Rational (Durand de Mende)/Volume 1/Troisième livre/Chapitre 07

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Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 1p. 238-241).


CHAPITRE VII.
DE LA CHASUBLE[1] OU PLANÈTE (39)[2]


I. Enfin, par-dessus tous les vêtements sacrés on revêt la chasuble (casula), qui est ainsi appelée comme si l’on disait une petite maison (parva casa), et est nommée par les Grecs planèta (planète) apo tès planès, c’est-à-dire du mot erreur, errer (ab errore), parce que son extrémité se relève sans règle sur les bras du prêtre. Elle représente la charité, sans laquelle le prêtre « est comme un airain sonnant, ou comme une cymbale au son aigre et retentissant. » Or, de même que « la charité couvre la multitude des péchés, » et contient toutes les recommandations de la loi et des prophètes, selon cette parole de l’Apôtre : « La plénitude de la loi, c’est la charité ; » ainsi ce vêtement renferme et contient entre ses surfaces planes tous les autres ornements sacerdotaux.

II. Touchant la charité, l’Apôtre dit : « Je vous montrerai une voie encore plus parfaite. Si je parlais les langues des hommes et des anges, et que je n’aie pas la charité, je ne suis rien. » Et encore : « Si j’avais la foi au point de faire changer les montagnes de place, et que je n’aie pas la charité, je ne suis rien. » La chasuble est vraiment cette robe nuptiale dont le Seigneur dit dans l’Évangile : « Ami, comment es-tu entré ici, n’ayant pas la robe nuptiale ? » Car le prêtre ne doit jamais exercer son ministère sans en être revêtu, parce qu’il convient qu’il demeure toujours dans le lien de la charité. Et pour ce qui est de l’amict, que l’on laisse retomber sur l’ouverture de la planète, cela signifie que la bonne œuvre doit se rapporter à la charité ; car la fin du précepte, c’est la charité, qui demande un cœur pur, une bonne conscience et une foi non feinte. Et parce que, lorsqu’on étend les mains, la chasuble se partage en une partie postérieure et en une partie antérieure, cela représente les deux bras de la charité, dont l’un se tient à Dieu et l’autre s’étend sur le prochain : « Tu chériras (dit-il) ton Dieu, etc. » Toute la loi et les prophètes sont renfermés dans ces deux préceptes. La largeur de la planète signifie encore la largeur de la charité, qui s’étend même jusqu’aux ennemis particuliers (inimicos) ; d’où vient cette parole : « Ton précepte est excessivement (nimis) étendu. »

III. Les deux plis aussi, de la gauche et de la droite, ce sont les deux préceptes de la charité, à savoir : l’amour de Dieu et du prochain. Les plis se joignent aussi devant la poitrine, qui exprime le cœur, et entre les épaules, qui symbolisent les œuvres ; et par ses plis ce vêtement devient double en lui-même, parce que nous devons ainsi montrer au dehors l’exemple des bonnes œuvres au prochain, et les conserver en même temps entières au dedans de nous-mêmes et dans notre cœur devant le Seigneur : car nous devons avoir la charité dans le cœur et dans les œuvres, au dedans comme au dehors. La chasuble se replie encore devant la poitrine, parce que la volonté du bien et la sainte pensée sont engendrées par la charité. Elle se replie aussi entre les épaules, parce que par elle nous supportons les contrariétés qui nous viennent du prochain et de nos ennemis. Et elle est élevée sur nos bras, lorsque nous pratiquons les bonnes œuvres : sur le bras droit, lorsque nous faisons du bien aux serviteurs de la foi (domesticos fidei) ; sur le gauche, quand elle s’étend même aux ennemis particuliers (inimicos).

IV. Elle se plie encore en trois sur les bras : sur le droit d’abord, quand nous venons en aide aux moines, aux clercs et aux laïques dévots ; sur le gauche, lorsque nous assistons, dans leurs nécessités, les infidèles, c’est-à-dire les mauvais chrétiens, les juifs et les païens. La chasuble désigne encore, d’une manière convenable, les œuvres de la justice, dont il est dit : « Tes prêtres se revêtiront de la justice. » Assurément, le prêtre, lorsqu’il remplit son ministère, ne doit pas se dépouiller de la chasuble, parce que, d’après le précepte du Seigneur (Lévit., chap. xxi), « il ne lui est pas permis de sortir du saint, » c’est-à-dire des choses ou des préceptes saints. Enfin, pour ce qui se rapporte à notre chef (capiti), c’est-à-dire au Christ, la chasuble du grand-prêtre (le Pape), c’est l’Église universelle, dont l’Apotre dit : « Tous, tant que vous êtes, qui avez été baptisés, vous avez revêtu le Christ. » C’est ce vêtement d’Aaron[3], sur la frange duquel descendit l’huile sainte ; mais, d’abord, elle descendit du chef (caput) sur la barbe, et de la barbe sur la frange de la robe d’Aaron, parce que nous avons tous été participants de la plénitude de son esprit : d’abord les apôtres, ensuite les autres.

V. Et, parce que la chasuble est l’unique vêtement de son espèce, entière et fermée de toutes parts, elle signifie l’unité de la foi et son intégrité. Mais, cependant, lorsqu’on étend les mains, elle se divise, en quelque sorte, en partie antérieure et postérieure, et représente l’antique Église qui a précédé la passion du Christ, et la nouvelle qui la suit ; car ce ceux qui allaient devant et ceux qui suivaient criaient, en disant : Hosanna au Fils de David ; béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! » Ce vêtement représente encore la robe de pourpre dont les soldats revêtirent Jésus.

  1. La double croix de la chasuble a inspiré à Gerson ces belles paroles :
      « Le prêtre, revêtu des habits sacrés, tient la place de Jésus-Christ, afin d’offrir à Dieu d’humbles supplications pour lui-même et pour tout le peuple.
      « Il porte devant et derrière lui le signe de la croix du Sauveur, afin que le souvenir de sa passion lui soit toujours présent.
      « Il porte devant lui la croix sur la chasuble, afin de considérer attentivement les traces de Jésus-Christ et de s’animer à le suivre.
      « Il porte la croix derrière lui, afin d’apprendre à souffrir avec douceur pour i Dieu tout ce que les hommes peuvent lui faire de mal.
      « Il porte la croix devant lui, afin de pleurer ses propres péchés ; derrière lui, afin que, par une tendre compassion, il pleure aussi les péchés des autres ; et, se ; souvenant qu’il est établi médiateur entre Dieu et le pécheur, il ne se lasse point d’offrir des prières et des sacrifices, jusqu’à ce qu’il ait obtenu grâce et miséricorde.
      « Quand le prêtre célèbre, il honore Dieu, il réjouit les anges, il édifie l’Église, il procure des secours aux vivants, du repos aux morts, et se rend lui-même participant de tous les biens. » (Lib. 4 De Imitatione Christi, cap. v., num. 3, De Sacerdote.)
  2. Voir la note 38 page 434.
  3. Une charte du pape Benoit VIII (ann. 1023 in Bullario Casinensi, tom. i, p. 7) dit : « Obtulit planetam purpuream optimam aureis listis 12 signa habentibus in circuitu. » Cette planète, ornée dans le bas de 12 sonnettes d’or, nous rappelle la robe du grand-prêtre Aaron, enrichie de grenades et de 366 sonnettes, selon un Père de l’Église.