Recherches sur les végétaux nourrissans/Dixième Objection

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Dixième Objection.


L'uſage des pommes de terre pour les beſtiaux, n’eſt pas encore auſſi exempt d’inconvéniens qu’on veut bien l’aſſurer : quelques Obſervateurs ont déjà remarqué que le lard des cochons qui en avoient été engraiſſés, n’avoit pas beaucoup de conſiſtance.


Réponse.


L'avantage d’engraiſſer les animaux ſans employer les grains utiles à la conſommation de l’homme, ne ſauroit être conteſté, & dans le nombre des ſubſtances qui peuvent y ſuppléer la pomme de terre doit, ſans doute, être conſidérée comme la plus nourriſſante ; il eſt poſſible que, vu la quantité d'eau que renferme la pomme de terre, la graiſſe des animaux qui s’en alimentent, ne ſoit pas très-ferme, & en ſuppoſant que cet inconvénient ſoit vrai, ne pourrait on pas y remédier en ajoutant à ce manger, vers la fin, du ſon ou de la farine d’orge, pour absorber la ſurabondance d’humidité ? Voici une Obſervation qui mérite d’être connue.

M. Blanchet a éprouvé qu’en donnant beaucoup de pommes de terre à des bêtes à corne qu’on a deſſein d’engraiſſer, elles enflent à cauſe de leur trop grande quantité de matière nutritive ; il penſe qu’un boiſſeau de Paris de ces racines, partagées matin & ſoir, hachées menues comme des grosses noix, mêlées d’un peu de ſon & de ſel, en Bretagne où il eſt à bon marché, avec du foin, ſuivant l’uſage à midi & pour les nuits, avance beaucoup l’engrais des bêtes à corne, même des chevaux, que cette nourriture les ſoutient ſans avoine aux travaux du labourage. M. Blanchet ajoute qu’étant Régiſſeur d’une ferme dans le haut Poitou, il avoit recueilli en 1765, environ mille ſacs de gros navets, qu’il avoit ſemés & cultivés par rangs ; il fit engraiſſer pendant l’hiver, dix-huit bœufs : ſes Valets, appelés Grangiers, c’eſt-à-dire, attachés à la grange pour nourrir les bœufs qu’on engraiſſe, leur donnoient journellement une ſi grande quantité de navets, qu’il en fut étonné, pendant pluſieurs jours, il fit peser ce qu’on en donnoit à deux bœufs, il trouva qu’une paire, l’une dans l’autre, en mangeoit de quatre cents quatre-vingts à cinq cents livres par jour, ce qui eſt un poids énorme, & prouve que le navet contient peu de ſubſtance nutritive : auſſi lui a-t on a aſſuré que les navets n’engraiſſoient point, mais rafraichiſſoient, & préparoient les bœufs à prendre de la graiſſe. Outre cette quantité prodigieuſe de navets, on leur donnoit encore d’excellent foin ; d’où il conclud que cinquante livres environ de pommes de terre & le même foin, produiſent autant d’effets que cinq cents livres de navets par jour ſur deux bœufs mis à l’engrais : mais il eſt bon de faire cuire ces racines les quinze derniers jours de l’engrais, parce qu’au moyen de la cuiſſon, la partie aqueuſe ſe combine avec les autres principes, ce qui ſorme un aliment plus ſolide.


Onzième Objection.


La pomme de terre conſidérée ſous le point de vue alimentaire pour les hommes, n’eſt pas non plus à l’abri de tout reproche ; il faut avoir un eſtomac fort & vigoureux pour être en état de digérer l’aliment viſqueux groſſier que ces racines fourniſſent.