Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Cinquième livre/Chapitre 08

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Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 3p. 117-120).


CHAPITRE VIII.
DE NONE.


C’est à l’heure de none que le Christ, poussant un grand cri, rendit l’ame ;

I. Car il a voulu mourir pour l’homme à cette heure où l’homme fut chassé du paradis. C’est à cette même heure que, par une femme et l’arbre de la croix, il racheta ceux que l’ennemi avait trompés par le moyen d’une femme et d’un arbre, afin que l’artifice trompât l’artifice, et que ce dont l’ennemi s’était servi pour la blessure portât aussi le remède. C’est encore à cette même heure qu’un soldat ouvrit le côté du Christ, d’où il a tiré pour nous les deux sacrements de notre salut, c’est-à-dire l’eau du baptême et le sang de notre rédemption ; que le voile du temple se déchira, et que les tombeaux s’ouvrirent. C’est à la même heure qu’il pénétra dans les enfers, brisa les ténèbres inextricables du Tartare, en mit les verrous en pièces, et transporta avec lui dans les cieux la captivité des saints, et, après avoir écarté le glaive flamboyant de l’ange, rétablit dans le paradis ses anciens habitants. C’est encore à cette même heure que les apôtres avaient coutume de se rassembler pour prier, et que Pierre et Jean montaient au temple pour la prière. Pierre aussi, à la même heure, monta au Cénacle pour prier, quand il fut ravi en extase et qu’il aperçut un linge plein de reptiles descendre du ciel à ses pieds et entendit cette voix : « Pierre, tue et mange. » C’est donc avec raison, à cause de ces prérogatives, que l’Eglise loue Dieu en disant le psaume Mirarabilia et le répons Redime me, Domine, priant pour sa rédemption, pour qu’elle ne paraisse pas oublier que ce fut à cette heure qu’elle fut rachetée.

II. Or, il faut considérer qu’à cette heure de none, déjà le soleil a décliné de son midi ; l’état du temps insinue donc l’état des vertus, car il insinue que la ferveur des vertus où l’esprit se trouvait auparavant s’est attiédie sous l’influence des tentations, car, comme le dit le bienheureux Grégoire, « les vices nous tentent, les vertus nous humilient. » En effet, quand l’homme parfait est tenté, quoiqu’à la hauteur d’une joie intime, il descend de cette hauteur pour considérer sa fragilité et pour voir combien il est exposé à faire une chute, comme il est évident, d’après l’Apôtre, qui disait : « De peur que la grandeur des révélations ne m’enorgueillisse. » Car saint Paul se réjouissait de la révélation, et éprouvait de la douleur de la tentation ; d’où il dit lui-même : « J’ai prié trois fois le Seigneur, etc. » Car, si la tentation ne lui eût pas été à charge, il n’aurait pas prié le Seigneur de l’en délivrer. Elle ne disparaît pas, cependant, parce que la vertu, à qui la joie est due, est perfectionnée par l’infirmité ou la faiblesse. Ces tribulations et ces détresses sont indiquées dans quelques versets des psaumes de none, comme dans la première partie : Tribulatio et angustia, etc., et dans la seconde : Multi qui persequuntur, et dans la troisième : Erravi, etc. Nous demandons à être délivrés des mêmes choses dans le répons Redime me, c’est-à-dire fais que je ressente au milieu de mes tribulations l’effet de la rédemption qui s’est opérée dans ton sang ; cela même se trouve dans ce verset : Ab occultis meis munda me, « Purifie moi de mes péchés cachés ou intérieurs, » c’est-à-dire : Repousse loin de moi les mauvaises pensées, et réprime celui qui nous les inspire, selon saint Augustin.

III. Et remarque que les répons des dimanches aux trois heures, c’est-à-dire à tierce, à sexte et à none, s’accordent très-bien avec les répons des jours ouvrables ; car, les jours ouvrables, dans le répons de tierce, c’est-à-dire Sana animam meam, on demande la guérison des blessures causées par les péchés passés, comme dans le répons du dimanche Inclina cor meum, etc. Dans le verset Averte oculos meos, etc., on demande à être prémuni contre les péchés futurs, ce qui s’obtient par l’accomplissement des préceptes divins ; de même, dans le répons des jours ouvrables de sexte, Benedicamus Dominum, etc., on promet à Dieu des louanges incessantes ; dans le répons du dimanche, In æternum, Domine, on accomplit cette promesse : car dans l’un on promet de louer, dans l’autre on loue effectivement. Dans le répons des jours ouvrables de none, Redime me, Domine, on demande des sentiments affectueux pour la rédemption, ce qui se fait afin que la partie vivace de l’ame, c’est-à-dire l’amour, soit dirigé vers Dieu. Dans le répons du dimanche, Clamavi, etc., on promet l’effet des œuvres (pedis), c’est-à-dire de l’amour, à savoir le cri dirigé vers Dieu, car le cri du cœur procède de l’amour. Cependant, dans plusieurs églises les répons des jours ouvrables sont les mêmes que ceux des dimanches. Et il faut remarquer que les versets qui se disent à tierce, à sexte et à none, ont un neume, pour désigner que dans aucune heure nous ne pouvons exprimer une joie et une récompense éternelles. On dit quelquefois le capitule Omnia probate (Thessal., c. v.), et quelquefois celui-ci : Sicut uno in corpore multa membra habemus (Rom., c. xii), de même que dans un même corps nous avons beaucoup de membres.