Revue canadienne/Tome 1/Vol 17/Causerie Scientifique (avril)

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Compagnie d’imprimerie canadienne (17p. 247-251).

CAUSERIE SCIENTIFIQUE.



La lumière électrique à Ottawa. — Le système d’éclairage Spaulding. — Révolution dans l’éclairage domestique. — La trichine. — Statistiques vitales. — Moyenne extraordinaire de longévité.


La question qui agite le plus de ce temps-ci le monde scientifique canadien, est bien la question de l’éclairage électrique d’Ottawa, de toute la capitale, au moyen de quelques becs carcel placés à une certaine hauteur dans différents quartiers de la ville, mais en quantité suffisante pour transformer nos nuits sombres en un jour plein de la plus douce lumière. C’est M. Spaulding qui est l’auteur du projet merveilleux.

Comme on le voit, il y a loin de la petite lampe électrique des Serrui, Dubosez, Foucault, à la lampe gigantesque de M. Spaulding.

Dans une conférence scientifique notre savant a démontré la réalisation facile, et l’utilité incontestable du système nouveau et si puissant.

Dix tours de deux cents pieds de hauteur, — 40 pieds à la base et 7 au sommet — seraient construites dans un ordre de cercle, et seraient pourvues de lampes électriques en nombre suffisant pour fournir la lumière voulue. Des réflecteurs immenses concentreraient la lumière à la surface du sol, réflecteurs dont l’action se fortifierait de toute l’influence réflectrice des objets qu’elles rencontreraient.

Les conditions sont des plus avantageuses ; confiant dans le succès qui ne peut faire défaut, M. Spaulding nous dit en terminant sa conférence : « Si je ne réussis pas, si je ne vous donne pas de lumière, ou si au lieu du grand jour que je promets vous ne voyez qu’une lueur incertaine, ou seulement qu’un beau clair de lune, j’en serai pour mes frais. »

On voit d’ici tout l’intérêt que peut soulever une question de ce genre.

Transformer la nuit en jour, c’est-à-dire, pouvoir vaquer à toutes ses occupations de la même manière, après le coucher du soleil, qu’après son lever ; — ne point souffrir de la chaleur insupportable de nos journées d’été, puisque l’on pourra aussi changer à volonté les heures de travail ; ne plus craindre les ténèbres et ce qu’elles recèlent de périls toujours menaçants, le voleur, l’assassin terribles comme l’abîme où l’obscurité nous fait tomber ; — être à l’abri des incendies, catastrophes effrayantes causées si souvent par notre système d’éclairage dangereux ; — lire sans fatigue, se promener sur la place publique à l’heure la plus avancée de la nuit sans que le passant insulte à la pudeur, sans que la jeune fille et les enfants aient à rougir de l’effronterie qui se pavane toujours à cette heure… quelle révolution dans les choses !… quel changement au point de vue social !…

Voilà les réflexions toute naturelles que fait naître l’application pratique de l’éclairage électrique.

Si l’on approfondit davantage la question, on est obligé de reconnaître que, au point de vue de l’économie politique et domestique, les résultats sont des plus heureux. Ainsi plus de cette perte considérable que nous faisons subir au charbon pour formation du gaz d’éclairage, déperdition qui devra finir par être excessivement coûteuse, le meilleur charbon ne donne en effet qu’un pourcentage de six de sa valeur en lumière ; tout le reste se trouve perdu en chaleur, tandis qu’avec l’électricité 63 par cent sont convertis en lumière.

C’est l’histoire de la force motrice dont je parlais dans ma dernière causerie ; il faut chercher les moyens de dépenser le moins et le moins promptement possible de ce combustible précieux dont l’utilité est si générale. Le regard de la science, comme cet œil perçant du cyclope, est fixé constamment sur les horizons les plus reculés de l’avenir, et il cherche l’économie dans l’intérêt de ses enfants des siècles futurs.

La corporation de notre capitale décidant d’accepter le système d’éclairage Spaulding, nous prouvera et prouvera au monde entier que les quelques arpents de neige d’autrefois ont bien changé, et qu’ils sont aujourd’hui un foyer lumineux donnant des leçons à l’univers ; car ce sera la première ville des deux continents qui aura fourni un si grand exemple.

Cette révolution dans l’éclairage publique va-t-elle nous dispenser de l’éclairage domestique ? Évidemment ; l’obscurité nous vient du dehors ; et comme on a pu le comprendre, au dehors nous n’aurons plus qu’une lumière vive comme celle du premier jour qui se leva sur la création.

Cependant, il n’est pas hors de propos, puisque nous avons encore besoin d’éclairage domestique, de mentionner ici une expérience qui vient d’être faite à la société d’encouragement par M. Frudel représentant à Paris d’un M. Kordy de Hongrie.

L’expérience de M. Frudel regarde une essence combustible volatile destinée à servir à l’éclairage.

C’est un hydrocarbure, très léger et très volatil, bouillant entre 30 et 40 degrés, et possédant trois propriétés remarquables :

1o Il est volatil à la température ordinaire et bout presque à la chaleur de la main ;

2o Il brûle également à une température très faible.

3o Il produit cependant une lumière blanche plus belle et plus éclairante que celle du gaz sous le même volume.

Au moyen de cette huile nouvelle nous avons une lumière qui est impuissante à consumer les objets que sa flamme pourra toucher. Ainsi l’huile tombée sur le parquet prendra feu, se consumera complètement sans altérer le parquet. Ainsi vous avez besoin d’une lumière, vous manquez de bougie, vous vous faites une torche improvisée avec le coin de votre mouchoir imbibé de ce liquide ; et votre mouchoir, qu’il soit de toile ou de soie la plus blanche ne présentera pas la plus petite tache.

Cette nouvelle essence minérale provient de gisements d’huiles naturelles récemment découvertes en Hongrie, et donnant par distillation une essence particulière très volatile dont le prix de revient ne dépasserait pas trente sous le kilogramme… Nous n’aurons donc plus peur du pétrole.

C’est bien assez que la panique commencée en France au sujet de la trichine a failli faire le tour du monde entier, et qu’il est arrivé un moment où chacun était à se demander s’il n’était pas trichiné !

La trichinose est une maladie constituée par la présence dans les chairs de certains animaux, du porc plus particulièrement, d’un helminthe — petit ver de terre — maladie contagieuse, puisqu’elle se transmet de l’animal à l’homme. C’était bien assez pour faire horripiler les plus braves. Le commerce considérable de porcs qui se fait entre les États-Unis et l’Europe, et toutes les autres parties du monde, dirai-je plutôt, a été l’occasion de cette panique presque universelle. Ça été le point de départ d’un échange de correspondances plus ou moins acerbes entre ces nations ; on s’est menacé de part et d’autre. Heureusement, le calme a succédé à la tempête, et l’entente est devenue amicale ; de sorte que plus que jamais il est permis de dire qu’au lieu d’une épidémie de trichine, c’est bien une fièvre chaude de spéculateurs qui a passé comme un souffle brûlant des déserts de Pétrée.

Non, le monde n’est pas aux épidémies ; le monde se porte bien, plus que jamais, grâce sans aucun doute aux efforts pleins de sollicitude de l’hygiène, cette science toute maternelle qui travaille constamment au prolongement de la vie humaine par toutes les tentatives possibles.

Il est certaines contrées qui regorgent de vie, de santé ; il en est d’autres qui semblent être frappées au coin de la maladie et de la mort ; c’est dans ces dernières que l’hygiène doit se mettre à l’œuvre, — c’est dans ces dernières, où ses opérations sont suivies du succès le plus surprenant, qu’elle doit lutter sans relâche contre le génie malfaisant qui ravage. L’histoire des peuples est là pour nous prouver cette grande vérité.

Au sujet de la statistique de la vie humaine, j’ai par devers moi un des derniers rapports sanitaires du pays voisin, et je ne puis m’empêcher de faire part de certains chiffres qu’ils contiennent et qui sont merveilleux.

Ces rapports contiennent l’état sanitaire des soixante-huit villes des plus importantes des États-Unis.

Je vois dans celui que j’ai sous la main que Vallejo (Californie) donne une moyenne de la vie (chose incroyable) de 83-5 ans, ce qui veut dire que c’est la station la plus salubre ; c’est, en effet, nous faire rêver au bon vieux temps de Mathusalem

Au contraire, Norfolk (Vancouver) possède une moyenne de 27-9 ans ; la différence est sérieuse, comme on le voit ; aussi cette dernière ville est bien la moins salubre de tout le pays et peut-être du monde entier. Dans le premier climat, il n’y meurt de la consomption qu’une personne par mille ; dans le second, il en meurt une par 241 personnes.

Boston, 42-5 ; New-York, 37 ; Philadelphie, 47-8 ; Cincinnati, 47-8 ; San Francisco, 51-8, etc.

Montréal n’a jamais atteint ces beaux résultats ; la nature ne lui a pas été ingrate pourtant, et nous sommes certains que notre ville rivalisera avant longtemps avec San Francisco, sinon avec Vallejo, parce que l’organisation sanitaire secondée de l’autorité, sans laquelle elle ne peut rien faire, est à l’œuvre depuis quelque temps d’une manière sérieuse enfin, et qu’elle terminera bien ce qu’elle aura bien commencé.

Sévérin Lachapelle.



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