Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Quatrième livre/Chapitre 11

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Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 2p. 69-73).


CHAPITRE XI.
COMMENT L’ÉVÊQUE OU LE PRÊTRE ET SES MINISTRES DOIVENT SE TENIR DEVANT L’AUTEL.


I. Après avoir encensé l’autel, l’évêque ou le prêtre passe au côté droit de l’autel : là, il récite en union avec ses assistants tout ce qui a rapport à cette partie de l’office de la messe, et il dit le Kyrie eleison. Ce passage du milieu de l’autel au côté droit signifie le passage du Christ à la vie éternelle, de la passion par la résurrection. En allant de gauche à droite, le célébrant imite le Christ entrant dans le monde : en effet, le Christ a atteint le côté gauche lorsqu’il a pris la vie du temps, et il a passé à droite quand il éleva son corps jusqu’à la droite de Dieu.

II. Ce mouvement du célébrant, qui lui fait gagner la droite, signifie encore que l’Emmanuel promis dans l’ancienne loi vint d’abord aux Juifs avant d’aller aux Gentils. Les Juifs alors étaient à droite, à cause de la loi, et les Gentils en quelque sorte à gauche, parce qu’ils adoraient les idoles. Donc, le prêtre, orné des sacrés vêtements, symbolise le Christ revêtu de la chair de notre humanité ; son arrivée à l’autel marque que le Christ est venu des cieux vers son peuple pour le sauver. Lorsque le célébrant passe à droite, il marque que le Christ, en venant au monde, alla d’abord vers les Juifs, au milieu desquels il voulut naître ; car la bienheureuse Marie était juive. On parlera de ce passage à droite, au chapitre du Changement de Place du Prêtre et de celle qu’il tient. Et remarque que, quand le seigneur Pape célèbre ou entend la messe, ses chapelains lisent l’introït, le Kyrie eleison, le Gloria in excelsis, le Credo, le Sanctus et l’Agnus Dei ; ils ne lisent pourtant pas le graduel, l’Allelu-ia, le trait, l’offertoire et la post-communion, parce que ces parties de la messe sont autant d’instructions et d’explications dont le Pape a lui-même besoin de se pénétrer. Il est à remarquer que le prêtre se tient debout et droit devant l’autel, pour montrer que le Christ est venu régir les siens par son invincible enseignement, et le prêtre se tourne vers l’orient parce que le Christ n’a pas cherché à faire sa propre volonté, mais celle de son Père ; il ne regarde pas derrière lui, autant parce que le Christ regarde toujours la face de son Père, selon cette parole : « Je sais d’où je viens et où je vais, » que parce que « quiconque ayant mis la main à la charrue regarde derrière soi, n’est point propre au royaume de Dieu » (Extra De voto magnœ). Enfin, le prêtre tourne le dos au peuple, pour figurer ce que le Seigneur dit à Moïse : « Tu me verras par derrière, mais tu ne pourras voir ma face » (Exod., cap. xxxiii).

III. Cependant les évêques et les archevêques (superiores), lorsqu’ils célèbrent les saints mystères, ne restent pas devant l’autel, mais en sont un peu éloignés à droite, où ils demeurent jusqu’après le chant de l’offertoire, et cela a lieu d’abord pour représenter que c’est du côté du Christ que notre rédemption a commencé à sortir.

IV. En second lieu, cela se fait non-seulement pour imprimer une plus grande solennité à la messe et pour que l’évêque soit ainsi distingué des prêtres, ses inférieurs, mais encore parce qu’à la messe l’évêque figure non-seulement la dignité et l’excellence du Christ et son oblation, mais aussi son humilité et son obéissance dans sa propre offrande et consécration. Car le Christ est égal à son Père en dignité, et il siège à la droite de Dieu le Père, comme on le lit dans le Symbole ; ce que représente le prélat debout, avant l’offrande, à la droite de l’autel. Dans l’oblation de soi-même, le Christ s’est fait hostie pour nous, et voilà pourquoi le prélat, qui est son type, dès le moment de l’offrande doit s’attacher tout entier à cet autel, qui figure celui de la croix.

V. En troisième lieu, comme les actions des prélats doivent être soumises dans leurs vues à la doctrine divine, voilà pourquoi l’évêque reste jusqu’à l’offrande à l’écart de l’autel, et à ce moment il s’approche de l’autel pour se laver les mains, encenser et sacrifier, afin de montrer ainsi que tout ce qui compose la première partie de la messe n’est que cérémonies et louanges (De cons., d. ii. Panis est). Mais au moment de l’offrande il s’apprête à faire l’essence ou la substance même du saint sacrifice.

VI. Quatrièmement, il représente ainsi le pontife de l’ancienne loi lorsqu’il entrait dans le saint des saints, portant des charbons et couvert de sang, comme nous en avons touché un mot dans la préface de cette partie.

VII. Cinquièmement, c’est pour représenter ce que dit le Prophète : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que je réduise tes ennemis à servir d’escabeau à tes pieds. » Le prêtre, qui représente en effet le Christ, s’asseoit à la droite de l’autel (symbole, dans l’Eglise, de Dieu le Père), jusqu’à ce qu’il y remonte pour consacrer l’hostie par laquelle les portes de l’enfer sont brisées, et ses ennemis les démons vaincus et mis sous ses pieds comme un escabeau. Et les assistants de l’évêque, savoir, le diacre et le sous-diacre, par leur position un peu en arrière de lui en présence de l’autel (quoiqu’ils aient marché devant lui pour l’y conduire), représentent les témoins (martyres) de l’Ancien-Testament, qui furent couronnés, comme ils l’avaient mérité, après la naissance du Seigneur. Et chaque fois qu’il va d’un côté à l’autre de l’autel, ils le suivent par derrière, pour montrer que l’admonition du Seigneur s’est accomplie, lorsqu’il dit : « Celui qui me sert doit me suivre, etc. » Les assistants de l’évêque ont toujours les yeux fixés avec sollicitude sur tous ses mouvements, pour montrer que les fidèles, bien que vivant de la vie de ce monde, tendent cependant toujours à la vie éternelle en la compagnie du Christ. Dans certaines églises, lorsque l’évêque se tourne vers le peuple, ils se tournent aussi vers le peuple, et se retournent en même temps que l’évêque du côté de l’autel. Car le Christ, pendant sa vie mortelle, quittait la prière pour la prédication, et parfois la prédication pour la prière, ce que figure l’action de se tourner vers le peuple et de se retourner vers l’autel. En quoi le Christ doit être surtout imité par les prédicateurs, que désignent avec raison les assistants de l’évêque.

VIII. Le pape Anaclet (De cons., dist. i, Episcopus) ordonna que l’évêque, lorsqu’il offrirait le saint sacrifice, aurait pour témoins les diacres, qu’on appelle ses yeux, les sous-diacres et autres assistants. Et il voulut que tous, revêtus des vêtements sacrés, se tinssent de front devant et derrière lui, et qu’il eut un prêtre de chaque côté, c’est-à-dire à droite et à gauche ; que tous eussent le cœur contrit, l’esprit humble, le visage incliné, et qu’ils le gardassent des malveillants, et qu’ils prêtassent leur concours au saint sacrifice. Et, selon le pape Lucius (De consec., dist. i, Jubemus), les assistants n’abandonneront pas l’évêque, parce qu’à cause des malveillants il faut qu’il reçoive un bon témoignage de la part de ceux qui sont dehors. Il fut encore établi que le célébrant aurait derrière lui un aide et un consolateur, comme on l’a dit dans la préface de cette partie. Et c’est pourquoi, dans certaines églises, quelques diacres se tiennent debout derrière l’évêque, dans l’attitude de la prière, pour le suivre jusqu’à la mort et pour passer avec lui à la vie éternelle. Cependant, le plus grand nombre des assistants demeure à droite de l’autel, et la moindre partie à gauche, parce que l’Église demande deux bénédictions, la bénédiction temporelle et la bénédiction éternelle, afin que nous passions par les biens de ce monde de telle façon que nous ne perdions pas ceux de l’éternité. En outre, les susdits assistants, qui se tiennent derrière l’évêque et la tête inclinée, restent dans cette position jusqu’à la fin de l’oraison dominicale, et représentent ces apôtres qui, pendant la passion du Seigneur, oppressés par une grande tristesse, n’osaient pas se lever de terre pour confesser qu’ils étaient les disciples du Christ. Cependant ils étaient couchés sur la figure de la foi. Ensuite, les assistants se relèvent, comme on le dira à l’article de la deuxième partie du Canon, aux mots : Nobis quoque peccatoribus. Les assistants figurent encore à nos yeux le chœur des saints martyrs qui demeureront dans cette vallée de larmes jusqu’au moment de la dernière tribulation. Puis, les assistants se lèvent, parce qu’après avoir rendu témoignage, les martyrs se relèvent couronnés, c’est-à-dire à l’abri de toute persécution. Les assistants qui se tiennent la face inclinée représentent les femmes qui, la tête baissée, se rendirent du cénacle au tombeau, emportées dans leur course par l’ardeur de leur amour pour le Christ.

IX. Le prêtre assistant, pendant les instants de repos, met le missel sur un coussin moelleux, pour montrer que le cœur du chrétien doit être dévoué et tendre, et que pour recevoir facilement les divines impressions il doit se mettre sous le joug du Seigneur et des préceptes du ciel, selon cette parole du Sage : « Que ton cœur reçoive mes paroles, etc. ; » afin que l’esprit du Seigneur repose en lui. On parlera encore de ce coussin (pulvinar) à l’article de l’Évangile.