Revue canadienne/Tome 1/Vol 17/Causerie Musicale (l’Orgue)

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Collectif
Compagnie d’imprimerie canadienne (17p. 182-186).

CAUSERIE MUSICALE.

L’ORGUE.


L’orgue est plus qu’un simple accessoire de la liturgie, il est encore un symbole, puisqu’il représente dans son ensemble le principe catholique, l’unité.

« Toutes les parties de son mécanisme sont soumises à l’unité de mouvement ; chaque note d’un même registre subit l’unité de timbre, chaque timbre, l’unité d’harmonie, et toute l’œuvre, l’unité d’obéissance à un seul artiste qui lui-même doit se renfermer dans l’unité d’idées musicales et religieuses[1]. »

Le noble instrument, dont l’Église a pris soin de régler l’esprit et l’usage, et pour lequel elle a de tout temps manifesté sa préférence[2], fait déjà naître en nous, par ses accents suaves ou mystérieux, le désir de connaître l’ingénieux mécanisme qui les produit.

Mais si l’on considère l’orgue sous le double rapport des conditions d’excellence et de durabilité qu’il doit posséder comme tout objet servant à l’Église, et du rôle important qu’il remplit dans le culte divin, la connaissance au moins élémentaire de son mécanisme s’impose dès lors à toute personne chargée d’en commander la fabrication, comme l’étude de son style et de ses convenances est obligatoire pour l’artiste appelé à y présider.

Puissent quelques notions, puisées à une source autorisée, sur la facture, l’entretien et le jeu de l’orgue, inspirer le désir de le mieux connaître, prémunir les intéressés contre les surprises de la bonne foi, faire disparaître l’ignorance qui impose à beaucoup de paroisses un meuble ruineux, et le mauvais goût qui assimile en plusieurs lieux le roi des instruments à la serinette de nos rues.

Pour beaucoup de fabriciens et leurs représentants, ce grand meuble, dont ils admirent avant tout les proportions ou la richesse, cache plus d’un mystère. De là cette extrême facilité avec laquelle on a accueilli le premier facteur venu sur un simple brevet de ponctualité ou d’accommodement facile[3], ou encore parce qu’on possède de lui dans une paroisse voisine un gros orgue bien puissant pour le prix qu’il a coûté.

« Comment ignorer, dit justement Régnier, que rien n’est si cher que le bas prix dans les choses qui ne le comportent pas. On sait la valeur de tous les matériaux et de la main-d’œuvre ; cette valeur ne peut diminuer de prix qu’en diminuant la confection et le volume. »

Non le volume du son, car pour celui-là votre facteur vous en donnera à discrétion et à très bon marché.

Il faut vraiment une candeur à toute épreuve pour faire de trois clauses uniques la teneur d’un marché : lo Tant de registres. 2o Dimensions du buffet. 3o Une date de livraison.

Trois chiffres pour toute garantie. Aussi que de retranchements et d’économies possibles derrière ces trois chiffres, que de matériaux de qualité inférieure ou mal conditionnés pourront se glisser dans l’intérieur de ce buffet aux dimensions rigoureusement observées et, qui plus est, livré ponctuellement pour la solennelle circonstance dont il devait être l’occasion ; que de demi-jeux grands ou petits vont recéler ces imposantes rangées de boutons aux inscriptions variées mais ne représentant que de l’uniformité ou du vacarme à bon marché.

Par la diversité et la qualité des matériaux, la précision et le fini de la main-d’œuvre, un orgue est la plus compliquée, la plus délicate de toutes les entreprises, et par conséquent celle qui exige les stipulations les plus détaillées.

Exposer les conditions indispensables d’une bonne facture serait donc rendre un véritable service aux fabriques dans la responsabilité qu’elles encourent à l’égard de leurs paroissiens, et ne pourrait qu’être agréable aux facteurs consciencieux en mettant en lumière les qualités distinctives de leur œuvre.

Avant d’entrer dans le détail de ces conditions, il importe de décrire sommairement les différentes parties de l’instrument.

En entrant dans ce meuble de proportions imposantes qu’on appelle un buffet d’orgue, on remarque tout d’abord de vastes soufflets reliés par des canaux ou porte-vent à plusieurs caisses en forme de carré-long surmontés de tuyaux, de hauteurs et de formes diverses.

C’est dans ces caisses appelées sommiers que l’air devenu vent par l’action de la soufflerie attend, pour faire résonner les tuyaux, le bon plaisir de l’organiste.

Celui-ci dispose à cet effet de plusieurs rangées de registres avec diverses inscriptions, et d’un ou de plusieurs claviers, dont l’action, véritable réseau de tirants, leviers, rouleaux, vergettes et abrégés va permettre à l’air comprimé de parvenir aux tubes qu’il doit rendre sonores. Le sommier est donc tout à la fois le réceptacle du vent et le centre de toute la mécanique de l’orgue. C’est un corps dont l’air est la vie, le souffle et les tuyaux l’organe vocal ; aussi dit-on figurativement la bouche, la voix des tuyaux.

On appelle laye l’étage inférieure du sommier ; dans le plafond de cet espèce de rez-de-chaussée sont pratiquées des ouvertures longitudinales, ou gravures, dont le nombre égale celui des touches du clavier correspondant. Ces gravures sont fermées par autant de soupapes avec leurs ressorts que peuvent entr’ouvrir les touches au moyen des vergettes et de leurs abrégés.

L’étage supérieur du sommier est recouvert de tables épaisses et faisant saillie qu’on appelle chapes. Sillonnées à l’intérieur de petits canaux se croisant en tous sens, les chapes sont destinées à donner au vent qui s’échappe des gravures un accès plus direct dans le pied des différentes séries de tuyaux ou jeux disposés à leur surface.

Entre les chapes et le corps du sommier glissent de minces règles d’un bois tout particulier soigneusement polies et percées d’autant de trous qu’il y a des gravures. Ce sont à proprement parler les registres reliés par leurs tirants aux boutons étiquetés auxquels on a donné ce nom.

Pour faire entendre un jeu quelconque, l’organiste tire le bouton qui en porte l’inscription et les trous du registre venant correspondre perpendiculairement avec les ouvertures de la chape et celles des gravures, il lui suffira d’abaisser les touches du clavier pour ouvrir autant de soupapes et permettre au vent comprimé dans la laye d’envahir les gravures et de faire parler le jeu désiré.

Chaque clavier communique à un sommier distinct avec ses jeux, registre, abrégés, vergettes, etc.

Les jeux du clavier supérieur (récit) sont enfermés dans une boîte à paroi mobile, espèce de jalousie qu’une pédale dite d’expression peut ouvrir ou fermer à volonté.

Au clavier suivant (grand-orgue) correspondent les plus puissants de tous les jeux de l’orgue excédant en nombre ceux des autres sommiers.

Un instrument considérable compte un troisième clavier ; le positif, par lequel se font entendre les jeux les plus délicats par leur calibre et souvent aussi les plus faiblement embouchés.

Il est enfin un autre clavier placé au niveau du sol et destiné à être foulé par les pieds de l’organiste. C’est le pédalier dont les touches font résonner, aussi sur un sommier spécial, les jeux les plus graves, et communiquent en outre avec les basses des claviers manuels au moyen de faux registre ou tirasses.

Les tuyaux se divisent en deux catégories : les tuyaux à bouches, dont on peut voir un certain nombre en montre sur la façade de l’orgue, et les tuyaux à anches.

Dans les premiers, le vent s’échappe par une étroite ouverture pratiquée près de la base du tuyau, et venant se diviser sur une lame ou lèvre supérieure appelée biseau, met en vibration les molécules de la colonne d’air contenue dans la partie supérieure. La colonne d’air est ici, pour ainsi dire, la matière du son auquel le tuyau lui-même ne participe que secondairement.

Dans les tuyaux à anches ce n’est plus la colonne d’air qui vibre et produit le son, mais une lame ou languette de cuivre à laquelle le vent imprime des battements rapides.

La clarinette en usage dans l’orchestre nous donne une idée assez juste du mécanisme de l’anche.

Un jeu se compose de tuyaux ayant un timbre identique.

Les jeux se distinguent donc par leur timbre ; on les distingue aussi par leur ton.

Le timbre est la qualité du son. Le ton en est le degré d’acuité ou de gravité.

Le timbre est déterminé par la forme, la matière et le diamètre du tuyau. Une trompette, une flûte, une viole de gambe sont des timbres.

Le ton est déterminé par la longueur du plus long tuyau, et par conséquent du plus grave, d’une même série et cette hauteur décroit dans l’ordre successif des degrés de l’échelle musicale. On désigne par trente-deux, seize, huit, quatre et deux pieds le ton d’une série dont le tuyau le plus grave mesure cette hauteur, ou qui ne mesurant que la moitié de cette hauteur, produit artificiellement un effet identique[4].

R. O. Pelletier.


(À continuer).



  1. L’Orgue, par l’abbé Régnier, Nancy, Vagner, éditeur.
  2. Organo tantum in ecclesia, locus sit.

    Hoc solo instrumento utitur. Ecclesiâ… propter abusuna histrionum ejectis aliis communiter instrumentis. Jean Egidius.

  3. On a déjà exprimé devant moi une conviction morale de la supériorité d’un facteur, tout en disant qu’on avait dû lui préférer un ouvrier dont les termes étaient plus faciles et plus longs.
  4. Tels sont les bourdons, ou jeux bouchés, dans lesquels la colonne d’air se double en revenant sur elle-même trouver une issue à la bouche du tuyau. Les jeux anches, n’ayant pas d’autre issue qu’à l’extrémité supérieure, ne se font jamais en bourdons.