Rational (Durand de Mende)/Volume 1/Troisième livre/Chapitre 12

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Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 1p. 255-257).
Livre troisième


CHAPITRE XII.
DU GANT.


I. Comme la plupart des hommes corrompent par la vaine gloire la bonne œuvre qu’ils font, voilà pourquoi, aussitôt après avojr revêtu la dalmatique, le pontife, selon le rite des Apôtres, couvre ses mains de gants, afin que sa gauche ne sache pas ce que fait sa droite. Or, le gant désigne convenablement la prudence, qui fait ainsi l’œuvre en public, parce qu’elle en garde l’intention dans le secret. Car, bien que le Seigneur ait dit : « Que votre lumière luise devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux, » ce que le gant voulant aussi marquer, à son extrémité un cercle (circulum) d’or, cependant il a lui-même encore donné ce précepte : « Prenez garde de ne pas faire paraître votre justice devant les hommes pour être vus par eux ; autrement vous n’aurez pas votre récompense devant votre Père qui est dans les cieux. »

II. Donc, on voile parfois les mains avec les gants, et parfois on les tient nues, parce que l’on cache tantôt les bonnes œuvres, pour éviter la vaine gloire, et que tantôt on les rend publiques, pour édifier le prochain.

III. Mais ils sont sans couture, parce que les actions du pontife doivent s’accorder avec une foi droite. Par les gants aux mains, on entend aussi les exemples des saints que l’on doit se proposer dans ses œuvres, après les avoir purifiées de toutes souillures, de peur qu’un peu de ferment ne corrompe toute la masse. Et par les gants blancs sont symbolisées la chasteté et la pureté, afin que les mains, c’est-à-dire les œuvres, soient pures et débarrassées de toute souillure. Enfin, pour ce qui se rapporte à notre chef (capiti), qui est le Christ, les gants sont faits de petites peaux (pelliculis) de chevreau, dont Rebecca entoura les mains de Jacob, afin qu’elles ressemblassent aux mains velues de son frère aîné.

IV. Assurément, la peau de chevreau est l’image du péché, dont Rebecca, mère de Jacob, c’est-à-dire la grâce de l’Esprit saint, a entouré les mains du véritable Jacob, c’est-à-dire les œuvres du Christ, afin qu’il devînt semblable à son aîné, c’est-à-dire au premier Adam, lui qui était le second Adam. Or, le Christ a pris la ressemblance du péché, sans pourtant le commettre[1], afin que le mystère de l’Incarnation fût caché au diable ; car, à l’image des pécheurs, il a eu faim et soif, il a été triste et rempli de crainte, il a dormi et travaillé. D’où vient que, quand il eut jeûné pendant quarante jours et quarante nuits, et qu’ensuite il eut faim, le diable, venant à lui, le tenta, à l’image du premier Adam. Mais lui, qui avait vaincu le premier Adam, fut vaincu à son tour par le second Adam, et trompé de la même manière qu’Isaac l’avait été par Rebecca et Jacob[2].

  1. [Christus enim similitudinem peccati sine peccato suscepit, etc.]
  2. « Isaac dit [à Jacob] : Approche-toi d’ici, mon fils, afin que je te touche, et que je reconnaisse si tu es mon fils Esaü ou non. Jacob s’approcha de son père, et Isaac, l’ayant tâté, dit : Pour la voix, c’est la voix de Jacob ; mais les mains sont les mains d’Esaü. » Tel est le récit de la Genèse (cap. ii, v. 21 et 22). L’incarnation de notre Seigneur est venue expliquer le sens de ce passage, si difficile à comprendre autrement que dans le sens mystique.