Revue dramatique - 31 janvier 1911

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REVUE DRAMATIQUE




RENAISSANCE. — Le Vieil homme, pièce en cinq actes, par M. G. de Porto-Riche.


La plupart du temps on nous donne au théâtre des pièces tout à fait agréables, mais où les auteurs ont poussé jusqu’à l’extrême et jusqu’à l’excès le souci de plaire en divertissant le public sans le fatiguer. A la fin, tant de friandises dégoûtent. Cela explique en partie la faveur un peu dithyrambique avec laquelle a été accueillie l’œuvre nouvelle de M. de Porto-Riche. Nous sommes cette fois en présence d’une œuvre qui est une œuvre — étudiée, méditée, travaillée, laborieuse, où l’écrivain a mis toutes ses qualités et tous ses défauts, et dit tout ce qu’il voulait dire, sans craindre d’appuyer et d’insister, au risque de lasser, de rebuter et de chagriner le spectateur. Qu’on aime la pièce ou qu’on ne l’aime pas, elle existe, et c’est ce qui la distingue de beaucoup d’autres que nous nous empressons de louer, de peur, si nous les discutions, qu’elles ne s’évanouissent comme par enchantement. Elle est en accord avec les idées et la manière qui ont fait la réputation de M. de Porto-Riche. Elle est dans la suite logique de ce théâtre qu’il appelle « théâtre d’amour. » On sait d’ailleurs ce qu’il entend par ce mot dont les poètes, les romanciers et les faiseurs de romances ont embrouillé, obscurci et affadi la signification : il le prend, plus simplement et plus crûment, au sens physiologique. La Rochefoucauld, qui fut un moraliste très avisé, ne voyait dans l’âme humaine que l’amour-propre. M. de Porto-Riche n’y voit que l’instinct du sexe. Il faut le savoir, pour éviter autant que possible de se méprendre sur la qualité des personnages, la nature de leurs sentimens et la portée de l’œuvre.

Michel Fontanet est un premier rôle du théâtre d’amour ; ayant épousé, par amour, sa femme, Thérèse, il s’est, sitôt marié, mis en devoir d’aimer ailleurs. Thérèse a tant souffert, tant pleuré, tant supplié, qu’il a promis de se réformer, qu’il a même tenu sa promesse, et même qu’il la tient depuis cinq ans. Pour mieux échapper aux tentations, le ménage a quitté Paris, et s’est enfui jusqu’à Vizille qui est un village du Dauphiné, face aux montagnes, glacial en hiver et choisi à souhait pour geler toutes les ardeurs. On vit là, en famille, d’une existence retirée et active. Michel a acheté une imprimerie où il a pour premiers employés sa femme et son fils ; c’est l’atelier familial : c’est très sain. Et Michel, tout étonné qu’il soit de sa propre conversion, en arrive presque à y croire ; le Michel qu’il avait été n’est plus : le vieil homme est mort… Telle est du moins sa conviction. S’il n’arrive pas à la faire complètement partager à sa femme, toujours inquiète, c’est qu’elle a été trop meurtrie par le passé pour ne pas trembler devant l’avenir. Nous pareillement, nous restons sceptiques. Nous connaissons les héros de M. de Porto-Riche et nous savons ce qu’on peut attendre de ce genre d’individus, qu’hélas ! il n’a pas inventés. Nous ne doutons pas un seul instant que le vieil homme ne soit encore vivant, endormi seulement, et tout prêt à s’éveiller de ce sommeil dont la durée fut déjà longue jusqu’à l’invraisemblance.

Ce souci n’est pas le seul dont Mme Fontanet ait à se torturer. Et quand elle a fini de s’inquiéter pour son mari, il lui reste à se tourmenter pour son fils. Ce fils, Augustin, est un enfant des plus intéressans, mais qui n’est pas de tout repos. Il tient également de son père et de sa mère, et, comme certains enfans malavisés, — ces enfans n’auraient pas dû naître, disait Sully Prudhomme, — il a pris justement à l’un et à l’autre ce qu’il aurait dû leur laisser. De son père, il a hérité ce tempérament amoureux, qui est la marque de la maison, et qui chez lui n’attend pas le nombre des années. Comme on l’a souvent remarqué, nous n’apercevons guère autour de nous d’autres images que celles que nous portions déjà en nous. « J’aimais à aimer, » disait un autre Augustin. Et celui-ci : « Tout, dans cette maison, ne me parle que d’amour ; » c’est qu’il n’interroge les choses et les gens sur aucun autre sujet. Ce gamin précoce a seize ans. Mais ce n’est pas Chérubin, qui était vif, gai, bien portant, hardi et roué : il a pris à sa mère une nature romanesque, une sensibilité inquiète, prompte à s’attrister, ingénieuse à prolonger et à remâcher sa tristesse. Ce n’est pas même Fortunio. J’ai toujours été persuadé qu’il ne fallait pas être dupe des airs penchés du rival heureux de Clavaroche : ce sont airs à la mode pour toucher le cœur des belles en 1835 et en province ; toute cette mélancolie n’empêchera pas Fortunio de se très bien porter et d’avoir devant lui une belle carrière de bourreau des cœurs. Il y a surtout du Werther chez Augustin. D’ailleurs, il est aisé de voir à sa pâleur, à son peu de goût pour les exercices de son âge, — qui sont la marche, l’équitation, la bicyclette et la boxe, — à un certain air languissant et rêvasseur, que ce garçon ne se porte pas bien. Il souffre de quelqu’une de ces tares originelles, d’une de ces affections mal déterminées, que l’ignorance des médecins fait mystérieuses et qualifie de neurasthénie. Tel est cet adolescent maladif. Nul ne prétend que les personnages de M. de Porto-Riche soient très plaisans à regarder. Du moins on sait, avec eux, exactement à qui on a affaire. C’est une satisfaction, telle quelle.

Une conversation d’Augustin avec sa mère révélerait à celle-ci, pour le cas où elle ne l’aurait pas déjà deviné, ce qui se passe dans cette âme trop frémissante et surtout trop tôt. Cette mère met bien de la complaisance à accueillir les confidences un peu spéciales de son fils ; une autre, sans décourager cette confiance qui vient à elle, eût quand même trouvé moyen de conseiller, de calmer, d’assagir cette fièvre. Mais Thérèse Fontanet n’est pas la mère qu’il faudrait pour cette influence vivifiante et saine. Elle retrouve trop d’elle-même dans la névrose de cet enfant qui lui ressemble. Pour le morigéner et remettre au point ces gamineries sentimentales, elle manque d’autorité. Elle s’y attarde ; elle leur prête de l’importance et leur en ajoute. Elle comprend d’une façon un peu singulière le rôle d’une mère vis-à-vis de son fils. C’est le premier de nos étonnemens et d’ailleurs le moindre : Car dans cette pièce nous irons de surprise en surprise, jusqu’à l’affolement complet. Mais n’anticipons pas.

Une longue scène, assez imprévue, occupe toute la fin de ce premier acte, une scène de reproches que fait Thérèse à son mari. Elle évoqué le passé, ses souffrances, sa jalousie, les trahisons d’un mari frivole et insouciant. Pourquoi ? Cela nous semble d’abord une fausse note, et c’est en tout cas une maladresse. Puisque, depuis cinq ans, Fontanet est un mari irréprochable, pourquoi rendre à ce passé, en le réveillant, une réalité dangereuse ? Thérèse, en se taisant ; montrerait plus de prudence et surtout plus de dignité. Sans doute ; mais ni la prudence, ni surtout la dignité ne rentrent dans la définition de l’amour tel qu’on l’entend dans le théâtre d’amour. Thérèse, même dans l’amour reconquis, souffre toujours et d’une façon aussi aiguë, de l’ancienne blessure ; car elle est avant tout une amoureuse.

Entre ces trois personnages, tels qu’ils nous sont présentés, il est évident que l’orage couve et qu’il est proche. C’est l’arrivée d’un quatrième larron qui va le déchaîner. Une Mme Allain fait passer sa carte. Thérèse a d’abord refusé de la recevoir, l’ayant connue jadis à Paris, et n’ayant emporté d’elle à Vizille qu’un souvenir où l’estime tient peu de place. Mais Mme Allain n’est pas une visiteuse ordinaire ; elle est le malheur qui vient frapper à la porte d’une maison : la porte ne peut faire autrement que de s’ouvrir. Mariée, mère de famille, nourrice et bonne laitière, cette agréable personne a toutes les apparences d’une bourgeoise paisible. Mais il y a aussi en elle un je ne sais quoi, difficile à définir, impossible à préciser, auquel ne se trompe ni l’instinct d’une femme qui craint pour son bonheur, ni celui d’un homme qui cherche son plaisir. Et tout de suite nous voyons auprès de la nouvelle venue chacun prendre l’attitude qui convient à son rôle : Thérèse, une réserve qui ressemble à s’y méprendre à de l’éloignement, Michel, une familiarité qui ne demande qu’à se convertir en intimité. C’est Augustin qui est le plus amusant à regarder. Lui, le timide, le silencieux, le sauvage, le voilà qui s’apprivoise, s’anime, se multiplie, et parle, et bavarde, et rit, et fait des mots, et fait des grâces. La métamorphose a été instantanée et complète. La magicienne n’a pas eu même à donner un coup de baguette, ni un coup d’œil : sa présence a suffi. Mme Allain vient dans le pays pour recueillir une succession : un oncle lui a laissé en mourant la Commanderie, propriété voisine de celle des Fontanet. Augustin n’admet pas qu’elle s’installe à l’hôtel, fait violence à l’opposition de sa mère, l’invite à dîner, lui fait accepter une chambre. C’est pour vingt-quatre heures, moins peut-être. Thérèse cède, bon gré mal gré ; elle installe sous son toit, à son foyer, l’intruse, l’ennemie.

Trois semaines se passent. Venue pour un jour, Mme Allain est encore là, au bout des trois semaines, et ne donne aucun signe de départ prochain. Avec elle est entrée dans la maison, d’ordinaire assez morose, un flot de gaieté, un bruit de chansons et de rires. Offenbach a remplacé Beethoven au piano ; on plaisante, on danse, on fait mille folies. Et ce qui devait arriver, arrive. Augustin devient éperdument amoureux de Mme Allain. Et Michel Fontanet n’en devient pas éperdument amoureux, car cela n’est pas de son emploi ; mais il devient son amant… Ce qui nous étonne, c’est que Thérèse ait laissé les choses en venir là, sous ses yeux et presque de son consentement. On nous dit bien qu’elle a essayé de faire comprendre à son invitée que sa présence se prolongeait un peu trop ; elle a eu des mots amers, des allusions transparentes. Tout est resté inutile. Mme Allain a fait semblant de ne pas comprendre. C’est une personne qui n’est pas susceptible, et d’ailleurs qui n’est pas compliquée ; c’est à peine une personne, mais plutôt un petit animal fait pour la jouissance, et qui se définit par l’instinct. Pourtant il y a toujours moyen pour une femme, qui est la femme, d’en expulser une autre de chez soi. Et nous savons que Thérèse est une passionnée et une inquiète. Comment se fait-il qu’elle se réduise à tout voir, tout prévoir, et larmoyer sans cesse ? Cette passivité nous paraît presque inintelligible.

Bien lent le mouvement de ces trois actes, dont il eût été si facile de réunir les deux premiers en un seul. Le drame commence au quatrième acte. |Tandis que son mari est au rendez-vous, que Mme Allain lui a donné à la Commanderie, Thérèse a enfin une révolte. Une sorte de double vue lui montre ce mari qu’elle aime dans les bras de sa rivale. Elle crie : « Je la chasse, je la chasse ! » Mais ces mots surpris par Augustin déterminent une explication entre sa mère et lui. Mme Fontanet découvre alors un autre aspect du désastre, une seconde catastrophe : avec la tournure exaltée et maladive de sa sensibilité, l’enfant s’est pris d’une passion ardente, sombre, jalouse. On peut tout craindre de son exaltation. C’est pourquoi elle s’efforce de rattraper les paroles dénonciatrices. Non, non, elle ne soupçonne pas Mme Allain, et elle ne souffre pas par elle, et elle ne reproche aucune trahison au père d’Augustin. Pour Dieu ! que l’enfant se rassure, et qu’il ne se crée pas de terreurs chimériques. Et qu’il continue de s’épanouir dans l’atmosphère enchantée que lui fait la présence d’une femme désirée… Telle est la situation. Le père et le fils aiment tous deux la même femme, chacun à sa manière : le père en libertin, le fils en enthousiaste avec l’innocence de sa prime jeunesse. Mais enfin les voilà rivaux. A quel point cette situation est déplaisante, j’ai à peine besoin de l’indiquer. Mais il y a quelqu’un pour qui elle doit être horrible, insupportable, atroce, c’est Mme Fontanet, deux fois désolée dans son cœur d’épouse et de mère. Une telle situation est insoluble : je veux dire qu’il n’y a qu’un moyen d’en sortir, c’est d’en sortir, en effet, en tranchant dans le vif, et en la supprimant. Mme Fontanet va au contraire la prolonger, et en la prolongeant la compliquer. Poussée par une impulsion où il m’est impossible de voir autre chose qu’un égarement de l’esprit et une déviation de la sensibilité, elle va s’attacher désespérément à cette idée unique : donner à la passion d’Augustin une apparence de satisfaction et tout au moins leurrer sa folle tendresse. Elle n’a pas l’air de se douter, et elle ne se doute pas en effet, qu’ainsi elle devient la complice des événemens et fait signe au malheur. Donc, elle avertit tour à tour son mari et Mme Allain. A Michel elle déclare qu’elle sait sa trahison, et que son fils la soupçonne, qu’il faut donc que le père s’éloigne, pour quelques jours, afin de ne pas irriter la souffrance de l’enfant, et, en quelque sorte, au sens honnête du mot, qu’il lui cède la place. A Mme Allain elle demande de lui devenir une alliée, d’être douce, maternelle à l’enfant… Je crains que l’auteur n’ait cru mettre dans cette combinaison, — si étrange ! — une sorte d’héroïsme, tout ce qu’il peut tenir de cornélien dans le théâtre d’amour.

Du moins, la situation étant ainsi posée, il l’a traitée avec une entière logique et menée au seul dénouement qu’elle comportât. Car tout cela ne pouvait que mal finir. Tous ces personnages se retrouvent au cinquième acte, un peu à la manière dont seraient réunis les pensionnaires d’un asile d’aliénés. Fontanet père, frappé de la pâleur et de l’air égaré de Fontanet fils, s’est senti une minute d’émotion et a tâché, par des mots vagues et de discrètes allusions, de dissiper les nuages accumulés autour de ce jeune front. Ce désaveu, ou ces aveux d’un père à son fils et à un si jeune fils, que voilà encore une conversation trouble et gênante ! Mais venons au fait. Il a été convenu que Michel prendrait à quatre heures le train pour Paris, et que, pendant cette fin d’après-midi, Mme Allain sortirait avec Augustin et commencerait à chapitrer l’enfant, comme une Warens auprès d’un autre Jean-Jacques. Seulement, nous vivons dans un temps où l’horaire des chemins de fer est très sujet à caution. Les rapides de quatre heures ne partent qu’à sept heures. L’occasion est trop tentante pour Michel et Mme Allain de renouveler la connaissance faite à la Commanderie. Rendez-vous est pris. Augustin part seul pour cette promenade dont on lui avait fait espérer que ce serait une promenade à deux, la marche vers son rêve étoile ! Il part, non sans avoir, dans un adieu déchirant à Mme Allain, mis toute son âme passionnée et douloureuse. Car il y a pour les enfans précoces, comme pour les femmes aimantes, une double vue. Et sans peut-être s’en rendre un compte exact, Augustin a deviné une trahison. Michel en effet reste à la maison, attendant la minute d’aller rejoindre sa maîtresse. Mme Fontanet est auprès de lui, flairant un nouveau mensonge, une ruse deux fois criminelle, car elle fera cette fois une victime de plus. Et voici qu’à cet orage intime répond un orage qui se déchaîne dans la nature. Le ciel s’est couvert, des éclairs sillonnent la montagne vers laquelle nous avons vu s’acheminer Augustin ; toute cette électricité surexcite les nerfs de Thérèse, dont l’inquiétude finit par se communiquer à Michel lui-même ; ni l’un ni l’autre ne doutent plus qu’un danger ne menace l’enfant, qu’un malheur ne lui soit arrivé, et c’est leur angoisse qui se réalise quand on leur rapporte l’enfant inanimé. Tempête, amour et suicide, c’est la formule même du romantisme. Tout cet acte est d’un romantisme exaspéré et funèbre, tel qu’on l’affectionnait vers 1840… « Je suis un meurtrier, confesse le père atterré : Thérèse, tu ne me reverras plus. » Mais celle-ci : « Reste, je ne peux pas. » Même dans la stupeur où la plonge son désespoir de mère, elle a l’obscure conscience qu’elle est rivée par un lien irrésistible au meurtrier de son enfant. Et il suffit de ces quelques mots pour mettre en fuite la pitié que nous allions ne pas lui refuser.

Telle est cette pièce, pleine de talent, d’observation, d’esprit, mais prolixe, pénible et plus encore désobligeante. Pas un personnage n’y est sympathique, même ceux qui souffrent, même celui qui meurt. Je ne réclame pas la présence du « personnage sympathique » suivant la formule conventionnelle. Mais je voudrais qu’il y eût quelqu’un ici vers qui pût aller notre intérêt avec notre estime. Fontanet est le mari coureur, dans toute sa banalité. Mme Allain est la femme facile, dans toute sa vulgarité. Augustin est un maniaque. Mme Fontanet, enfin, n’est pas l’épouse qui pardonne, la mère qui sacrifie de justes rancunes à l’intégrité du foyer ; non : c’est l’amante légitime qui continue à aimer quand même. C’est son affaire. Et voilà un ordre de considérations, toutes personnelles, qui cesse de nous toucher… Les situations dans le Vieil homme sont fâcheuses plutôt que dramatiques ; on est moins ému qu’affligé ; et, en sortant de la salle, on met quelque empressement à écarter de son souvenir l’impression gênante et obsédante.

J’ai dit que M. de Porto-Riche a mis dans cette pièce toutes ses qualités, et c’est un point sur lequel je tiens à insister. Écrivain de théâtre très soucieux de la forme, il fait parler à ses personnages un langage d’un tour très littéraire, plus près même du style écrit que du ton de la conversation. Psychologue très averti, il ne croit jamais être allé assez avant dans l’analyse. Moraliste amer, il a des mots à la Chamfort. Mais le théâtre d’amour comporte-t-il tant d’art et l’emploi de si riches ressources ? Le principe même de ce théâtre vicie les plus beaux dons. Dans ce dialogue si soigné éclatent parfois des répliques qui étonnent par leur brutalité, mais qui sont en situation, car elles attestent ce qu’il y au fond de grossier chez ces personnages. Nous aimons beaucoup la psychologie au théâtre et nous ne trouvons jamais qu’on en ait trop mis ; mais c’est à condition que l’étude en vaille la peine et que nous soyons curieux des découvertes que l’auteur y a pu faire. La psychologie de tels êtres est courte : quand on a dit que chez eux le tempérament est exigeant, on a tout dit ; il ne reste qu’à le redire, et c’est le secret de ces longueurs qu’on ajustement reprochées au Vieil homme. C’est vrai enfin qu’un libertin fait beaucoup de mal et crée autour de lui toute sorte de souffrances, et mérite d’être châtié. La leçon, ou tout au moins la remarque, aurait pu avoir une réelle portée, si l’auteur avait choisi un cas moins exceptionnel que celui d’un père ayant pour fils un détraqué. On ne sait jamais ce qui peut passer par ces pauvres cervelles malades. C’est l’anormal, ce qui ne peut entrer en ligne de compte dans les questions de morale. Si Augustin eût été sain d’esprit et que son père eût trouvé en lui non un rival, mais un juge pour tant de larmes qu’il a fait verser, voilà quel eût été le châtiment, voilà ce qui eût ramené la pièce dans la voie droite et largement humaine.

L’interprétation laisse beaucoup à désirer — et ce qu’on désirerait d’abord ce serait de mieux entendre, plus facilement et plus complètement les acteurs. Ne nous lassons pas de le redire, car le défaut est maintenant général. Depuis que, sous prétexte de naturel, on a dispensé les acteurs d’articuler avec soin et netteté, ils se sont empressés de ne plus même prononcer. Ils déblaient, à perte d’haleine. Tout le rôle y passe. Le reproche ne tombe pas sur M. Tarride, qui est de tous points excellent de bonhomie, de rondeur, d’égoïsme satisfait, de méchanceté joyeuse, et dont la voix a de belles résonances. Et Mlle Lantelme rend à la perfection le personnage de Mme Allain tel que vous le connaissez. Mais Mme Simone est trop continûment larmoyante et elle a adopté une sorte de mélopée d’une regrettable monotonie. Mlle Margell se tire comme elle peut du rôle d’Augustin. On a été assez mal inspiré de faire jouer en travesti ce rôle de jeune homme. Il était inutile d’introduire encore cette note inquiétante dans une pièce qui, par elle-même, mot si souvent le spectateur mal à l’aise.


RENE DOUMIC.