Recueil des lettres missives de Henri IV/1582/3 septembre ― À monsieur de la Hilliere

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1582. — 3 septembre. — IIIme.

Imprimé. — Le Philologue, par J. B. Gail, t. VI, p, 88.


À MONSR DE LA HILLIERE[1],

GOUVERNEUR DE LA VILLE DE BAYONNE POUR LE ROY MON SEIGNEUR.

Monsr de la Hilliere, On parle si diversement du combat naval de l’armée de monsr d’Astrosse[2], que parmy ceste incertitude, je vous prie affectueusement me mander ce que vous en avez apprins, ou, si d’adventure vous n’en sçavez de certaines nouvelles, envoyer quelqu’un en lieux des environs de vous, d’où vous en puissiez sçavoir. Ce me sera ung contentement extreme si j’en suis esclaircy par vostre moyen, ne pouvant encore adjouter foy à ce qu’on m’en a conté jusques icy. J’attends que mon cousin, monsr de Matignon, m’en escrive aussy. Mais parce que vous estes plus prés, je vous envoe ceste-cy exprés par ung de mes laquais, vous priant encores ung coup m’escrire amplement par luy, et faire certain et asseuré estat de l’amitié de celluy qui prie sur ce le Createur, Monsr de la Hilliere, vous tenir en sa garde.

De Pau, ce iije septembre 1582.

Vostre bien bon et asseuré amy,


HENRY.


  1. Jean Denys de la Hillière, qui avoit succédé au vicomte d’Orthe [lisez : à M. de Treignan], commandoit dans Bayonne. C’étoit un vieux capitaine fort simple et si accoutumé à la fatigue qu’i1 couchoit en tout temps la tête nue et buvoit toujours du vin pur, sans s’en trouver incommodé, dequoique le vin de Chalosse, dont il usoit, soit le plus fort de la province. » (Mém. de la vie de J. A. de Thou, p. 67. Edition in-4o de 1734.) Il était des bons amis du roide Navarre, comme le prouve ce récit d’un fait que d’Aubigné place quelques années auparavant : « Il print une gaillarde humeur au Roi de Navarre, d’aller lui septiesme dans Bayonne à un festin qui lui fut preparé, où tout ce peuple environna sa table de danses de differentes façons. La Hilliere, leur gouverneur, menoit la premiere. » (Hist. univ. t. II, l. III, chap. XIII.)
  2. Le désastre éprouvé par la flotte française, le 26 juillet précédent, n’était que trop vrai. Voici comment Brantôme raconte la mort funeste de Strozzi : « Lorsqu’il vit venir à soy l’armée que conduisoit le marquis de Saincte-Croix, il eut telle envie d’aller à luy plutost que le marquis à luy, qu’estant son navire lourd et mauvais voilier (car c’estoit une grosse burque Flandres), il s’en osta et se mit dans un vaisseau plus leger..... et, sans autrement temporiser, vint cramponner l’admiral, et combattirent main à main longuement. Mais estant blessé d’une grande mousquetade à la cuisse et assez prés du genouil, ses gens s’en effrayerent, et se mirent à ne plus rendre de combat : si bien que l’Espaignol entra dedans fort aysement, et s’estant saisy de luy, le menerent au marquis de Saincte-Croix, qui l’ayant veu en si piteux estat, dit qu’il ne feroit qu’empescher et ensallir le navire, et qu’on le parachevast : ce qu’on fit en luy donnant deux coups de dague, et le jeterent à la mer ; » (Vies des hommes illustres et grands capitaines. — M. de Strozze.) Suivant Busbec, on fit d’abord courir le bruit que Strozzi avait survécu trois jours, au bout desquels il serait mort du poison que les Espagnols versèrent sur ses plaies. Ce qui prouve que les premières nouvelles transmises par cet ambassadeur n’étaient pas exactes, c’est qu’i1 annonce que le sort de Strozzi avait été partagé par don Antoine. Or ce prince échappe à ce désastre et revint en France, où il ne mourut qu’en 1595, instituant Henri IV son héritier. Quant à M. de Sainte-Solène, officier français, qui, au moment de la bataille, s’était volontairement retiré avec dix-huit vaisseaux, et avait ainsi causé la perte de l’armée, il fut mis en jugement, à son retour, et dégradé de noblesse, comme lasche et poltron. Les Espagnols déshonorèrent leur victoire par tant de sanglantes cruautés, que Busbec ne peut s’empêcher de dire : « Quibus quidem rebus isti ad magnam vindictæ cupiditatem exarserunt, adeo exacerbatis animis, ut din homini Hispano in Gallia obversari tutum futurum non putem. » (Epist. VI, p. 473.)