Recueil des lettres missives de Henri IV/1580/Fin de novembre ― À monsieur de Besze

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[1580. — fin de novembre.]

Cop. – Biblioth. de Tours, ancien manuscrit des Carmes, coté M, n° 50, Lettres historiques, p. 69. Communiqué par M. le préfet.


À MONSR DE BESZE[1].

Monsr de Besze, Si vous avés congneu que la derniere prinse des armes n’a point esté sans grande occasion et necessité, tout de mesme jugerés-vous de la paix que nous avons faicte, et qu’il a pleu à Dieu nous donner. Elle nous estoit necessaire, non pour crainte de nos adversaires, la force desquels nous avions moyen de soustenir dans les bonnes places qui nous restoient encores, mais pour les divisions, desobeissances, rapines et desordres qui estoient parmi la plus part de nous. Dont il advenoit que la guerre apportoit plus de mal à noz eglises que de conservation. Toute religion et pieté se perdoit, le peuple comme en desespoir commençoit à se mutiner ; et n’y avoit reigle ny discipline aulcune que l’on voulust observer. J’avois, dés le commencement que Monsieur m’envoya le sr de Farvaques[2], entendu aux propositions qui me furent faictes de la paix, de laquelle j’ay tousjours esté plus amateur, en cest Estat, que de la guerre ; et si dés lors le mareschal de Biron n’eust refusé la trelve, tant de maulx ne fussent advenus. Mon dict Sieur se rendoit comme pleige et fide-jusseur de ce qui seroit arresté ; le mal nous estant advenu par faulte de voir la precedente paix bien executée et la justice administrée egalement, il offroit d’estre luy mesme executeur de ceste-cy, comme on voit qu’il est à present.

Je vous fais ce petit discours, Monsr de Besze, pour respondre à ceulx des nostres qui voudroient faire trouver la dicte paix mauvaise. Mais peut-estre diront-ils que, combien que de soy elle soit bonne, nous ne la devions tant haster, que mon cousin monsieur le Prince[3], monsieur le duc Casimir, qui nous aime et favorise, et les depputez de quelques provinces qui n’y ont assisté, n’y fussent intervenus. C’est à mon trez grand regret, sçachant qu’à traicter tels affaires on ne peut estre assisté de trop de gens de bien. Mais je puis aussi respondre que quand Monsieur a prins la peine de venir jusqu’en ce pays, il estoit pressé de plusieurs belles occasions qui se presentoient et se perdoient, comme à la verité pendant nos longueurs il y en a de perdues qui eussent grandement servi si on les eust embrassées, ainsi qu’il en avoit le desir et le moyen. Ce neantmoings l’on sçait que j’ay differé tant que j’ay peu, pour donner loisir d’advertir nos depputez de venir, ayant par trois fois remis et retardé l’entreveue. Enfin ne pouvant plus reculer sans grande demonstration de mespris du desir et de la peine de Monsieur, duquel j’estois fort prés et qui me convioit à toutes les honnestes offres d’amitié qu’il est possible, je le suis venu trouver[4], non en intention de rien conclure. Ce que je n’eusse faict, sans l’expresse desclaration qu’il m’a faicte de ne pouvoir oultrepasser le dernier edict. De sorte qu’il falloit se contenir dans les limites d’iceluy ou rompre. Et voyant qu’il avoit esté dressé avec l’advis commun de tous, et que chascun s’en contentoit, s’il eust esté bien executé, qu’il ne restoit que l’esclaircissement et l’amplification de quelques articles dont j’avois eu les memoires de Paris et de plusieurs provinces, je me suis mis en lice avec ceulx que j’avois peu assembler, tant de Guyenne que de Xaintonge, Poictou, la Rochelle, Quercy, haut Languedoc et aultres endroicts, qui peuvent rendre tesmoignage de quelle foy nous y avons marché. Les chemins estoient longs et dangereux pour les aultres provinces, qui neantmoings y eussent peu arriver à temps, ayant la conference duré plus de deux mois, despuis les avoir mandez. Quant à mon dict cousin, je n’avois oy de ses nouvelles despuis son retour d’Angleterre, et estois incertain du lieu de son sejour. J’avois d’aultre part advis qu’il n’y avoit rien de prest pour nostre secours estranger ; et toutesfois je n’ay laissé de faire en ce traicté, pour ce qu’il les touchoit, aultant que s’ils y eussent esté eux-mesmes. Cependant je cognois qu’il en y a qui taschent à leur faire trouver maulvais, et les induire, s’ils pouvoient, à quelque desunion[5].

Je vous prie, monsieur de Besze, poiser toutes ces choses, par vostre prudence, auxquelles je pourrois adjouster beaucoup de considerations qu’il n’est besoing d’escrire, et prendre ceste cause en main à l’encontre de tels esprits. Ceste paix n’est point desavantageuse ; il est besoing que chascun la reçoive et embrasse pour le restablissement de nostre religion ; estant adverty de plusieurs de nos ministres, qu’il vauldroit mieulx retourner encore aux feux qui servoient plus à edification, que, par une continuation de guerre, voir toute pieté et discipline mise dessoubs les pieds, voire qu’ils se fussent contentez à beaucoup moings, plus tost que de n’avoir la paix, laquelle, j’espere, par le moyen de mon dict Sieur, sera plus ferme que les aultres. Je vous prie disposer le monde de delà à la recevoir, et en escrire à ceulx que cognoistrez estre besoing, specialement à mon dict cousin et à monsieur le duc Casimir, afin que, demeurant l’union d’entre nous plus ferme (qui est le vray bien de nostre conservation), nous advisions à servir Dieu, et reedifier les vieilles ruines ; rejettant sur l’ennemy estranger le mal que par ses artifices il a semé parmi nous. Je sçais que vostre creance peut beaucoup à cest effect, et que le sainct desir qui est en vous, par ce moyen produira ung bon fruict ; que ce sera l’approbation de tout ce que nous avons faict, qui, pour mon particulier, n’est sorty d’aultre intention que pour servir à la gloire de Dieu, auquel je prie, Monsr de Besze, vous avoir en sa trez saincte et digne garde.

[HENRY.]


  1. Théodore de Bèze, qui fut pendant plus d’un demi-siècle l’oracle vénéré du parti protestant, était né,le 24 juin 1519,à Vezelay en Nivernais. Après des études très-distinguées à Paris et à Orléans, il fut pourvu du prieuré de Longjumeau et passa plusieurs années à Paris, où il se maria secrètement, ayant adopté entièrement les idées de la réforme. Il quitta la France en 1548 et se retira à Genève, d’où il alla professer le grec à Lausanne pendant neuf ans. Rappelé à Genève par Calvin, il y fut établi ministre et professeur en théologie, et y mourut le 13 octobre 1605.
  2. Guillaume de Hautemer, seigneur de Fervaques, comte de Grancei et baron de Mauny, était le fils aîné de Jean de Hautemer et d’Anne de la Baume. Il se trouva aux batailles de Renty, de Saint-Quentin de Gravelines, de Dreux, de Saint-Denis et de Moncontour, fut fait chevalier de l’ordre du Roi et capitaine d’une compagnie d’ordonnance. Il eut successivement les premières charges dans la maison du duc d’Anjou, depuis Henri III, dans celle du roi de Navarre, puis chez le duc d’Alençon, après la mort duquel il suivit le parti de la Ligue ; mais, à l’avénement de Henri IV, il se rangea tout à fait au service de ce prince, qui le nomma chevalier du Saint-Esprit et maréchal de France, le 7 juin 1595. Le maréchal de Fervaques mourut en 1613, âgé de soixante et quinze ans. D’Aubigné, qui le haïssait, l’a peint des plus noires couleurs dans ses Mémoires.
  3. Le prince de Condé avait fait des efforts extraordinaires pour relever les armes de son parti par l’assistance des princes protestants, qu’il était allé solliciter en personne presque tous.
  4. C’est l’entrevue qui eut lieu, comme nous l’avons dit, au château de Fleix chez le marquis de Trans. Monsieur s’y trouva avec le duc de Montpensier et le maréchal de Cossé.
  5. Le prince de Condé, à qui sa bouillante valeur, son active énergie, plus grande encore peut-être que celle de son cousin, et le souvenir de son père, donnaient un grand relief auprès des ministres protestants, était le véritable favori de leur parti. On peut dire que dans les efforts désespérés qu’il venait de faire pour rallier de toutes parts des secours étrangers, il s’était montré meilleur huguenot que Français ; cela même était un titre de préférence auprès des ministres fervents comme de Bèze. Cette situation explique le ton de déférence extrême et presque de justification que prend ici le roi de Navarre.