Ravensnest/Chapitre 12

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Ravensnest ou les Peaux-Rouges
Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne, Perrotin, Pagnerre (Œuvres, tome 27p. 140-149).

CHAPITRE XII.


On aura en Angleterre pour un sou, sept pains d’un demi sou ; le pot de trois mesures en aura dix ; et je déclarerai crime de boire de la petite bière ; tout le royaume sera en commun et j’enverrai mon palefroi paître dans Cheapside.
Jack Cade.


Il est inutile de raconter en détail tout ce qui se passa dans notre seconde visite à la ferme. Miller nous reçut, d’une manière amicale, et nous offrit un lit, si nous voulions passer la nuit chez lui. Le coucher nous avait donné, dans nos pérégrinations, plus de difficuttés que tout le reste. New-York, en ce qui concerne les bons hôtels, a renoncé depuis longtemps au système d’un lit à deux ou même à trois, mais cette amélioration n’est pas appliquée aux colporteurs ou aux musiciens ambulants. Plus d’une fois on nous avait fait entendre que nous devions non-seulement occuper le même lit, mais encore l’accepter dans une chambre remplie d’autres lits. Or, il y a de certaines choses qui sont devenues une seconde nature, et qu’aucune mascarade ne fera disparaître ; entre autres, on ne saurait s’accoutumer à partager son lit et sa brosse à dents. Cette petite difficulté nous donna plus d’embarras chez Miller que partout ailleurs. Dans les tavernes, l’argent arrangeait l’affaire ; mais ce n’était pas possible à la ferme. Enfin les difficultés furent aplanies en me mettant dans le grenier, où je fus favorisé d’un lit de paille dans une maison qui m’appartenait.

Pendant que la négociation se poursuivait, je remarquai que Josh Brigham, le valet anti-rentiste de Miller, ouvrait les yeux et les oreilles à tout ce qui se faisait ou se disait. De tous les hommes de la terre, l’Américain de cette classe est le plus méfiant, et le plus soupçonneux ; L’Indien, sur le sentier de la guerre, la vedette placée près de l’ennemi dans un brouillard une heure avant l’aurore, le mari jaloux, ou le prêtre devenu un partisan, ne sont pas plus disposés à conjecturer, supposer et se créer des imaginations, qu’un Américain de cet acabit. Ce Brigham était le beau idéal de l’école soupçonneuse, envieux et méchant, aussi bien que malin et observateur. Le fait même de son association avec les Indgiens, ajoutait à ses penchants naturels la conscience de ses fautes, et le rendait doublement dangereux ! Tout le temps que mon oncle et moi nous nous débattions pour avoir chacun une chambre, ne fût-ce qu’un petit cabinet, ses regards vigilants montraient combien il voyait dans chacun de nos mouvements des motifs de curiosité, sinon de soupçon. Quand tout fut conclu, il me suivit sur un petit gazon devant la maison où je me tenais contemplant le coucher du soleil, et ses premières paroles trahirent la nature de ses pensées.

— Le vieux, dit-il en parlant de mon oncle, doit avoir beaucoup de montres d’or sur lui, puisqu’il est si difficile concernant son lit. Colporter de tels articles est un métier assez scabreux, je gage ?

— Ya, c’est tangereux dans des endroits, mais pas dans ce pon bays.

— Pourquoi donc le vieux insistait-il si fort pour avoir cette chambre à lui tout seul, et pour vous envoyer au grenier ? Nous autres, nous ne voudrions pas du grenier ; c’est trop chaud pendant l’été.

— En Allemagne, un homme, un lit, répondis-je.

— Oh ! c’est ça. Eh bien ! chaque pays a sa mode, je suppose. L’Allemagne est une terre foncièrement aristocratique, dit-on.

— Ya ; il reste en Allemagne peaucoup de la fieille loi véodale, peaucoup de coutumes véodales.

— Des propriétaires beaucoup, je suppose. Des baux longs comme mon bras, hein ?

— Eh pien ! ils pensent en Allemagne que plus long le pail, plus c’est afantacheux pour le denancier.

— Voilà une drôle d’idée ! Nous pensons ici, au contraire, qu’un bail est une mauvaise chose, et le moins vous avez d’une mauvaise chose, mieux ça vaut.

— Eh bien ! c’est trôle, si trôle que che comprends pas. Que fera-t-on pour empêcher ça ?

— Oh ! c’est l’affaire de la législature. On fera passer une loi pour défendre qu’on fasse aucun bail.

— Et le beuple souffrira-t-il cela ? Tout le monde dit que ceci est un bays libre, et les hommes consentiront-ils à ne pas louer des terres, s’ils en ont pesoin ?

— Oh ! mais voyez-vous, nous voulons seulement enlever aux propriétaires leurs baux actuels ; et plus tard lorsque ce sera fait, la loi peut refaire tout ça.

— Mais cela est-il pien ? La loi defrait être chuste, et ne pas défaire pour refaire.

— Vous ne me comprenez pas, je vois. Je vais m’expliquer plus clairement. Ces Littlepage ont eu cette terre assez longtemps, et il est temps d’ouvrir des chances aux pauvres gens. Le jeune Monsieur qui prétend être le propriétaire de toutes les fermes ici autour, n’a jamais rien fait pour les acquérir excepté d’être le fils de son père. Or, dans mon idée, un homme devrait faire quelque chose, et ne pas devoir sa propriété à un simple hasard. Ceci est un pays libre, et quel droit un homme a-t-il plus qu’un autre à la terre ?

— Ou à sa chemise, ou à son tabac, ou à son hapit, ou à autre jose ?

— Eh bien, je ne vais pas si loin que ça. Un homme a droit à ses habits et peut-être à un cheval et à une vache, mais non pas à toutes les terres de la création. La loi donne droit à une vache en cas de saisie.

— Et la loi ne donne-t-elle pas droit à la terre aussi ? Alors si fous réussissez, fous ne poufez pas compter sur la loi.

— Nous tâchons d’avoir de notre côté autant de la loi que nous pouvons. Les AméricainS aiment la loi. Vous pouvez lire dans tous les livres, je veux dire dans nos livres qui sont imprimés ici, que l’Américain est le peuple le plus loyal de la terre, et qu’il fera pour la loi plus que tout autre.

— Eh pien, ça n’être pas ce qui est dit des Américains en Europe nein, nein, on ne dit pas ça.

— Comment ! vous ne le croyez pas ? Vous ne croyez pas que c’est le plus grand pays du monde, et le plus loyal ?

— Eh pien, che ne sais pas. Ce bays est ce bays, et il est ce qu’il est, foilà.

— Oui, oui ; je pensais bien que vous viendriez à penser comme moi, quand nous arriverions à nous comprendre. Maintenant, ami, j’arrive au point capital ; mais, auparavant, jurez-moi de-ne pas me trahir.

— Ya, ya, che gomprends ; che dois churer ne pas fous trahir ; c’est pon.

— Levez la main. Attendez ; de quelle religion êtes-vous ?

— Chrétien, certainement. Che suis pas un chuif. Nein, nein ; che suis très, très-mauvais chrétien.

— Nous sommes tous assez mauvais ; je ne vois pas d’inconvénient à cela. Un peu de diablerie dans un homme l’aide à se pousser, surtout dans cette affaire qui nous concerne. Mais vous devez être quelque chose de plus qu’un chrétien, je suppose ; car nous appelons cela ici n’être d’aucune religion. De quelle religion spéciale êtes-vous ?

— Sbéciale ; che ne gomprends pas. Qu’est-ce une relichion sbéciale ? Vient-elle de Melanchton, de Luther, où vient-elle du Pape ? Qu’est-ce une relichion sbéciale ?

— Mais quelle religion patronisez-vous ? Êtes-vous pour la prière à genoux, ou pour la prière debout, ou pour ni l’une ni l’autre ? Il y a des gens qui croient qu’il vaut mieux se coucher pour prier, parce qu’on est sujet à moins de distractions.

— Che gomprends pas. Mais laissez la relichion et fenez au point capital.

— Ah ! voici. Vous êtes Allemand, et vous ne pouvez aimer les aristocrates. Ainsi je me fie à vous mais, si vous me trahissez, vous ne jouerez jamais plus un air de musique dans ce pays-ci ou dans un autre. Si vous voulez devenir un Indgien, jamais il ne s’en présentera une meilleure occasion.

— Un Indgien ! Quel pien cela fera d’être un Indgien ? Che croyais qu’il falait mieux être homme planc en Amérique ?

— Oh ! je veux dire un Indgien anti-rentiste. Nous avons si bien arrangé les affaires, qu’on peut devenir un Indgien, sans peinture ni couleur, et redevenir ce qu’on était en deux ou trois minutes. Les gages sont bons et le travail léger. Puis nous avons de bonnes occasions dans les magasins et dans les fermes. Notre loi est qu’un Indgien doit obtenir ce qu’il veut, et nous avons soin de vouloir beaucoup. Si vous voulez vous trouver au meeting, je vous dirai comment me reconnaître.

— Ya, ya, che me troufer au meeting, certainement. Où sera-t-il ?

— Là-bas, au village. Nous avons été avertis ce soir et nous serons sur le terrain à dix heures.

— Y aura-t-il pataille, que fous fous réunissez si ponctuellement et avec tant d’ardeur ?

— Bataille ! mon Dieu, non ; qu’y a-t-il à combattre, je voudrais le savoir ? Nous sommes à peu près tous contre les Littlepage, et il n’y a personne de leur côté, excepté deux ou trois femmes. Je vous dirai comment c’est arrangé. Le meeting est convoqué pour le soutien de la liberté. Vous savez, je suppose, que nous avons toutes sortes de meetings dans ce pays ?

— Nein ; che croyais qu’il y afait des meetings pour politique, mais pas autre jose.

— Est-il possible ? Quoi ! vous n’avez pas en Allemagne des meetings d’indignation ? Nous comptons beaucoup sur nos meetings d’indignation, et chaque parti, en a en quantité, quand les questions chauffent. Notre meeting de demain est en général sur les principes de liberté. Mais nous pourrons passer quelques votes d’indignation sur les aristocrates ; car personne, dans cette partie déjà contrée, ne peut souffrir ces créatures, je vous en réponds. Quant à moi, je déteste le nom même de ces serpents, et je voudrais qu’il n’y en eût pas un seul dans le pays. Demain nous avons un grand prédicateur anti-rentiste.

— Un brédicateur !

— Oui ; un qui prêche sur l’anti-rentisme, la tempérance, l’aristocratie, le gouvernement et tous les abus. Oh ! il traite tout cela vivement, et les Indgiens ont l’intention de l’appuyer à grand renfort de cris et de hurlements. Votre vielle ne ferait qu’une pauvre musique à côté de ce que peut faire notre tribu, quand nous nous mêlons d’ouvrir nos gosiers.

— Eh bien ! c’est, drôle ! ch’afais entendu que les Américains étaient tous des philosophes, et qu’ils faisaient toutes joses d’une manière bacifique et sobre ; et maintenant fous dites qu’ils focifèrent leurs arguments comme des Indgiens ?

— Je vous en réponds ! J’aurais voulu que vous fussiez ici dans le temps des émeutes du cidre, et vous en auriez eu de la raison et de la philosophie, comme vous dites. J’étais whig alors, quoique je sois devenu démocrate depuis. Nous sommes dans le comté plus de cinq cents qui voulons tirer bon parti des choses. À quoi sert un vote, s’il ne vous rapporte rien ? Mais demain vous verrez les affaires en train, et les choses décidées pour cette partie du pays et en bon style encore. Nous savons ce que nous faisons, et nous voulons pousser les choses jusqu’au bout.

— Et que comptez-fous faire ?

— Eh bien ! puisque vous paraissez dans la bonne voie et que, selon toute probabilité, vous endosserez la chemise indgienne, je vais vous le dire. Nous comptons obtenir de bonnes vieilles fermes à des taux avantageux. Voilà ce que nous comptons faire. Le peuple est debout, et ce que le peuple veut, il l’aura. Aujourd’hui il veut des fermes, et il aura des fermes. Que servirait d’avoir un gouvernement populaire, si le peuple désirait quelque chose en vain ? Nous avons commencé par les Rensselaer, et les baux de longue durée, et les redevances de volailles ; mais nous ne comptons, sous aucun rapport, en rester là. Qu’y gagnerions-nous ? On veut arriver à quelque chose de substantiel, quand on met le pied dans cette voie. Nous connaissons quels sont nos amis, quels sont nos ennemis. Si nous pouvions avoir pour gouverneurs des hommes que je pourrais nommer, tout irait bien dès le premier hiver. Nous chargerions les propriétaires d’impôts, nous accumulerions loi sur loi, de façon qu’ils se trouveraient trop heureux de vendre jusqu’à la dernière perche de leur terre, et à bon marché encore.

— Et à qui abartiennent ces fermes qui coufrent la gontrée par ici ?

— Selon la loi d’aujourd’hui, elles appartiennent à Littlepage, mais si nous pouvons changer la loi, il ne les aura plus. Le croiriez-vous ? cet homme ne veut pas vendre une seule ferme et veut les garder toutes ; c’est-il tolérable dans un pays libre ? On le souffrirait à peine en Allemagne, je crois. Je méprise un homme qui est assez aristocrate pour refuser de vendre quoi que ce soit.

— Eh pien ! on opéit aux lois en Allemagne, et la bropriété est respectée dans la plupart des pays. Fous ne foudriez pas céder fos droits de bropriété, che suppose ?

— Non certainement. Si un homme possède une montre, ou un cheval ou une vache, je suis pour que la loi permette à l’homme pauvre de les garder, même en cas de saisie. Quant à ça, nous avons obtenu dans le vieux York des lois assez raisonnables : un homme pauvre, quelque endetté qu’il soit, peut garder un joli lot de meubles aujourd’hui et se moquer de la loi. J’en ai connu qui devaient deux cents dollars, et qui gardaient, malgré la saisie, des valeurs mobilières pour plus de trois cents quoique la plupart de leurs dettes vinssent des objets même qu’ils gardaient.

Quel tableau de notre société ! et cependant il n’est que trop vrai. D’un côté un homme peut contracter une dette pour une vache, et se moquer de son créancier lorsqu’il réclame son dû ; de l’autre la législature et le pouvoir exécutif se prêtent aux chicanes de gens qui tentent d’enlever à une certaine classe ses droits de propriété, contre le texte même de conditions écrites. Et tout cela pour des votes ! Est-il quelqu’un qui puisse croire à la longue existence d’une communauté dans laquelle de pareilles choses sont froidement méditées et froidement accomplies ? Il est temps que les Américains voient les choses comme elles sont, et non comme on les représente dans des adresses électorales.

— Enfin, poursuivit Joshua, un prédicateur de première qualité sur les tenures féodales, sur les volailles et les corvées ! Nous attendons beaucoup de cet homme qui est bien payé pour venir.

— Et qui le baie ? est-ce l’État ?

— Non, nous n’en sommes pas encore là, quoique beaucoup de personnes pensent que cela ne tardera pas. À présent, les tenanciers sont taxés à tant par dollar de la rente qu’ils paient, ou à tant par acre. Mais un de nos prédicateurs nous a dit que c’est de l’argent placé à intérêt, et que chaque homme devait tenir note de ce qu’il donnait ; car le temps n’est pas éloigné où il lui sera rendu avec un intérêt double. On paie aujourd’hui pour cette réforme, dit-il, et lorsque cette réforme sera obtenue, l’État se trouve tellement redevable envers nous tous, qu’il imposera les anciens propriétaires jusqu’à ce que tout notre argent et plus encore soit rentré.

— C’être une cholie spéculation, ya, une ponne idée !

— Mais oui ; ce n’est pas une mauvaise opération que de vivre aux frais de l’ennemi, comme on dit ; et voilà le mérite des associations. Nous ne disons pas cependant ouvertement tout ce que nous voulons et prétendons ; et vous trouverez parmi nous des gens qui soutiennent hardiment que les anti-rentistes n’ont rien de commun avec le système indgien ; mais on n’est pas obligé, après tout, de croire que la lune soit un fromage. Quelques-uns de nous sont d’avis qu’aucun homme ne doit posséder plus de mille acres de terre, tandis que d’autres pensent qu’un homme ne doit pas en avoir plus qu’il ne lui en faut pour ses besoins personnels.

— Et laquelle de ces obinions est la fôtre ?

— Oh ! moi, je n’y tiens pas, pourvu que j’aie une bonne ferme. J’en aimerais une qui contienne de bons bâtiments, et qui n’ait pas été travaillée jusqu’à épuisement. Voilà deux principes que je défendrai ; mais qu’il y ait quatre cents acres ou quatre cent cinquante, je serai assez arrangeant. Je pense bien toutefois qu’il y aura quelques querelles quand nous en viendrons au partage, mais je ne suis pas homme à les provoquer. Je suppose que j’aurai mon tour pour quelques-uns des emplois publics dans la ville et pour d’autres petites chances ; et en obtenant ces droits, je me contenterai de l’une ou de l’autre des fermes du jeune Littlepage, quoique j’en préférasse cependant une dans la vallée principale, ici ; cependant, je le répète, je ne suis pas trop difficile.

— Et que comptez-fous bayer à M. Littlepage pour la ferme que fous choisirez ?

— Cela dépend des circonstances. Les Indgiens cherchent seulement à payer bon marché. Les uns pensent qu’il vaut mieux payer quelque chose, parce que cela ferait mieux aux yeux de la loi ; les autres ne voient pas qu’il soit utile de rien payer du tout.

— Ceux qui sont d’avis de payer demandent seulement qu’on paie le principal des premières rentes.

— Che ne gomprends pas ce que fous entendez par le brincipal des bremières rentes.

— C’est cependant bien clair. Ces terres, lorsqu’on les défricha, étaient louées à très-bon compte, afin d’attirer des colons. Beaucoup des tenanciers ne payaient aucune rente pendant six huit ou dix ans et après cela, pendant trois générations, comme on dit, ils payaient six pences l’acre, ou six dollars et un quart les cent acres. C’était, comme vous voyez, pour attirer ici les travailleurs et vous pouvez juger par ce prix combien les temps devaient être durs. Or, quelques-uns des nôtres soutiennent que tout le temps doit être compté, celui qui était exempt de rentes et celui qui ne l’était pas, d’une manière que je vais vous expliquer ; car je veux que vous sachiez que je ne me suis pas engagé dans cette affaire sans en connaître le bon et le mauvais.

— Exbliquez, exbliquez ; che foudrais entendre l’exblication.

— Ah ! vous êtes bien pressé, ami Griezenbach, ou quel que soit votre nom ; mais je vais m’expliquer. Supposez qu’un bail soit fait pour trente ans, dont dix pour rien et vingt pour six pences l’acre. Eh bien, cent fois six pences font cinquante schellings, et vingt fois cinquante font mille, qui forment toute la rente payée en trente ans. Si vous divisez mille par trente, vous avez pour la rente moyenne de trente ans, trente-trois schellings et une fraction. Considérant ces trente-trois schellings comme quatre dollars, et ce n’est guère plus, nous avons cela pour intérêt, lequel, à sept pour cent, fait un principal d’un peu plus de cinquante dollars, quoique moins que soixante. Comme de pareilles affaires doivent être traitées libéralement, on dit que les Littlepage devraient prendre cinquante dollars et donner un contrat de rente pour cent acres.

— Et quelle est la rente de cent acres auchourd’hui ? C’est plus de six pences l’acre ?

— Oui, certainement. La plupart des fermes en sont à leur deuxième et troisième bail. Quatre schellings l’acre est la moyenne aujourd’hui.

— Et fous croyez que les propriétaires defraient accepter la rente d’une année bour leurs fermes ?

— Je ne le considère pas sous ce point de vue. Ils devraient prendre cinquante dollars pour cent acres. Vous oubliez que les tenanciers ont payé pour leurs fermes encore et encore en rentes. Ils trouvent qu’ils ont assez payé et qu’il est temps d’en finir.

Quelque extraordinaire que soit ce raisonnement, j’ai vu depuis que c’était l’argument favori des anti-rentistes. Devons-nous donc payer des rentes à jamais ? s’écriaient-ils d’un ton de vertueuse indignation.

— Et que peut être auchourd’hui, demandai-je, la faleur moyenne d’une ferme de cent acres ?

— De deux mille cinq cents à trois mille dollars. Ce pourrait être davantage, mais les tenanciers ne veulent pas construire de bons bâtiments sur les terres affermées, sachant qu’elles ne leur appartiennent pas. J’ai entendu un de nos meneurs se lamenter de n’avoir pas prévu où en viendraient les choses lorsqu’il a réparé les vieux bâtiments, sans quoi il en eût construit de nouveaux. Mais un homme ne peut pas tout prévoir. Je suis sûr que beaucoup maintenant ont le même sentiment.

— Alors fous pensez que herr Littlepage defrait accepter cinquante dollars pour ce qui en faudrait deux mille cinq cents ? Cela semble très-beu.

— Mais vous oubliez les rentes payées depuis des années et le travail qu’a fait le tenancier. Quette valeur aurait la ferme sans le travail qui y a été fait ?

— Ya, ya, che gomprends ; mais quelle faleur aurait le trafail sans la terre sur laquelle il a été fait ?

Cette question était tant soit peu imprudente vis-à-vis d’un homme aussi soupçonneux que Joshua Brigham. Il me jeta un regard oblique et méfiant ; mais avant qu’il eût le temps de répondre, Miller, qui lui inspirait une crainte salutaire, l’appela pour aller soigner les vaches.

Je ne revis plus Joshua de la soirée ; car au moment où la nuit tombait, il obtint la permission de quitter la ferme. Où allait-il, je ne puis le dire ; mais le but de ses démarches ne pouvait plus être un secret pour moi. Comme la famille se couchait de bonne heure et que nous étions très-fatigués, chacun fut au lit à neuf heures, et, à en juger par moi-même, bientôt endormi. Avant cependant de nous dire bonsoir, Miller nous apprit le projet de meeting pour le lendemain ; et son intention d’y assister.