Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Quatrième livre/Chapitre 05

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Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 2p. 37-42).


CHAPITRE V.


DE L’OFFICE[1] OU DE L’INTROIT DE LA MESSE.


I. La première partie de la messe commence à l’introït. Et il faut savoir que les saints pères et les prophètes, avant l’avénement du Christ, soupiraient après ce temps, et le prédisaient : ils lui offrirent alors, bien avant sa venue, leurs désirs, leurs œuvres, leurs louanges et leurs prières, toutes choses que figure la messe. Car l’introït, c’est-à-dire l’antienne même qui porte ce nom, exprime les prédictions poétiques des prophètes et le désir des saints pères dans l’attente de l’avènement du Fils de Dieu et de l’incarnation d’un Dieu même. En signe de quoi, le premier dimanche de l’Avent, l’Église chante cet introït : « Vers toi j’ai levé mes yeux. » Donc, le chœur des clercs chantres, qui signifie le chœur des prophètes et la multitude des saints, dans l’attente de l’avènement du Christ dilate son ame et chante le chœur avec acclamation, parce que les prophètes, les patriarches, les rois, les prêtres et tous les fidèles attendaient la venue du Christ pleins de désir, criant et l’implorant en ces termes : « Seigneur, envoie l’Agneau qui doit dominer sur la terre, etc. » — « Viens, Seigneur, et ne veuille pas tarder, etc. » C’est aussi pourquoi le vieillard Siméon, ce juste par excellence, bénit Dieu en disant : « Maintenant, tu laisseras aller ton serviteur. Seigneur, etc…., parce que mes yeux ont vu. » Et l’Évangéliste : « Un grand nombre de rois et de prophètes ont voulu voir ce que vous voyez, et ils ne l’ont pas vu. » On remplit leur personnage, en chantant l’introït ; car c’est par eux que le Christ est entré dans le monde, selon cette parole : « Et lorsqu’il introduit son premier-né dans le monde, il dit : Que tous les anges de Dieu l’adorent. » Suit le petit verset (versiculus) tiré, des psaumes ou le psaume même, qui marque qu’on arrive au but tant désiré. On l’appelle aussi verset [versus), parce que par lui nous revenons (revertimur) à l’introït, qui symbolise les œuvres et les prédictions des saints de l’ancienne loi.

II. En conséquence de l’institution du pape Damase, on dit le Gloria Patri, etc., qui signifie la louange, parce qu’après les grandes actions vient la gloire, comme un don et une récompense. On dit aussi le Gloria, pour montrer que le Père, le Fils et l’Esprit saint ont une égale gloire et une majesté coéternelle dans le principe, et maintenant, et toujours, et dans tous les siècles des siècles, c’est-à-dire dans le passé, le présent et le temps à venir. L’interposition du Gloria entre le premier chant et la répétition de l’introït marque la recherche de la bonté suprême. Car, pour obtenir plus facilement ce qu’ils demandaient, les justes criaient à toute la Trinité, en la glorifiant du cœur et de la voix : « Seigneur, montre-nous ta miséricorde, et donne-nous ton Sauveur. Toi qui es assis sur les chérubins, apparais, etc. » Enfin, l’Esprit saint, écoutant leur clameur, oignit le Sauveur de l’huile de l’allégresse par-dessus tous les hommes, ses frères selon la chair, et le destina à annoncer la bonne nouvelle (evangelisandum) aux pauvres, ainsi que le Fils même de Dieu l’atteste par le Prophète, lorsqu’il dit : « L’esprit du Seigneur est sur moi ; c’est pour cela qu’il m’a oint et qu’il m’a envoyé évangéliser les pauvres. » Ensuite on répète l’antienne même ou introït, pour exprimer d’une manière plus claire le désir des anciens patriarches ou sa réitération, la multiplicité de leurs soupirs et de leurs cris. D’où vient que le Prophète dit : « Annonce, répète, attends, attends toujours, encore un peu, encore un peu ; s’il tarde, attends-le, parce qu’il viendra et qu’il ne tardera pas. » L’introït, cependant, ne représente pas toujours ce désir des anciens par les termes mêmes, mais par la vigueur du chant.

III. Les veilles des fêtes on chante deux fois l’introït à la louange de la nature divine et de la nature humaine, qui sont unies dans la personne du Fils de Dieu. Et, dans certaines églises, aux principales festivités, on répète trois fois l’introït à la louange et en l’honneur de la Trinité, comme si l’on sautait en cadence devant elle (quasi ei tripudiemus)[2]. C’est en mémoire de la Trinité que nous chantons la messe, et que l'on dit une fois Gloria Patri en l’honneur de l’incarnation. Parfois on commence l’introït à mi-voix, pour marquer l’humilité ; ensuite on reprend à voix haute, et cette exaltation de la voix signifie qu’on secoue le sommeil du péché exprimé par la voix basse. L’Apôtre dit : « L’heure est venue pour nous de sortir du sommeil. » On peut aussi dire l’introït d’une autre manière, comme on le verra pour l’invitatoire, dans la cinquième partie, au chapitre des Nocturnes ; cependant on le répète toujours en entier, pour symboliser une parfaite allégresse. Certaines églises disent d’abord l’introït tout entier (perfecte), parce que l’Église loue Dieu d’une manière parfaite ; ensuite à moitié (imperfecte), parce que toute louange est imparfaite en ce monde ; troisièmement, en entier (perfecte), parce que l’éloge de la patrie céleste est parfait.

IV. L’introït s’appelle ainsi, parce que pendant qu’on le chante le prêtre qui doit célébrer les saints mystères entre à l’autel, ou parce que cette antienne est l’entrée de l’office divin ; on appelle aussi l’introït office (officium), comme on le dira dans la préface de la cinquième partie. Le pape Célestin ordonna que les cent cinquante psaumes de David seraient chantés à l’introït de la messe, avant le sacrifice, avec une antienne, ce qui n’avait pas lieu auparavant. On lisait seulement les épîtres de [saint] Paul et l’évangile, et ensuite on célébrait la messe.

V. De ces psaumes furent tirés tous les introïts réguliers, les graduels, les offertoires et les communions, que l’on commença alors de chanter en mesure à la messe dans l’Église romaine. [Saint] Grégoire mit en musique l’introït de la messe, et mit à part un verset du psaume qu’on chantait. Les introïts irréguliers sont ceux qui ont été institués selon la variété des solennités, tels que : Puer natus est nobis, etc., et Spiritus Domini replevit, etc., et où l’on trouve en outre ces versets : Viri Galilœi, et Nunc scio vere, quia misit, etc., et certains autres, selon quelques églises. Et il est à remarquer que quand l’introït est tiré du psaume, si la première phrase de ce psaume compose l’introït, quelqu’une des phrases suivantes du même psaume sera le verset de cet introït, comme on le voit clairement par l’introït de la troisième férie de la première semaine de Carême, qui commence ainsi : Domine, refugium, dont le verset est : Priusquam montes fierent. Si, par contraire, ce n’est pas la première phrase d’un psaume, mais quelqu’autre des suivantes qui composent l’introït, alors la première phrase de ce psaume sera le verset de l’introït, comme pour celui du jour de Noël : Dominus dixit ad me, etc., dont le verset est : Quare fremuerunt gentes ; de même pour la fête de Innocents, dont l’introït est : Ex ore infantium, etc., le verset est : Domine, Deus noster, etc., et ainsi des autres. Ce qui se fait pour marquer l’union et la connexion du chef et des membres. Parfois le verset est double, parfois il est simple, parfois il est partagé : on parlera de tout cela dans la sixième partie, à l’article du Samedi de la troisième semaine de Carême. Pendant le chant de l’introït, on ne s’asseoit pas, parce que cette partie de la messe a rapport à l’œuvre et à la prédiction du Christ, afin que les prédestinés soient appelés au vrai culte de Dieu. Dans certaines églises, on dit des tropes (tropi), au lieu des psaumes, selon l’ordre établi par le pape [saint] Grégoire, pour marquer une plus grande joie de ra\énement 3u Christ.

VI. Le trope est, à proprement parler, un petit verset qu’aux principales festivités on chante immédiatement avant l’introït, dont il est comme le préambule et comme la continuation. Exemple : à la fête de Noël, avant l’introït Puer natus est, etc., on chante ce trope : Ecce adest, de quo Prophetæ cecinerunt, dicentes : Puer natus est, etc. Le trope tire son origine de l’ancienne loi. On lit, en effet, dans les Nombres, chapitre X, que pendant qu’on enlevait l’arche on chantait : « Lève-toi, Seigneur ; » et pendant qu’on la portait : « Reviens. Seigneur, à ta grande armée. »

VII. Le mot trope vient de tropos, conversion, parce qu’on s’en sert ordinairement pour revenir à l’introït, d’où vient que quelquefois on l’appelle d’abord verset (versus), et ensuite egeison[3]. Et de là aussi le trope est appelé ceinture (zona), quæ couvertitur ah umbilico ad umbilicum, eum circumeundo,

VIII. On peut aussi l’appeler autrement, parce que l’introït est la louange que l’Église donne à Dieu pour la conversion des Juifs. Le trope contient donc trois choses, savoir : l’antienne, le verset et le Gloria. Et cela à cause des trois ordres des fidèles, qui, dans la langue hébraïque, sont désignés ainsi : les patriarches, les prophètes et les apôtres. L’introït ou l’antienne, c’est l’ordre des patriarches, le verset celui des prophètes, le Gloria celui des apôtres. La répétition de l’antienne, c’est l’identité et la confirmation de la prédication ; comme si, en quelque sorte, le prophète avait prédit et l’apôtre évangélisé ce que longtemps auparavant le patriarche avait figuré par ses actions. Et, relativement à cette conversion, il faut aussi remarquer que les tropes solennels sont greffés en quelque chose sur l’introït, puisque les louanges qu’ils contiennent peuvent se souder à l’introït lui-même. Tropos en grec se traduit par conversio en latin, comme on l’a dit plus haut.

  1. On appelle l’introït office, parce que c’est par là que le chœur commence l’office de la messe.
  2. Tripudialis, dans Du Cange, a le sens de lœtus, jucundus. La danse est, en effet, la plus vive expression de la joie et de la gaieté. — Voyez la note 3, à la fin du volume.
  3. Qui éveille, excite, anime, de egeirô.