Rational (Durand de Mende)/Volume 1/Premier livre/Chapitre 06

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Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 1p. 81-104).


CHAPITRE VI.
DE LA DÉDICACE DE L’ÉGLISE.


Comme il a été fait mention de l’église et de l’autel dans les chapitres précédents, il suit de là que nous devons ajouter quelques détails touchant leur dédicace ou consécration, en disant d’abord d’où la consécration de l’église a pris son origine ; ensuite, par qui elle est consacrée ; pourquoi, enfin comment on dédie l’église, et ce que signifient tant la dédicace elle-même que toutes les cérémonies qui l’accompagnent. Or, il sera parlé de l’office de la Dédicace de l’église dans la septième partie.

I. Donc, il faut dire d’abord d’où la Dédicace de l’église a eu son commencement ; sur quoi il est à remarquer que Moïse, d’après le précepte du Seigneur, fit un temple et le consacra avec sa table et son autel, ainsi que les vases d’airain et les ustensiles pour célébrer le culte divin. Et non-seulement il consacra ces choses par les prières qu’il adressa à Dieu, mais encore, d’après l’ordre du Seigneur, il les oignit de l’huile sainte. On lit encore que le Seigneur commanda aussi à Moïse de faire une huile pour en oindre le tabernacle et l’arche du testament, au jour de la Dédicace. A son tour, Salomon, fils de David, fit, d’après l’ordre du Seigneur, un temple avec un autel et les autres choses nécessaires à la parfaite et entière célébration du culte divin, et il les consacra ainsi qu’on le voit dans le livre des Rois (III Reg., cap. vi). Le roi Nabuchodonosor convoqua tous les satrapes (grands du royaume) et les gouverneurs (tyrannos) à la dédicace de la statue d’or qu’il s’était fait faire. Et les Juifs, ainsi qu’on le lit dans Bucard (In l. III, cap. i, Judœi), consacraient, par des prières adressées à Dieu, les lieux dans lesquels ils sacrifiaient au Seigneur, et ils ne lui faisaient pas d’offrandes ailleurs que dans les endroits qui lui étaient dédiés. Si donc ceux qui déployaient tant de zèle à l’ombre de la loi en agissaient ainsi, combien plus nous, à qui la vérité a été manifestée, à qui la grâce et la vérité ont été données par Jésus-Christ, devons-nous édifier des temples au Seigneur et les orner du mieux que nous pouvons, et les consacrer, d’après l’enseignement du pape Félix III, dévotement et solennellement par des prières divines et par les saintes onctions, en même temps que les autels, les vases, les vêtements et les autres objets nécessaires à l’accomplissement du culte de Dieu ? Il arriva en Syrie, dans la cité de Baruth, que les Juifs ayant foulé aux pieds une certaine image du crucifix, et lui ayant percé le côté, aussitôt il en sortit du sang et de l’eau. Et les Juifs, ayant vu cela, en furent dans l’admiration et dans l’étonnement ; et, ayant frotté leurs malades de ce sang, ils furent délivrés de toutes leurs infirmités ; à cause de quoi tous, ayant embrassé la foi du Christ, furent baptisés et convertirent leurs synagogues en églises, en les faisant consacrer. Et c’est de là que vint la coutume que les églises soient consacrées, lorsque, auparavant, on consacrait seulement les autels ; l’Église établit aussi qu’à cause de ce miracle, il serait fait mémoire de la Passion du Seigneur, le 5 des calendes de décembre, et c’est par la même raison que l’église de cette ville fut consacrée en l’honneur du Sauveur, et l’on y conserve une ampoule qui contient de ce sang, et, à l’époque anniversaire de ce fait, on y célèbre une fête solennelle.

II. Secondement, il est à remarquer que l’évêque, lui seul, peut dédier les églises et les autels, parce qu’il est l’image et la figure du souverain-pontife le Christ, qui dédie spirituellement le temple saint, et sans lequel nous ne pouvons rien établir dans l’Église. C’est pourquoi il a dit lui-même : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire. » Et le Psalmiste ajoute : « Si le Seigneur ne bâtit une maison, c’est en vain qu’ils trace vaillent, ceux qui l’édifient. » Voilà pourquoi le Concile de Carthage (cxvi, q. VI, cap. iii) défend que ce soit un prêtre qui le fasse ; car ce soin ne peut être commis à quelqu’un d’un rang inférieur à l’évêque.

III. Or, l’église, comme l’enseignent les saints Canons, ou l’autel, ainsi que les autres objets de ce genre, ne doivent pas être dédiés, à moins que le temple n’ait été doté et doté de biens acquis d’une manière licite ; hors de ces conditions, on ne doit pas le réputer consacré. On lit, en effet, que, comme un évêque dédiait une église construite du produit d’usures et de rapines, il vit derrière l’autel le diable, assis dans une chaire, en habits pontificaux, et qui lui dit : « Cesse de consacrer cette église ; car elle appartient à ma juridiction, puisqu’elle est le résultat de l’usure et du vol. » Et l’évêque et le clergé, pleins de terreur, s’enfuirent de là, et aussitôt le diable détruisit cet édifice avec un grand fracas.

IV. De même, l’église qui a été construite dans une vue de cupidité, et à laquelle une dot insuffisante a été assignée, comme celle dans laquelle un païen ou un infidèle a été enseveli, ne doit pas être consacrée, jusqu’à ce que son cadavre ait été jeté hors de là, et que l’église ait été réconciliée, après qu’on en aura d’abord raclé les murs et les boiseries (tignis). Il en est de même aussi pour un excommunié. Et, si une femme enceinte a été enterrée en ce lieu, l’église pourra être consacrée sans qu’on la jette dehors, bien que son fruit ne soit pas baptisé. Quoique certains hommes sages et savants (sapientes) aient écrit le contraire, elle peut être aussi consacrée les dimanches et les jours ordinaires, et plusieurs évêques peuvent la consacrer, et plusieurs autels peuvent en même temps être consacrés par un même évêque dans une seule église, malgré la présence d’un autre de ses collègues avec ses prêtres.

V. Troisièmement, nous devons dire pourquoi on dédie une église ; or, cela a lieu pour cinq causes. Premièrement, afin que le diable et sa puissance soient entièrement chassés de ce lieu : c’est pourquoi saint Grégoire rapporte dans ses Dialogues (l. III, cap. xxi) que, comme on consacrait une certaine église qui avait appartenu aux Ariens, et que l’on venait de rendre aux fidèles, et, comme les reliques de saint Sébastien et de la bienheureuse Agathe y étaient apportées, le peuple, assemblé en ce lieu, sentit tout-à-coup courir entre ses pieds, çà et là, un porc qui, regagnant les portes de l’église, ne pût être vu par personne, et qui les remplit tous d’admiration et d’étonnement. Ce que le Seigneur montra, afin qu’il fût révélé à tous que l’immonde habitant de ce lieu en sortait. Et, la nuit suivante, un grand bruit se fit entendre dans les combles de cette église, comme si quelqu’un errait à l’aventure, en fuyant sur les toits. Et la seconde nuit, un bruit plus grand retentit. Enfin, la troisième nuit, un si grand fracas se fit entendre, qu’il semblait en quelque sorte que toute l’église avait été renversée et minée jusque dans ses fondements, et incontinent le bruit cessa, et l’antique ennemi ne troubla plus désormais le repos de ce temple. Secondement, afin que ceux qui s’y réfugieront soient sauvés, comme on le lit dans le Canon de saint Grégoire (XXIII, quœst. v, Reus). Et c’est pour cela que Joab s’enfuit dans le tabernacle, et saisit les cornes de l’autel. Troisièmement, afin que les prières que l’on fera en ce lieu soient exaucées. C’est pour cela que l’on dit dans l’oraison, à la Messe : « Accorde que tous ceux qui s’assembleront ici pour prier, dans quelque tribulation qu’ils se trouvent, reçoivent les bienfaits de tes consolations. » C’est ainsi que pria Salomon, lors de la dédicace du temple, comme on le lit dans le III° livre des Rois, chapitre vii. Quatrièmement, afin qu’on y rende ses louanges à Dieu, ainsi qu’il a été dit au chapitre de l’Église. Cinquièmement, afin que les sacrements de l'Église y soient administrés. Voilà pourquoi l’église elle-même est appelée tabernacle (tabernaculum), comme en quelque sorte l’hôtellerie de Dieu (taberna Dei), dans laquelle les divins sacrements sont renfermés et administrés.

VI. En quatrième lieu, il faut dire comment on consacre l’église. Or, tous étant sortis de l’église, et le seul diacre y demeurant renfermé, l’évêque, avec le clergé devant les portes de l’église, bénit l’eau où il a mis du sel ; pendant ce temps-là, au dedans du temple, douze cierges brûlent devant les douze croix peintes sur les murailles de l’église. Ensuite, le clergé, suivi du peuple, tourne autour de l’église à l’extérieur, et asperge les murailles d’eau bénite avec un faisceau d’hysope. Arrivé devant la porte de l’église, il en frappe le linteau avec son bâton pastoral, en disant : « Princes, ouvrez vos portes ; ouvrez-vous, portes éternelles, et le Roi de gloire entrera. » Le diacre répond du dedans : « Quel est ce Roi de gloire ? » Et le pontife : « Le Seigneur fort et puissant, le Seigneur puissant dans le combat. » Et, à la troisième fois, la porte étant rouverte, le pontife entre dans l’église avec un petit nombre de ses ministres, pendant que le clergé et le peuple demeurent dehors, et il dit : « Paix à cette maison ; » et il dit les Litanies. Ensuite, on fait sur le pavé de l’église une croix de cendre et de sable, où l’on écrit tout l’alphabet en lettres grecques et latines. Et, de nouveau, l’évêque bénit une autre eau, avec le sel, la cendre et le vin, et il consacre l’autel. Ensuite, il oint du chrême les douze croix peintes sur les murailles.

VII. Certes, tout ce qui se fait ici visiblement. Dieu l’opère dans l’ame par une invisible vertu, l’ame, qui est le temple du vrai Dieu, où la foi pose le fondement de l’édifice spirituel. La foi choisit les pierres, la charité consomme l’œuvre ; et l’église catholique elle-même, composée de l’assemblage d’un grand nombre de pierres vivantes, est le temple de Dieu ; car il y a beaucoup de temples en ce monde qui n’en forment qu’un, dont le seul maître est le vrai Dieu, et dont le fondement est la vraie foi. Donc, la demeure qui doit être dédiée, c’est l’ame qui doit être sanctifiée.

VIII. Et il est à remarquer que la consécration a deux effets, car elle approprie l’église matérielle au service de Dieu, et représente nos fiançailles, c’est-à-dire tant celles de l’Église que de l’ame fidèle avec lui. Car une demeure non consacrée est comme une jeune fille destinée à un homme, et qui cependant n’est pas dotée, ni jointe à lui dans l’union de la chair par le commerce matrimonial. Mais, lorsqu’on la consacre, on la dote et elle passe aux mains de Jésus, en qualité de son unique épouse, et c’est un sacrilège que de la laisser violer par l’adultère d’une destination ultérieure. Elle cesse aussi d’être le lupanar des démons, comme on le voit clairement dans la consécration de ce temple, qui était auparavant appelé pantheôn (le Panthéon, temple de Rome consacré à tous les Dieux : pan, tout, et theos, Dieu).

IX. C’est pourquoi nous devons parler, en premier lieu, de la bénédiction de l’eau, touchant laquelle le Seigneur dit : « Si quelqu’un ne renaît pas de l’eau et de l’Esprit-Saint, il n’entrera point dans le royaume des cieux. » Car l’eau qui est propre à laver les corps a mérité (meruit) de recevoir de Dieu une si grande vertu, que de même qu’elle lave les corps de leurs souillures, ainsi elle purifie les ames de leurs péchés. Il est donc manifeste que cette eau par l’aspersion de laquelle on consacre l’église signifie le baptême, parce qu’en quelque sorte l’église elle-même est baptisée ; or, cette église désigne aussi celle qui est contenue dans son sein, à savoir : la multitude des fidèles, d’où elle tire son nom (ecclesia), d’autant plus qu’elle renferme entre ses murs l’assemblée des fidèles (ekklèsia) ; c’est le contenant pour le contenu.

X. Mais il faut rechercher pourquoi on mêle le sel à cette eau, puisque notre Sauveur, parlant du baptême, ne fait aucune mention du sel ; car il ne dit pas : « Si quelqu’un ne renaît pas de l’eau salée ou mêlée de sel ; » ou quelque chose de ce genre ; mais il dit : « Si quelqu’un ne renaît pas de l’eau et de l’Esprit-Saint, etc. » Et l’on peut demander la même chose touchant l’huile et le chrême. Il est à remarquer que le sel, dans l’Écriture-Sainte et selon la parole de Dieu, est souvent mis pour la sagesse, selon ce mot : « Que votre parole soit mêlée de sel. » Et le Seigneur dit à ses disciples : « Ayez le sel en vous et la paix entre vous. » Et encore : « Vous êtes le sel de la terre ; que si le sel est éventé, avec quoi pourra-t-on l’assaisonner ? » C’est aussi pour cela que, d’après la loi, nulle hostie n’était offerte sans sel, et qu’on l’employait dans tout sacrifice. On reste donc convaincu, par ces exemples, que le sel est employé pour la sagesse : la sagesse est, en effet, le condiment de toutes les vertus, comme le sel est l’assaisonnement de toutes les nourritures. C’est donc encore pour cela que nul n’est baptisé avant d’avoir mangé du sel, même les enfants, afin que ce qu’ils ne peuvent avoir par la pratique, ils l’aient du moins par le symbole ou la théorie du sacrement ; enfin, voilà la raison pour laquelle on ne bénit pas l’eau sans le sel. On parlera de la seconde bénédiction de l’eau dans le Traité suivant.

XI. Or, la triple aspersion intérieure et extérieure, avec l’hysope et l’eau bénite, représente la triple immersion observée dans le baptême ; et elle a lieu pour trois raisons. Premièrement, pour chasser les démons ; car l’eau bénite a la vertu particulière de les mettre en fuite. Voilà pourquoi on dit en l’exorcisant : « Afin que l’eau devienne exorcisée, pour mettre en fuite toute puissance de l’ennemi, et pour exterminer l’ennemi lui-même, etc. » Secondement, pour purifier cette église, et en expiation des fautes qui s’y sont commises ; car tout ce qui est de la terre a été corrompu et souillé à cause du péché. Voilà aussi la raison pour laquelle on purifiait presque tout avec l’eau, sous le règne de la loi. Troisièmement, pour en écarter toute malédiction et pour y faire entrer la bénédiction. Car la terre, dès le principe, fut maudite avec son fruit, parce que d’elle avait été engendré le fruit de la déception. Mais l’eau n’a été soumise à aucune malédiction[1]. C’est pour cela que le Seigneur mangea du poisson, tandis qu’on ne lit pas expressément qu’il ait mangé de la chair. hors de l’Agneau pascal, et cela à cause du précepte de la loi, afin de nous donner l’exemple de nous abstenir parfois de ce qui est permis, et parfois d’en manger. L’aspersion que l’on fait autour de l’église, à l’extérieur, marque que le Seigneur qui veille sur les siens envoie son ange au milieu de ceux qui le craignent.

XII. Et les trois répons que l’on chante pendant ce temps-là, c’est la joie des trois ordres de ceux qui reçoivent la foi, à savoir : de Noé, de Daniel et de Job. Et parce qu’à cette invocation est attachée la grâce de la foi, de l’espérance et de la charité, voilà pourquoi on asperge le pied, le milieu et le haut de la muraille. On parlera aussi bientôt de l’aspersion intérieure. On parlera de la vertu de l’hysope dans le chapitre, suivant.

XIII. Le triple circuit que l’évêque fait en aspergeant désigne le triple avènement du Christ, pour la sanctification de l’Église. Le premier, quand il vint du ciel dans le monde ; le second, lorsqu’il descendit de la terre dans les lymbes ; le troisième, quand, de retour des lymbes, il ressuscita et monta au ciel. Le triple circuit montre aussi que cette église est dédiée en l’honneur de la Trinité. Il désigne encore le triple état de ceux qui doivent être sauvés dans l’Église : les vierges, les continents et les époux ; ce que figure de même la disposition de l’église matérielle, comme il a été dit au chapitre de l’Église.

XIV. Enfin, la triple percussion au linteau de la porte signifie le triple droit que le Christ a dans son Église, à cause de quoi elle doit lui être ouverte. Ces droits sont ceux de son incarnation, de sa rédemption et de la promesse qu’il lui a faite de la glorifier. Car le pontife représente le Christ, sa verge sa puissance. Les trois coups frappés à la porte avec le bâton pastoral désignent la prédication de l’Évangile. Qu’est-ce en effet que la crosse, sinon la parole de Dieu, selon ce mot d’Isaïe (xi) : « Il frappera la terre de sa verge, » c’est-à-dire de la parole de sa bouche, etc. ? Donc, frapper les portes du bâton, c’est ébranler par la voix de la prédication les oreilles de ses ouailles. Car les oreilles sont les portes par lesquelles nous faisons entrer dans les cœurs de nos auditeurs les paroles de la sainte prédication ; ce qui fait dire au Psalmiste : « Toi qui m’ouvres les portes afin que j’annonce toutes tes louanges aux portes de la fille de Syon. » Que sont les portes de la fille de Syon, sinon les oreilles et l’entendement des fidèles. Troisièmement, la triple percussion avec la verge et l’ouverture des portes signifient que, par la prédication des pasteurs, les infidèles viendront à la connaissance de la foi. Par elle, en effet, s’ouvrent les portes de la justice, et ceux qui sont entrés par elles reçoivent la foi ; voilà pourquoi le Psalmiste dit : « Ouvrez-moi les portes de la justice, et, entré par elles, je confesserai le Seigneur ; c’est la porte du Seigneur, les justes entreront par elle. » Donc, l’évêque frappe sur le linteau c’est-à-dire qu’il prie et qu’il parle, disant : « Je vous supplie, ô princes (démons, ou plutôt hommes) ! enlevez, c’est-à-dire ouvrez les portes, dépouillez votre ignorance et ôtez-la de devant votre cœur. »

XV. Or, la demande du diacre qui est enfermé dans l’église et répond au nom du peuple : « Quel est ce roi {iste) de gloire ? » c’est l’ignorance de ce même peuple, qui ne sait quel est celui (iste) qui doit entrer.

XVI. L’ouverture de la porte, c’est l’évacuation du péché : c’est donc à juste titre que l’évêque frappe trois fois, parce que ce nombre est très-connu et très-saint ; et, dans toute dédicace, l’évêque doit frapper trois fois aux portes, parce qu’aucun sacrement n’a lieu dans l’Église sans qu’on invoque la Trinité.

XVII. Et la triple proclamation : « Ouvrez-vous, portes, etc., » signifie la triple puissance du Christ, à savoir : celle qu’il a dans le ciel, et sur le monde, et en enfer. C’est pour cela qu’on dit dans l’hymne de l’Ascension : « Que la triple machine du ciel, de la terre et des enfers, abaissée et soumise, fléchisse maintenant le genou. »

XVIII. Or, la porte étant ouverte, l’évêque entre pour marquer que s’il use raisonnablement de ses droits, rien ne peut lui résister, selon cette parole : « Seigneur, qui résistera à ta puissance ? » Mais il entre avec deux ou trois prêtres seulement, afin que toutes les paroles de la consécration restent dans la bouche de deux ou trois témoins, ou parce que le Seigneur s’étant transfiguré en présence d’un petit nombre de disciples, pria pour l’Église, et, en entrant, il dit : « Paix à cette maison et à tous ceux qui y habitent ; » parce que le Christ, en venant dans ce monde, fit la paix entre Dieu et l’homme. Car il vint afin de nous réconcilier à Dieu le père.

XIX. Après cela, pendant qu’on dit les litanies, il prie prosterné contre terre, pour que cette maison soit sanctifiée. Car le Christ aussi, s’étant humilié avant sa passion, priait pour tous les disciples qui croiraient en lui, disant : « Père, sanctifie-les en ton nom. » Après qu’il s’est relevé, il prie sans saluer le peuple, car il ne dit pas : « Que le Seigneur soit avec vous, » puisqu’en quelque sorte l’église n’est pas encore baptisée, et parce que les catéchumènes ne sont pas seulement dignes qu’on les salue, mais, quoiqu’ils ne soient pas encore sanctifiés, il faut cependant prier pour eux.

XX. Le clergé, qui prie et chante les litanies en chœur, représente les apôtres qui intercédaient auprès de Dieu pour la sanctification de l’Église et des âmes. On écrit de la manière suivante l’alphabet sur le pavé de l’église : on fait une croix de cendre et de sable transversale à l’église, et on y trace l’alphabet en manière de croix, en lettres grecques et latines, mais non hébraïques, parce que les Juifs se sont éloignés de la foi, et on écrit avec le bâton pastoral.

XXI. Or, l’alphabet écrit sur la croix représente trois choses : premièrement, l’écriture en manière de croix, composée de lettres grecques et latines, marque l’union dans la foi des deux peuples juif et gentil, produite par la croix du Christ, selon cette parole du livre de Jacob : « Il bénit ses fils les mains croisées. » Et cette croix, ou le côté en travers de l’église, c’est-à-dire allant du côté gauche de l'Orient au côté droit de l’Occident, et l’autre de la droite de l’Orient à la gauche de l’Occident, signifie que ce peuple, qui était d’abord heureux (dexter), est devenu malheureux (sinister), et que, de la tête où il était, il a passé à la queue, et cela par la vertu de la croix. Car le Christ, venant de l’Orient, a laissé les Juifs à sa gauche, parce qu’ils étaient infidèles, et est venu vers les Gentils, à qui (bien qu’ils fussent dans l’Occident) il a donné d’être à sa droite ; enfin, après avoir placé les Gentils à droite, dans l’Orient, il a visité les Juifs à gauche, dans l’Occident, car il est certain qu’ils sont plus méchants qu’il n’a d’abord trouvé les Gentils. C’est pourquoi on écrit ces lettres obliquement et en manière de croix, et non tout droit, parce qu’il ne peut atteindre à cette sainte intelligence, celui qui ne reçoit pas le mystère de la croix et ne croit pas qu’il sera sauvé par la passion du Christ ; la sagesse n’entrera pas dans une ame mal disposée (malivolam), et là où le Christ n’est pas le fondement, on ne peut bâtir dessus.

XXII. Secondement, l’écriture de l’alphabet représente l’un et l’autre Testament, parce qu’ils ont reçu leur accomplissement par la croix du Christ. Car, dans la passion, le voile du temple se déchira à cause qu’alors les Écritures furent ouvertes et que le Saint des saints fut révélé. Ce qui fait qu’en mourant le Christ dit : « Tout est consommé. » Or, toute science est contenue dans ce peu de lettres, et l’on tire la croix transversalement pour exprimer qu’un Testament est contenu dans l’autre. C’était une roue dans une autre roue.

XXIII. Troisièmement, elle représente les articles de la foi. Or, le pavé de l’église, c’est le fondement de notre foi. L’alphabet qu’on y écrit, ce sont les articles de la foi, avec lesquels on instruit les ignorants et les néophytes d’entre les deux peuples, eux qui doivent se réputer poussière et cendre. Selon ce que dit Abraham (Genesis, xviii). « Je parlerai à mon Seigneur, bien que je sois poussière et cendre. » Donc, l’écriture de l’alphabet sur le pavé, c’est la simple doctrine de la foi dans le cœur de l’homme.

XXIV. La crosse (sambuca), ou le bâton avec lequel on écrit l’alphabet, montre la doctrine des apôtres ou le mystère des docteurs par lequel a eu lieu la conversion des Gentils et la perfidie des Juifs. C’est avec raison que le Christ, s’approchant de l’autel, commence sa prière en ces termes et en se tenant debout : « Dieu, viens à mon aide ! » parce qu’enfin, alors, il dit ce qui est le début de l’office de cette cérémonie ; et l’on récite le verset : « Gloire au Père, et au Fils, et à l’Esprit saint. »

XXV. Malgré que cette bénédiction ait lieu pour rendre gloire à la Trinité, on ne dit pas cependant alléluia, comme on l’expliquera dans le chapitre suivant ; et il consacre l’autel. Or, pour cette consécration, on bénit une autre eau, comme on le dira dans le chapitre suivant ; et, après qu’on en aura aspergé l’autel sept fois, on asperge aussi trois fois toute l’église à l’intérieur, comme on l’a fait auparavant pour l’extérieur, sans faire différence des plus grandes pierres ou des plus petites, parce que devant Dieu il n’y a pas d’acception de personnes. C’est pourquoi on asperge à l’intérieur, pour marquer que l’ablution extérieure sans l’intérieure ne sert de rien. Et l’on fait cela trois fois, parce que, comme on l’a dit auparavant, cette aspersion signifie l’aspersion et la purification du baptême que l’on reçoit par le bénéfice de la Trinité, selon cette parole : « Allez, instruisez toutes les nations (gentes), les baptisant au nom du Père, et du Fils, et de l’Esprit saint. » Or, comme l’église ne peut être trempée dans l’eau par immersion, ainsi qu’on y plonge celui que l’on doit baptiser, voilà pourquoi on l’asperge d’eau trois fois, en remplacement, en quelque sorte, de la triple immersion.

XXVI. On fait aussi l’aspersion en allant de l’Orient en Occident, et au milieu une fois, en forme de croix, parce que le Christ ordonna de baptiser toute la Judée et tous les Gentils au nom de la Trinité ; il accorda de plus au baptême son efficacité par le ministère de sa passion, en commençant par les Juifs dont il était sorti. On répand le restant de l’eau au pied de l’autel, comme on le dira dans le chapitre suivant. Il y en a cependant qui ne bénissent pas une autre eau, mais qui remplissent tout le cours de l’office avec celle qu’ils ont bénie d’abord. Pendant ce temps-là, le chœur chante ce psaume : « Que Dieu se lève, et que ses ennemis soient dissipés, etc. » Et celui-ci : « Celui qui repose sous l’aile du Très-Haut, reposera éternellement sous la protection du Dieu du ciel. » Dans lesquels il est fait mention de l’église et de sa consécration, comme il est manifeste par ces mots : « Celui qui fait habiter dans sa maison tous les hommes d’une seule et même loi. » Et l’évêque dit : « Ma maison sera appelée maison de prière, » parce que sa charge est de faire en sorte que l’église soit la maison de Dieu, et non celle du commerce des hommes.

XXVII. Assurément, on oint du même chrême que l’autel les douze croix peintes sur les murailles de l’église. Or, on peint ces croix, premièrement pour effrayer les démons, afin que ceux d’entr’eux qui ont été chassés de là, voyant le signe de la croix, soient remplis de terreur et n’aient pas la présomption d’y rentrer. Secondement, comme des insignes de triomphe ; car les croix sont les étendards du Christ et les preuves de son triomphe. C’est donc à juste titre qu’on les peint dans l’église, afin de montrer que ce lieu est sous le joug du Christ Seigneur.

XXVIII. Car cela est aussi observé dans la pompe impériale ; et lorsqu’une cité se soumet à l’empereur, il fait ériger sur ses murs son étendard, afin qu’il y flotte. Et c’est pour représenter la même chose qu’il est dit (Gen., xxviii) que Jacob érigea en monument la pierre qu’il avait placée sous sa tête, c’est-à-dire en signe de gloire, de souvenir et de triomphe.

XXIX. Troisièmement, afin que ceux qui les considéreront rappellent à leur mémoire la passion du Christ, par laquelle il a consacré son Église au jour de ses souffrances ainsi que la foi sortie de ses supplices ; voilà pourquoi il est dit dans les cantiques : « Pose-moi comme un sceau sur ton bras, etc. » Or, les douze lumières placées devant ces croix signifient les douze apôtres qui, par la foi du Crucifié, ont illuminé le monde entier, et dont la doctrine a éclairé les ténèbres ; ce qui a fait dire à saint Bernard : « Toute prophétie est vraie dans la foi du Crucifié. » Et à l’Apôtre : « Je me juge ne savoir autre chose, au milieu de vous, que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié. » Donc, on illumine les croix peintes sur les quatre murailles de l’église, et on les oint du chrême ; parce que les apôtres, en prêchant le mystère de la croix, ont illuminé par la foi de la passion du Christ les quatre parties du monde ; ils les ont enflammées à la connaissance du Christ, ils les ont ointes de son amour et amenées à l’éclat de la conscience, qui est désignée par l’huile, et à l’odeur de la bonne renommée, que représente le baume. Ensuite, après avoir oint du chrême l’autel, on l’orne ainsi que l’église ; on allume les lampes, on dit la messe, pour laquelle le pontife se sert d’autres ornements que ceux qu’il portait pendant l’aspersion, comme on le dira dans le chapitre suivant.

XXX. Enfin, il est à remarquer que l’on dit que l’église est consacrée par le sang de quelqu’un ; voilà pourquoi, selon Pelagius et le pape Nicolas, l’Église romaine a été consacrée par le martyre des apôtres Pierre et Paul. On dédie donc l’église, ainsi qu’il a été dit plus haut, et les autels, comme on le dira dans le chapitre suivant, et le cimetière et les autres lieux, comme il est dit au chapitre des Consécrations et des Onctions. Et, quoiqu’on lise dans l’Ancien-Testament que le temple fut consacré trois fois : premièrement, en septembre ; secondement, en mars, sous Darius ; troisièmement, en décembre, sous Judas Machabée ;

XXXI. Cependant, après avoir été dédiée une fois, l’église ne doit pas être reconsacrée de nouveau, à moins qu’elle n’ait été profanée ; ce qui arrive de trois manières. Premièrement, si elle a été brûlée de telle sorte que toutes ses murailles (ou la plus grande partie de ses parois) aient été décrépies ; mais, si le toit seulement ou quelqu’une de ses parties, les murailles demeurant entières ou du moins peu endommagées, a été brûlé, on ne doit pas la reconsacrer. Secondement, si toute l’église ou la plus grande partie est tombée d’un seul coup, et qu’elle ait été réparée tout-à-fait ou refaite avec d’autres pierres ; car la consécration de l’église consiste surtout dans l’onction extérieure, dans la conjonction des pierres et dans leur disposition, comme il a été dit dans le chapitre de l’Église et de ses parties. Mais si toutes les murailles sont tombées, non pas en même temps, mais successivement, et qu’elles aient été réparées, c’est censé la même église, et c’est pourquoi elle ne doit pas être reconsacrée, mais seulement exorcisée avec l’eau et réconciliée par la célébration d’une messe solennelle, quoique certains hommes sages et savants (sapientes) aient écrit qu’il fallait la reconsacrer. Troisièmement, l’église doit être reconsacrée si l’on doute qu’elle ait été consacrée autrefois, surtout si l’on n’a à ce sujet aucun écrit, ou peinture, ou sculpture, enfin nul témoin pour l’avoir vu ou pour l’avoir entendu raconter, ce qui (comme le disent quelques-uns) suffirait.

XXXII. De même, l’autel qui a été consacré une fois ne doit pas être reconsacré, à moins qu’il arrive qu’il soit profané ; ce qui a lieu, premièrement si la table, c’est-à-dire la tablette supérieure sur laquelle se fait surtout la consécration, a été dérangée ou changée dans sa forme, ou, par exemple, énormément brisée en plus de deux morceaux et par le milieu. Cependant, un cas aussi grave doit être, de droit, référé au jugement de l’évêque. C’est encore un cas très-grave si toute la structure de l’autel a été remuée et réparée ; cependant on ne doit pas reconsacrer l’église, à cause du dérangement ou de la fracture de l’autel ou de sa structure, parce que la construction de l’autel est autre chose que celle de l’église. Si, par contraire, l’église est détruite totalement et que l’autel ne soit pas atteint, on reconsacrera seulement l’église, après l’avoir réparée, et l’autel ne sera pas reconsacré, bien qu’alors il convienne de le laver avec de l’eau exorcisée.

XXXIII. Malgré que le maître-autel ait été consacré, néanmoins les autres petits doivent l’être aussi, quoique certains auteurs aient dit qu’il suffisait, dans la consécration du plus grand autel de l’église, de montrer les autres du doigt.

XXXIV. Et, si l’autel est un peu écorné à l’extérieur, on ne doit pas le reconsacrer pour cela. Secondement, on reconsacre l’autel, si son sceau, c’est-à-dire la petite pierre avec laquelle l’on bouche ou l’on scelle le tombeau ou la cavité dans laquelle sont enfermées les reliques, a été dérangé ou brisé. Et l’on fait parfois ce trou au pied de l’autel ; et parfois on n’y appose pas un autre sceau, parce que, en ce cas-là, la première tablette superposée tient la place du sceau, qu’elle remplace. Et quelquefois on fait ce trou dans la partie postérieure de l’autel, et parfois dans la partie antérieure ; et dans ce trou, en témoignage de la consécration, on a coutume d’enfermer prudemment les lettres de consécration écrites et signées par l’évêque, contenant son nom et celui de ses autres collègues présents à cette cérémonie, et le nom du saint en l’honneur duquel l’autel est consacré ainsi que l’église elle-même ; quand on consacre l’une et l’autre en même temps, on y joint aussi l’année et le jour de la consécration. Troisièmement, on consacre l’autel, si la jointure par laquelle le sceau adhère au trou, ou la table au pied de l’autel, ou un autre sceau, a été brisée : car la table elle-même adhère si on ne la remue pas, ou si quelqu’une des pierres de la jointure ou du pied de l’autel qui touche à la table ou à son sceau a été remuée ou fracturée[2]. Car c’est surtout dans la conjonction du sceau, du trou, de la table et du pied de l’autel ou de sa structure inférieure qu’est comprise et que s’entend la consécration. Quatrièmement, on reconsacre l’autel si on a fait à lui ou à la conjonction de la table et de la structure inférieure une telle augmentation, qu’il perde sa première forme : car c’est la forme qui constitue l’existence d’une chose. Cependant, pour un petit ajout il n’est pas profané ; mais alors ce qui est saint attire à soi ce qui ne l’est pas, pourvu toutefois que la conjonction de la table et de la structure inférieure ne soit pas beaucoup changée. Cinquièmement, on reconsacre l’autel ainsi que l’église lorsque l’on est dans le doute de leur consécration. Sixièmement, quant à l’autel que l’on porte en voyage (altare viaticum), si la pierre a été enlevée du bois dans lequel elle était encadrée, et qui représente en quelque sorte son sceau, et qu’on l’ait replacée de nouveau dans le même cadre ou dans un autre, il y en a quelques-uns qui pensent qu’on doit le reconsacrer, et d’autres qui sont d’avis de le réconcilier seulement ; car, bien que cet autel soit souvent transporté d’un lieu à l’autre par ordre de l’évêque, et qu’il soit porté en voyage (à cause de quoi on l’appelle portatif ou de voyage, altare viaticum), on ne le reconsacre pas, ou on ne le réconcilie pas cependant pour cela dans chacun des lieux où on le transporte.

XXXV. Que si l’on dore un calice consacré, doit-il être, à cause de cela, reconsacré ? car il semble ainsi un nouveau calice, puisqu’il paraît neuf ; celui qui renouvelle le premier aspect d’une chose semble avoir fait un vase neuf, et celui qui répare une chose déjà établie la refait. En effet, la consécration s’attache à la surface des objets. Voilà pourquoi j’ai dit plus haut qu’on devait reconsacrer une église dont les murailles étaient décrépies.

XXXVI. Cependant l’opinion contraire est vraie, qui prétend qu’une église ne doit pas être reconsacrée, comme je l’ai déjà dit auparavant, ni à cause du blanchissage des murs, ou à cause de leur peinture, ou bien enfin pour une petite addition faite au monument. Par la même raison, si l'on ne change pas la forme du calice, et que ce vase reste dans son premier état, pourquoi ne doit-on pas le reconsacrer, de même que l’église réparée ? C’est parce que l’église et la calice sont les mêmes qu’auparavant ; donc on ne doit reconsacrer ni l’une ni l’autre, comme il a été dit plus haut. Mais si la forme primitive du calice était changée, ce serait une autre affaire, parce que c’est la forme d’une chose qui constitue son existence, comme je l’ai dit ; il convient au moins, autant à cause qu’il a été touché par des mains souillées que parce qu’on y a apposé une matière profane et étrangère, que le calice soit lavé avec de l’eau exorcisée avant qu’on y immole le très-saint corps et le très-saint sang du Seigneur. Mais laissons de côté ce qui a été dit plus haut touchant la consécration, et parlons quelque peu de la réconcihation.

XXXVII. Et à ce propos il faut remarquer que le temple spirituel, qui est l’homme, est parfois souillé. Voilà pourquoi il est dit dans le Lévitique (xx) : « L’homme qui fluxum seminis patitur, sera immonde. » Et de même : « In muliere fluxum sanguinis menstrui, vel alterius patiente.) C’est pourquoi il était défendu à celui qui était souillé (pollutus) d’entrer dans l’assemblée du peuple (ecclesiam), jusqu’à ce qu’on l’eût lavé et purifié avec de l’eau (Numeri, xix). « Celui qui touchera le cadavre d’un homme mort, disent les Nombres, est immonde. C’est pourquoi on l’aspergera d’eau, et il sera ainsi purifié, etc. » Et le Prophète : « Tu m’aspergeras, Seigneur, avec l’hysope, et je serai purifié. »

XXXVIII. Le temple matériel, qui est l’église (ecclesia), est aussi souillé, selon le témoignage du pape Grégoire et du Lévitique (c. xv). Ce qui a fait dire au Prophète : « Ils ont souillé le temple, ton sanctuaire, etc. » Et aujourd’hui on réconcilie l’église de la même manière que le temple, après l’avoir lavée avec de l’eau. Or, la réconciliation a lieu de la manière suivante : on célèbre la messe et on asperge l’église d’eau solennellement bénite avec le vin, le sel et la cendre. Le sel représente la connaissance claire et distincte (discretio) ; l’eau, le peuple ; le vin, la divinité ; la cendre, la mémoire de la passion du Christ ; le vin mêlé à l’eau figure l’union de la divinité et de l’humanité dans la personne du fils de Dieu. Or donc, on mêle ces choses ensemble pour marquer que le peuple, purifié par le souvenir clair et distinct de la passion du Christ, lui est uni. Cette cérémonie est faite par l’évêque seul, si toutefois l’église est consacrée, et bien qu’il puisse aussi confier ce soin à son coadjuteur (coepiscopo ou curé), c’est-à-dire la bénédiction de l’eau et la réconciliation de l’église, ou seulement la bénédiction de l’eau, ou même uniquement la réconciliation, l’eau étant d’abord bénie par lui ; il ne peut cependant confier ni l’une ni l’autre de ces cérémonies à un simple prêtre, à moins que par hasard il s’attribue ce droit en vertu d’un privilège spécial. Que si l’église n’est pas consacrée, on doit aussitôt, selon la Constitution de Grégoire IX, la laver avec de l’eau exorcisée ; il y a certains auteurs qui disent que ce lavement peut être fait par un simple prêtre, avec l’ordre pourtant de l’évêque, pourvu qu’il ait à cet effet de l’eau exorcisée, qui peut être faite par quel prêtre que ce soit. Pourtant, quelques hommes d’une très-grande autorité, interrogés là-dessus, ont écrit que le plus sage en cette occasion, c’est que cette cérémonie soit faite seulement par l’évêque, sans qu’il puisse en commettre le soin à un prêtre ; car les canons (De cons., d. Si motum, et c. De fabrica) appellent exorcisée l’eau solennellement bénite avec le vin et la cendre, ce qui est en effet vrai, mais ne doit être regardé comme une règle invariable que pour une église dédiée à Dieu. Il en est autrement si la souillure a eu lieu dans un simple oratoire, qui n’est ni un endroit saint, ni consacré par la religion, puisque chacun y fait et y dispose de tout ce qu’il lui plaît selon son vouloir, et que ce lieu est seulement pour prier, quoique peut-être on y célèbre les saints mystères sans la permission diocésaine, et que l’on puisse à sa volonté employer le même endroit à un autre usage. On doit réconcilier l’église dans le cas suivant.

XXXIX. Pour un adultère qu’on y aura commis, et pour la fornication (en. d. Si motum, et generaliter cujuscunque semine, extra De adul., ca. Significasti : « Scilicet maris et fœminœ, clerici vel laici, hœretici vel pagani, naturaliter sive innaturaliter, studiose et peccandi libidine, ibi emisso, fuerit polluta ; etiam si vir ibi uxorem cognoscat, quoniam licet talis concubitus sit alias legitimus et concessus, non tamen quodlibet tempore, sive loco. » Quoique beaucoup d’hommes savants, (sapientes) pensent le contraire touchant cela, nous avons dit pourtant qu’il en était autrement : Si quis forte ibi in somnis polluatur, nam tunc animus magis pertulisse quam fecisse dolendus est (xxi d.), quoniam et non in cujuscunque animalis semine ibi emisso, cum ratione careat, neque peccat. (vi d., Testamentum.)

XL. On réconcilie aussi une église pour un homicide qui y aura été commis, avec ou sans effusion de sang, mais avec intention de quelque manière que ce soit, et lorsqu’il y a eu encore, outre l’homicide, effusion de sang humain à la suite d’une violence, résultat d’injures, soit par blessure, soit sans blessure, du nez ou de la bouche ; car, dans l’Ancien-Testament (Lévit., xiv et xv), il fut défendu de répandre le sang dans le temple (et semen emitti), et d’empêcher d’y entrer (talia agentem et patientem). Mais si, sans violence ou injure, le sang coule dans l’église, du nez ou de la bouche, d’une cicatrice ou imminutione, aut etiam ex hemorrodois, vel menstruis, vel aliter naturaliter in ecclesia fluxerit ; ou si, par hasard, en jouant, ou par un cas fortuit, il arrive qu’il soit répandu, ou si un animal quelconque y est tué, ou si quelqu’un même y meurt subitement, ou y est tué par une pierre, ou par la chute d’une poutre, ou par la foudre ; pour cela, certes, et d’autres choses semblables, on ne réconcilie pas l’église. Et non plus si, blessé dehors, un homme se réfugie dans l’église et y meurt après avoir perdu beaucoup de sang, parce qu’alors l’homicide n’a pas été accompli dans l’église. Mais si, par contraire, blessé dans l’église, il meurt dehors, ou que même le sang n’ait coulé de sa blessure que dehors, c’est autre chose, quand même le sang n’aurait pas coulé du tout de son corps dans l’église, car l’on ne regarde que les coups qui ont produit les plaies. Si aussi bien le sang est répandu sur le toit de l’église, aut semen humanum emittitur, on ne réconcilie pas l’église, parce que cela a lieu hors de son enceinte. ;

XLI. Si un vol ou une rapine a lieu dans l’église, on la réconcilie selon la coutume observée en de semblables occasions. De même, à la suite de toute violence sans effusion de sang, on doit aussi la réconcilier, comme l’assurent certains auteurs ; cum illa fornicationi œquiparetur in jure (xvii, q. IV) ; comme lorsque celui qui se réfugie dans l’église en est tiré par force, ou quand on y commet une effraction, ou même si, sans effusion de sang, une rixe s’y est engagée avec tumulte, ou si quelqu’un, les os brisés et meurtris, s’enfuyant sans que son sang coule, est frappé gravement dans l’église, et condamné dans ce moment ou à la mort, ou à la mutilation, en est tiré pour être conduit au lieu de l’exécution. Mais, comme ces cas ne sont pas exprimés dans le droit, il n’est pas nécessaire que l’église soit réconcihée solennellement par l’évêque. Cependant nous pensons que cela conviendrait, ou alors qu’un prêtre, par ordre de l’évêque, la lavât avec de l’eau exorcisée. Et il me semble qu’on doit dire la même chose si l’église est restée longtemps sans toit et sans portes, pleine de litière et d’autres immondices, destinée au logement des animaux ou aux besoins naturels des hommes, et qu’elle ait été ouverte indistinctement à tout le monde comme un lieu de retraite, ou une hôtellerie ; et il ne serait peut-être pas mal qu’en pareil cas elle fût solennellement réconciliée par l’évéque. Mais si quelqu’un, après avoir été assassiné hors de l’église, est bientôt après porté dans l’église ; s’il arrive que celui qui l’a tué, ou un autre, entre dans l’église, et, ne le croyant pas mort, fasse au cadavre encore chaud une plaie d’où le sang coule, on doit réconcilier l’église, autant pour marque d’horreur et d’abomination qu’à cause de la violence faite et du péché commis ; bien qu’en effet cet homme ne soit plus en vie, cependant son sang a été répandu en ce lieu par la violence d’un de ses semblables. Car la violence, l’horreur et l’injure sont faites au cadavre même. Mais il en est autrement lorsque, par honneur et par respect pour le corps d’un homme mort naturellement, on coupe ses membres ou qu’on lui enlève ses entrailles dans l’église, afin qu’une partie en soit ensevelie en un lieu et une autre ailleurs.

XLII. On réconcilie encore une église dans laquelle un infidèle, ou même un homme publiquement excommunié, a été enseveli ; et alors on doit en racler les murailles. Or, dans les cas mentionnés plus haut, et qui entraînent après eux la réconciliation de l’église, on requiert que l’exigence de cette cérémonie soit au moins fondée sur un fait dévoilé par la renommée.

XLIII. Car le scandale, c’est l’horreur et l’abomination que l'on éprouve à cause de la honte du péché et de la violence commis dans un lieu saint ou dans l’église ; en ce lieu, où l’on demande le pardon des péchés, où celui qui s’y réfugie doit être en sûreté, où l’on immole l’hostie salutaire pour les péchés du peuple (Lév., xiv, c), où aussi ceux qui s’y enfuient sont sauvés et rendent gloire à Dieu, trouvent la réconciliation et arrivent au bon propos, comme de ne plus vouloir pécher mortellement. Mais, si le fait est caché, il n’est pas nécessaire de réconcilier l’église, parce que, comme elle est sainte, elle ne peut être souillée, ou plutôt la sainteté de ce lieu même empêche son infamie, bien que quelques-uns pensent sur cela le contraire ; c’est-à-dire qu’elle doit être réconciliée, du moins en secret, afin de ne pas révéler ainsi les noms de ceux qui ont péché.

XLIV. Et la réconcihation a lieu pour l’exemple et la terreur de tous, afin que, voyant laver et purifier pour les péchés d’un autre l’église qui n’a péché en rien, ils pensent combien ils devront souffrir et travailler pour expier leurs fautes.

XLV. Le cimetière aussi, dans lequel un païen, un infidèle ou un excommunié ont été ensevelis, doit être réconcilié, après qu’on aura d’abord jeté hors de son enceinte les os maudits qui y sont enterrés, si toutefois on peut les distinguer de ceux des fidèles. On le réconcilie dans les cas énumérés plus haut pour l’église. Car le cimetière se glorifie et se réjouit de posséder les mêmes privilèges que l’église, comme on le dira au chapitre des saintes Onctions ; car, de ce qu’il a été bénit, c’est un lieu saint et sacré, et il est réconcilié par l'évêque comme l’église, par l’aspersion solennelle de l’eau avec le vin et la cendre bénits.

XLVI. Il est digne de remarque que, dans quelque partie de l’église ou du cimetière que la violence ou la pollution ait été commise, toutes les autres parties sont réputées violées, et cela à cause de la connexité de chacune d’elles ensemble. Ceci a été, aujourd’hui, en partie adouci par le pape Boniface (De consec. eccl., c. i, in vi) ; car, bien que les consécrations de l’église, de l’autel et du cimetière soient différentes par leur objet, cependant le privilège de toutes est un et le même. Ce qui ne doit pas être restreint pourtant seulement à l'une de leurs parties ou à l’un de leurs côtés ; ce qui est vrai si l’église et le cimetière sont unis ensemble. Car, si l’un est éloigné de l’autre, l’un peut bien être violé sans l’autre. Si donc l’un d’eux ayant été violé ou pollué, l’autre a été aussi violé ou pollué, par la même raison, l’un d’eux étant réconcilié, les deux aussi sont réputés comme l'étant, parce qu’il n’y a rien de si naturel que chaque chose soit déliée par la même cause qu’elle a été liée, et que le droit d’enchaîner et de déchaîner est égal. Ainsi, si le cimetière a été violé ou pollué, il suffit de réconcilier l’église. Cependant quelques-uns assurent, avec les simples lumières du bons sens (simpliciter), que l’un ne peut être violé en aucune manière par la violation de l’autre, et que, par conséquent, chacun doit être spécialement réconcilié. Cependant l’autorité du Pontifical (pontificalîs libri) prévient leur décision ; car on y trouve la forme particulière de la réconciliation du cimetière. Enfin, si l’église ou le cimetière, ou quelque autre chose excommuniée par l’évêque, doit être consacrée ou bénie, il ne faut pas l’affranchir de cette réconciliation, parce que les sacrements conférés par ces cérémonies dans la formation de l’église sont véritables, comme on le dira dans préface de la troisième partie. Mais quand, ainsi qu’il a été dit plus haut, un excommunié ou des excommuniés profaneront le cimetière et l’église, ils paraissent, certes ! beaucoup plus flétrir et souiller devant Dieu les sacrements extérieurs et les bénédictions qui passent et s’en vont par les mains et par la bouche de l’excommunié, que les grâces qui appartiennent à leurs mérites ; c’est pourquoi il est convenable de les réconcilier avant que les fidèles usent de ces sacrements, ainsi que le texte des saints Canons l’enseigne d’une manière évidente (LXXX, d. Si qui sunt) ; car le Seigneur dit par la bouche de son prophète : « Je répondrai à vos bénédictions par des malédictions »[3].

  1. Note 20 page 374.
  2. Cette phrase est assez difficile à traduire ; en voici le texte : « Tertio, consecratur altare, si juncturaqua sigillum foramini, vel etiam quamensa stipiti ubi aliud sigillum, quod mensa ipsa non est mota adhaeret, vel aliquis ex lapidibus ipsius juncturae seu stipitis, mensam ver sigillum tangens, motus vel fractus sit. »
  3. Maledicam benedictionibus vestris, mot à mot : « Je maudirai vos bénédictions. »