Recueil des lettres missives de Henri IV/1581/8 février ― À monsieur de Chemeroles

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1581. — 8 février.

Cop. — Biblioth. de Tours, ancien manuscrit des Carmes, coté M, n° 50, Lettres historiques, p. 92. Communiqué par M. le préfet.


[Á MONSR DE CHEMEROLES.]

Monsr de Chemeroles[1], Puisque le malheur a voulu que pendant la guerre derniere je n’ay eu l’effect de la bonne volonté que me portez, et de laquelle vous m’avez tousjours faict offre ; à present qu’il a pleu à Dieu nous donner la paix, estant resolu d’accompaigner Monsieur en son voyage de Flandre[2], et avec mes amys luy faire un bon service, j’ay bien voulu vous escrire ce mot par le sr de Tignonville[3], present porteur, pour vous prier, Monsr de Chemerolles, qu’à ce coup vous me fassiez preuve de que m’avez promis, et me rendiez tesmoignage de l’affection que me portez, vous preparant pour le dict voyage, pour lequel vous vous tiendrez prest lorsque je passeray ; et vous prier aussi y disposer vos amys que vous cognoistrez estre en quelque bonne volonté. Mais afin que puissiez mieulx entendre la mienne je desirerois que fissiez un tour par deçà. L’envie que j’ay d’estre accompaigné d’honestes hommes comme vous faict que de tout mon cœur je vous fais ceste priere, avec asseurance que je vous feray et à eulx le mesme traictement qu’à moy mesme, et que je veulx faire paroistre une si bonne troupe, que nous y puissions acquerir de l’honneur et de la reputation. Je remectray le surplus, etc.

De Cadillac, ce viije febvrier 1581.

HENRY.


  1. C’était probablement un fils de Lancelot du Lac, seigneur de Chemeroles, gouverneur d’Orléans, et de Louise de Coligny.
  2. Ce projet n’eut pas de suite ; mais avec l’ardeur que Monsieur mettait à préparer cette expédition, son beau-frère ne pouvait mieux reconnaître le service qu’il venait de recevoir de lui que par l’offre de l’accompagner. Du reste, si l’on en croit Sully, cette promesse était fort peu sérieuse. Les Œconomies royales racontent ainsi la conversation que le roi de Navarre eut avec Rosny, prenant congé de lui au moment de suivre Monsieur en Flandre : « Quant à ce prince, que vous allez maintenant servir, il me trompera bien s’il ne trompe tous ceux qui se fieront en luy, et surtout s’il aime jamais ceux de la Religion, ny leur fait aucuns advantages ; car je sçay, pour luy avoir oüy dire p1usieurs fois, qu’il les hait comme le diable dans son cœur. Et puis il a le cœur double et si malin, a le courage si lasche, le corps si mal basty, et est tant inhabile à toutes sortes de vertueux exercices, que je ne me sçaurois persuader qu’il fasse jamais rien de genereux, ny qu’il possede si heureusement les honneurs, grandeurs et bonnes fortunes qui semblent maintenant luy estre preparées. Et quelque bonne mine qu’il me fasse, en m’appelant son bon frere, je cognois bien son dessein : c’est de peur qu’il a que je ne veuille empescher le vicomte de Thurenne, vous, Esternay, Salignac et autres de la Religion, d’aller en Flandre avec luy : et sçachez qu’il me hait plus que personne qui soit au monde, comme de ma part je ne l’ayme pas trop. » (Ire part. chap. XV.)
  3. Lancelot du Monceau, seigneur de Tignonville, avait été premier maître d’hôtel de Jeanne d’Albret ; nous le trouvons encore inscrit, pour servir pendant le premier quartier de l’année 1585, comme gentilhomme de la chambre du roi de Navarre.