Recherches sur l’Art de parvenir

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Amyot, éditeur (p. Titre--).




RECHERCHES

SUR

L’ART DE PARVENIR



PAR

UN CONTEMPORAIN







PARIS

AMYOT, ÉDITEUR, 8, RUE DE LA PAIX
___

1868

PRÉFACE.


À MESSIEURS DE L’ACADÉMIE.

L’idée de ce livre serait à elle seule une histoire. On ne la fera pas. Tout lecteur dont l’épiderme ne sera pas trop épais pourra comprendre ce que vaut la conception, et combien il est extraordinaire qu’elle ait échappé, depuis six mille ans, à tous gens de lettres moralistes et poètes satyriques. De nos jours surtout, où l’on se dispute des titres nus comme des propriétés imprescriptibles, une pareille étiquette était sans prix. M*** aurait demandé deux cent mille francs de dommages-intérêts si l’on avait pris celle-là dans son magasin.

À un point de vue plus sérieux le dix-neuvième siècle ne pouvait se passer sans qu’un pareil livre fut fait. La tentative en sera donc appréciée.

Grâce aux efforts de l’auteur, rien n’empêchera désormais les gouvernements d’établir une chaire de savoir-faire à côté des chaires de théologie et d’économie politique. Le besoin s’en faisait sentir depuis longtemps. On recommande l’idée ; elle est pratique, elle est démocratique.

On pourrait d’ailleurs donner à cet enseignement un vernis scientifique : on appellerait cela un cours de biologie, de sociologie, de positivisme social, de science sociale. Que diable veulent donc dire tous ces messieurs avec ces mots-là, s’ils n’ont pas en vue, au bout du compte, l’idée qui se déduit ici, naturellement et en bon français, du moins l’auteur le suppose ? Pourquoi, comme l’on dit, tant tourner autour du pot ? Messieurs de l’Académie, de grâce, on vous en conjure, ajoutez-donc à la section des sciences morales la science du savoir-faire. Pourquoi nous tenir indéfiniment cette branche-là sous le boisseau ?

N’avez-vous pas vu que La Bruyère, Vauvenargues, Retz, La Rochefoucauld ont tâtonné là autour sans trouver la porte ? N’avez-vous pas lu ce que Diderot a dit : « Que les maximes de ces grands écrivains sont comme des recueils d’expérience qui attendent un grand principe qui les lie ? »

Et que diable voulez-vous que soit ce grand principe, sinon ce qui est au frontispice de ces pages que l’auteur vous dédie avec une respectueuse politesse ?

Nota. Vu l’état de ladr… d’atonie mentale dans lequel se trouve aujourd’hui la majorité des lecteurs français par suite de l’amélioration matérielle et morale de toutes les classes de la société, l’introduction qui va suivre pourra paraître sérieuse. Ceux qui ne seraient pas capables de lire attentivement ces quelques pages avant de goûter des charmes moins sévères sont invités à fermer le livre, on ne s’inquiétera pas de leurs suffrages.


INTRODUCTION.


THÉORIE POLITIQUE ET SOCIALE DU LIVRE.

Quand on regarde au fond du cœur humain, on n’y trouve guère que des instincts contraires à l’égalité ; et ces instincts sont les plus violents de tous puisqu’ils s’appellent l’orgueil, l’envie, l’égoïsme, l’intolérance, la passion de jouir et de dominer. Comment donc les hommes tiennent-ils tant à l’égalité ? La réponse ne sera pas sans intérêt. C’est simplement parce qu’ils voient dans l’égalité le premier titre de leurs prétentions, et le moyen direct de s’élever au-dessus des autres. Qu’on retourne bien cette proposition, on la trouvera juste : et si elle froisse un peu certaines candeurs, elle jette un jour très vif sur la politique et sur la vie sociale. Elle fait voir que les révolutions, avant d’être des développements de principes, sont des explosions de besoins, de passions, d’intérêts et d’ambitions, ce qui n’empêche pas le moins du monde les révolutions d’être légitimes, au moins quand elles sont accomplies ; car pour les révolutions futures autant vaut n’en pas parler.

Cet aperçu permet de donner de la société une définition qui résume en partie la pensée de ce livre :

La société est un état de guerre réglé par les lois.

L’ordre extérieur n’est qu’apparent. En réalité c’est la guerre qui s’agite dans le fond de la vie sociale et une guerre dont les mobiles ne diffèrent en rien de ceux qui mettent les nations les armes à la main ; chacun arrive dans la vie au nom de ses intérêts et de ses passions, au nom de sa nature qui constitue son droit individuel. La loi dans ce qu’elle établit ou dans ce qu’elle défend ne fait que déterminer les conditions du combat et les armes dont il est permis de se servir. C’est tout un monde de combinaisons, d’intrigues et d’artifices, tout un art de procéder, d’attaquer et de se défendre, toute une stratégie sociale dont la connaissance approfondie est l’instrument universel. La lutte a lieu d’homme à homme, de classe à classe, et le pouvoir, les places, le crédit, la fortune, la célébrité apparaissent comme les points culminants autour desquels s’agite incessamment l’éternelle mêlée des ambitions. Sans doute ce spectacle est de tous les temps, mais les sociétés modernes montrent la lutte dans des conditions jusqu’alors inconnues. Aucune distinction de classe ne retient plus les activités dans leur sphère, la masse sociale tout entière est appelée dans l’arène, la carrière est ouverte à toutes les initiatives individuelles et rien ne peut borner l’avenir de l’homme le plus obscur s’il a le génie de son ambition.

Comment dans de pareilles conditions l’équilibre peut-il se maintenir ? Comment de cette compétition ardente ne passe-t-on pas incessamment de la guerre civile à la guerre sociale ? Comment entre les individus ainsi accumulés, pressés par les besoins, les désirs et la haine, tout ne se termine-t-il pas, à un moment donné, par une immense jacquerie ?

Qui peut faire supporter aux masses le joug du travail et de l’indigence ? Sont-ce les croyances religieuses ? Est-ce l’empire de la philosophie? Est-ce l’amour du prince ou celui du pays ? On ne répond pas à ces questions-là. Est-ce le frein des lois ? Mais quand il n’y a plus d’un côté que ceux qui sont intéressés à les défendre et de l’autre ceux qui sont intéressés à les renverser, leur impuissance est bientôt démontrée. Qu’est-ce que le petit nombre d’hommes que la société satisfait auprès des milliers de déshérités ? Un seul de leurs tressaillements, s’il se communiquait à tous, couvrirait en un moment toute la terre de ruines ; et cependant rien ne s’agite ou tout rentre bientôt dans l’ordre quand il vient à être troublé.

Il y a là un secret de l’organisme social que l’on ne révèle pas d’ordinaire.

Ce qu’il faut constater d’abord c’est que l’égalité ne donne rien ou presque rien de ce qu’elle promet. Quand on a proclamé l’égalité de droits, on reste en présence de l’inégalité de forces. Les distinctions de la naissance sont supprimées, mais celles qui tiennent à la supériorité des facultés naturelles subsistent et elles suffisent pour reconstituer des privilèges, pour élever entre les hommes des barrières à peu près aussi insurmontables que celles qui séparaient autrefois les différentes classes de la société. Chacun ne prend que la place qu’il peut prendre. Les uns s’élèvent par leur énergie et par leurs talents jusque dans les régions supérieures, tandis que les autres ne peuvent conquérir que des positions intermédiaires ou sont reportés violemment jusqu’aux derniers rangs de la société où il faut, bon gré mal gré, qu’ils se tiennent.

Si cela est vrai, qu’en conclure ? c’est qu’il y a au fond de l’âme humaine des instincts impérieux, en vertu desquels les hommes se subissent et se subordonnent. Les individus, comme les divers groupes dont la société se compose, sont attirés ou retenus dans des sphères distinctes par des forces d’attraction et de gravitation dont le principe même est en eux et à l’empire duquel ils ne peuvent pas se soustraire. Au fond, tous les rapports entre les hommes se règlent sur les aptitudes réciproques à exercer la domination et à la subir ; ils se subordonnent d’eux-mêmes et nécessairement les uns aux autres, suivant le degré de force morale qui est en eux et qui leur assigne, quoi qu’ils fassent, une place déterminée dans l’ordre social.

Il y a là une sorte de fatalisme qui consiste dans la répartition fortuite des intelligences et des forces morales comme des autres avantages sociaux. Le pouvoir, la fortune, les places, la célébrité sont autant de monopoles naturels, qui ne peuvent appartenir qu’à un certain nombre de privilégiés. La vie peut être envisagée comme une loterie dans laquelle il n’y a qu’un certain nombre de numéros gagnants. Ceux qui gagnent évincent les autres.

On comprend alors ce qu’il y a d’impitoyable et de fatal dans le choc des volontés humaines livrées à leurs propres entraînements et contenues seulement par le frein des lois. C’est, en un sens, un retour à la violence et à la liberté de la nature. Cette mêlée d’hommes ressemble à ces foules accumulées dans des places publiques trop étroites pour les contenir. Ceux qui n’ont pas les flancs assez forts pour soutenir la presse ou dont la tête ne s’élève pas assez au-dessus de la multitude pour pouvoir respirer sont étouffés. Dans le jeu des forces sociales tout ce qui est faible est inévitablement écrasé. C’est la loi du combat, c’est le fatum des temps modernes. Foulé aux pieds de ses concurrents, l’homme qui tombe n’est plus rien ; c’est un cadavre qui doit disparaître du champ de bataille. Le bruit de la foule étouffe ses gémissements, et, dans la mêlée, on n’entend qu’un cri :

Réussir ! parvenir !

TRANSITION.

Réussir ! parvenir ! ces mots ne résument-ils pas toute une civilisation, et le dernier mot de la philosophie sociale contemporaine n’est-il pas de rechercher comme on parvient ? Si l’on espère apprendre quelque chose ici, on fera bien de méditer les réflexions suivantes :

I. Quand on sait la vie ce serait une sottise que de l’apprendre aux autres.

II. Ceux qui ont le mieux observé les choses de la vie sont généralement ceux qui réussissent le moins.

III. L’initiation à tous les secrets de la vie sociale n’apprendrait pas à s’en servir.


LIVRE PREMIER.


CHAPITRE I.

DU HASARD ET DU BIEN JOUER.

La vie est une partie extrêmement difficile à jouer et mêlée de beaucoup de hasard.

Ce point de vue est l’idée favorite de ce livre, elle en donne tous les développements. Jouer avec talent, suivant les règles, et sans faire de faux coups, voilà l’art de la vie ; mais si la science du jeu est une, les parties sont très variées ; prenons les plus grandes et les plus belles :

Il y a le jeu de la politique, celui de l’amour, celui de la fortune, celui de la célébrité.

Chacun de ces jeux est plus ou moins difficile, et demande des talents d’un ordre particulier. En savoir jouer un, c’est beaucoup, les savoir jouer tous, c’est l’unité de la science, c’est la science suprême. Si donc on s’avisait de chercher ici un conseil, l’auteur commencerait par demander : Quel jeu voulez-vous jouer?

Le hasard tient une si grande place dans la vie qu’à le prendre d’un certain côté il n’y a que du hasard. Vous êtes beau, bien fait, vous portez un nom distingué, vous serez riche, c’est ce qu’on appelle naître avec des atouts dans son jeu ; et l’on en peut dire autant de l’éducation, des manières, des aptitudes et des talents naturels, car c’est encore le hasard qui les donne. Réussir ou échouer sont choses à peu près fatales, car on réussit :

1° Parce qu’on a en soi les qualités qui agissent sur la société et sur les hommes.

2° Parce qu’on est servi par les circonstances, et l’on échoue par les causes contraires.

Les circonstances, ce sont tous les événements, heureux ou malheureux, toutes les occasions de succès qui se présentent dans la vie indépendamment de la volonté.

D’après ce qui précède on peut envisager le hasard du même point de vue que le spiritualisme catholique envisage la grâce sanctifiante : un chrétien quels que soient ses mérites ne peut, dit-on, faire son salut sans le secours de la grâce ; ainsi l’ambitieux ne saurait faire son chemin sans le secours du hasard. Les chances heureuses toutefois sont moins inégalement réparties qu’on ne le suppose en général. L’aptitude à en profiter est ce qui distingue les individus, et c’est par là qu’on rentre dans le bien jouer. Il y a des hommes qui par une ineptie organique tourneront toujours le dos à la fortune.

La diversité des chances est infinie. Les unes viennent tôt, les autres tard ; tantôt elles opèrent lentement et successivement, tantôt elles agissent soudainement et directement sur la destinée. Il n’est peut-être pas d’exemple plus curieux de la pure influence du hasard que le fait historique suivant que nous avons noté comme un des types du genre :

Il y avait sous la Régence un certain Chavigny, intrigant obscur, qui avait fait des efforts inutiles pour se faufiler à la cour. N’ayant pu obtenir aucune faveur, de guerre lasse, il quitta la place et partit pour la Hollande, où l’appelaient des affaires de famille. En arrivant à La Haye il tomba malade et fut forcé de s’arrêter dans une auberge. Ceux qui ont voyagé dans ces pays savent qu’on y est servi par des chambrières qui ne sont pas autrement cruelles. Chavigny, soigné avec le plus grand dévouement par la fille de l’auberge, où le hasard avait voulu qu’il s’arrêtât, une fois guéri, s’avisa d’être... reconnaissant... On voit si l’aventure est vulgaire ; mais comment de là parvint-il à la fortune ? Le voici : un jour qu’il était avec la demoiselle dans une chambre de l’auberge il entendit la maîtresse de la maison qui se dirigeait vers cette chambre en appelant sa servante. Celle-ci n’eut que le temps d’en sortir et de fermer la porte de la chambre, qui était précisément celle que sa maîtresse lui ordonna de préparer pour deux ministres étrangers qui venaient d’arriver et voulaient déjeuner en particulier. Impossible de faire sortir Chavigny. Elle imagina de le cacher dans une armoire et l’y enferma.

Il était temps ; à peine avait-elle tiré la clef que les deux voyageurs entrèrent. Se croyant seuls, ils s’entretinrent sans défiance d’une intrigue politique qui était le but de leur réunion : l’affaire n’était pas mince, il s’agissait d’un complot dont l’objet n’était rien moins que d’enlever la régence au duc d’Orléans. L’un des deux voyageurs était cet aventurier soudoyé par le cardinal Alberoni, pour enlever le Régent au bois de Boulogne et qui, n’ayant pu réussir dans son projet, s’était réfugié à La Haye où il tramait un nouveau complot. En se séparant, les deux voyageurs se donnèrent à jour fixe un autre rendez-vous au même endroit.

Chavigny sentit tout le parti qu’il pouvait tirer d’une pareille découverte. Il lui fut facile d’obtenir de la servante qu’elle le cacherait dans la même chambre le jour indiqué. Le rendez-vous eut lieu ; la conférence fut encore plus explicite.

Maître de leur secret, Chavigny écrivit au Régent qu’il avait à lui faire une révélation de la plus haute importance et, de retour à Paris, parvint à obtenir une audience du duc d’Orléans.

Chavigny n’eut garde de faire connaître les circonstances qui l’avaient si bien servi ; il attribua ses révélations à des relations plus élevées. Le prince le traita de visionnaire et lui ordonna de sortir de sa présence. Chavigny, sans se déconcerter, soutint ce qu’il avait avancé, et proposa au Régent de le faire mettre à la Bastille, si ce qu’il lui avait dit n’arrivait pas. Le prince y consentit, les choses se passèrent comme Chavigny l’avait annoncé, et de ce jour sa fortune fut faite.

DÉVELOPPEMENT DE LA MÊME IDÉE.

Que l’on mette à l’essai une définition du hasard, on ne trouvera rien de mieux que ceci : ce sont les actions des hommes par rapport aux autres hommes.

Mais voici une autre source du hasard à laquelle on ne réfléchit pas. Qui peut se charger de dire à quoi il songera dans cinq minutes ? Ainsi le hasard est jusque dans la pensée qui engendre l’action ; il est jusque dans les variations du tempérament qui réagit sur la pensée, qui réagit sur l’action, sans parler des causes extérieures purement physiques, dont l’intervention n’est jamais prévue.

Quand on est embarqué dans une mauvaise affaire, il y a une espèce de calcul qu’on peut essayer à l’occasion, c’est de chercher à déterminer les différentes issues par où la complication peut aboutir ; il arrivera couramment qu’elle ne se dénouera par aucun des moyens qu’on avait prévus ; et quant aux incidents inattendus qui traversent ordinairement les entreprises, il n’est pas même possible de juger s’ils sont heureux ou malheureux.

C’est dans la vie politique que ces merveilleuses nuances sont sensibles, car la politique c’est jouer aux hommes et aux événements. On peut voir dans les Mémoires contemporains que Napoléon, un de ceux à qui la vie humaine a caché le moins de secrets, se moquait, en son particulier, de ceux qui lui prêtaient des combinaisons à longue portée ; il avoue littéralement qu’il vivait au jour la journée sur les événements. En fait de hasard, on ne trouverait peut-être pas dans une autre vie que la sienne une page plus frappante que celle qui va suivre.

Le 23 août 1798, Bonaparte quittait l’Égypte et s’embarquait à l’insu de son armée pour retourner en France, laissant à l’adresse de Kléber un pli cacheté, qui le nommait à sa place général en chef de l’armée d’Égypte.

La traversée entreprise par Bonaparte présentait des périls immenses, il fallait avoir des vents favorables, échapper aux escadres anglaises, et enfin arriver en France avant les dépêches menaçantes que Kléber ne manquerait pas d’envoyer au Directoire dès que la situation lui serait connue.

La traversée devait se faire par la côte d’Afrique, en longeant les rives de la Méditerranée, et les difficultés de l’exécution étaient telles qu’en cas de poursuite les deux frégates qui portaient la fortune de Napoléon devaient être échouées sur les sables, afin qu’à toute extrémité l’équipage eût la ressource de gagner, par terre, le port le plus voisin de la côte.

Les débuts ne sont pas heureux ; pendant vingt et un jours les vents contraires repoussent les navires dans les eaux de l’Égypte ou de la Syrie. On parle de retourner au port ; mais bientôt le vent change et en quelques heures on double Carthage, puis la Sardaigne.

Rien n’est fait encore ; à peine la Sardaigne dépassée, le vent change de nouveau ; on est forcé de relâcher à Ajaccio.

Le lendemain on veut remettre à la voile, impossible de sortir du golfe ; il faut rentrer dans le port, et sept jours se passent, pendant lesquels le danger va croissant.

Si les Anglais qui croisent dans ces parages apprennent le séjour forcé de Bonaparte en Corse, adieu le grand Empereur de France ! Les Anglais ne savent rien encore ; les dés ont bien tourné. Aucune voile n’est signalée à l’horizon ; on se met en mer pour Toulon, après avoir acheté une chaloupe, pourvue de douze rameurs vigoureux qui, en cas de détresse, essayeront de sauver le général et quelques hommes de son escorte. Cependant jusqu’au lendemain matin la navigation est heureuse, les navires touchent au port.

Mais, au coucher du soleil voici tout à coup qu’une escadre anglaise de quatorze voiles est signalée. Les Anglais, favorisés par la disposition de la lumière, reconnaissent très distinctement les frégates. Les signaux de la flotte ennemie apparaissent. Les dés ont-ils tourné ? Non. Il se trouve, ô fortune ! que les frégates sont de construction vénitienne, et les Anglais les prennent pour un convoi d’approvisionnement, se rendant de Toulon à Gênes.

Mais la situation demeure tout aussi critique. La flotte anglaise, il est vrai, grâce à la nuit tombante n’a pas reconnu les passagers; mais le lendemain le jour se lèvera, les Anglais reconnaîtront leur erreur et le désastre est certain. Gantheaume avait perdu la tête ; il proposait de retourner en Corse. Bonaparte s’y refusa, on fit force voiles vers le nord-ouest, et pendant la nuit on se prépara à tout événement. Déjà les rôles étaient distribués, les dispositions étaient prises, Bonaparte, décidé à se jeter dans la chaloupe de sauvetage, avait désigné les personnes destinées à partager son sort, qui ne pouvait être douteux, si l’on était encore en vue de l’escadre. Il s’agissait d’être capturé ou coulé à fond ; mais les dés jetés en l’air retombent toujours sur les mêmes faces. Les premiers rayons du jour éclairèrent la flotte anglaise qui, au lieu de poursuivre les frégates, s’éloignaient vers le nord-est !…

Et ce n’est pas tout encore, si en arrivant à Fréjus l’équipage est obligé de faire quarantaine, les dépêches de Kléber devançant l’arrivée de Bonaparte peuvent renverser sa fortune, et le héros d’Arcole décrété d’accusation pour avoir quitté son armée sans les ordres du Directoire, peut finir comme Custine ; mais l’enthousiasme des populations prévenues de l’arrivée de Bonaparte, entraîne les passagers vers la terre… Les destins s’accompliront !

Toute la théorie du hasard est dans cette traversée, on peut l’y étudier, comme le praticien étudie les phénomènes de la vie sur la nature morte.

Mais le hasard est-il réellement une force désordonnée en dehors de toute règle ? il ne faut pas se l’imaginer.

Qui n’a été frappé de l’inébranlable confiance avec laquelle le joueur persévère dans la recherche des combinaisons qui doivent le faire gagner ? Que cherche-t-il ? la loi du hasard, et les joueurs les plus maltraités sont ceux qui croient le plus fermement que, par des observations bien faites et exactement suivies, la chance peut être dominée ; et ils ne se trompent pas le moins du monde. Leur perte ne tient qu’à la fausseté de leurs calculs ou à l’entraînement de leurs passions.

Le hasard est un phénomène que l’on envisage ici sous le même rapport. C’est un élément composé de deux courants contraires, les bonnes et les mauvaises chances dont le flux et le reflux, les oscillations ou les écarts ne paraissent irréguliers que quand on les observe dans un espace restreint ou sur une échelle de temps limitée. On apprend, par exemple, à connaître la direction des courants heureux ou malheureux, et voici entre autres choses ce que l’on observe.

Les événements de la vie paraissent dominés par ce que nous appellerons volontiers une loi d’enchaînement, une loi de succession, de telle sorte que les accidents heureux ou malheureux semblent tous découler d’un premier succès ou d’une première faute. Un événement favorable ou contraire contient en lui une certaine série de déductions fatales ou propices qui doivent toutes s’épuiser dans un temps donné. De même encore une affaire qui a bien tourné, par une connexité mystérieuse, en amène d’autres également heureuses. C’est ce que l’on appelle communément une veine par une assimilation très frappante avec ces filons précieux que rencontrent les ouvriers mineurs dans leurs patientes explorations.

Grâce à ce qui précède nous avons maintenant une excellente définition du succès. Réussir c’est être dans le courant des chances heureuses ; ne pas réussir c’est avoir perdu le sens de leur direction.

Comprend-on maintenant ce que c’est que la superstition chez les amants, chez les joueurs, chez les hommes politiques surtout ? ce n’est pas autre chose qu’un calcul ou une intuition de la chance. Quand Polycrate jetait son anneau à la mer, il sentait que sa série était épuisée. Quand César se jetait dans une barque de pêcheurs en disant au milieu de la tempête, au pilote épouvanté : « Rassure-toi, tu portes César et sa fortune », c’est comme s’il lui avait dit : Ne crains rien, tu portes une chance qui est dans la loi de son développement. Et le pilote sans analyser comprit parfaitement ainsi.

L’habileté supérieure en politique consiste à faire le hasard et à ne pas le subir. Dans les affaires, il y a aussi des gens qui font le hasard, on les appelait autrefois des fripons.

DU BUT ET DES MOYENS.

On a compris que ce que nous avons appelé le bien jouer dans le chapitre précédent n’est que l’art de conduire ses desseins et de gouverner dans les différentes circonstances de la vie ; le champ qui s’ouvre est immense, mais le sujet en lui-même peut se réduire à des termes généraux d’une extrême simplicité : le but, les moyens.

Ceci présente pour les esprits les moins pénétrants des idées fort claires, et si beaucoup de savants écrivains voulaient s’exprimer avec cette netteté ils auraient bientôt fait le tour de leur connaissance. Le but, c’est naturellement tout ce que l’on peut humainement désirer ou ambitionner ; les moyens, ce sont les forces dont on dispose pour s’égaler à ses ambitions et à ses désirs ; ce sont toutes les facultés et tous les talents, toutes les manières, toutes les formes extérieures, toutes les combinaisons d’esprit à l’aide desquelles on agît sur la société et sur les hommes.

Comme le secret de parvenir n’est que l’art de faire servir les hommes au succès de ses desseins, il faut voir d’abord comment les hommes entrent dans les éléments généraux du calcul ; ce sera l’objet des chapitres qui vont suivre.

CHAPITRE II.

DE LA CONNAISSANCE DES HOMMES
ET DES CARACTÈRES

L’art de parvenir envisage la connaissance des hommes comme le premier élément de ses calculs. On ne peut arriver que par les hommes et en s’en servant, d’où la nécessité de les connaître. Cette formule est sèche, elle n’est que le corollaire d’une pensée bien connue d’un célèbre penseur contemporain qui mettait la philosophie en action : Les hommes sont des moyens.

On fait profession ici de ne pas aimer les gros mots ; aussi l’auteur s’est-il demandé plusieurs fois si c’est à bon droit que l’on fait tant de phrases sur le cœur humain et la connaissance des hommes ; les dames auteurs ont bien gâté ces matières. Si connaître les hommes, c’est comme il y a apparence en avoir la plus mauvaise opinion et les croire capables de tout, qui donc ne les connaît pas ? Il n’y a, réflexion faite, rien de sérieux dans cette impression. On en va juger.

La connaissance des hommes suppose :

La connaissance approfondie d’une certaine somme de sentiments innés que l’on peut considérer comme faisant partout le fond de l’humanité.

La connaissance des principales idées, opinions ou préjugés qui ont cours.

Enfin la connaissance d’un certain nombre de types généraux qui constituent le commun des hommes ; et quand on est là, que sait-on ? Le bagage n’est pas gênant, on ne sait rien.

DES SENTIMENTS INNÉS.

Les sentiments innés sont des dispositions morales répandues dans la masse des hommes comme la chaleur et la lumière sont répandues dans les corps. Ils caractérisent l’esprit humain partout, sous toutes les latitudes, en Asie comme en Europe, chez les Kanacs des îles du Pacifique comme chez les Français, à Noukahiva comme à Paris.

Ainsi qui n’a remarqué par exemple que les infortunes des grands et des princes sont à peu près tout ce qui intéresse réellement dans l’histoire, et que leur chute, leur exil, la perte de leurs dignités qui leur laissent encore tant de jouissances et tant de biens excitent une plus vive sympathie que les plus horribles malheurs du commun des hommes.

Si l’on veut traduire ce sentiment, on trouvera qu’il signifie admiration, passion, enthousiasme pour les gens constitués en dignité, pour les puissants, pour les riches ; mépris, indifférence, éloîgnement, aversion pour les gens sans pouvoir, sans crédit et sans argent. Voilà un sentiment général et profond de la nature humaine sur lequel on peut faire des études variées.

Dans les États monarchiques, le mépris s’étale ouver­tement. Dans les pays démocratiques, ou soi-disant tels, on cache soigneusement son dédain des pauvres pour les empêcher de faire des révolutions ou pour recueillir le profit de celles qu’ils ont faites ou qu’ils feront.

L’analyse des sentiments généraux et de leur influence est une des branches de la politique, non pas de celle qui s’étudie dans les livres, mais de la politique occulte, de la politique qui rapporte.

On ne doit pas s’attendre à trouver ici tout le développement des idées qui sont en germe dans ce chapitre ; la sonde sera seulement jetée ça et là au gré des courants.

La peur en masse est encore un de ces sentiments profonds dont la marque est bien distincte. Les hommes, ceux-là même qui n’ont pas peur individuellement, ont peur en masse ; c’est le caractère original de ce sentiment ; et cette peur, c’est là son beau côté, elle convertit les hommes, elle leur donne la foi, cette grâce intérieure d’une si grande efficacité. Il est vrai que la peur est un mystère aussi. Nous en avons un curieux exemple pendant la Révolution française. Certes, personne ne croira que la France ait voulu le régime de la Terreur ? Ne le voulait-elle pas ? rien n’était plus simple. Après les massacres de septembre, elle n’avait qu’à voter pour des hommes modérés, car quelle puissance humaine pourrait comman­der au libre arbitre individuel ? En 1793 toutes les élections sont révolutionnaires ; le pays envoie à la Convention les hommes les plus exaltés dont les sept douzièmes votent la mort de Louis XVI. Que l’on tire la conséquence.

Dans les premiers jours de la Restauration, autre étrangeté ; la majorité du pays est très évidemment voltairienne : on ne voit à la Chambre des députés que des gens d’Église. Le pays aime la liberté, on a la Chambre introu­vable. A chaque fois le vote n’est qu’un acte de soumis­sion envers le pouvoir triomphant. Ô publicistes ! dites-nous donc dès lors ce que c’est que l’opinion. Peur, tu convertis, tu fais croire aux institutions et aux hommes ! Évidemment la naïveté des gens de bien est excessive.

L’envie et la défiance sont encore des sentiments sur lesquels on peut faire de précieuses observations. Ces passions sont précisément le contraire de l’admiration et de l’enthousiasme. Elles existent au même degré, avec la même force ; c’est le chapitre des contradictions morales, contradictions qui éclatent dans le fond de l’âme humaine, et rendent sa physionomie aussi insaisissable que le mouvement de la mer. Ces mêmes masses qui admirent le pouvoir, qui supposent si facilement dans les ministres, dans les hommes d’État, le génie, la grandeur, le désin­téressement, ces masses croient ceux qui les gouvernent capables de tout. Elles supposent à l’action du pouvoir des mobiles monstrueux, des infamies qui ne sont pas même vraisemblables. Et c’est ainsi que se propagent des bruits inconcevables, des anecdotes sans nom, des calomnies qui s’attachent aux réputations, les dégradent pour longtemps, quelquefois pour toujours.

L’envie! et si vous voulez tout dire, dites l’Envie française, il n’y a rien au-delà ; car l’envie en France ex­plique ce qu’il y a de plus fort, les révolutions. On se range sous un drapeau et on le quitte par envie. On ne hait pas sérieusement ses adversaires politiques, mais les gens du même parti se haïssent cordialement, on peut le croire ; ils s’envient.

Le mérite personnel est ce qu’il y a de plus envié et par suite de plus odieux. On envie la pauvreté, on envie le malheur dès qu’il s’y joint la moindre dignité, la moindre grandeur, et ici on a la clef d’une contradiction apparente. Un écart de conduite, une faute ont par exemple déconsi­déré le caractère d’un homme politique. A entendre les clameurs et les persiflages qui s’élèvent autour de lui, on le croirait isolé, c’est une erreur. Il l’est beaucoup moins que ne le serait un homme intègre qu’une noble infortune aurait frappé. C’est tout simple. L’envie est complètement désintéressée, elle trouve même son compte avec le premier ; il aura pour partisans tous ceux qui à sa place auraient failli comme lui, tandis que le caractère de l’autre en éloignant les envieux ne lui assure pas même le concours du petit nombre de ceux qui l’auraient imité.

La vanité est le sentiment qu’il faut combiner avec l’envie pour bien juger de l’ensemble. Dans les livres, dans les journaux, dans le monde on déplore le génie méconnu, les nobles ambitions trompées, les belles âmes incompri­ses ; c’est tout simple, on songe à soi, et, dans ces divers rôles, l’on n’a en vue que sa personne ; à la première occasion, on fermera sa porte au mérite, ou on lui barrera le chemin.

Un homme politique de quelque notoriété vient-il à mourir : pleurs et discours sur sa tombe, manifestations de sympathie, érection de statue, souscriptions pour la veuve et les orphelins ; excellents moyens de se produire et de rappeler son nom au public.

Le gouvernement est attaqué dans les journaux, de fougueux orateurs font des philippiques dans les cham­bres ; retournez les gens vous ne leur trouverez point de haine. Ils n’aspirent qu’à signaler leurs coups, ils ne se disputent que la gloire de frapper. L’ennemi n’est pas celui que l’on attaque, mais celui qui attaque le mieux.

DES OPINIONS ET DES IDÉES GÉNÉRALES.

Il y a des phrases d’un bel effet contre les préjugés, mais il faudrait d’abord démontrer que l’ordre social peut être basé sur autre chose. Ensuite il y a une question embarrassante : ceux qui crient contre les préjugés consentiraient-ils à ce qu’ils fussent tous détruits ? On peut leur démontrer qu’ils en vivent.

Il y a sur la politique, sur la religion, sur la morale, sur les gouvernants, des manières de voir courantes, traditionnelles, une menue monnaie de jugements, de théories, de critiques qui forment comme un second élément de notions générales sur la nature humaine. Pour éviter des longueurs on peut procéder par voie de nomenclature.

On croit que le mérite est le plus sûr moyen de faire son chemin.

On croit qu’il faut de la capacité pour arriver aux emplois.

On s’imagine que l’opinion publique gouverne le monde.

On croit que la politique consiste dans la science des affaires.

On croit que les hommes publics croient ce qu’ils disent à la tribune ou ce qu’ils mettent dans leurs livres.

On croit au progrès indéfini de l’humanité.

Le peuple croit que quand il fait une révolution il en profitera.

On croit que pour établir un gouvernement il suffit de faire une constitution.

On croit que le monde est conduit par des idées.

On croit que les peuples se corrigent.

On croit qu’il y a des théories philosophiques ou sociales nouvelles.

On croit qu’il viendra un temps où les nations ne se feront plus la guerre.

On croit qu’on ne peut pas être un ignorant et un sot quand on fait un livre.

On croit que ceux qui demandent des réformes les désirent,

On croit que ceux qui soutiennent aujourd’hui un gouvernement parce qu’il est fort ne seront pas les premiers à le jeter à bas s’il s’avise de chanceler.

Eh bien que l’on soit de bon compte, parmi ceux qui s’attaquent aux préjugés, en est-il beaucoup qui ne vou­draient pas de ceux-ci ? Que l’on se demande ce que deviendrait l’ordre social si ces vulgarités-là n’étaient pas en circulation.

L’ingénuité des sociétés à travers leur corruption est une bien belle matière à gouvernement. On a beau voir dans les livres que les plus grands événements tiennent à de petites causes, que la politique n’est qu’un jeu de passions et d’intérêts privés, par un bonheur providentiel pour les hommes d’État, les premiers ministres, les princes et les hommes de génie qui, grâce à Dieu, ne manquent guère, le gros du public n’en veut rien croire. Les révolutions sont pour lui des explosions de principes. II répète doctement qu’on n’arrête pas les révolutions ; par Dieu cela dépend de la main, braves gens ! Il veut qu’il y ait une idée nationale, internationale, philosophique ou humanitaire dans toute guerre qui peut engager la vie d’une génération. Le sang féconde, pense-t-on. Certainement si on sème du chanvre ou de la betterave dans le champ où s’est livrée la bataille.


CHAPITRE III.

TYPES GÉNÉRAUX.

La matière expérimentale de la connaissance des hommes présente de si vastes développements qu’à ne l’envisager que sous des rapports très limités on est encore dans l’infini ; l’auteur est obligé de continuer l’emploi de la méthode aristotélique et cartésienne dont il a fait usage jusqu’ici. Division, classification, catégorie, on ne sait pas assez ce que coûte l’ordre dans les œuvres qui se piquent d’être sérieuses en voulant éviter l’ennui. Telles sont les difficultés d’exécution de cet ouvrage que l’harmonie pourra bien être en défaut.

DE LA FORCE MORALE.

La base du caractère humain est la force morale. Le degré de la volonté ou de l’énergie met entre les hommes la même distance que celle de la force physique entre les animaux. Sous ce rapport un homme peut être à un autre homme ce qu’un rat ou une belette est à un lion. Cette vérité est inébranlable ; elle est d’ailleurs assez sinistre, c’est pour cela qu’on ne la crie pas par-dessus les toits. Et maintenant bouleversez une société de fond en comble, nivelez tout ce qui a été construit à sa surface, faites-y passer la charrue et semez du sel, décrétez la loi agraire et l’égalité absolue, ramenez l’homme à l’état de larve, la société à l’état de peuplade primitive. Si ce niveau égalitaire était possible une minute, la minute d’après, la force morale, inégalement répartie entre les hommes, aurait refait de pied en cap la hiérarchie politique et les catégo­ries sociales.

On peut décomposer tous les actes de la vie humaine, on y trouvera le même jeu de la force morale. Dans toutes les circonstances critiques, à la guerre, dans une assemblée, l’énergie de quelques hommes entraîne le reste. Dans le mouvement régulier de la vie, toujours l’action persévé­rante de la volonté triomphe. De deux hommes qui vivent ensemble, celui qui a le plus de caractère mène l’autre. De dix hommes réunis, le mieux trempé mène les autres.

Il n’y a pas plus moyen de se révolter contre cette loi-là que contre les lois de la pesanteur, l’attraction et la gravita­tion des corps. Au fond les rapports entre les hommes se règlent donc sur les aptitudes respectives à exercer la do­mination ou à la subir. On comprend alors aisément pour­quoi il y a des hommes en bas, d’autres en haut ; pourquoi il y a des gouvernements, des princes et des aristocraties. Les forces primitives originaires qui ont constitué un état de choses déterminé à un moment donné tendent à se perpétuer dans les institutions, à s’organiser en classes, en castes, en privilèges et souveraineté, en paralysant ou en désarmant les forces contraires qui pourraient les dé­truire. La force morale organise la force sociale à son profit et la fait servir à ses ambitions.

Ce n’est pas qu’il n’y ait quelque chose de profondé­ment irritant dans le joug de la puissance publique fondée sur la faiblesse des autres hommes. La force divisée dans les masses s’unit sous l’empire d’une haine commune, on fait alors des révolutions ; mais qui les fait ? Encore la force morale départie à quelques hommes résolus. On ne sort pas de ce cercle.

Enfin dans le dernier état de choses on arrive à l’égalité de droit; toute puissance publique héréditaire a disparu, tout privilège est détruit. La vie sociale n’est plus qu’un immense concours ouvert à toutes les ambitions. Eh bien, ce concours ressemble assez à un gymnase auquel on aurait convié boiteux, manchots, paralytiques et goutteux à disputer le prix de la course à tous les concurrents valides à les dépasser de vitesse, à grimper aux mâts, à s’élancer sur les trapèzes pour gagner le prix qui dépend de l’agilité des bras et des jambes.

Très évidemment l’obstacle n’est que déplacé ; au lieu d’être au-dehors il est au-dedans. La puissance individuelle rendue à la liberté de son essor fait son office d’exclusion comme tout autre mécanisme social en excluant les quatre-vingt-dix-neuf centièmes des concurrents qui se sentent tous l’appétit nécessaire pour prendre part aux fêtes de la vie.

On reste en présence de la force. De laquelle ? de la force morale ; mais en un sens cette force morale ressemble fort par ses effets à la force matérielle ? mais oui.

SUITE DE LA MÊME IDÉE.

La force morale est donc le premier élément dont il faut apprécier l’étendue chez les hommes. C’est la nuance essentielle qui les distingue. La force morale est une faculté mère parce qu’elle est habituellement accompagnée d’un certain nombre de facultés du premier ordre qui donnent prise sur le milieu ambiant, telles que le sang-froid, la dissimulation, le jugement, la prudence.

Certains hommes ont les passions si débiles, le vouloir si incertain, le mouvement si irrégulier, qu’on peut les assimiler à des choses. On en voit chez qui les passions sont violentes, mais la décision flottante parce que le jugement est nul ; d’autres enfin qui sont parfaitement réglés dans leurs mouvements et dans leurs habitudes parce que la sphère de leurs idées n’est pas plus étendue que la cage d’un écureuil.

Ces deux dernières classes d’hommes forment l’immense majorité, le bétail à gouvernement, la chair à canon, la matière imposable, exploitable, corvéable, la force publique, l’opinion publique, etc.

DU CARACTÈRE.

On avertit qu’il ne s’agit point ici du plus ou moins de vigueur de l’âme ou de l’esprit, mais de cet ensemble de qualités et de défauts, de vices et de vertus, qui constitue chaque homme en particulier et le distingue essentiellement des autres. Ce sera encore, si l’on veut, le trait dominant qui se dégage de sa nature morale. De même qu’il y a des hommes sans volonté, il en est dont le caractère est indéterminé : c’est le genre neutre, genre varié dans son genre, car l’inépuisable variété de la nature ne s’arrête en rien.

Ce n’est pas un mince avantage que de naître avec un caractère à soi, car tous les hommes dont le naturel est en relief agissent avec plus ou moins de puissance sur les neutres ou demi-neutres ; et voici une observation qui est à retenir au point de vue de l’éducation dont il n’est pas parlé dans ce livre parce que ce sujet rentre plus particulièrement dans le domaine de la littérature ennuyeuse. Voici l’observation :

S’il est presque toujours utile dans le monde de dissimuler sa pensée, il faut montrer son caractère. L’immense habitude que les hommes ont les uns des autres fait que tout homme nouveau avec qui ils se trouvent en contact est immédiatement l’objet de leur analyse. Il faut qu’ils le classent dans une des espèces qu’ils connaissent, ou que, s’il a une effigie nouvelle pour eux, ils puissent clairement la distinguer ; autrement ils s’éloignent, se refroidissent ou se défient. Or, tous les hommes qui ont le caractère frappé au coin de la force ou de l’originalité ne peuvent pas le montrer. La vraie nature rentre chez ceux dont l’âme a manqué de culture ; ils ne paraissent pas extérieurement ce qu’ils sont en réalité. Leur démon familier ne sort pas. Les formes qui sont le moyen de se mettre en dehors font défaut.

L’immense avantage de l’éducation c’est qu’elle retient le type originel en l’épurant et donne à un caractère vivement doué des moyens de manifestation.

DES PRINCIPES.

Il est également à propos d’avertir que par principes on n’entend nullement ici les idées de droit et de devoir qui entrent communément dans les notions de la morale. Ces notions ne tiennent pas assez de place dans la pratique de la vie pour qu’on en tienne compte dans un ouvrage qui reflète avec crudité quoique non sans grâce, du moins on l’espère, la société contemporaine.

Nous entendons par principes la chaîne des idées bonnes ou mauvaises de chaque homme en particulier sur l’ensemble des choses de la vie sociale. Il est suffisamment démontré que ce ne sont pas les idées justes qui ont le plus d’empire sur les hommes, mais seulement leur caractère apparent ou réel de nouveauté, leurs formes plus ou moins passionnées et leurs liaisons brillantes.

Sans un très grand fond d’idées générales on n’a pas de niveau intellectuel et il ne faut pas prétendre à la moindre prépondérance, influence ou force directrice. Il sera d’ailleurs indiqué en son lieu que l’on peut être pourvu de beaucoup d’idées générales et n’en être pas moins d’une suffisante nullité.

Dans le nombre assez restreint de ceux qui ont parcouru un cercle d’idées un peu étendu, qui sont en état de toucher supportablement à une question d’art ou de politique, la plupart se sont attachés à leurs opinions par un pur effet du hasard. On paraît ignorer dans le monde ce caractère presque toujours fortuit des manières de voir et notamment des opinions politiques. Un souvenir de collège, une impression de famille, une lecture d’enfance ou d’adolescent ; l’influence d’une maîtresse, le ressentiment d’une injure, voilà ce qui décide communément des opinions politiques de la plupart des hommes qui croient renfermer une idée personnelle dans leur tête. Aussi n’y a-t-il pas la moindre importance à ajouter à la plupart des opinions qui s’affirment par la parole ou par la plume. Ce sont, presque toujours, de mauvaises copies d’une édition originale dont le sens est effacé ; et puis encore celui qui parle ne traduit pas même sa pensée. Derrière le fonctionnaire il y a un traitement, derrière le journaliste un financier, derrière le publiciste un secrétaire, derrière le pamphlétaire la faim.

DES RÔLES ET EMPLOIS.

On sait qu’il y a au théâtre un certain nombre de personnages de tradition ou de convention qui forment ce que l’on appelle des rôles ou emplois. Ces figures n’ont rien de fortuit ; elles ne sont que la reproduction d’un certain nombre de caractères dont le type est le plus abondamment fourni par la société. Dans quelque milieu que ce soit, on peut se faire fort de retrouver le parasite, le fourbe, le poltron, le délateur, etc. ; le reste formera si l’on veut le chœur antique.

Il y a une quantité indéfinie de gens qui sont nés pour être espions, entremetteurs, traîtres et fripons. Ce sont des rôles et emplois. On sait que ces emplois vulgaires atteignent une certaine hauteur, une certaine dignité à mesure que l’on s’élève dans les sphères de la vie sociale, en politique, dans les affaires, pendant le cours des révolutions, on n’a qu’à ouvrir l’histoire.

DE QUELQUES CLASSIFICATIONS

Les espèces d’hommes sont innombrables dans leur genre comme les variétés d’animaux. Une classe d’hommes étant donnée, il y a comme dans le règne animal des familles. L’étude des caractères humains ne pourrait-elle pas se faire d’après la méthode de l’histoire naturelle ?

On proposera ici quelques classifications, de celles seulement qui peuvent rentrer dans les lignes générales du sujet. Il y aurait lieu, par exemple, de diviser la généralité des caractères en trois grandes catégories : — Les caractères simples ; — Les caractères composés ; — Les caractères à contraste.

Dans les caractères simples les qualités ou les défauts sont homogènes. En bien ou en mal les tons sont unis, il n’y a qu’une dominante. L’homme sera, par exemple, ou avare ou jaloux, ou vaniteux ou crédule. Ses facultés et ses habitudes se résumeront dans un de ces traits saillants. Il aura, à peu de chose près, une qualité ou un défaut essentiel qui sera toute sa personnalité.

Le caractère composé est l'alliage de plusieurs vices, qualités, passions ou défauts dont la complication constitue des natures morales très difficiles à définir ou à expliquer.

Le caractère à contraste n'est qu'une variété du caractère composé. En réunissant les extrêmes, il échappe encore plus complètement à l'analyse. Ainsi il n'est pas rare de voir des hommes avares et prodigues, orgueilleux et bas, souples et hautains, audacieux et timides, francs et dissimulés, courageux et poltrons. Quel est le sceau de leur personnalité, la loi générale de leur être ?

Il y a les originaux.

Les gens à manie, si merveilleusement peints par La Bruyère.

Il y a des hommes qui ont une âme, d'autres dont on peut dire qu'ils n'en ont pas.

Il y a les esprits faux, les esprits étroits, les esprits justes.

Les gens artificieux et ceux qui ne le sont pas.

Les gens qui sont positivement bons, ceux qui sont positivement méchants, ceux qui ne sont ni bons ni méchants ; ceux dont le fond vaut mieux que l'écorce, ceux dont l'écorce vaut mieux que le fond.

Les caractères concentrés, les caractères ouverts.

Les hommes qui n'ont que des qualités morales, ceux qui n'ont que des talents.

Les hommes à sang chaud, les hommes à sang froid ; ceux dont l’ardeur vient de l’imagination, ceux chez qui elle vient du tempérament.

Les gens actifs et les gens indolents. Ceux qui sont actifs sans adresse, adroits sans activité. Les esprits sans suite, ceux qui sont persévérants, les irrésolus, etc.

OBSERVATION SUR CE QUI PRÉCÈDE.

Il ne faut que sept couleurs pour obtenir la variété infinie des couleurs ; il ne faut que sept notes pour créer le monde des harmonies ; il ne faut que dix chiffres pour produire des quantités infinies ; on peut juger par là de la variété des caractères, puisque chez l’homme chaque passion, chaque qualité ou chaque défaut susceptible du plus ou du moins à l’infini se combine avec mille autres facultés susceptibles du plus ou du moins dans la proportion de l’infini.

Cette observation enlève tout intérêt et tout fondement à l’essai d’une classification quelconque.

Dans un homme il n’y a pas un caractère, il y en a dix. Une classification ne refléterait qu’une de ses surfaces ; quelques remarques intéressantes peuvent seulement être faites.

La manière d’entendre la probité crée chez les hommes les particularités morales les plus étonnantes. Ainsi il y a des gens qui vendraient leur pays, commettraient toutes les vilenies, toutes les bassesses possibles vis-à-vis du pouvoir, et qui cependant ne détourneraient pas un écu d'une caisse publique.

Il y en a d'autres qui feront de la concussion sans aucun scrupule, mais qui regarderaient comme déshonorant d'abuser de la confiance d'un ami. D'autres qui, malhonnêtes en affaires, montreraient de la probité dans la vie publique.

Il y a des gens qui voleraient pour payer leurs créanciers ou pour faire honneur à leurs engagements.

La valeur intellectuelle des hommes présente d'autres contrastes non moins extraordinaires. On voit des hommes dont l'esprit paraît très ouvert sur certains rayons d'idées, ils deviennent sourds, muets, aveugles dès qu'il s'agit d'autre chose. On voit des publicistes qui conseillent, critiquent les gouvernements avec plus ou moins d'autorité, qui seraient incapables d'ouvrir la bouche dans un conseil ; on voit des orateurs qui développent admirablement les questions, donnent des avis pleins de sagesse, et qui agiraient avec la dernière ineptie si on leur confiait le moindre pouvoir. On voit des hommes à talents spéciaux, d'une incapacité inouïe pour tout ce qui ne rentre pas dans leur spécialité. Enfin, il se rencontre des gens obtus en apparence qui ne pourraient ni par la parole ni par la plume développer leurs idées et qui feraient merveille dans la sphère de l'action.

Les opinions théoriques que l'on se forme en fait de politique, de religion, de morale, sont autant de branches d’aliénation mentale pour une quantité d’individus qui ont là-dessus des idées qui tiennent réellement de la folie. Un homme qui a de l’unité dans le caractère et dans les idées, c’est comme un cheval sans tare ou une femme sans défaut, on ne le trouve pas.

Dernière observation : les caractères changent, non pas seulement parce que les idées se modifient avec l’âge, que les défauts, les ridicules et les vices s’accusent davantage, mais ils changent suivant la position qu’on occupe ; ils se transforment du tout au tout pendant les révolutions. Quand il souffle un courant de bassesse, tout le monde devient vil ; quand il souffle un courant de peur, tout le monde devient poltron ; quand il souffle un courant de vengeance, tout le monde devient cruel. La plupart des révolutions que nous avons vues nous ont présenté ce tableau.

EN QUOI CONSISTE AU JUSTE LA CONNAISSANCE DES HOMMES.

La connaissance des hommes ne consiste pas le moins du monde dans les notions générales que l’on vient de parcourir, ces notions fussent-elles très approfondies. En quoi donc consiste-t-elle ? Elle consiste à pénétrer tous les hommes individuellement à travers leurs actions et leur langage, à affirmer ce qu'ils sont, à deviner, à prévoir ce qu'ils feront dans telle ou telle circonstance donnée. On peut dès lors se figurer la difficulté d'une analyse et la pénétration qu'elle suppose; c'est une aptitude qui tient du prodige ; car savoir ce que les hommes sont capables de faire dans telle ou telle circonstance donnée, c'est certainement en savoir sur leur compte plus qu'ils n'en savent eux-mêmes.

On ne peut pas les juger sur ce qu'ils paraissent, puisqu'ils ne paraissent pas ce qu'ils sont. On ne peut pas les juger sur ce qu'ils disent, puisqu'ils ne disent pas ce qu'ils pensent ; et quand même ils seraient sincères, on ne pourrait croire à leurs protestations, puisque eux-mêmes ils ne se connaissent pas assez pour répondre de leurs actions.

L'épreuve seule dégage la valeur réelle des caractères. Un homme sera-t-il bon, sera-t-il mauvais, sera-t-il courageux, sera-t-il lâche à tel moment de la vie où l'on peut donner sa mesure ? on peut être trompé à cet égard par les résultats les plus inattendus.

Beaucoup de personnes peuvent se rappeler encore aujourd'hui les circonstances du procès de Lavalette, traduit sous la Restauration devant la cour d'assises de la Seine, comme complice des événements du 20 mars. Il se produisit dans cette affaire un incident que l'on peut retenir comme de la morale en action. Pendant les Cent-Jours le comte de Lavalette avait accepté la direction générale des postes après s'être rallié à la cause royale. Renvoyé devant la cour d'assises, son sort ne pouvait être douteux. Quand on lui communiqua la liste du jury, il n'y trouva qu'un nom qui lui fût connu ; c'était celui d'un M. Héron de Villefosse, qu'il avait connu maître des requêtes au Conseil d'État, lorsqu'il siégeait lui-même comme conseiller, et avec qui il avait été lié. L'avocat du roi récuserait-il cet ancien fonctionnaire ? Lavalette le craignait, et sa joie fut grande quand il le vit maintenu. En revanche, il ne put réprimer un vif mouvement de déplaisir, lorsque, après avoir épuisé son droit de récusation, il entendit sortir de l'urne le nom de M. Jurien, ancien émigré, alors conseiller d'État et directeur au ministère de la marine, qu'il regardait comme son ennemi personnel. M. de Villefosse fut désigné comme président du jury, circonstance dans laquelle Lavalette vit un espoir de salut. Quand après la clôture des débats, Lavalette rentra dans la salle pour entendre le verdict du jury, il ne vit que des figures impassibles ; un seul tenait son mouchoir sur les yeux et cachait ses larmes. C'était M. Jurien, son ennemi, qui pleurait sur son sort après avoir tout fait pour le défendre, tandis que M. Héron de Ville-fosse, son ancien ami, avait plaidé de toutes ses forces pour obtenir sa condamnation.

Jugez donc les hommes !

CHAPITRE IV.

DES QUALITÉS ET DES TALENTS.

Le point de vue du monde est le succès. Or ce point de vue change, du tout au tout, les opinions communément reçues quand il s’agit d’apprécier les qualités et les talents. Ainsi, l’on peut tenir à peu près pour certains ces deux points-ci, à savoir :

1. Que le médiocre est ce qu’il y a de plus avantageux dans les facultés de l’esprit.

2. Que beaucoup de qualités sont des défauts, que beaucoup de défauts ou de vices sont des qualités.

Si, par une faveur d’en haut, vous aviez le pouvoir de choisir entre toutes les qualités et tous les talents, il est à présumer que, séduit par les apparences, vous opteriez pour quelqu’une de ces facultés brillantes auxquelles le monde paraît attacher un certain prix. Ce serait cependant un très mauvais calcul ; car il est avéré que les petites qualités sont infiniment plus utiles que les grandes et que les grands talents sont loin de valoir les petits. Échangez donc beaucoup de savoir contre un peu d’habileté, beaucoup d’esprit contre un peu de sens commun, beaucoup de profondeur contre un peu de surface, quelques avantages extérieurs contre n’importe quoi. Avec quoi attire-t-on la foule sinon par de petits moyens et des artifices grossiers ? Que faut-il pour s’enrichir ? un peu d’ordre ; pour être protégé ? un peu de souplesse ; pour avoir des amis ? un peu de gaieté ; pour agréer aux femmes ? un certain genre ; pas plus.

Le charlatanisme est la moitié du savoir-faire.

DES ESPRITS BORNÉS ET DE CE QU’ON APPELLE LES SOTS.

Règle générale, ce qui manque à l’esprit ou à l’imagination profite au caractère et à l’entente de la vie pratique. Ce n’est donc pas seulement une condition de bonheur que d’avoir l’esprit borné, c’est une condition de succès ; les gens qui ont peu d’idées sont moins sujet à l’erreur, et suivent de plus près ce qu’ils font.

Il est très porté, surtout en France, de parler avec dédain de ce qu’on appelle les sots ! C’est une locution tout à fait insupportable ; les sots sont des gens qui réussissent, qui parviennent, qui s’enrichissent, qui sont bien appointés, bien établis, des gens en place, des gens titrés, nouvellement décorés, des députés, des gens de lettres en renom, des académiciens, des journalistes. Peut-on jamais être un sot quand on fait si bien ses affaires ? Évidemment non.

DE LA MÉDIOCRITÉ EN GÉNÉRAL.

Une femme au-dessus du commun, dont la destinée fut tragique[1], résumait ainsi les impressions que lui avait fait éprouver la vue des hommes de son temps :

« La chose qui m’a le plus surpris depuis que l’élévation de mon mari m’a donné le moyen de connaître beaucoup de personnes, et particulièrement celles employées dans les grandes affaires, c’est l’universelle médiocrité, elle passe tout ce que l’imagination peut se représenter, et cela dans tous les degrés, depuis le commis jusqu’au ministre, au général et à l’ambassadeur ; jamais, sans cette expérience, je n’aurais cru mon espèce si pauvre. »

Si le jugement est vrai pour les hommes d’une époque qui passe pour avoir été féconde en organisations, on laisse à juger ce qu’il en peut être dans les temps qui ont suivi.

On est porté à croire que les grandes positions tiennent à de grands talents, comme on rapporte les événements à de grandes causes. Un peuple qui n’aurait pas cette illusion serait ingouvernable, c’est donc là un de ces préjugés heureux qui servent de fondement aux sociétés ; mais il est tout simplement impossible et contre nature que le mérite personnel joue un rôle même secondaire dans les conflits de l’ambition ; ceux qui se l’imaginent envisagent la vie comme un concours dans lequel il y a des prix à distribuer. Mais qui ne voit que c’est la loi des sympathies et nullement celle des capacités qui fait que les hommes se prêtent ou se refusent leur appui.

Vous êtes un penseur, un philosophe profond, il y a en vous l’étoffe d’un homme d’État ; vous avez l’âme d’un héros, en quoi cela peut-il importer aux gens ? Pas une de ces facultés ne vous donnera un point de rattache avec eux. Il n’y a que la menue monnaie des qualités qui soit d’un commerce courant et d’une valeur appréciable.

Les hommes qui ont besoin des autres n’ont qu’un moyen de les faire servir à leur intérêt, c’est de leur plaire. Cela suffit pour expliquer sous toutes les latitudes et dans tous les temps le succès de la médiocrité.

DES DÉFAUTS QUI SONT DES QUALITÉS ET RÉCIPROQUEMENT.

Il y a naturellement un écart considérable entre les principes de la morale et les conclusions de la vie pratique. Ici tout change, les poids, les mesures et les balances. Les vices du cœur doivent être portés sans hésiter à l'actif d'un intrigant. Ainsi l'égoïsme, l'insensibilité, l'indifférence sur les principes, une certaine noirceur de caractère, on verra tout ce que cela donne d'empire sur les hommes.

L'art de parvenir ne peut pas tenir compte au même degré des qualités morales. Que ferait un homme chaste avec une coquette, un homme loyal dans une intrigue, un homme véridique parmi des courtisans ?

Il y a des défauts qui font merveille. Si par exemple vous êtes impertinent, on vous subira ; orgueilleux, on vous estimera ; méchant, on vous craindra ; irascible, on vous cédera ; artificieux, on vous aidera ; menteur, on vous croira.

CHAPITRE V.

DES MANIÈRES.

On pourrait dire à la rigueur que l’art social tout entier rentre dans les manières, puisque cet art consiste essentiellement dans la façon dont se font les choses. C’est toujours à une question de forme que l’on aboutit. Toutefois on ne comprend ici sous ce titre que ce qui s’y rattache naturellement.

Avoir des manières, c’est suivant l’opinion générale n’être pas du commun ; c’est appartenir à une certaine classe de personnes qui constituent une sorte d’aristocratie idéale.

Cette façon de voir les choses est piquante, notamment en France, où l’on ne jure que par l’égalité ; mais si les instincts aristocratiques étaient bannis de la terre, c’est dans ce pays qu’on les retrouverait ; c’est la terre classique des démarcations sociales. Le premier soin d’un Français qui passe de la condition la plus chétive à une autre qui l’est un peu moins est de se nuancer, d’essayer une supériorité de ton et d’allure qui fasse illusion sur son origine. La contrefaçon se reconnaît, mais on fait toujours bien de se décrotter.

Ce qui explique très naturellement l’ascendant des manières, c’est qu’elles annoncent l’une de ces choses : la fortune, la naissance ou la valeur personnelle.

Elles impliquent la connaissance des rapports sociaux, des usages, et jusqu’à un certain point, des caractères. C’est cet ensemble de choses infinies qui permettent à quelqu’un de prendre le ton, l’air, les façons qui conviennent à son caractère, à son rang, à la circonstance, à l’homme à qui il parle.

Ce sont des signes extérieurs auxquels les gens du monde se reconnaissent. Elles attirent immédiatement la considération tandis que sans elles on est traité sans conséquence. Elles permettent de se mouvoir librement dans toutes les conditions ; elles donnent, ou perfectionnent, un agent moral singulièrement efficace. — La familiarité.

DE LA MISE EN SCÈNE.

On peut comprendre sous ce titre tout ce qui dépend du jeu de la personne physique, gestes, mouvements de la physionomie, inflexions de voix, C’est l’art même du comédien. Tout cela entre dans les combinaisons de l’art social à ce point qu’il est impossible de ne pas toucher au moins incidemment à un tel sujet.

Cet art scénique, complément du grand art, sert le plus généralement soit à déguiser ses impressions soit à traduire des impressions que l’on n’éprouve pas. Il joue un rôle considérable, notamment dans la politique et dans la diplomatie, sans parler de ses applications intimes dans les jeux de la vie galante.

Un diplomate qui a laissé une renommée surfaite sous quelques rapports, M. de Talleyrand, était passé maître dans ce que l’on peut appeler la pantomime diplomatique. Sans rappeler le mot ingénieux qui peint si fidèlement l’empire qu’il avait sur les muscles de son visage, on peut dire que cette rare impassibilité jointe à une entente merveilleuse des jeux de la physionomie fut la moitié de son génie. C’est avec cela qu’au congrès de Vienne il tint son monde en échec.

Dans un des traités qui devaient être soumis à la ratification de la France et dont les clauses se discutaient sur le tapis vert, le mot d’alliés était répété plusieurs fois et avait été mis là intentionnellement par les puissances belligérantes qui avaient conclu contre la France l’alliance de Chaumont. C’était une manière de constater que l’on traitait avec des vaincus, M. de Talleyrand écouta cette lecture avec le plus grand flegme jusqu’à ce qu’on fût arrivé au mot d’alliés. Là, il interrompit du geste, fit une pause et dit :

« Je ne connais pas d’alliés, car les alliés supposent la guerre, et la guerre a fini au 31 mai 1814. »

Puis il écouta le reste de la pièce avec l’attitude d’un homme qui ne comprenait pas et qui certainement ne pouvait pas être accusé de manquer d’intelligence. Il déconcerta les assistants par des airs de surprise, par des questions renouvelées coup sur coup, au point de jeter la réunion dans une confusion indicible.

C’était de la haute mise en scène.

DU LANGAGE, DE LA CONVERSATION ET DE L’ESPRIT

Toutes ces choses, de même que celles qui précèdent, rentrent par un certain côté dans le chapitre des manières. Avoir des manières et en même temps de l’esprit ou de la conversation, c’est avoir un esprit plus fin, une conversation plus délicate et un langage d'un meilleur aloi.

Il ne s'agit maintenant que d'indiquer les points de contact avec la théorie générale.

Il y a dans le maniement des hommes, des intrigues et des affaires, une sorte de langage diplomatique sans lequel personne ne peut prétendre à se faire écouter. Ce sont des réticences, des détours, des mouvements de surprise, de hardiesse, des affectations de froideur, et par-dessus tout cela, un usage habile de l'ironie, celui de tous les détours de langage dont l'effet est le plus actif.

Quant à la conversation, elle est à l'art de la vie comme un de ces accessoires sans lesquels les machines les mieux montées ne marcheraient pas. Quiconque n'a pas à sa disposition un réservoir de paroles inépuisable sera fort embarrassé pour arriver à quoi que ce soit. Suivant le gros vulgarisme : il faut peloter en attendant partie. La conversation, et une conversation qui ne tarit jamais, est le seul moyen de se tenir en représentation dans la société. Car quand on n'a plus rien à dire il faut s'en aller.

L'esprit des gens qui ont des manières ne ressemble pas à celui des autres. Elles donnent à l'esprit cet air de cour et de galanterie devenu si rare aujourd'hui. Le trait suivant de M. de Talleyrand fait comprendre ce que c'est que l'esprit des gens qui ont des manières :

Si répulsif qu'il fût de sa personne, M. de Talleyrand avait de grands succès avec les femmes, ce qui ne doit pas étonner.

Un jour, deux dames célèbres, Mme de Staël et Mme de Fl…, qui se disputaient la première place dans ses affections, le pressaient de s’expliquer à ce sujet, et le prélat se défendait par ces formules vagues que la politesse a inventées pour remplacer la franchise. « Il ne s’agit point de tout cela, dit une de ces dames ; je suppose que nous fussions tous trois dans un bateau, qu’un coup de vent vint à le submerger, et que vous fussiez un bon plongeur, quelle est celle de nous deux que vous songeriez à sauver la première ? — Madame, dit le spirituel courtisan en se tournant du côté de Mme de Staël, je crois que vous savez nager. »

DES PROCÉDÉS.

La maxime de minimis non curat prætor est, comme on le pense bien, rayée du décalogue des bonnes règles, puisqu’il est avéré que le savoir-faire consiste beaucoup plus dans les petites choses que dans les grandes.

Celui qui marche à une entreprise, ou même seulement à la conquête du plus léger avantage, doit connaître ses pistes comme un Peau-Rouge en guerre avec une peuplade voisine. Il doit notamment être expert dans une foule de petites choses qui sont à la science de la vie ce que la procédure est à la science du droit. L'embarras qu'éprouvent les gens dans une foule de circonstances où il faut aller de l'avant peut se traduire par ces mots:

Comment la chose se fait-elle ? Comment s'y prend-on ?

C'est là une question d'usage et en même temps d'expérience pratique.

Les abords de toutes choses sont semés de menues difficultés, d'ambages, de fins de non-recevoir, d'empêchements et de formalités auxquels le vulgaire est toujours arrêté ; c'est le crible dans lequel on tamise tout ce qui est trop épais dans la mouture.

Il y a une foule de petites faveurs, de passe-droits, de privilèges qui se laissent surprendre ; la chose qui ne se fait pas pour vous se fera pour un autre. Il y a toujours un moyen d'obtenir ce qu'on refuse, de lever une objection, de passer par une porte fermée. Il y a une formule qui lève la consigne, un biais qui tourne la difficulté.

Cette formule, ce ressort secret, c'est ce que nous appelons le procédé. Le procédé dispense de frais d'imagination dans une multitude de cas où il suffit de s'y prendre d'une certaine façon.

L'homme à grandes manières n'hésite jamais sur le procédé ; c'est là sa force. Il manie avec aisance une situation en s'appuyant sur les formes comme sur autant de points d'appui qui jalonnent sa route.

C'est la connaissance approfondie du ton des formes du langage et des procédés qui constituent sur le théâtre ce qu’on peut appeler l’optique sociale. La littérature dramatique contemporaine est sous ce rapport à peu près illettrée et barbare.

OBSERVATION SUR LA LIGNE DE CONDUITE EN GÉNÉRAL

Dans un sens plus large, le mot de procédés s’étendrait à la mise en œuvre de toutes les règles de la stratégie sociale ; et, sous le titre De la ligne de conduite en général on pourrait former un chapitre composé des subdivisions suivantes :

Des conjonctures ;
Du calcul des probabilités ;
Du temps opportun et de l’à-propos ;
Des circonstances critiques ;
Des partis à prendre et de la résolution ;
Des artifices, etc.

Mais ce serait la pire des choses que de donner tête baissée dans toutes ces matières ; il suffit de montrer que le fil conducteur n’est jamais perdu. La substance des idées omises se retrouvera un peu partout. Quelques observations doivent seulement être faites sur la ligne de conduite en général.

La ligne de conduite est la mise en application constante des règles que l’on suppose gouverner les situations. Quand on dit de quelqu'un qu’il n’a pas de ligne de conduite, cela signifie qu’il n’a pas de plan, pas de système, ou, ce qui est la même chose, qu’il ignore les règles du jeu qu’il joue. Ces gens-là comptent dans la vie comme des zéros à la droite d’un nombre.

Le premier principe, le principe par excellence de la ligne de conduite en général, est celui-ci :

Le plus court chemin d’un point à un autre est la ligne courbe.

l'enchaînement des courbes constitue la tactique, c’est le corollaire.

Il n’y a pas de tactique irréprochable. Il en est de ceci comme des fausses manœuvres à la guerre ; chaque faute amènerait une défaite si l’on avait affaire à un adversaire qui les vît toutes et sût en profiter ; mais le plus souvent on lutte avec de non moins malavisés. Il y a autant d’impéritie d’un côté que de l’autre, et c’est le moins maladroit ou le plus heureux qui l’emporte.

Il reste à faire remarquer que l’art de parvenir crée à lui seul une véritable langue dont les termes sont presque exclusivement empruntés à la politique, à l’art militaire et à la diplomatie[2]. C’est que l’art de parvenir n’est lui-même qu’une généralisation de tous ces arts. Chaque individu en particulier a droit d’alliance de paix et de guerre, et ne procède pas autrement en somme dans ses entreprises que la société politique à laquelle il appartient.

L’idée poursuivie dans ce livre est arrivée à toute sa synthèse. Les exigences de la méthode cartésienne sont plus que satisfaites. On peut passer outre.





LIVRE II.

DU POUVOIR ET DE L’AMBITION.


CHAPITRE I.

DE L’AMBITION EN GÉNÉRAL.

L’ambition est généralement la passion de faire parler de soi, d’élever sa personnalité au-dessus du commun des hommes, de les faire servir à ses intérêts ; c’est également le besoin d’avoir beaucoup d’argent à sa disposition, de posséder des hôtels, des maisons de campagne, des équipages, des maîtresses à tous les étages et un nombreux domestique.

Il est très-réel d’ailleurs qu’il y a une certaine jouissance idéale dans l’invention et la direction des combinaisons qui décident de la vie, de la fortune des hommes et du choc des événements. En un mot, c’est le plus beau jeu, puisque c’est celui qui, en donnant le plus de profit, rapporte en même temps le plus de jouissance intellectuelle.

À ce sujet une réflexion satisfaisante peut se faire. En raison des qualités d’esprit et de caractère que suppose une passion aussi forte que celle de l’ambition, il semblerait qu’elle ne dût être le partage que d’un petit nombre d’hommes bien doués. C’est le contraire qui arrive. Ce sont les gens les plus médiocres qui sont les plus ambitieux, et par suite les plus agissants. Rien n’est plus piquant que ceci. On peut se représenter la fortune comme une belle femme environnée de prétendants ; ce sont les eunuques qui la désirent le plus, et ce sont les eunuques qui l’obtiennent.

DE LA DOMINATION ET DE QUELQUES-UNS DE SES SECRETS.

L’instinct de domination est la première qualité de l’ambitieux. Quiconque veut dominer, dominera, car en tout genre le monde ne compte qu’avec ceux qui prétendent. Il vaut donc mieux en général avoir les prétentions que de posséder les aptitudes.

L’instinct de domination est une de ces lois morales qui expliquent l’existence des sociétés politiques. Chaque homme en particulier croit à sa puissance et veut exercer son empire. On accepte la domination quelque part afin de la faire subir à son tour ; de là les hiérarchies sociales.

Il se soulève à ce propos une question intéressante, c’est de savoir si la domination en général est plutôt fondée sur les vices des hommes que sur leurs qualités. Chose étonnante, et cependant certaine, la domination est fondée sur ce qu’il y a de plus pur et de plus élevé dans l’âme humaine. Au premier abord on ne le croirait pas. Sans doute, les supériorités sociales vivent de la bêtise humaine. L’ignorance, l’incapacité, la faiblesse, le servilisme et la bassesse expliquent les gouvernements, les princes, les hommes d’État qui exploitent les peuples au profit de leurs ambitions ; mais on ne gouvernerait pas sans les beaux côtés de l’âme humaine, les politiques de quelque profondeur le savent bien. Il y a en effet chez les hommes des passions purement idéales, comme l’enthousiasme, l’amour de la gloire, le sentiment de la discipline, de l’obéissance, du dévouement et du devoir. On exploite mieux les hommes avec cela qu’avec leurs instincts les plus pervers. Voici par exemple des phénomènes sur lesquels on ne saurait trop méditer :

Deux États sont en guerre. Le jeu coûtera la vie à deux cent mille hommes au bas mot. Parmi ceux qui vont ainsi à la mort combien en est-il qui puissent se rendre compte des motifs de la querelle pour laquelle ils se font tuer ! Pas un, et s'il y en avait d'aventure, ils ne se feraient pas moins tuer, ce qui est encore plus extraordinaire. Il n'en est pas non plus qui aient personnellement le moindre motif de haine contre ceux qu'ils tuent. Se peut-il concevoir quelque chose de plus désintéressé que cette manière d'agir ? Il y a là-dedans un spiritualisme qu'on appelle l'honneur, la patrie, l'amour de la gloire ; proposez des mobiles purement matériels à ces braves gens, vous n'en ferez rien.

Il y a deux cents ans, les hommes se battaient pour une religion dont ils ne comprenaient pas les dogmes et dont le plus souvent ils ne suivaient pas les préceptes ; on se battait pour la foi ! Qu'on le sache bien, il ne faut pas moins de spiritualisme pour se battre aujourd'hui.

Au seizième siècle, on vit se constituer, sous la protection du Saint-Siège, une société formidable qui existe encore, quoiqu'elle soit déchue de sa puissance. Cette société comptait à peine cent ans d'existence, que déjà elle remplissait le monde du souvenir des grandes choses qu'elle avait faites, et des épreuves qu'elle avait subies. Nul ordre religieux ne produisit autant d'hommes distingués dans tous les genres, aucun n'étendît ses travaux sur un plus vaste espace, et cependant jamais on ne vit une plus parfaite unité d'action et de sentiment.

Dans toutes les régions du globe, dans toutes les carrières ouvertes à la vie active ou intellectuelle, on rencontrait des jésuites ; ils dirigeaient les conseils des rois, déchiffraient les inscriptions latines, observaient les mouvements des satellites de Jupiter, et remplissaient les bibliothèques du monde d'ouvrages de controverse, de casuistique, d'histoire, de traités d'optique, d'odes alcaïques, d'éditions des Pères de l'Église, de catéchismes, de madrigaux et de pamphlets. Leur vie était un miracle d'activité et de dévouement. Le jésuite traversait les pays protestants sous le déguisement d'un brillant cavalier, d'un simple paysan ou d'un prédicateur puritain ; il parcourait les contrées que n'avait jamais explorées l'avidité du commerce ou la curiosité du touriste. On le trouvait sous la robe d'un mandarin dirigeant l'observatoire de Pékin ; on le voyait, la bêche à la main, enseigner les éléments de l'agriculture aux sauvages du Paraguay.

Un jésuite ne choisissait ni ses fonctions ni le lieu de sa résidence. Passer sa vie sous le pôle arctique ou sous l'équateur, employer son temps à classer des pierres précieuses et à collectionner des manuscrits au Vatican, ou à enseigner aux sauvages de l'hémisphère méridional à ne point se manger entre eux : c'étaient là des questions qu'un jésuite abandonnait avec une profonde soumission à la décision de ses chefs. Si l'on avait besoin de lui à Lima, le premier bâtiment partant pour l'Atlantique le recevait bientôt à son bord ; le réclamait-on à Bagdad, il traversait le désert avec la première caravane ; sa présence était-elle nécessaire dans quelque pays où sa vie fût plus exposée que celle d'un loup, où lui donner asile était un crime, et où les têtes et les membres de ses frères, suspendus aux places publiques, indiquaient le sort qui le menaçait, il marchait à sa destinée sans hésitation ni murmures.

À quoi donc attribuer les prodiges de cet ordre fameux sinon à l'abnégation, au dévouement absolu des inférieurs, à la passion de l'obéissance et de la subordination ? La société avait pour devise ; perindè ac cadaver. C'est la quintessence du spiritualisme. Trouvez donc quelque chose qui agisse plus puissamment sur les hommes que les idées abstraites.

Plus on exige des hommes, plus on en obtient, c'est là un des secrets les plus profonds de la domination. Ainsi, on peut voir une des applications de ce principe dans l'austérité des règles imposées par les établissements religieux, plus l'observance est sévère, plus elle attire de pénitents. Une maison de Chartreux qui voudrait relâcher sa règle sous prétexte de s'accommoder à la faiblesse humaine, aurait bientôt fait maison nette.

Moins on paye, mieux on est servi ; c'est un des corollaires du même principe, et l'on peut voir quelle est la commodité du précepte.

Plus le travail est dur, plus il est obscur, plus on s'y attache étroitement, toujours la même règle. Le labeur opiniâtre du paysan en est une preuve, et Platon fait à ce sujet une réflexion que l'on aimerait à voir inscrite sur les édifices où l'on a la prétention de décerner des prix d'agriculture. « Un laboureur, dit-il, est très utile à l'État, et sa profession mériterait d'être honorée, essayez de lui donner une charrue en ivoire, un habit de pourpre, de la vaisselle d'or, une table délicate, il ne voudra plus s'exposer au soleil et à la pluie, marcher dans la boue, aiguillonner des bœufs ; en un mot, il ne voudra plus labourer, sinon quelquefois par le beau temps, pour se divertir. »

Platon ajoute même des choses qu'il ne ferait pas bon de répéter aujourd'hui, par exemple, « que dans toutes les professions, l'artisan trop à son aise ne veut plus faire son métier ; qu'il s'abandonne au plaisir et à la paresse, et ruine son art par les moyens qui lui avaient été donnés pour l'exercer commodément. »

Au point de vue du gouvernement, l'application pratique, c'est qu'il ne faut pas craindre de pressurer un peu son peuple, de lui demander beaucoup d'argent et beaucoup d'amour, mais n'anticipons pas.




CHAPITRE II.

DE QUELQUES FACULTÉS CAPITALES.

DE LA VOLONTÉ.

On a pu remarquer dans les premiers chapitres une théorie de la force morale dont la précision laisse peu de chose à désirer.

Cette théorie est tout à fait décisive en politique et rien ne serait plus aisé que de lui donner ici un très grand développement ; mais qui ne comprend que dans un tel ouvrage la synthèse est fort au-dessus du détail ?

La nature sociale est un état de guerre dans lequel le jeu de la force morale domine le jeu de la force physique. Même à la guerre, les défaites ne sont que des déperditions de force morale. Quand deux armées se heurtent sur un champ de bataille et qu’elles jonchent le sol de trente ou quarante mille morts ou blessés, ce n'est pas la différence des pertes entre les deux armées qui décide de la victoire ; mais d'un côté l'audace, la confiance, le courage qui vont croissant et multiplient les forces, tandis que de l'autre côté tous ces éléments moraux en se désorganisant entraînent la déroute.

Les résultats d'une victoire seraient presque toujours annulés si l'armée qui a perdu son champ de bataille pouvait recommencer l'affaire un peu plus loin avec la même somme d'énergie qu'au commencement.

Cette force morale a de tout temps défendu les petits peuples et les petites armées contre la supériorité du nombre et des masses. Les peuplades grecques, divisées, déchirées par des dissensions intestines, sans armées permanentes, sans unité de commandement, ont tenu en échec pendant des siècles toutes les forces militaires de la civilisation asiatique qui ne put jamais soumettre ces indomptables populations. On a vu en 1814 les légions du Premier Empire, victorieuses sur tous les champs de bataille de l'Europe, fondre comme neige en Espagne devant des bandes de guérillas. De nos jours, une poignée de soldats anglo-français sont entrés en vainqueurs dans la capitale d'un royaume asiatique de cent millions d'hommes.

La politique a inventé en ce temps-ci une théorie qui consiste à conquérir les petits peuples sous prétexte de les défendre. Si ces petits peuples savaient faire une guerre de feu et de sang sur leur territoire, ils se défendraient bien tout seuls.

La force morale qui est la richesse des nations est aussi la richesse des individus. En politique, n’avoir pas de volonté, c’est n’avoir point de puissance et point de liberté.

Jean-Jacques Rousseau a écrit quelque part : Quiconque veut être libre l’est en effet. Comme la volonté d’être libre en suppose la force, il eut été plus exact de dire : Quiconque est né fort est né libre.

La liberté, c’est la force morale, la force morale produit la liberté. Elle seule donne à un homme le pouvoir de s’égaler à ses désirs et à ses ambitions. Réciproquement, la faiblesse c’est l’esclavage, une sorte d’esclavage naturel, incurable, qui fera toujours dépendre une moitié de l’humanité de l’autre.

Les droits n’existent en réalité que pour qui peut les exercer.

DU FOYER INTÉRIEUR.

On crée ce nom pour caractériser une certaine disposition de l’âme, dont le rôle n’a pas été assez aperçu chez les ambitieux. Il s’agit d’un état normal de surexcitation qui porte sans cesse à agir, à entreprendre, qui tient sans cesse en éveil les désirs, les passions. Tout les hommes ont, à leur heure, des moments d’action et d’entrain qui leur font illusion sur leurs forces, mais cette chaleur est intermittente. Bientôt leurs idées pâlissent, leurs projets se refroidissent. Le foyer intérieur s’est éteint ; ils ne savent pas quand il se rallumera. Il leur faudra attendre quelque excitation physique, un caprice de leur tempérament, quelque choc d’idée imprévu.

Chez les ambitieux bien doués, le foyer brûle toujours ; ils sont toujours excités. Leur esprit est toujours tendu, leur âme toujours en mouvement, dans tous les temps. C’est le continuus animi motus dont il est question dans un passage de Salluste en parlant de César, qu’on nous représente toujours agité, toujours brûlant de faire quelque chose de nouveau. Les grands hommes ne sont pas autrement. Le foyer intérieur se traduit chez eux par des villes prises, des batailles livrées, des contributions frappées, des intrigues, machinations, combinaisons et inventions de toutes sortes, ils ne peuvent pas apaiser à moins l’ardeur de leurs excitations internes, et l’histoire des peuples est généralement l’histoire de ces expansions de chaleur naturelle.

DE LA DISSIMULATION ET DU SECRET.

Mazarin paya tous les bienfaits de Louis XIV par ces simples mots qu’il lui dit à l’oreille avant de mourir :

Simula, dissimula, nulli fide, omnia lauda. On chercherait longtemps avant de trouver un conseil d'une aussi haute perfection.

La dissimulation est une des facultés que les hommes estiment le plus. Elle leur apparaît comme un signe de force, comme un caractère de supériorité morale évidente, et cette manière de voir n'est pas si mal fondée.

Ne pas dire sa façon de penser, n'est-ce pas donner un gage de sa prudence ? N'est-ce pas un signe probable de force de caractère et de concentration d'esprit ? Ce n'est pas tout. La dissimulation agit sur l'imagination des hommes par le prestige tout-puissant du secret et de l'inconnu. Un homme qui ne dit pas sa pensée est supposé tenir la vérité, on suppose de même la force d'action à celui qui ne confie pas ses projets.

Tout cela est fondé sur la niaiserie humaine, et l'on apprend à jouer à ce jeu-là comme l'on apprend à jouer au trictrac ou à l'écarté.

Il est vrai que la dissimulation suppose d'autres facultés, non moins appréciables, la ruse, l'astuce, la duplicité, ces grands instruments de la politique, Cromwell, qui se connaissait en cette matière, avait coutume de dire: « L'artifice et la tromperie donnent à vivre la moitié de l'année, l'artifice et la tromperie donnent à vivre l'autre moitié. » On peut en croire des hommes aussi pratiques et qui savent si bien l'humanité.

Un personnage historique qui, dans un rôle de seconde main, s'est rendu singulièrement célèbre par sa dissimulation, c'est Monck, homme médiocre au demeurant ; son impénétrabilité et son flegme imperturbable servirent mieux sa fortune que la plus haute capacité politique.

Transfuge de l'armée royale et créature de Cromwell, il trompa tous les partis jusqu'au jour de la Restauration, avec un art qui n'a jamais été dépassé. Non content de rompre avec quiconque avait la réputation d'être attaché aux Stuarts, il dénonçait au Protecteur toutes les menées des cavaliers. Il lui envoya jusqu'à une lettre qu'il avait reçue du roi par une voie secrète. Cromwell n'était point dupe, mais que faire avec un homme qui jouait son jeu aussi irréprochablement ? Il lui écrivit un jour par forme de plaisanterie, dans un post-scriptum : « J'entends dire qu'il y a en Écosse un certain drôle fort rusé, que l'on appelle George Monck, lequel n'attend que le moment d'ouvrir la porte à Charles Stuart ; je vous prie de faire tous vos efforts pour mettre la main sur cet individu et me l'envoyer aussitôt. » — C'est ainsi que jouent les tigres.

Cromwell tombe, Monck reste immobile et ne paraît occupé qu'à se maintenir dans son commandement. Richard tombe, et Monck se soumet au Parlement avec la même docilité ; il fait plus : il proteste contre la violence de l'armée qui avait chassé l'assemblée. Son frère lui-même, ecclésiastique non suspect, étant allé le voir en Écosse pour lui remettre une lettre du roi, il refuse d’entrer avec lui dans la plus légère explication. Il manœuvre souterrainement toutefois, et pendant qu’il entre enfin en communication directe avec le roi, il prodigue les faux serments et les protestations. Il répète à Ludlow qu’il faut vivre et mourir pour la république ; il met sa main dans celle de l’inflexible Haslerig, en jurant par le Dieu vivant de s’opposer jusqu’au dernier soupir à l’élévation de Charles Stuart ou de tout autre.

Et c’est ainsi qu’il devint duc d’Albemarle avec quatre-vingt mille livres sterling.

La duplicité est certainement une excellente chose, mais encore ne faut-il pas se prendre dans ses propres filets, ce qui arrive. Il faut quelquefois ne pas vouloir tromper, c’est là le difficile.

DE LA MÉCHANCETÉ CALCULÉE.

Les théologiens montrent une profonde connaissance de la nature humaine quand ils représentent Dieu comme un être infiniment bon, mais surtout comme infiniment redoutable. C’est là le côté essentiel, car le mal est quelque chose de plus palpable que le bien. Les raisons de craindre sont plus frappantes que celles d’espérer ; enfin le mal paraît aux hommes une plus grande expression de la force que le bien, et par suite il agit davantage sur leur imagination.

Si l'on veut contrôler cette proposition on n'a qu'à voir quel est dans l'histoire morale des peuples la part de la raison et de la justice ; quel est le rôle des sentiments généreux et des idées élevées. La gloire par exemple est un des mobiles les plus vivaces de l'humanité et la gloire est l'incarnation même du mal, le principe de tous les fléaux. Dites donc à un peuple de renoncer à la gloire, ou essayez de gouverner sans elle. De quoi toute l'Europe moderne a-t-elle vécu pendant près de dix siècles ? Des folies et des fureurs de la superstition religieuse. Cette frénésie a fait son temps ; par quoi est-elle remplacée aujourd'hui ? par une autre frénésie : l'aversion de tout sentiment religieux, c'est toujours le torrent du mal.

L'ascendant des idées fausses pendant les révolutions est un autre aspect de cette force malfaisante qui paraît présider à la vie des nations.

Les principes faux, les sentiments pervers ont partout infiniment plus de puissance que leur contraires. Ces considérations jettent un certain jour sur la science du gouvernement, sur la politique dont les agissements secrets sont connus. Le mal en est le principal ressort. Par suite des mêmes raisons la bonté est une qualité absolument négative chez les princes. Elle ne peut leur servir en rien. C'est ce qui apparaît notamment dans l'histoire de France où, dès l'origine de la monarchie, on voit tous les princes débonnaires, chassés, détrônés, avilis ou assassinés. Jamais on n'a vu dans ce pays la nation broncher sous une main violente, quelques coups qu'elle ait portés. Philippe Auguste, Philippe le Bel, Louis XI, Richelieu, Louis XIV avaient précisément ce don de la cruauté froide et implacable qui est d'un si grand prix dans les chefs d'Etat. Prodigues du sang, de la vie et de l'or de leurs sujets, leur gloire se continue dans la postérité. Le mal qui a suivi leurs pas fait partie de leur grandeur. En revanche, sous tous les princes faibles on a crié à la tyrannie, c'est dans l'ordre. La popularité des Robespierre et des Danton paraît puiser sa force dans le sang qu'ils ont versé. Napoléon Ier, qui a fait tuer un million d'hommes, et dont la main pesait, Dieu sait comme, a été l'âme de ce pays. Il est vrai qu'il n'en est point au monde d'aussi passionné pour la force ; mais son exemple n'en est que plus approprié.

On a pu voir déjà que ce que nous appelons l'art de parvenir n'est à tout prendre qu'une application de la politique à la direction de la vie. Du petit au grand c'est la même chose. On ne saurait pousser loin sa fortune sans une certaine noirceur de caractère qu'il faut acquérir de parti pris quand on n'a pas le bonheur de la posséder naturellement. On sent à merveille qu'il ne s'agit pas ici d'une méchanceté brutale ou irréfléchie, mais d’une méchanceté qui a conscience d’elle-même, d’une méchanceté calculée sur les instincts de la nature humaine.

Ainsi dans le courant de la vie un homme a beaucoup d’intérêt à établir l’opinion qu’il ne pardonne pas aisément ; qu’on ne pourrait l’offenser impunément ; qu’il a peu de sensibilité, peu de côtés ouverts aux sentiments. Plus il sera dur, mieux il percera la couche sociale.




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  1. Mme Roland.
  2. On pourrait encore ajouter : à la navigation, à la chasse et aux jeux.