Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Cinquième livre/Chapitre 07

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Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 3p. 114-117).


CHAPITRE VII.
DE SEXTE.


I. Ce fut à la sixième heure que le Christ fut attaché à la croix et percé de clous pour nous. C’est pourquoi toute la terre fut enveloppée de ténèbres ; et le soleil, plongé dans le deuil de son Seigneur, se voila comme de vêtements noirs, pour ne pas prêter sa lumière à ceux qui crucifiaient son Créateur. Ce fut en core à cette heure que, le jour de l’Ascension, le Christ se mit à table avec ses disciples. C’est donc avec raison que l’Eglise, à cette heure, célèbre les louanges de Dieu et lui rend grâces, parce que le Christ a voulu souffrir pour elle, ce qui fait qu’elle l’aime avec ardeur. D’où il est dit, dans le Cantique des cantiques : « Annoncez à mon bien-aimé que je languis d’amour. » C’est pourquoi on dit alors : Defecit in salutari tuo anima mea, « Mon ame est tombée en défaillance dans l’attente de ton secours. » On dit aussi le répons Benedicam Dominum in omni tempore, « Je bénirai le Seigneur en tout temps ; toujours sa louange sera dans ma bouche, » supplée : parce qu’il a daigné souffrir pour moi, c’est-à-dire pour le salut de mon ame. C’est aussi à cette heure qu’Adam fut chassé du paradis terrestre. C’est donc avec raison qu’à cette heure nous devons prier Dieu, afin que, par l’humilité et les bonnes œuvres, nous retournions au paradis, d’où Adam a été chassé à cause de son orgueil. Or, l’office de sexte répond à l’état du temps, comme l’office des autres heures : car à l’heure de prime se trouve le prélude ; à l’heure de tierce, le départ ; à l’heure de sexte, la consommation. Car, à prime, le soleil commence à briller ; à tierce, il commence à s’échauffer davantage ; à sexte, il est dans sa plus grande ardeur, comme l’indiquent les paroles des hymnes qui commencent ces heures et même l’heure de none. Au commencement, à prime, répondent les paroles du psaume Deus, in nomine tuo salvum me fac, et in virtute tua libera me, « Sauve-moi, mon Dieu, par la vertu de ton nom, et fais éclater ta puissance en me délivrant, » c’est-à-dire sépare-moi des Cyphéens (Juifs qui voulurent livrer David à Saül). Car, au début de notre conversion, nous commençons à nous séparer du mal, et c’est avec raison que nous faisons alors cette demande, nous qui enfin avons été séparés, c’est-à-dire du paradis et de la récompense. A la même chose se rapportent ces paroles du second psaume : Utinam dirigantur viæ meæ, etc., « Plaise à Dieu que mes voies reçoivent une direction, » et ce que dit le troisième psaume : Retribue servo tuo, ce que l’on explique par : frequenter tribue, « accorde souvent ; » et cet autre endroit : vivifica me, « vivifie-moi, etc. ; » il faut suppléer : qui étais mort auparavant par le péché ; d’où l’on demande à être justifié par la grâce. Au départ se rapporte ce qui se dit au commencement de tierce : Legem pone mihi, Domine, viam, justificationum tuarum, et exquiram eam semper, « Imposemoi pour loi, Seigneur, la voie de tes ordonnances pleines de justice, et je ne cesserai point de la rechercher. » Car, comme on se trouve dans la voie, on demande à obtenir la loi de correction. A la consommation de la perfection se rapportent ces paroles du psaume du commencement de sexte : Defecit in salutari tuo anima mea, « Mon ame, appuyée sur ton secours salutaire, est tombée en défaillance de la part des choses terrestres » [incapables de la soutenir] ; ou bien : Defecit in salutari tuo, c’est-à-dire mon ame, faisant des efforts pour s’élever jusqu’à ton secours salutaire, est tombée en défaillance au sein des choses terrestres.

II. Car plus on s’élève à l’amour de Dieu, plus les choses terrestres laissent de vide dans notre ame, et on éprouve une langueur causée par le désir ardent [d’être uni à Dieu], d’après ces paroles du Cantique des cantiques : « Couchez-moi sur les fleurs, environnez-moi de fruits, car je languis d’amour. » Or, par les fleurs on entend le commencement des bonnes œuvres, et par les fruits, la perfection qui, embrasant aussi les autres, les console en quelque façon. Et cependant l’ame ne reçoit pas ici une consolation pleine et entière, mais est plutôt affligée par l’amour. De là suivent ces paroles : Defecerunt oculi mei in eloquium tuum, et in verbum tuum supersperavi, « Mes yeux se sont affaiblis à force d’être attentifs à ta parole, et j’ai conservé une espérance très-ferme dans ta parole. » Et dans la seconde partie : Quomodo dilexi legem luam. Domine ! « Combien est grand. Seigneur l’amour que j’ai pour ta loi ! » Dans la troisième : Oculi mei defecerunt. À cette perfection se rapporte le répons Benedicam Dominum et le verset Dominus regit, etc. Car, comme on le dit par une autre métaphore : « C’est le Seigneur qui me repaît, et rien ne me manquera au lieu du pâturage où il m’a placé, » c’est-à-dire le Seigneur est mon pasteur, je suis tout entier en lui, et il suffit à mon cœur ; de là suivent ces mots : « Et rien ne me manquera, » car le fidèle est persuadé que le Seigneur lui accordera la nourriture spirituelle, puisqu’il sait qu’il est placé dans le lieu du pâturage où les fidèles sont confirmés plus pleinement dans la foi. D’où vient qu’il dit : Ibi me collocavit ; car celui que le Seigneur repaît, dans l’arrivée du Saint-Esprit, il le dirige encore, c’est-à-dire fait qu’il se réjouit dans la pratique des bonnes œuvres et le conduit par le droit chemin à la cité de Jérusalem, où l’on est dans la plus grande sûreté. A celui-là rien ne manque, selon le témoignage de l’Apôtre, qui dit : « Je peux tout en celui qui me fortifie. » On dit encore quelquefois ce capitule : Alter alterius onera portate (Galates, c. vi), « Portez les fardeaux l’un de l’autre ; » et quelquefois celui-ci : Nolite conformari huic seculo (Rom., c. xii), « Gardez-vous bien de vous modeler sur ce siècle. »