Recueil des lettres missives de Henri IV/1584/Fin de l’année ― À mon cousin monsieur le mareschal de Matignon (2)

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[1584. — vers la fin de l’année.] — IVme.

Orig. autographe. — B. R. Fonds Béthune, Ms. 8828, fol. 23 recto.

Cop. — B. R. Suppl. fr. Ms. 1009.


À MON COUSIN MONSR LE MARESCHAL DE MATIGNON.

Mon Cousin, J’ay eu ces jours passez infinies plaintes, et en viens de recevoir presentement, non seulement de la noblesse et autres de la Religion, mais aussy d’aucuns catholiques, de ce qu’il n’y a libre accés et demeure en la ville de Perigueux[1], pour l’exercice de la justice et pour les parties qui la y vont cercher. Puis nagueres ils y ont renforcé la garnison et mis dedans des estrangers ; et se fait des recerches non accoustumées en la dicte ville où est la seance d’un parlement, qui doit apporter seureté au lieu où il est. De sorte que chacun aime mieux quicter ses procès qu’ exposer sa vie au danger d’une sedition suscitée. Entre autres les srs de Plassac, de Montrogu, de Linards ont esté contrains, à ceste occasion, de vuider la ville, voyans l’estat d’icelle ne tendre qu’à sedition. Il y a des catholiques mesmes qui en sont sortis, d’autres qui n’y veulent entrer, encores qu’ils ne soient prevenus, et s’accordent en cela avec les dicts de la Religion, voulans protester de nullité de tous actes et procedures qui se feront par messrs de la chambre ; lesquels, sur les plaintes generales et particulieres qui leur en ont esté faictes, ont respondu que, contre ce qu’ils avoient creu, lors de leurs premieres seances, il leur est impossible d’y remedier à present, attendu l’insolence du peuple, non accoustumé à respecter la justice, et qu’ils n’ont la force en la main pour la y faire obeyr. Ce qui m’a faict vous despecher ce gentilhomme exprés, pour vous pryer bien affectueusement, mon Cousin, d’y pourvoir par les remedes que vous avés en main. Vostre compagnie de gensdarmes et celles de gens de pied, qui sont maintenant esparses çà et là, sont destinées pour tenir la main forte à la justice, et nommeement pour la chambre, laquelle, à faute d’en estre assistée et fortifiée, est rendue inutile et sans moyen de faire justice. Et ceux de la ville de Perigueux, au lieu d’avoir craint et reveré la face de la dicte justice, l’auront desormais en plus de mespris. Il me semble, mon Cousin, qu’il est necessaire, ou fort utile, pour le service du Roy et pour le bien de la paix et affermissement d’icelle, et pour lever les deffiances de plus en plus, et mesmes pour la manutention de la justice, de faire acheminer les dictes compagnies à Perigueux pour servir à l’effet pour lequel elles sont entretenues, et vous mesmes, s’il vous plaist, prendre la peine pour quelques jours d’y aller, pour ce que vostre presence et auctorité feront rendre celle qui est deue à la dicte chambre, et l’obeyssance qu’il convient à la justice. À quoy m’asseurant, mon Cousin, que vous estes tres affectionné et à tout ce qui sert au bien de la paix, je ne vous en diray davantage, sy ce n’est pour vous pryer de m’aimer tousjours, et croire que je veux demeurer à jamais

Vostre plus affectionné cousin et assuré amy,


HENRY.


Mon Cousin, Ceux de Millau avoient obey, premier que le sr de Baraut fust arrivé, dont j’ay esté bien ayse, ayant par là bien cogneu que vous les y aviés bien preparés et disposés, comme aussy je l’ay entendu.


FIN DU TOME PREMIER.


  1. La Reine Marguerite s’était même chargée de recommander au roi son mari une plainte des magistrats de cette ville, comme on le voit dans la lettre inédite suivante :
    « Monsieur, Les officiers du Roy, mon seigneur et frere, de la ville de Perigueux, sont venus icy, pensans vous y trouver encores, pour, de la part de ceulx des habitans d’icelle qui en sont absens, vous faire quelques remonstrances concernant le bien commun, repos et conservation de la dicte ville, et en particulier leur rétablissement et libre et seur accez et retour en icelle. Et d’aultant qu’ils ont trouvé que vous estiez jà parti, ils ont eu recours à moy pour les assister de ma priere et recommandetion envers vous ; ce que je n’ay peu leur refuser, ains bien volontiers voulu les accompagner de ce mot de lettre, pour vous supplier trez humblement, Monsieur, les vouloir faire ouïr, et donner si bonne et favorable expedition sur leurs plus justes doleances et humbles remonstrances, qu’ils en puissent remporter la bonne response et heureux succez en leurs affaires qu’ils esperent de vostre naturelle bonté, doulceur et equité. Et oultre l’obligation qu’ils vous en auront, et tout le pays de Perigord, vous leur augmenterez l’affection et devotion qu’ils ont à vostre service, et en moy la volonté de vous obeïr et servir, et de prier Dieu, comme je fais de tout mon cœur, aprés vous avoir trez humblement baisé les mains, vous donner, Monsieur, en parfaite santé, trez heureuse et longue vie, avec tout l’heur et contentement que vous desire.....................
    « Escript, etc.
    [MARGUERITE.]


    (Cop. — Biblioth. de Tours, ancien manuscrit des Carmes, coté M, n° 50, Lettres historiques, p. 9. Communiqué par M. le préfet.)