Revue de Paris/tome 1/PRÉFACE

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Collectif
La Revue de Paristome 1 (p. iii-vii).


PRÉFACE.
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La littérature, dans le dernier siècle, sous des formes spirituelles et frivoles peut-être, travailla cependant à la conquête de la liberté politique. Dans un siècle aussi positif que le nôtre, dont la raison ne se passionne que pour des faits et des résultats, elle ne pouvait non plus mener une vie isolée, rester en dehors des intérêts sociaux, et ne pas recevoir un nouveau mouvement de toutes les ambitions si bien entendues de tous les peuples.

Élever à une telle époque une tribune littéraire, c’est donc y susciter toutes les questions d’un intérêt général, dont l’examen, partant d’un point de vue philosophique, peut conduire à des améliorations et à des progrès.

Nous pensons toutefois que dans une carrière aussi vaste, pour tout embrasser, il faut admettre des classifications ; et nous avons voulu être méthodique pour être plus complet. Les livraisons de la Revue de Paris offriront les divisions suivantes :

1o Littérature ancienne. Un nouvel examen critique de notre ancien répertoire littéraire depuis Homère jusqu’à Marmontel, etc., etc., nous a paru devoir être d’un intérêt nouveau. Nous avons cru utile aux progrès de l’art et à l’étude des doctrines, curieux surtout pour la controverse, d’appeler tous nos hommes de talent à juger, à travers les opinions du dix-neuvième siècle, les grands noms, les chefs-d’œuvre d’un autre âge ; et puis c’est par cette critique impartiale et désintéressée de l’antiquité, qu’on arrivera peut-être à une critique plus conséquente, plus consciencieuse de la littérature de nos jours.

2o Littérature étrangère. Ces communications faciles et récentes de toutes les littératures, cette fraternité de tous les idiomes, de toutes les langues, rare bonheur de position pour les générations nouvelles, doivent être exploitées au profit de l’esprit humain. Nous donnerons donc une table bibliographique de l’Allemagne, de la Russie, de l’Angleterre, de l’Espagne, de l’Italie ; et nos mesures sont prises pour pouvoir souvent offrir des traductions fidèles ou des résumés des publications étrangères les plus curieuses et les plus importantes.

3o Littérature moderne. C’est surtout dans ce cadre que nous accomplirons toutes les promesses de notre titre, Revue ou Magazine littéraire.

La critique, science toute moderne, bien qu’elle offre aujourd’hui plus que jamais un grand mouvement d’idées, et un grand nombre d’aperçus nouveaux et philosophiques, commence peut-être cependant à perdre de son importance et de son intérêt. On comprend le règne despotique et absolu de la critique littéraire, à une époque toute de privilèges, à une époque où même l’instruction était surtout le plus rare des privilèges ; mais au temps où nous vivons, un savoir assez général, assez complet, est la fortune de tous ; et si l’on pouvait réclamer pour les connaissances et les idées les répartitions de la loi agraire nous ne doutons pas qu’on ne trouvât assez de connaissances diffuses, assez d’idées en circulation pour constituer à chacun un fonds de science qui le rendît apte à analyser et à juger. Dans nos livraisons successives, cet heureux état des choses nous fera donc souvent préférer aux leçons de la critique, les compositions inédites, les créations originales et les documens importans.

Nous ne prétendons point, dans ce Recueil, à l’unité de doctrines ni de systèmes ; mais bien que nous ne cherchions pas à faire converger vers un même but les opinions individuelles que nous publierons, il est cependant impossible que les esprits distingués dont nous solliciterons la collaboration, ne nous conduisent pas, quelque chemin qu’ils prennent, à des résultats de vérité. Le public d’ailleurs jugerait mieux encore, au besoin, par la controverse, de l’importance et du résultat de ces travaux particuliers, de même qu’il juge mieux des intérêts politiques par les débats animés de la tribune.

Pour que le plan de la Revue de Paris soit plus facile à saisir, nous comparerons ici ce Magazine à ces biographies universelles, où chaque célébrité, chaque nom propre trouve un historien spécial, un juge compétent. La Revue de Paris différera seulement de ces biographies en ce sens, qu’au lieu de ne s’occuper que des hommes, elle s’occupera surtout des choses. On voit par toutes ces explications que ce n’est point un journal, mais un livre que nous publions.

Le moment d’ailleurs est peut-être favorable à l’apparition d’une nouvelle Revue ; les opinions en littérature semblent se passionner, la controverse s’étend et s’anime, et tout semble nous faire espérer une époque littéraire après toutes nos crises politiques. L’histoire ne nous montre-t-elle pas le Dante, Pétrarque et Boccace, succédant à des révolutions en Italie ; Shakespeare et Milton succédant à des révolutions en Angleterre ; Corneille et Molière succédant, en France, aux comédies sanglantes de la Fronde. Et quelle grande idée relative ne doit-on pas concevoir de l’ère littéraire qui se prépare, si on la mesure à l’avance sur les proportions gigantesques des grands drames politiques dont le dénouement ne date que d’hier !

La Revue de Paris, sans rendre compte de toutes les compositions qui se succèdent sur nos théâtres, ne laissera cependant point passer, sans examen, sans critique, les ouvrages nouveaux qui soulèveront quelques questions d’art, et qui pourraient toucher aux intérêts élevés de la scène française.

Tous les articles de la Revue de Paris seront signés.

Nous nous engageons envers nos souscripteurs à publier, à des intervalles assez rapprochés, des tableaux de mœurs de notre ancienne et de notre nouvelle société, par M. Scribe, et plusieurs compositions inédites de M. Rossini.

Dans notre obscurité, nous ne pouvons attribuer qu’au but utile que se propose la Revue de Paris, l’empressement d’un grand nombre d’hommes de talent à honorer ce recueil de leur collaboration active, et c’est là déjà un premier succès dont on nous pardonnera de nous glorifier.

l. véron,
Directeur de la Revue de Paris.