Recueil des lettres missives de Henri IV/1570/13 septembre ― À monsieur mon oncle, le cardinal de Bourbon

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1570. — 13 SEPTEMBRE. — Ire.

Orig. – Collection de madame la comtesse Joly de Fleury.


À MONSIEUR MON ONCLE, LE CARDINAL DE BOURBON[1].

Monsieur mon Oncle, J’ay veu par la lettre que vous m’avés escripte le bien et plaisir qu’il vous plaist de m’accorder pour subvenir en ma necessité sur les deniers provenant de la vente de bois en la baronie de Chasteauneuf[2], dont je vous remercie bien humblement, comme celuy qui en a bien grand besoing. Et puisque ainsy vous plaist, je vous supplie doncques que vous faictes mettre les deniers que vous voulés que je prenne entre les mains de mon tresorier, le plus tost qu’il vous sera possible, afin que je m’en puisse servir et m’en ayder en ceste necessité, vous asseurant que je n’entends vous empescher aulcunement en la jouissance du contract faict entre la Royne ma mere et vous[3] ; et n’advoueroy aulcuns qui se mesleroient de vous y troubler, ne empescher en aulcune sorte. J’ay veu aussy par vostre dicte lettre, comme vous avés faict commander la despesche qui estoit necessaire à obtenir du Roy pour avoir main-levée des biens saisis en Flandre[4] ; dont je vous remercie aussy bien humblement. Si est-il besoing, Monsieur mon Oncle, de vous employer encores, s’il vous plaict, envers Sa dicte Majesté pour mon frere le bastard[5] ; car recevant ce tort que le bastard de Lansac[6] luy veult faire, de luy spolier cest evesché de Cominges, il ne [se] peut que nous tous, auxquels il attouche et appartient, ne nous en ressentions et n’en soyons grandement prejudiciez en beaucoup de sortes. J’en escris derechef une bonne lettre à Sa dicte Majesté ; je vous supplie bien humblement d’y vouloir interceder, comme aussi en la continuation de mes estats et pensions que j’ay ordonnées par Sa Majesté, comme vous sçavés ; dont j’ay aultant de besoing que jamais, ainsy que le conseiller de la Roque[7], present porteur, vous fera entendre de ma part. Et ce faisant, Monsieur mon Oncle, vous augmenterés de plus en plus l’obligation que je vous doibs. Au reste vous serés adverty comme enfin nous avons si bien traicté et convenu avec les reistres, qu’ils sont demeurez contens, payez et satisfaicts de la somme qu’il a pleu au Roy nous bailler pour eux[8], et comme ils furent hier congediez et licenciez ; de sorte que nous esperons de partir demain pour nous en aller vers la Rochelle, ainsy que vous dira ledict conseiller de la Roque, present porteur. Sur la suffisance duquel me remettant du surplus, prieray Dieu, Monsieur mon Oncle, vous maintenir en sa saincte garde. De Luzey[9], ce xiije jour de septembre 1570.

Vostre humble et obeissant nepveu,
HENRY.


  1. Charles de Bourbon, cardinal, archevêque de Rouen, cinquième fils de Charles de Bourbon, duc de Vendôme, à qui plus tard la Ligue donna le titre illusoire de roi de France, sous le nom de Charles X, était oncle paternel de Henri IV.
  2. Seigneurie située dans le pays de Thimerais, aujourd’hui dans le département d’Eure-et-Loir.
  3. Le cardinal de Bourbon venait de terminer par une transaction le procès qu’il avait intenté à Jeanne d’Albret, pour lui faire restituer les biens patrimoniaux auxquels il avait renoncé lors du mariage du roi son frère, spécialement ses droits sur la baronnie de Châteauneuf. En 1572 il fit pour son neveu ce qu’il avait fait pour son frère ; et sa renonciation formelle fut une des clauses du contrat de mariage entre ce jeune prince et Marguerite de France. Voyez le texte entier de cette pièce dans les Mémoires de l’Estat de France sous Charles neufiesme, vol. I, ann. 1572, fol. 212 recto.
  4. Du Plessis-Mornay, dans l’exposé qu’il fait à Walsingham des possessions du roi de Navarre, parle « de ses grands biens des Pays-Bas, où il possède de bonnes et notables villes. »
  5. Charles de Bourbon, fils naturel d’Antoine, roi de Navarre, et de Louise de la Béraudière, demoiselle de Rouet, fille d’honneur de la reine Catherine de Médicis, fut en effet nommé, par suite de ces négociations, à l’évêché de Comminges. Avant d’être nommé, comme on le verra plus tard, à l’archevêché de Rouen, il fut pourvu successivement des évêchés de Lectoure et de Soissons.
  6. C’était un fils de Louis de Saint-Gelais, dit de Lezignem, baron de la Mothe-Saint-Eraye, seigneur de Lansac et de Pressy, chevalier d’honneur de la reine Catherine de Médicis, surintendant de sa maison, etc. La faveur dont il jouissait auprès de cette princesse toute-puissante explique comment son bâtard put être un aussi redoutable compétiteur pour le bâtard de Bourbon. La nomination de ce prince à cet évêché avait été l’une des conditions des huguenots. La cour finit par l’accorder, et y joignit même plusieurs bénéfices.
  7. Du Plessis-Mornay nomme, en 1583, M. de la Roque comme gouverneur pour le roi de Navarre en Thimerais.
  8. Ces reîtres étaient commandés par le comte Wolrade de Mansleld, que les princes et l’amiral de Coligny congédièrent sur les confins de la Bourgogne ; et ils trouvèrent les moyens de les payer dans les conditions de la paix conclue avec Charles IX, le 11 août 1570.
  9. Petite ville du Nivernais, aujourd’hui département de la Nièvre, arrondissement de Château-Chinon.