Rational (Durand de Mende)/Volume 1/Deuxième livre/Chapitre 06

La bibliothèque libre.
Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 1p. 183-185).


CHAPITRE VI.
DU L’EXORCISTE.


I. Εξορχιστὴς (selon [saint] Isidore) est un mot grec qui, en latin, veut dire celui qui adjure ou gourmande ; car il prononce, sur les catéchumènes ou sur ceux qui ont l’esprit immonde, le nom du Seigneur Jésus, adjurant par lui cet esprit de sortir d’eux, ce dont il sera parlé dans la sixième partie, au Samedi saint. Il convient donc que celui qui doit commander au esprits impurs ait une âme pure.

II. À l’exorciste donc il appartient de retenir dans sa mémoire les formules des exorcismes, et d’imposer les mains sur les énergumènes et les catéchumènes en les exorcisant. Et, selon le Concile de Carthage (De consec., dist. v, Energumeni), il doit donner une nourriture quotidienne, en temps convenable, aux énergumènes qui demeurent dans la maison même de Dieu.

III. Josèphe rapporte que le roi Salomon trouva le premier la manière d’exorciser, c’est-à-dire d’adjurer. C’est ainsi que l’exorciste Eléazar chassait les esprits impurs de l’homme qui en était obsédé, de telle sorte qu’ils n’osaient plus revenir davantage. Ceux qui étaient chargés de cet office reçurent le nom d’exorcistes, et on lit, à leur sujet, dans l’Évangile : « Si « moi je chasse les démons au nom de Beelzébut, par qui vos fils, les exorcistes, les chassent-ils ? » Et ils représentent les questeurs qui existaient chez les Gentils.

IV. Or, selon le décret du Concile de Tolède (xxiii, dist. Exorcistœ), lorsqu’on ordonne un exorciste, il reçoit de la main de l’évêque le livre dans lequel sont écrits les exorcismes ou les adjurations, et l’évêque lui dit : « Reçois-le et confie-les à ta mémoire, et aies la puissance d’imposer les mains sur l’énergumène, ou le baptisé, ou le catéchumène. » Donc, la réception du livre et les paroles mentionnées plus haut sont la substance de cet ordre ; le reste est de pur cérémonial.

V. On donne le nom d’énergumènes à ceux qui sont possédés par les démons, et celui de lunatiques aux personnes qui tombent du haut-mal. Le premier nom vient de ἑργου, travail, de μενά, défaillance, et de νοῦς, qui est l’esprit, parce que leur esprit change comme les phases de la lune, et que c’est au moment de ses éclipses qu’ils souffrent le plus [1]. On appelle catéchumènes ceux qui, avant le baptême, sont instruits des articles de la foi.

VI. Nous remplissons cette charge lorsque, par nos prières, nous chassons d’un homme le poison du diable. Le Christ exerça cet office quand il chassa sept démons de Marie-Madeleine.

  1. Le trait suivant d’un fragment d’homélie de saint Eloi, évêque de Noyon, nous donna lieu de faire une note que l’on nous permettra d’insérer ici, d’autant plus qu’elle ne peut mieux rencontrer sa place, après le trait qui nous l’inspira. [Quia Deus ad hoc lunam fecit, ut tempora designet… non ut alicujus opus impediat, aut dementem faciat hominem, sicut stulti putant, qui a dæmonibus invasos a luna pati arbitrantur, etc.] « Dieu a fait ainsi la lune, afin de marquer les temps et de tempérer les ténèbres de la nuit, et non pour empêcher personne de se livrer à ses travaux, ou pour rendre les hommes fous, comme les sots le pensent, eux qui croient que les démoniaques souffrent à cause de la lune ; etc. » On croyait que les démoniaques subissaient l’influence de la lune, parce qu’ils souffraient ordinairement davantage pendant la pleine lune qu’en tout autre temps, et cela, disait-on, à cause de ce que, le cerveau étant plus rempli d’humeurs, il est plus facilement agité et troublé. C’est pourquoi on appelle les démoniaques lunatici, lunatiques en latin et en français, en grec σεληνιαϰοι. Le démoniaque dont parlent saint Marc et saint Luc (cap. ix) est nommé lunatique par saint Mathieu (cap. xvii). Cependant Euthymius donne un autre sens à ce mot que celui de l’Évangile ; il est plutôt fondé sur la malignité du démon que sur sa nature. « Saint Mathieu, dit-il, donne à ce démoniaque le nom de lunatique (*), parce que quelques démons, observant le temps de la nouvelle lune, s’emparaient de plusieurs hommes, afin que, la lune paraissant ainsi être la cause de leur mal, le peuple en prît occasion de calomnier et d’accuser la bonté du Créateur. » C’est un des innombrables artifices dont le démon s’est servi et se sert chaque jour pour tromper l’homme ; mais ce qu’il a pu faire de plus extraordinaire et de plus dangereux, c’est d’avoir porté les hommes à croire qu’il n’existait pas. (V. Euthym., Saracenica, sive Moamethica, etc. ; Heidelberg, 1595, in-8o, petit livret très-rare et très-curieux. — V. notre traduction annotée de la Vie de saint Eloi, par saint Ouen, p. 170, chap. xv, liv. 2 ; et note 9, pages 406 et 407.)

    (*).  On entend par le mot lunatique un homme dont le caractère est aussi mobile et aussi changeant que les phases de la lune, et non, comme le croyaient les païens, une personne que les diverses révolutions de cet astre rendent malade ou insensée.