Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Quatrième livre/Chapitre 16

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Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 2p. 101-107).


CHAPITRE XVI.
DE L’ÉPITRE.


I. L’oraison finie, on dit l’épître, qui signifie la doctrine des apôtres ; et c’est avec convenance qu’elle est précédée d’une oraison, parce qu’on lit en [saint] Luc, chapitre x : « Priez le maître de la moisson d’envoyer ses ouvriers pour couper son blé. » Epistola vient du grec, et veut dire en latin ajoût ou surérogation ; ce mot se compose d’ipi, sur, dessus, et de solon, mission, envoi. L’épître, en effet, a été mise par les apôtres en surplus de la loi de Moïse, en surplus du Psalmiste et des Prophètes, en surplus de l’Évangile, comme les prophéties étaient en surplus de la loi. D’où vient que les lettres qu’échangent deux personnes de l’une à l’autre et qu’elles s’envoient sont nommées épîtres, comme qui dirait surmises ou mises sur, ou ajout, addition, supplément à ce que le messager dit de vive voix, comme l’Apôtre, quand il dit aux Ephésiens, aux Corinthiens et autres fidèles qu’il leur envoyait des épîtres.

II. Selon maître Pierre d’Auxerre, on doit lire l’épître à droite dans l’église, parce que le Christ est d’abord venu aux Juifs, qu’on désignait par le côté droit. Cependant il est mieux de faire cette lecture au milieu de l’église, parce que [saint] Jean-Baptiste sépara les apôtres des prophètes, comme on le dira bientôt. On dit aussi l’épître dans un lieu bas et après l’avoir posée sur un drap, dont on parlera à l’article de l’Évangile.

III. On dit l’épître avant l’évangile, parce que l’épître désigne la mission que remplit Jean avant le Christ, en marchant devant le Seigneur pour lui préparer les voies, comme lui-même l’atteste : « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : Préparez la voie du Seigneur. » Donc Jean est en quelque sorte le sous-diacre et l’assistant de Celui qui a dit de lui-même : « Je ne suis pas venu pour être servi. » Or, de même que la prédication de Jean a précédé celle du Christ, ainsi l’épître précède l’évangile. L’épître est encore la figure de la loi et des prophètes, qui précédèrent l’avènement du Christ, comme elle-même précède l’évangile. La loi a précédé l’Évangile comme l’ombre la lumière, comme la crainte l’amour, et comme le commencement la fin.

IV. Un seul acolyte accompagne le sous-diacre quand il va lire l’épître, parce que peu d’hommes suivirent la prédication de Jean, parce que la loi ne conduit personne à la perfection. Au contraire, les sous-diacres, les acolytes et autres accompagnent le diacre qui va lire l’évangile, parce qu’un grand nombre d’hommes ont reçu la prédication de l’Évangile, qui enfante la perfection. On peut encore dire que la marche du sous-diacre et du diacre, lorsqu’ils vont lire, signifie la double manifestation du Christ par son double avènement, dont le premier n’a eu qu’un seul précurseur, savoir, Jean, figuré par le sous-diacre qui précède le diacre quand il va pour lire l’évangile. Dans le second avènement, il aura deux précurseurs, savoir, Enoch et Elie, ce que figure le diacre précédé de deux ou plusieurs clercs quand il va lire l’évangile.

V. Celui qui lit l’épître doit avoir le visage tourné en face de l’autel, symbole du Christ, parce que la prédication de Jean le conduisait, lui et les autres, au-devant du Christ, de la face duquel procèdent le jugement et l’équité (Extra De eccl. ben. ut nostrum). Celui qui précède le sous-diacre quand il va lire l’épître ne tourne pas sa figure du côté du lecteur, parce que Jean ne se tournait pas vers ses auditeurs, mais plutôt vers le Christ ; tandis que ceux qui précédent le diacre allant lire l’évangile se tournent vers l’évangile et regardent le visage de celui qui le lit : Premièrement, pour que, par leurs mutuels regards, ils fassent connaître l’amour et la charité du Christ que l’évangile annonce. Deuxièmement, c’est pour montrer qu’ils sont tous ensemble les témoins de la doctrine évangélique, comme on le lit dans Isaïe : « Vous êtes témoins de ce que je dis, » dit le Seigneur. Et Jean fut la limite placée entre l’Ancien et le Nouveau-Testament ; il est au milieu, entre les apôtres et les prophètes. Car la loi et les prophètes viennent jusqu’à Jean, et à partir de lui le royaume de Dieu a été évangélisé. C’est pourquoi l’épître n’est pas toujours tirée des prophètes ou des apôtres, mais parfois prise de l’Ancien-Testament et parfois du Nouveau. Or, Jean, dont l’épître figure la voix, a prédit avec les anciens la venue du Christ, quand il a dit : « Celui qui doit venir après moi m’a été préféré ; » et il a montré le Christ présent avec les modernes, en disant ; « Voici l’Agneau de Dieu qui porte les péchés du monde. » Donc, parfois l’épître est tirée des apôtres, parce que, quoique leur enseignement n’ait pas précédé l’évangile, cependant il se rapporte à la vie éternelle, comme la loi et les prophéties ; et parfois l’épître se tire de l’Ancien-Testament, rarement pourtant, parce que le voile du temple fut déchiré et qu’on ne doit pas mettre de rideau devant les yeux. Cependant l’épître ne se prend pas dans les cinq livres de Moïse, parce qu’ils ne contiennent que des promesses temporelles ; en signe de quoi les leçons qu’on leur emprunte se terminent par un chant grave, comme on le dira bientôt.

VI. Il faut considérer que, quand la leçon (lectio) ou l’épître est prise des livres de Moïse ou de Salomon, on prononce leur nom, comme on le dira dans la préface de la sixième partie. Dans les épîtres qui sont tirées des Prophètes, des Actes des apôtres ou de l’Apocalypse, on dit au commencement cette oraison : In diebus illis, et à la fin : Ait Dominus omnipotens, parce qu’on rencontre souvent ces formules dans ces livres. Pour la même raison on dit dans les épîtres de [saint] Jacques et de [saint] Pierre : Charissimi, et dans les épîtres de [saint] Paul : Fratres et In Christo Jesu Domino nostro. Cependant, dans l’épître aux Hébreux il y en a qui disent qu’on ne doit pas mettre cette formule : Fratres, parce que l’Apôtre était suspect aux Hébreux ; mais il est mieux de s’en servir, parce qu’il y en avait de bons parmi eux, que Paul lui-même appelle frères dans un endroit de la même épître. Pour la même raison précitée, on dit avant l’évangile : In illo tempore. Cependant, à proprement parler, aucune épître n’est tirée de l’Ancien-Testament ; mais ces dernières reçoivent le nom de leçons (lectiones). Enfin, quoique dans les épîtres tirées de l’Apocalypse on dise : Lectio libri Apocalypsis beati Joannis apostoli, cependant dans certaines églises on ne dit pas ce mot : beati… apostoli ; car on sait avec certitude qu’entre tous les apôtres le bienheureux Jean fut principalement chéri par le Christ. Et l’amour de Dieu nous rend bons, car, « heureux celui que tu as choisi et pris à ton service. » Donc, à cause de cette considération, il est superflu de lui donner le titre de saint comme aux autres bienheureux, ce qui serait en quelque sorte porter de la lumière au soleil (VI, q. i, cap. Omnia), puisque Dieu, dans son amour. Fa évidemment distingué des autres, et lui a ainsi décerné de sa main un titre patent de sainteté.

VII. Au reste, personne ne doit lire solennellement l’épître dans l’église s’il n’est pas sous-diacre ; si l’on n’avait pas de sous-diacre, ce serait au diacre à la lire, comme nous l’avons dit dans la seconde partie, au chapitre du Sous-Diacre et du Diacre. En l’absence du diacre, c’est au prêtre à lire l’épître : car il est mieux que le prêtre, même quand il chante la messe, lise l’épître que de confier ce soin à un acolyte ou à un autre clerc d’un ordre inférieur. Sur quoi il faut remarquer qu’on instruit le peuple par la parole de Dieu, laquelle est transmise de Dieu par la bouche de ses ministres au peuple ; et voilà pourquoi ce qui a rapport à l’instruction du peuple n’est pas l’office du prêtre, mais de ses assistants.

VIII. Le ministère de la parole de Dieu est triple. C’est, en premier lieu, un ministère d’autorité, et il appartient au Christ, qui est appelé ministre dans l’évangile (S. Math., chap. vii) : « Il les instruisait comme ayant autorité. » Deuxièmement, c’est un ministère de manifeste vérité, et il appartient aux prédicateurs du Nouveau-Testament. Il en est parlé dans la deuxième épître aux Corinthiens, chapitre iii, en ces termes : « C’est le Christ aussi qui nous a rendus capables d’être les ministres de la nouvelle alliance. » Troisièmement, c’est un ministère figuratif, et il appartient aux prédicateurs de l’Ancicn-Testament ; voilà pourquoi le diacre propose l’enseignement du Christ. Pour l’enseignement des prédicateurs de l’Ancien-Testament, il est exposé par les sous-diacres. Et rien ne s’oppose à ce que quelquefois ils lisent, au lieu de l’épître, quelque chose de l’Ancien-Testament, parce que les prédicateurs du Nouveau-Testament prêchent aussi l’Ancien. Mais on ne lit pas toujours la doctrine des prédicateurs de l’Ancien-Testament, et cette lecture n’a lieu qu’aux jours où l’on indique la ressemblance qui existe entre le Nouveau et l’Ancien-Testament, comme aux jeûnes des Quatre-Temps, et lorsqu’on célèbre quelque objet dont la figure est dans l’Ancien-Testament, comme la passion du Christ, sa nativité, son baptême et autre événement de ce genre. Et parce que cet enseignement partage en deux classes ceux qui allaient devant le Christ et ceux qui le suivaient, voilà pourquoi l’enseignement du Christ ne vient qu’après et comme à la fin de la marche. Lorsqu’on dit l’épître, nous ne fléchissons pas les genoux, parce qu’il se rapporte au Nouveau-Testament ; mais nous nous asseyons, parce que la doctrine doit être écoutée dans le silence et le repos.

IX. La coutume de s’asseoir vient de l’Ancien-Testament, comme on le lit dans Esdras. Cependant les chevaliers ont la coutume de se tenir debout pendant la lecture des épîtres de [saint] Paul, pour lui faire honneur, parce qu’il fut un guerrier (et c’est pour figurer son premier état qu’on le représente une épée à la main), ou parce qu’il a donné le nom d’évangile à sa prédication. Et sachez qu’on ne lit jamais d’épître de [saint] Paul pendant le Carême, excepté le Jeudi saint, parce que ce jour a rapport au Nouveau-Testament.

X. On ne sait pas très-bien quel est celui qui le premier a établi qu’on devrait lire les épîtres et les évangiles avant le saint sacrifice. On croit pourtant que ce sont les premiers successeurs des apôtres, parce que cet usage est indiqué chez eux.

XL On demande pourquoi nous finissons la lecture des prophéties en laissant tomber la voix plus bas, tandis que nous terminons l’évangile et l’épître en élevant la voix ? Je réponds que c’est parce que, par les prophéties contenues dans l'Ancien-Testament, on représente la synagogue qui s’inclina et tomba, et voilà pourquoi on finit de lire les prophètes en baissant la voix et en la laissant en quelque sorte tomber. C’est aussi pour cette raison que l'on représente la synagogue s’appuyant sur un étendard dont la lance est brisée. Mais l’évangile et l’épître représentent l’Église militante, qui a été exaltée, et c’est pourquoi on termine à voix haute l’épître et l’évangile. En outre, dans l’Ancien-Testament il n’y a que des promesses temporelles et caduques, et c’est pour les figurer qu’on finit les leçons d’une voix basse ; tandis que dans le Nouveau-Testament les promesses sont spirituelles et éternelles : pour les symboliser, on termine d’une voix haute l’évangile et l’épître. Cependant on termine sur un ton élevé certaines leçons tirées de l’Ancien-Testament, qu’on lit souvent à la messe pour remplacer les épîtres, et on les lit sur le même ton que l’épître, parce qu’alors elles en tiennent lieu ; et cela est convenable, parce qu’elles doivent reproduire le nom et la forme de l’épître.