Rational (Durand de Mende)/Volume 5/Septième livre/Chapitre 12

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Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 5p. 55-58).


CHAPITRE XII.
DE LA RÉVÉLATION DE SAINT MICHEL.


I. L’Église célèbre la fête des anges pour deux raisons. La première, c’est parce qu’ils nous aident de leur ministère ; car ils sont tous les ministres de l’Esprit saint, chargés d’une mission auprès de ceux qui prennent et reçoivent l’héritage du salut, comme on le lit dans la 1re aux Hébreux. La seconde raison, c’est parce qu’ils combattent en notre faveur contre les anges mauvais, et ils ne permettent pas que nous soyons tentés au-dessus de nos forces. Touchant ce combat il est dit dans l’Apocalypse : « Un combat eut lieu dans le ciel, » Cette guerre aura lieu surtout dans le temps de l’Antéchrist, et a eu lieu à la mort des martyrs, et elle existe toujours. « Et le dragon, c’est-à-dire le diable, fut chassé du ciel, » c’est-à-dire loin des hommes célestes, et renvoyé dans le cœur des méchants. Or, le chef de cette guerre est le très-bienheureux Michel ; c’est pourquoi on célèbre une fête en son honneur, bien qu’il soit de la dernière hiérarchie, c’est-à-dire de l’ordre inférieur des anges ; car il y a neuf ordres d’anges, comme il a été dit dans la quatrième partie, au chapitre de la Préface ; il y a, dis-je, neuf ordres d’anges qui, bien que tous soient envoyés, puisqu’ils sont les ministres de l’Esprit et qu’on lit dans Isaïe (chap. vi) qu’un des séraphins fut envoyé vers lui, cependant sont rarement envoyés.

II. D’où vient que Daniel dit : « Des milliers de milliers le servaient, etc. » Michel est le prince de ceux qui sont envoyés ; Michel fut le prince de l’Église des Juifs, comme on le voit dans Daniel ; maintenant il est le prince de l’Église des chrétiens, car l’Église qui est maintenant chez les chrétiens fut jadis chez les Juifs.

III. Or cette fête, qui est la commémoration de la victoire de saint Michel, tire son origine du fait suivant. Pendant que les Barbares ravageaient l’Apulie, les chrétiens, par un jeûne de trois jours, qui avait été prescrit, implorèrent l’assistance de saint Michel. Par le secours visible de cet ange, trois fois les Barbares furent mis en fuite et les chrétiens remportèrent la victoire. On l’appelle encore la fête de la Révélation, parce que ce fut sur le mont Gargan, comme on va le voir, que se révéla saint Michel. Assurément Michel, Gabriel, Raphaël, sont des noms personnels qui appartiennent à des anges ; mais il y a d’autres noms qui appartiennent aux ordres des anges, comme il a été dit dans la quatrième partie, au chapitre de la Préface.

IV. Mais, puisque cette fête est commune à tous les anges, pourquoi spirituellement l’appelle-t-on la fête de saint Michel et non de Gabriel ou de Raphaël ? Je réponds : Michel est l’ange qui a été envoyé en Égypte, qui a fait ces fameuses plaies d’Égypte, qui a séparé la mer Rouge, qui a dirigé le peuple à travers le désert et l’a conduit dans la terre de promission. C’est lui qui est le chef et le gardien du paradis ; c’est lui qui est chargé de recevoir les âmes et qui est le prince de l’Église ; c’est pourquoi nous devons le vénérer plus que les autres. La seconde raison, c’est qu’il a fondé l’Église et consacré l’autel ; d’où il est dit : « L’ange se tint près de l’autel du temple, etc. » Cela eut lieu sur le mont Gargan. Ensuite l’ange le révéla aux hommes par le moyen de l’évêque de cette région. La troisième raison, c’est afin que les hommes, vénérant les anges, parviennent à partager leur sort ; et c’est pour cette raison que, les dimanches et les fêtes solennelles, on chante neuf psaumes, neuf leçons et neuf répons, afin que par ce chant nous parvenions à la société des neuf ordres des anges, dont la charge est de célébrer Dieu dans leurs chants.

V. Or l’Église, partageant la joie des anges, leur dit dans l’introït : « Bénissez le Seigneur, vous tous qui êtes ses anges, » Benedicite Dominum, etc. Et comme les anges louent Dieu, nous devons également le louer ; c’est pourquoi suit le verset Benedic, anima mea, Dominum, « Mon ame, bénis le Seigneur. » L’épître, tirée de l’Apocalypse, est : Significavit Deus, etc. (c. i), où suivent ces mots : Joannes septem ecclesiis, etc., « Jean aux sept églises, etc. » Par les sept églises ou par les sept esprits, quant à l’intelligence ou au sens qui appartient à ce jour, on entend l’universalité des anges, et par les sept jours on entend le cours de la vie présente. Suit le répons Benedicite et le verset Benedic, par la raison donnée ci-dessus. L’Alleluia est : In conspectu angelorum psallam tibi, « Je te chanterai et te célébrerai en présence des anges. »

VI. Or, l’Église parle ainsi, parce que les anges sont prêts à porter nos prières devant le trône de Dieu. Car sans cesse ils se tiennent à nos côtés, nous regardent et nous épient ; d’où vient qu’on lit dans le Cantique des cantiques : « Toi qui habites dans le jardin de l’ami, les anges te regardent. » Leur compassion pour les bons, et la souffrance et l’espèce de jalousie et de chagrin qu’ils éprouvent à l’occasion des méchants, sont cause qu’ils ont sans cesse les yeux sur nous. Suit l’évangile : Accesserunt, etc. (Math., chap. viii), dans lequel on nous ordonne de bien nous garder de scandaliser les petits enfants, parce qu’il y est fait mention des anges. « En vérité, y estil dit, je vous le déclare, leurs anges dans les cieux, voient toujours la face de mon Père qui est dans les cieux, »

VII. On montre dans l’offertoire qu’ils sont toujours prêts à porter devant Dieu nos prières : Stetit Angelus juxta aram templi (Apocalypse, chap. viii) ; et data sunt ei incensa multa, « et on lui donna beaucoup d’encens, » c’est-à-dire les prières allumées au feu de la charité ; et ascendit fumus aromatum, « et la fumée des aromates monta, » c’est-à-dire la prière monta jusqu’au trône de Dieu, présentée par l’Ange. Dans la postcommunion, il a plu à l’Église de bénir comme précédemment ; c’est pourquoi il y a des églises qui disent : Benedicite, angeli, Dominum. Or, ce que l’on dit, savoir que saint Michel combattit contre le dragon, s’entend dans un sens allégorique. Dans ce sens, Michel signifie le Christ. Dans le sens historique, on lit ou l’on décrit dans l’Église que le diable, en faveur des fidèles ou à cause des fidèles, fut chassé par le ministère de Michel et des autres anges. En cette fête on dit le capitule Significavit ; et celui-ci, Beatus qui luget ; et celui de Jean, Septem quæ sunt (Apocalypse, chap. i).