Recueil des lettres missives de Henri IV/1582/10 novembre ― À mon cousin monsieur de Matignon

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1582. — 10 novembre.

Orig. — B. R. Fonds Béthune, Ms. 8854, fol. 39 recto.


À MON COUSIN MONSR DE MATIGNON,

MARESCHAL DE FRANCE.

Mon Cousin, Ayant veu et cogneu par experience qu’il n’y a rien qui puisse tant seryir à l’establissement de la paix que la pugnition et chastiment des malfaicteurs et ennemys d’icelle, et que toutes personnes constituées en auctorité sont tenues par tout debvoir, d’intervenir et ayder à ce bon effect, j’ay pour ceste occasion et pour les grandes plainctes qui m’ont esté souvent et dés long temps faictes des maulvaises actions et desportemens des capitaines la Fithe, de Varies, le Casse et aultres leurs associez qui, durant les troubles et en suivant le party que j’ay tenu, ont faict une infinité de maulx, et mesme à un marchant de Lodun, lequel ilz volerent et ruynerent pour jamais, pour raison de quoy ilz avoient esté condempnez à mort par arrest de la court de parlement de Bourdeaulx ; il m’a semblé que la poursuitte que les dicts marchans et aultres faisoient dés long temps contre eulx, et à la requeste qu’ilz m’ont faicte de leur ayder à les faire mectre entre les mains de la justice, joinct aussy la remonstrance que les srs de la chambre d’Agen m’ont faicte ces jours passez du default de la main forte pour l’execution de leurs decretz, je n’eusse sceu tesmoigner un meilleur effect de mon debvoir que de favoriser de mes moyens ceste juste poursuitte, comme j’ay faict, ayant permis à aucuns des miens d’acompaigner ceulx qui iroyent devers eulx pour les prendre et mettre entre les mains de la justice. Mais il seroit advenu que ne pouvans les dicts malfaicteurs estre prins en vie, pour la resistance par eulx faicte en la maison du dict de la Fithe[1] où ilz tenaient fort, et en laquelle ilz avoient tous preparatifz, non seullement pour leur deffense et conservation, mais aussy pour entreprendre sur les circonvoisins, avec des petardz, eschelles et aultres engins, ils auroient, aprés toutes fois avoir tué aulcuns des assaillans et blessé plusieurs d’iceulx, esté forcez et finalement tuez. De quoy j’ay esté extremement marry, pour n’avoir esté la forme de la justice en cela suivye et effectuée comme je desiroys. Car, quant à leur perte, elle n’est, à cause de leurs mechans actes, aulcunement à regreter, ne pour quoy personne se puisse ny doibve formaliser ; mais au contraire à louer, pour le repos que les gens de bien du quartier où ils habitoient en recevront. De quoy j’ay bien voulu vous advertir par ceste-cy, et vous envoyer exprès Viçose, mon secretaire, present porteur, pour vous dire, mon Cousin, que comme en cela j’ay postposé toute consideration de religion, je ne feray jamais difference ne distinction d’icelle pour poursuivre, quand requis en seray, tous ceulx qui seront prevenus et accusez de pareils ou aultres meschans actes, et contre lesquelz il y aura arrest et condamnation à mort. Je mettray neantmoins toute peine que la forme de la justice y sera gardée ; et l’execution en sera reservée à icelle, comme il appartient, pour n’avoir aucune intention que de faire chose qui soit agreable à Sa Majesté, et conforme à ses edicts et ordonnances, ainsy que plus particulierement vous pourrés entendre par mon dict secretaire. Sur lequel me remettant, je prieray Dieu, mon Cousin, vous avoir en sa saincte et digne garde. De Nerac, ce xe jour de novembre 1582.

Vostre bien bon cousin et asseuré amy,


HENRY.


  1. On pourrait attribuer ces méfaits à Jean-Pierre de La Fite, seigneur de Pelleporc, fils aîné de Baltazard de La Fite et de Jeanne de Tanes, d’une ancienne famille du Nébousan, petite province de Gascogne. Il est qualifié capitaine dans un passe-port qui lui fut donné à Coutras par le roi de Navarre, le 18 décembre 1580. Cela s’accorde avec ce que dit ce prince, que le capitaine La Fite avait suivi son parti. Quant aux excès qu’il commit ensuite à main armée, ce n’était que trop commun, au milieu des désordres du temps, parmi la noblesse de ces provinces. Tout ce qu’on savait jusqu’à présent sur la fin de la carrière du capitaine La Fite, c’est qu’il ne vivait plus en 1599. Cette lettre fixerait la date de sa mort à l’année 1582. Un autre capitaine La Fitte, de la maison de La Fitte Montagut, en Armagnac, fut attaché au parti du roi de Navarre, mais il servit aussi Henri IV, roi de France, et poursuivit sa carrière au delà même du règne de ce prince.