cela que Moïse l’instruisait et le reprenait comme son inférieur (De pœnit., dist. ii, Inter hoc). Mais pourquoi furent-ils égaux par la consécration sacerdotale ? car Moïse n’offrait pas les hosties, mais priait seulement pour le peuple. Même avant la loi, on lit qu’il y avait des prêtres.

II. D’où vient qu’on lit que Melchisédech, homme juste, fut prêtre du Dieu très-haut, et qu’Abraham lui donna la dîme de toutes les dépouilles, en sa qualité de prêtre. Et il y avait beaucoup de prêtres d’un ordre inférieur que l’on appelait communément Chananéens, et l’un d’eux était grand-prêtre, et on l’appelait spécialement Azabarcum.

III. David établit vingt-quatre grands-prêtres : seize de la famille d’Eléazar et huit de celle d’ithamar, à la tête desquels il en mit un seul comme chef, qu’il établit prince des prêtres ; et il partagea au sort chaque classe de prêtres, à tour de rôle, selon l’ordre des semaines, et la huitième semaine échut à Abias, de la race duquel descendit Zacharie, père de Jean-Baptiste.

IV. Dans le Nouveau-Testament aussi, le Christ institua des prêtres d’un ordre supérieur et d’un ordre inférieur, savoir : les douze apôtres, et les soixante-dix disciples qu’élurent les apôtres, et qu’il envoyait deux par deux devant lui dans toute cité et dans tout lieu où lui-même il devait aller. Comme donc Dieu, par le ministère de Moïse, mit à la tête des peuples, dans la loi, les grands-prêtres, afin qu’ils les gouvernassent, et choisit des hommes revêtus d’une dignité secondaire pour les leur associer et pour qu’ils les aidassent dans les fonctions d’un ordre inférieur ; car l’abondance des grâces accordées à Aaroii le père s’étendit à ses fils Eléazar et Ithamar, afin qu’ils pussent s’acquitter du ministère sacerdotal, pour offrir des hosties de salut et des sacrifices plus fréquents. Et, de même que, dans le désert, il étendit l’esprit qu’il avait donné à Moïse aux âmes des soixante-dix hommes prudents à qui l’usage de cet esprit était nécessaire pour gouverner facilement les troupes innombrables du peuple ; de même aussi le Christ adjoignit à ses apôtres les disciples, par le moyen desquels ils remplirent tout l’univers de saintes prédications, ainsi que cela se voit encore, avec beaucoup d’autres choses, dans la subordination du prêtre au pontife. C’est pourquoi les prêtres majeurs, c’est-à-dire les évêques, qu’on appelle souverains, remplacent les apôtres ; et les prêtres d’un ordre inférieur (minores saccrdotes), c’est-à-dire les presbyteri[1], tiennent la place des disciples. Or, il élut Pierre comme grand-prêtre, en lui donnant de préférence à tous les clés du royaume des cieux, et en le prenant pour chef sur tous et avant tous et pour fondement de la foi, quand il lui dit : « Tu es Pierre, et sur cette pierre j’édifierai mon Église ; » selon cette parole du Prophète : « Pour remplacer tes pères, des fils te sont nés. » Or, les apôtres ordonnèrent des évêques, des prêtres et des diacres (levitas), comme il a été dit dans la préface de cette partie. Les prêtres sont donc les successeurs des soixante-dix hommes chez qui le Seigneur propagea l’esprit de Moïse et des soixante-dix disciples, comme les évêques sont les vicaires de Moïse et des apôtres.

V. Au reste, selon [saint] Isidore (xxi, dist. Cleros), presbuteros, en grec, s’interprète senior[2] (vieillard) en latin, non pas seulement à cause de l’âge ou d’une vieillesse décrépite, mais en raison de l’honneur et de la dignité que l'on a reçu ; car la vieillesse est vénérable, et à cet âge les sens de l’homme sont purs ; d’où vient que le Seigneur dit à Moïse : « Rassemble-moi soixante-dix hommes parmi les vieillards d’Israël, que tu connais pour être les anciens (senes) et les maîtres du peuple. » Donc prêtre (presbyter), selon [saint] Jérôme, est un nom d’âge, et évêque un nom de dignité. Or, comme on le lit dans le livre des Nombres, il est recommandé à Moïse d’élire des prêtres (presbyteri), c’est-à-dire des vieillards (seniores) ; d’où vient qu’il est dit dans les Proverbes : « La gloire des vieillards, c’est leur chevelure blanche. » Ces cheveux blancs marquent la sagesse, dont il a été écrit : « La chevelure blanche des hommes, c’est la prudence. » Quoi qu’il en soit, nous ne lisons pas que les hommes de cette nation aient vécu plus d’années, depuis Adam jusqu’à Abraham, que ce dernier, et aucun autre n’a été appelé le premier presbuteros, c’est-à-dire vieillard, si ce n’est Abraham, que l’on est convaincu avoir vécu un tant soit plus grand nombre d’années. On ne donne donc pas aux prêtres le nom de presbyteri à cause de leur âge décrépit, mais de leur sagesse. De là vient que ces deux juges qui jugèrent faussement Suzanne sont appelés vieillards (presbyteri) ; mais ceux que maintenant on appelle prêtres (presbyteri) étaient autrefois nommés princes du peuple, comme Coré, Dathan et Abiron, et magistrats ou maîtres du temple, comme Nicodème et Gamaliel.

VI. Or, prêtre (presbyter) signifie en quelque sorte qui montre au peuple le chemin de la vie (prœbens iter), ou qui lui indique le bienheureux chemin (prœbens beatum iter) ou qui va de l’exil du monde à la patrie du Paradis. On parlera encore du prêtre au chapitre de l’Évêque.

VII. Et l’on appelle le prêtre (sacerdos) pontife (antistes), qui se tient devant (qui ante stat), parce qu’il n’a personne au-dessus de lui dans l’Église. On l’appelle aussi sacerdos, de sacrificare (sacrifier), parce qu’il consacre et sanctifie (quia consecrat et sanctificat). On l’appelle encore sacerdos, c’est-à-dire qui donne les choses sacrées (sacra dans), ou chef consacré (sacer dux), comme disent Bède et [saint] Grégoire (in Past., L II, cap. xviii). On appelle encore le prêtre (sacerdos) adorateur de la justice, selon cette parole : « Cujus merito quis nos sacerdotes appellans. »

VIII. Dans plusieurs endroits on appelle les prêtres (sacerdotes) chapelains (capellani), car de toute antiquité (antiquitus) les rois de France, lorsqu’ils allaient en guerre, portaient avec eux la chape (capam) du bienheureux Martin, que l’on gardait sous une tente qui, de cette chape, fut appelée chapelle (a capa, capella)[3]. Et les clercs à la garde desquels était confiée cette chapelle reçurent le nom de chapelains (capellani, a capella) ; et, par une conséquence nécessaire, ce nom se répandit, dans certains pays, d’eux à tous les prêtres. Il y en a même qui disent que de toute antiquité, dans les expéditions militaires, on faisait dans le camp de petites maisons de peaux de chèvre qu’on couvrait d’un toit, et dans lesquelles on célébrait la [sainte] messe, et que de là a été tiré le nom de chapelle (a caprarum pellibus, capella).

IX. Or, les prêtres (sacerdotes) des Gentils s’appelaient flamines, comme on l’a dit dans la préface de cette partie ; les prêtres (presbyteri) tiennent la place des édiles que l’on sait avoir existé chez les Gentils.

X. Assurément, selon la tradition canonique, lorsqu’on ordonne un prêtre, l’évêque le bénit, et tient sa main bénissante élevée sur sa tête ; tous les prêtres qui sont présents tiennent leurs mains dans la même position, auprès de celles du pontife, sur la tête du récipiendaire, en invoquant l’Esprit saint. Cette imposition de la main signifie l’exercice des œuvres du Saint-Esprit ; car la tête symbolise l’ame, les doigts figurent les dons du Saint-Esprit, et les mains les bonnes œuvres. On a dit, au chapitre du Diacre, pourquoi on impose la main au prêtre, puisque cette cérémonie a déjà eu lieu lorsqu’on l’ordonnait diacre. On oint encore d’huile les mains du prêtre, ce dont on a parlé dans la première partie, au chapitre des Onctions.

XI. Les prêtres (sacerdotes) représentent le Christ lorsqu’ils prient pour les péchés du peuple, et que par la pénitence ils réconcilient les pécheurs ; car ils sont médiateurs entre Dieu et les hommes, comme on le montrera d’une manière plus étendue dans le chapitre suivant. Ils mettent l’étole autour du cou, et en font passer les deux bouts sur l’une et l’autre épaules, afin de comprendre par là qu’ils sont armés aux épaules et défendus par les armes de la justice, comme on le dira dans la troisième partie, au chapitre de l’Étole. Ils reçoivent aussi de la main du pontife le calice avec le vin, et la patène avec l’hostie, afin qu’ils sachent qu’ils ont reçu, en même temps que ces objets, le pouvoir d’offrir des hosties de paix et le corps et le sang du Christ ; d’où vient que l’évêque, en leur livrant ces choses, leur dit : « Recevez la puissance d’offrir le sacrifice à Dieu, et de célébrer la messe, tant pour les vivants que pour les défunts, au nom du Seigneur. »

XII. Il n’y a pas dans l’Église d’ordre plus élevé que celui-là. Cependant une certaine augmentation de puissance est encore conférée aux évêques, comme on le dira dans le prochain chapitre, et comme il en a été touché un mot dans la préface de cette partie. Cependant, si cette puissance était conférée à toute sorte de personnes indifféremment, l’obéissance serait déliée, et il en résulterait du scandale.

XIII. Or, ce n’est pas sans mystère que celui qui ordonne un homme comme prêtre le communie et le baise à la bouche (osculatur) ; car le diacre et le sous-diacre, après leur ordination, lorsqu’ils communient, baisent la main de celui qui les a ordonnés. La raison de cette différence, c’est : Premièrement, parce que cette cérémonie fait connaître la distinction qu’il y a entre les rangs, comme on le dira dans la quatrième partie, au chapitre de la Communion du sacrement [de l’Eucharistie]. Secondement, parce que le pontife, en baisant le prêtre, montre qu’il le reçoit à l’égal de son rang, quant à la consécration du sacrement de l’Eucharistie, qui est le sacrement de l’amour, que symbolise le baiser sur la bouche (osculum). Et le diacre et le sous-diacre ne sont pas reçus à une si grande égalité, mais à l’imitation des bonnes œuvres, qui procède de la charité ; ce qui, selon [saint] Grégoire, est désigné par le baiser de la main (manus osculum).

XIV. Or, on donne à celui que l’on ordonne prêtre, et avec des paroles adaptées au sujet, l’étole et la chasuble, le calice avec la patène, et on l’oint encore ; ces choses et ces paroles sont la substance de ce sacrement [de l’Ordre] ; ce qui précède et ce qui suit sont des cérémonies de pure solennité. Enfin, comme dit le bienheureux Augustin, les prêtres doivent connaître le livre des Sacrements, le Missel, le livre des Leçons et des Épîtres (Lectionarium, Lectionnaire), l’Antiphonaire ; le Baptistaire (Baptisterium), qui contient les cérémonies du baptême ; le Comput, les Canons pénitentiaux, le Psautier, et les Homélies propres, selon le cercle de l’année, aux jours des dimanches et des fêtes (festivis diebus) (28). Si de toutes ces choses une seule manque au prêtre, c’est à peine si ce nom a une valeur en lui ; car le grand [saint] Denis (l’aréopagite) dit : « Ces choses sont la nourriture qui doit soutenir le prêtre, paroles que Dieu nous a léguées ; c’est-à-dire la vraie discipline, ou la science des divines Ecritures ; » et le Prophète : « Parce que tu as repoussé la science, moi aussi je te repousserai, afin que tu ne t’acquittes pas des fonctions de mon sacerdoce. » Car ceux qui, par leur charge, doivent instruire les autres, ne doivent pas être sur les bancs pour apprendre eux-mêmes. Et l’on parlera, dans la préface de la sixième partie, des livres susdits et des homélies. Nous avons dit aussi dans notre Répertoire doré (in aureo Repertorio nostro)[4], au chapitre De pœ. et re., ce que c’est que les canons pénitentiaux, et comment le prêtre peut modérer les pénitences qui y sont marquées, et ce qu’il faut que le prêtre sache. ; Nous parlerons du comput dans la partie finale de cet ouvrage. Le Christ exerça l’office de prêtre quand, après la Cène, il changea, par sa divine puissance, le pain et le vin en son corps et en son sang, en disant aux Apôtres : « Recevez et mangez ; ceci est mon corps, etc. » Il remplit encore plus parfaitement et d’une manière plus excellente cette charge, lorsqu’il s’offrit lui-même à son Père, sur le bûcher de la croix, pour les péchés du genre humain ; il fut alors tout à la fois évêque, prêtre consécrateur (sacerdos) et hostie. Et il s’acquitte encore plus glorieusement de ce ministère quand, assis à la droite du Père, il intercède pour nous.

  1. Du mot latin presbyter, tiré du grec presbuteros, vient notre vieux mot français provoire, prouvaire. La rue des Prouvaires, qui conduit à Saint-Eustache, signifie donc la rue où demeuraient les prêtres de cette paroisse.
  2. De ce mot senior vient seigneur en français, segnor en espagnol, et senior ou senieur bas latin et vieux français.
  3. Voir la note 27, page 412.
  4. Durand parle ici de son Repertorium juris canonici, appelé aussi quelquefois Breviarium aureum ; c’est, comme nous l’avons déjà dit, un Manuel de droit canonique, divisé en cinq livres. Les éditions de cet ouvrage sont nombreuses.