Reportages à Salonique (Loti, Le Monde illustré)/04
Incendie de Salonique
e grand bazar de Salonique vient d’être complètement
brûlé pendant les fêtes publiques de
l’avénement au trône de Mourad V. Nous reproduisons,
ci-dessous, un fragment de la lettre
de notre correspondant, ayant trait à ce sinistre
événement.
« Salonique est en grande liesse depuis trois jours. Tous les bâtiments de la rade ont arboré le grand pavois, et s’illuminent chaque soir dès que tombe la nuit ; les navires turcs brûlent des feux de Bengale ; ils se distinguent entre tous par un grand luxe de fanaux et de salves d’artillerie.
À terre, tous les minarets sont couronnés de feux et de longs cordons de lumière s’étendent sur les quais, où dernièrement étaient plantées les potences. En ville, il se fait grand bruit ; on pousse dans les mosquées de terribles hurlements en l’honneur d’Allah ; les bazars turcs, illuminés, présentent l’aspect d’une animation originale ; les gens se promènent vêtus de leurs plus brillants costumes, et les rues sont, comme dans nos fêtes de campagne, ornées de guirlandes de feuillage, de lampions et d’une profusion de girandoles en papier.
Aujourd’hui, troisième jour de réjouissances, le feu prend dès l’aube à un coin du bazar ; les vieilles petites rues noircies, couvertes en planches, les vieilles petites cases de bois flambent comme de la paille ; les Turcs déballent pêle-mêle leurs tapis, leurs narguilés, toutes leurs marchandises orientales. Au lever du jour, tout un grand quartier brûle, avec une flamme rouge et d’immenses colonnes de fumée.

TURQUIE. — Salonique. — Incendie du bazar. — (Dessin de M. Vierge, d’après le croquis de M. Julien Viaud.)
Les bâtiments français et étrangers débarquent leurs hommes et leurs pompes ; une bande de juifs, accourus pour voler dans la bagarre, ont maille à partir avec les matelots, qui les battent comme plâtre. Ces derniers grimpent sur les toits et commencent à démolir ; ils parviennent à circonscrire le feu et s’en rendent maîtres avant l’arrivée des secours indigènes. À dix heures, il ne reste plus que des brasiers éteints et de la fumée.
Demain, messe pour le consul de France ; après-demain, service à l’église grecque pour le consul d’Allemagne. Des affiches, bordées de noir, placardées à tous les coins de la ville, annoncent la cérémonie.