Recueil des lettres missives de Henri IV/1584/29 novembre ― À monsieur Jacques de Marion

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1584. — 29 novembre.

Orig. — Arch. de M. Melchior de Marion-Gaja, de Castelnaudary. Copie transmise par M. Moquin-Tendon, professeur à la faculté des sciences de Toulouse.


À MONSR JACQUES DE MARION,

COMMANDANT LA VILLE DE MONTREAL.

Monsr de Marion, J’ay entendu[1] le refus que ceux qui sont au lieu de la Planque[2] ont faict au commandement que le sr de Clervant leur a faict de ma part de quitter et rendre le dict lieu suivant l’edict de pacification et articles des conferences, et le pouvoir que j’ay donné audict sr de Clervant pour l’execution dudict edict ; ce que j’ay trouvé bien estrange et de pernicieuse consequence pour les aultres places qui se doibvent rendre : de quoy ils sont grandement à reprendre et meritent un grief chastiment. En quoy tous gens de bien et amateurs du bien de cest Estat doibvent intervenir pour moyenner et faire reparer la faulte qu’ils ont faicte, de laquelle, oultre le service du Roy mon seigneur, et l’interest public, j’ay occasion de me ressentir, voyant ainsi mon auctorité et mes commandemens, portez par un personnage honnorable, comme est le dict sr de Clervant, tomber en mespris entre ceulx qui y doibvent rendre toute obeïssance. En quoy ils montrent bien qu’ils sont trés mal conseillés et ne considerent point le mal qui leur en peut advenir. Et pour ce que j’ay sceu que vous pouvez beaucoup pour les faire condescendre à leur devoir, je vous ay bien voulu faire la presente pour vous prier d’entreprendre et moyenner la reddition du dict lieu de la Planque, leur proposant leur faute et le mal qui leur peut advenir, s’ils n’en vuident. Car pour moy et pour mon debvoir il fauldroit que j’employasse contre eulx tous les moyens que j’aurois, et que je fisse joindre les forces de ceulx de la Religion à celles de monsr de Joyeuse[3], voire mesme que je me rendisse sur les lieux, ce que je suis desliberé de faire, s’ils se monstroient si opiniatres que cela. Mais croyant que si j’y vais, j’en feray faire un tel chastiment que tous aultres y prendront exemple, ils peuvent eviter cela et se retirer en aultres villes de la Religion, en attendant qu’en l’assemblée qui se fera au dict pays, ait esté pourveu à leur seureté, en leur maisons ou aux lieux et endroits ou ils se vouldront retirer. Ce que je vous prye leur representer, et user devant eulx de toutes les persuasions que vous adviserez pouvoir servir à un tel subject ; vous asseurant qu’oultre l’obligation que tous les gens de bien vous ensauront, vous me ferez un bien grand et singulier plaisire que je vous recognoistray, aux occasions, selon le moyen que j’en auray, de mesme affection que je prye Dieu de vous avoir, Monsr de Marion, en sa saincte garde. De Nerac, ce xxixe jour de novembre 1584.

Vostre bien bon amy,


HENRY.


  1. La copie envoyée de Toulouse porte attendu.
  2. Petite ville du Rouergue, près du Mur de Barres, aujourd’hui dans le département de l’Aveyron.
  3. Anne de Joyeuse, fils aîné de Guillaume, vicomte de Joyeuse et de Marie de Batarnos, était d’une ancienne et illustre famille du Languedoc, dont il porta la fortune au plus haut point, par sa faveur excessive auprès de Henri III. Son père et un de ses frères devinrent maréchaux de France, un autre de ses frères cardinal. Pour lui, il fut fait duc et pair en 1581 et, la même année, il épousa Marguerite de Lorraine, sœur de la reine Louise, femme de Henri III ; il fut nommé amiral de France en 1582, chevalier, des ordres en 1583, etc. Comme le Roi lui destinait un des plus grands gouvernements du royaume, tous les ressorts possibles furent mis en jeu pour déposséder le maréchal de Montmorency du gouvernement du Languedoc. Mais ce grand personnage, qui était aussi habile que puissant, résista à tout et se maintint dans son gouvernement, malgré les efforts réunis de tous les Joyeuse et malgré le Roi. C’était par suite de cet espoir que le duc de Joyeuses trouvait encore en Languedoc à la date de cette lettre. Plus tard il obtint le gouvernement de Normandie. En 1586 il eut le commandement de l’armée envoyée en Guienne contre les huguenots ; et, après une suite de combats où, à l’exemple des princes lorrains, ses alliés, il mêla à ses exploits les cruautés d’un zèle religieux impitoyable, il livra au roi de Navarre,le 20 octobre 1587,la bataille de Coutras, et y fut tué avec son frère Claude de Joyeuse, seigneur de Saint-Sauveur.