Recueil des lettres missives de Henri IV/1584/Commencement de l’année ― À monsieur le duc de Savoye

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ANNÉE 1584.




[1584. — commencement de l’année.]


Cop. — Biblioth. de Tours, ancien manuscrit des Carmes, coté M, n° 50, Lettres historiques, p. 149. Communiqué par M. le préfet.


À MONSIEUR LE DUC DE SAVOYE.

Monsieur, Ayant ceste confiance que vous rendrez à Monsieur, frere du Roy, le mesme tesmoignaige que feu monsieur vostre pere luy avoit promis pour monsr de la Noue, je vous supplieraj bien humblement luy vouloir estre aidant de vostre faveur à sa deslivrance ; d’aultant que nous craignons que sa longue prison luy apporte de l’ennuy et du danger à sa vie : dont une infinité de gens de bien qui cognoissent sa valeur auroient trop de regret[1]. En quoy vous les pouvez obliger plus que prince du monde, intercedant de tous vos moyens envers le roy d’Espaigne, qu’il luy plaise d’accorder que ledict sr de la Noue soit delibvré, ou par rançon, ou par eschange de prisonniers, ou pour le moings trouver bon qu’il soit mis entre vos mains pour demeurer prés de vous sur sa foy, s’il vous plaist luy faire ce bien de bailler la vostre au roy d’Espaigne, et d’obtenir qu’il respondist à monsieur le prince de Parme[2] de l’interest qu’il y pourroit pretendre. Par ce moyen nous serons plus asseurez de la vie de ce pauvre gentilhomme, qui la conservera d’aultant mieux avecques sa santé, estant vostre prisonnier, pour vous en rendre service. En cela, Monsieur, vous ferez une œuvre dont toute la France, avec une infinité de gens de bien, et moy principalement, vous aurons trez grande obligation, laquelle je m’efforceray de recognoistre en tout, où que j’auray moyen de vous servir, et dont je vous supplie, Monsieur, faire estat certain avec l’amitié et correspondance que desire

Vostre bien humble cousin, à vous obeir,


HENRY.


  1. Nous avons déjà parlé de la cruelle captivité du brave la Noue. Les mauvais traitements auxquels il avait été en butte avaient profondément altéré se santé. Sa translation de la prison de Charlemont dans celle de Limbourg, où il avait passé les premiers temps et les plus durs de sa captivité, faisait mal augurer des intentions de l’Espagne au sujet de sa délivrance. Du Plessis Mornay écrivait au roi de Navarre, le 20 février 1584 : « Monsieur de la Noue a escrit à madame de la Noue, par trois fois, qu’elle avance sa delivrance tant qu’elle pourra, parce qu’il voit que l’Estat se pourra brouiller. »
  2. Alexandre Farnèse, fils d’Octave Farnèse et de Marguerite d’Autriche, né en 1544, fut, après don Juan d’Autriche, le principal général de Philippe II, roi d’Espagne. Ce prince lui donna, en 1578, le gouvernement des Pays-Bas. En 1586 le prince de Parme succéda à son père dans le duché de Parme. En 1590 il entra en France à la tête du secours envoyé par l’Espagne à la Ligue, et combattit pendant deux ans et demi Henri IV, jusqu’à ce qu’ayant été blessé au siége de Rouen, il mourut à Arras des suites de cette blessure, le 3 décembre 1592. Il se trouvait à Charlemont lorsque le brave la Noue y fut transféré, et les conversations qu’il avait eues avec ce grand homme lui avaient donné la plus haute estime pour son caractère et le désir de contribuer à sa délivrance. La Noue ne sortit toutefois de prison qu’au mois de juin 1585, ayant été échangé contre le comte d’Egmont, prisonnier du roi de Navarre.