Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Quatrième livre/Chapitre 55

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Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 2p. 401-403).


CHAPITRE LV.
DE L’ABLUTION (PERFUSIO).


I. Après avoir reçu le sacrement de l’eucharistie, le prêtre lave et arrose ses doigts, de peur qu’il n’y reste ou n’y adhère quelque parcelle par suite du contact avec le divin sacrement, non que ses doigts aient contracté quoi que ce soit d’impur par ce contact, mais plutôt pour que le prêtre se ressouvienne de son indignité, se jugeant indigne de célébrer d’aussi grands sacrements, selon ce que dit le Seigneur : « Lorsque vous aurez bien fait toutes choses, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles. » De même aussi le prêtre de l’ancienne loi était impur jusqu’au soir après l’immolation de la génisse rousse ; d’où vient qu’il lavait tous ses vêtements. En effet, ce serait une imdignité que les mains qui ont touché le corps incorruptible du Christ touchassent un corps corruptible, ou bien des choses communes de la vie, avant d’avoir été soigneusement lavées. C’est pourquoi, à la fin de la messe, après avoir quitté les ornements sacrés, quelques prêtres lavent encore une fois leurs mains. L’eau de l’ablution doit être versée dans un lieu propre et convenable, pour que la grandeur du sacrement soit respectueusement honorée.

II. La triple ablution du prêtre, qui a lieu au commencement, au milieu et à la fin de la messe, désigne donc la purification des pensées, des paroles et des actions, ou la destruction des péchés originel, véniel et mortel, soit que l’on ait agi par ignorance, par négligence ou mauvaise volonté ; et pour la purification de ces fautes on offre le sacrifice du salut (De consec., d. ii, Cum omne, in princ). Cependant cette ablution peut signifier l’ablution du baptême, dont le Christ institua la forme après sa résurrection, en disant : « Allez, instruisez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ; celui qui croira et sera baptisé sera sauvé. »

III. Or, le prêtre purifie ses doigts et prend l’eau qui a servi à cette purification au côté droit de l’autel, ou du moins tourné dans cette direction : Premièrement, pour la raison que nous avons touchée au chapitre de l’Ablution des mains. Deuxièmement, parce que ce même côté signifie le peuple juif, parmi lequel le Christ a pris sa nature humaine. Or, de même qu’il a reçu cette nature des Juifs, c’est par eux aussi qu’il a délivré cette nature de toutes les faiblesses qu’il avait prises avec elle. En effet, il a été mis à mort par les Juifs ; sa mort a été suivie de sa résurrection, dans laquelle il s’est dépouillé de toutes les faiblesses pour revêtir les vertus contraires. Or, c’est pour représenter cela que le prêtre fait l’ablution et la prend au côté droit de l’autel, ou du moins tourné dans cette direction. Troisièmement, parce que, comme plusieurs le disent, cette purification désigne Pilate, qui se lava les mains pour que le sang du juste retombât sur les Juifs, désignés par le côté droit de l’autel. Quelques-uns, après avoir pris l’ablution, inclinent le calice pour montrer que le sépulcre est vide, parce que le Christ est ressuscité et est sorti du tombeau[1].

  1. Purifier un vase, c’est en ôter ce qui n’est pas de ce vase ; c’est poùrquoi l’ablution du calice et de la bouche du prêtre, qui se fait afin qu’il n’y reste rien du corps et du sang de Jésus-Christ, s’appelle purification. Durant les douze premiers siècles de l’Église, cette ablution ne se faisait pas communément. Les liturgistes, jusqu’au Traité des Mystères, par Innocent III, à la fin du XIIe siècle, marquent seulement que le prêtre se lave les mains, qu’on jetait l’eau dans un lieu propre et honorable qu’on appelait la piscine ou le lavoir, et qu’on jetait aussi dans le même endroit ce qui avait servi à laver le calice. Mais, pour un plus grand respect et une plus grande précaution, les prêtres ont jugé à propos de prendre l’ablution, dans laquelle il peut y avoir quelque particule du corps ou du sang de Jésus-Christ. Le pape Innocent III, quinze ou seize ans après son Traité des Mystères, écrivit, l’an 1212, à l’évêque de Maguelonne que le prêtre doit toujours faire l’ablution avec du vin et la prendre, à moins qu’il ne dût dire une autre messe ce jour-là. Cette ablution était en usage depuis longtemps parmi les ordres religieux. On voit, dans les anciennes Coutumes de Cluny et de Saint-Bénigne de Dijon (dans D. Martenne, De Rit. monach., p. 189 et seq.), que le prêtre prenait le vin avec lequel il purifiait le calice ; qu’il lavait aussi ses doigts dans un autre calice, et qu’après avoir pris cette ablution il purifiait encore le calice avec du vin qu’il prenait aussi. Ces ablutions avec le vin n’empêchaient pas que le prêtre ne se lavât les mains ou les doigts dans la piscine qu’on voit encore auprès de l’autel en plusieurs églises.
    Quant à la prière Quod ore sumpsimus, que le prêtre dit après l’ablution, il paraît, par les Heures de Charles-le-Chauve, qu’au IXe siècle les fidèles disaient cette oraison après avoir communié ; et, comme chacun se l’appliquait en particulier, on y lit au singulier : Quod ore sumpsi. On lit de même : Quod ore sumpsi, au singulier, dans un Missel du XIIe siècle, de l’abbaye de Marchienne, au diocèse d’Arras ; dans ceux de Saint-Vaast, d’Arras, vers le même temps ; dans les anciens imprimés de Meaux, etc. ; peut-être parce que les prêtres, récitant cette oraison secrètement, se la sont appliquée en particulier