Revue littéraire — 31 janvier 1839

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REVUE LITTÉRAIRE

DIANE ET LOUISE.
PAR M. F. SOULIÉ.

Sous le titre général de Six mois de Correspondance, M. Frédéric Soulié a réuni deux récits parfaitement distincts. L’histoire de Diane de Chivri et l’histoire de Louise Cerneil forment deux romans complets. Le premier de ces deux romans est, selon nous, très supérieur au second. Quant au cadre épistolaire dans lequel l’auteur a cru devoir les placer, nous ne saurions l’approuver. Les motifs qui ont décidé son choix nous semblent sans valeur. Ayant à faire, sur la société au milieu de laquelle nous vivons, de tristes révélations, il n’a pas voulu que le lecteur pût le confondre avec ses personnages, et pour éviter ce désagrément, pour échapper en même temps aux accusations et aux louanges, pour défier le reproche de perfidie et de fatuité, il a placé ces deux récits dans la bouche de deux amis. À notre avis, cette fiction est fort inutile et n’empêchera pas le lecteur de se livrer à des conjectures de toute sorte. Ceux qui ne se contentent pas d’être émus et qui veulent savoir l’origine de leurs émotions, qui ne croient à la légitimité de leur plaisir qu’après avoir fait la part de l’imagination et la part de la réalité, ne manqueront pas, malgré la présence des deux narrateurs derrière lesquels M. Soulié se réfugie, de mettre sur le compte de l’auteur la moitié ou les deux tiers des sentimens et des aventures qui remplissent ces deux volumes. Ce cadre épistolaire, tel du moins que l’a conçu M. Soulié, offre d’ailleurs un autre inconvénient. Il offre au lecteur des personnages qui ne peuvent l’intéresser, et il fatigue l’attention par des détails mesquins et puérils. Il nous importe peu assurément que M. Édouard Corbey paie quatre francs par jour une chambre dans un hôtel garni, et qu’en additionnant ses dépenses de la journée il trouve un total de vingt-deux francs. Le chiffre de sa pension et de ses appointemens ne nous intéresse pas davantage. Quant à la société provinciale dans laquelle Honoré Cimaise se trouve introduit, elle offrirait peut-être des originaux dignes de figurer dans un roman ; mais, pour mériter notre attention, il faudrait que ces personnages eussent le temps de poser devant nous, d’agir et de vivre sous nos yeux. Or, c’est précisément ce qui n’arrive pas. À peine ont-ils paru qu’ils disparaissent, et leur souvenir n’est qu’un embarras qui porte préjudice au récit. Les malices et les médisances de Mme du Hauterre excitent notre impatience, parce qu’elles ne servent à rien ; pour la prendre au sérieux, pour l’écouter avec intérêt, nous aurions besoin de la voir se mêler à l’action.

Après avoir présenté ces réserves, qu’on ne saurait sans injustice accuser de malveillance, nous sommes heureux de pouvoir, sans manquer à la franchise, recommander Diane de Chivri comme un récit très intéressant. Ce roman une fois entamé, il est difficile de l’abandonner avant d’avoir achevé la dernière page. Tous les personnages ont un rôle nettement déterminé et demeurent fidèles au caractère que l’auteur leur a donné. Mme de Kermic est une figure vénérable, pleine de grandeur et de simplicité ; Diane de Chivri, sa petite-fille, est dessinée avec une vérité touchante. Elle nous émeut et nous charme chaque fois qu’elle entre en scène, et l’auteur a été assez heureux pour ne pas faire d’une aveugle de seize ans un personnage de mélodrame. Diane, dans sa mélancolie, dans son désespoir, ne se laisse jamais aller à la déclamation. Dans ses accens les plus douloureux, elle ne cesse jamais d’être vraie. C’est, à notre avis, une des figures les plus gracieuses et les plus intéressantes que M. Soulié ait jamais conçues, et nous souhaitons sincèrement qu’il nous en offre souvent de pareilles. Le père et les trois frères de Diane, M. de Chivri, George, Philippe et Martial, ne sont pas moins habilement tracés. Le père est d’une sévérité inflexible ; George et Philippe se dévouent sans réserve à la réhabilitation de leur famille, et jouent leur vie avec une loyauté chevaleresque pour laver la honte de leur sœur. Quant à Martial, que son père et ses frères refusent d’initier à leurs projets de vengeance, il montre un orgueil plein de noblesse, une impatience, une curiosité qui contraste heureusement avec sa nature chétive et souffrante. Il justifie son indiscrétion, il revendique ses droits avec une hardiesse au-dessus de son âge et se concilie rapidement notre sympathie. M. de Furières, qui se donne pour Léonard Asthon, est d’une lâcheté misérable ; mais ce type, si hideux qu’il soit, n’est cependant pas impossible, et quoiqu’il semble appartenir au mélodrame, nous concevons cependant qu’il figure dans un roman très sérieux et très vraisemblable. Quant à Léonard Asthon, il résume toutes les vertus que peuvent rêver les héroïnes les plus exigeantes. Il est brave, loyal, généreux ; beauté, grace, jeunesse, intelligence, rien ne lui manque, et nous serions tenté d’accuser la magnificence avec laquelle l’auteur l’a doté, si toutes ces vertus ne trouvaient leur emploi.

La fable dans laquelle se meuvent ces personnages est rapide et bien nouée. Les amours de Diane et du misérable qu’elle prend pour Léonard Asthon, sont racontées très simplement, et avec une naïveté qui n’a rien de factice. Les progrès de la passion dans le cœur de Diane sont analysés sagement, avec une finesse qui ne va jamais jusqu’à la ténuité. La ruse imaginée par Diane, pour sauver son amant qu’elle croit proscrit, est très hardie, mais très bien dite. Cette jeune fille, qui se résigne à la honte parce qu’elle ne pourrait appeler à son secours sans perdre l’homme qu’elle aime et qui abuse si lâchement de sa faiblesse, est digne à la fois d’admiration et de pitié. Les derniers momens de Mme de Kermic, et l’aveu qu’elle fait à son gendre, à ses petits-fils, en présence de Diane agenouillée, composent un tableau vraiment pathétique. C’est une scène de désespoir et de sanglots, de honte et de prières, d’étonnement et de colère, qui offrait de grandes difficultés, et que M. Soulié a très habilement racontée. L’arrivée de Martial au château de Grandpin, et son entrevue avec Diane, sont d’un effet déchirant. La provocation adressée à Léonard Asthon, par George de Chivri, et le duel terrible qui enlève à M. de Chivri ses deux fils aînés, ne laissent pas languir un seul instant l’attention. L’arrivée inattendue de Martial sur le lieu du combat, la lutte qui s’établit entre Martial et son père, accroissent encore l’émotion du lecteur. L’entretien de Léonard Asthon avec Diane de Chivri est conduit avec un talent très remarquable, et renferme des paroles très belles. Au moment où Diane, sûre que l’homme qui lui parle n’est pas l’homme qu’elle a aimé, appelle sur lui le regard de Dieu, et se plaint de ne pouvoir épier sa rougeur pour juger sa loyauté, le lecteur comprend que l’auteur est en pleine vérité. Le jugement qui proclame l’innocence de Léonard Asthon, et dessille les yeux de M. de Chivri, n’offre rien de bien neuf, mais ne fait pas tache dans le récit. Quant au dénouement, qui se prépare au Théâtre-Italien et s’accomplit au bois de Vincennes, il a le tort très grave d’arriver après coup. Pour que ce dénouement produisît un effet complet, il eût fallu que M. de Furières fût reconnu par Léonard Asthon avant le mariage de Diane et de Léonard. Quand Léonard a offert à Diane une réparation qu’il ne lui devait pas, personne ne s’inquiète plus de M. de Furières, et le châtiment qu’il subit paraît presque un hors-d’œuvre.

Louise est loin d’offrir le même intérêt que Diane. Non-seulement le sujet de ce second récit n’est pas choisi avec le même bonheur que le sujet du premier, mais la manière dont nous sommes amené à connaître la vie et les malheurs de Louise Cerneil a quelque chose qui excite le dégoût plus encore que l’impatience. À quoi bon nous introduire au milieu de personnages qui parlent entre eux une sorte d’argot inintelligible pour le plus grand nombre des lecteurs ? Cet échange de paroles grossières et incohérentes n’ajoute rien à l’intérêt du récit, et ne sert qu’à nous rendre plus sévère. Personne, je crois, ne sera tenté de m’accuser de pruderie ; toutes les fois qu’il m’est arrivé de juger une œuvre littéraire, j’ai mis la morale hors de cause. Ce n’est donc pas au nom de la morale que je blâme les premiers chapitres de Louise Cerneil ; c’est au nom du goût. Les amans et les amies de Louise, vrais ou non, ne nous inspirent aucun intérêt, et parlent d’ailleurs un langage que la plupart des lecteurs ne comprendront pas. Quoique le personnage de Mathilde ne soit pas intimement lié au récit, je ne considère cependant pas comme inutile le dialogue de Louise et de Mathilde. Ces deux femmes, qui sont arrivées, par le désordre, au même isolement, aux mêmes souffrances, comprennent diversement leur condition, et leur franchise n’est pas sans profit pour le lecteur. Mathilde apprécie avec une grande justesse l’amour que peuvent inspirer les femmes perdues. On ne peut nier qu’elle ne donne à Louise des conseils pleins de raison. Si Louise veut garder long-temps près d’elle Adolphe Silas, il faut qu’elle consente à ne pas le posséder tout entier ; si elle essaie de l’enlever au monde, de l’enchaîner, elle ne fera que hâter le jour de l’abandon. Mais pourquoi n’avoir pas placé dans la bouche du narrateur l’histoire entière de Louise ? Pourquoi sommes-nous obligés, pour connaître la suite de cette histoire, de lire un manuscrit dérobé par Louise elle-même au secrétaire d’Adolphe Silas, tandis que son amant cuve son ivresse ? Cette fiction est très inutile, et, loin d’ajouter à la vraisemblance du récit, nous rappelle que nous lisons un roman. L’histoire de Louise, jugée en elle-même, abstraction faite des petits moyens auxquels l’auteur a eu recours, est très vulgaire et très languissante. Une fille qui se vend par vanité, pour porter à son tour les parures éclatantes qui l’ont éblouie, n’offre à l’imagination du romancier que des ressources bien mesquines. Pour nous intéresser, pour nous émouvoir, il faut qu’elle se passionne, qu’elle aime un homme environné de l’estime du monde, et qu’elle trouve dans son avilissement, dans le mépris général qui l’a flétrie, un obstacle infranchissable. Telle est, en effet, la situation de Louise en face d’Adolphe Silas. M. Soulié a bien compris que, sans cette lutte douloureuse, Louise serait pour nous un personnage insignifiant. Mais cette lutte est indiquée plutôt que racontée ; c’est à peine si nous l’entrevoyons. Aussi n’hésitons-nous pas à dire que le sujet choisi par M. Soulié n’est pas traité. La question poétique est posée, mais elle demeure entière, et nous espérons qu’un jour l’auteur la reprendra, pour la développer, pour la résoudre, dans un roman rapide et vrai comme Diane de Chivri.

Je ne sais pourquoi M. Soulié s’est cru obligé de nous raconter la vie du père de Louise. Tous ces détails, placés ailleurs, auraient au moins le mérite de la singularité. On s’intéresserait peut-être à la destinée d’un helléniste assez mal avisé pour épouser une danseuse de corde, réduit à la misère pour s’être laissé battre par sa femme, et n’ayant plus d’autre ressource que d’offrir ses traits flétris par la souffrance aux peintres qui ont à représenter des anachorètes. Mais quel rapport y a-t-il entre cette biographie et celle de Louise Cerneil ? Les aventures du professeur d’Angoulême n’ont rien de commun avec les aventures de sa fille. Vouloir étreindre dans le faisceau d’un même récit les malheurs du père et les malheurs de la fille, c’est méconnaître une des lois fondamentales de l’invention, l’unité d’intérêt. C’est la vie de Louise que nous désirons connaître, et nous tenons fort peu à suivre les études archéologiques de son père. Qu’il prenne docilement l’attitude que lui commande le peintre qui le paie, ou qu’il lui prête le secours de son érudition, peu nous importe vraiment, et nous donnerions de grand cœur toute cette biographie pour assister à la lutte d’Adolphe et de Louise. Mais, au lieu de cette lutte que nous attendions, que l’auteur nous devait, puisque c’est là, et là seulement, que se trouve le germe du roman, M. Soulié nous a donné les souffrances vulgaires de Louise pendant les jours qu’elle passe près d’un homme qu’elle n’a jamais aimé, à qui elle s’est vendue.

Des personnages tels que Louise Cerneil peuvent très bien ne pas plaire à tout le monde ; aussi faut-il un grand talent, et surtout une rare délicatesse, pour racheter ce qu’il y a de hardi dans une telle donnée. Quand je parle de délicatesse, je ne prétends pas conseiller au romancier d’éluder les parties douloureuses du sujet ; loin de là, je pense qu’il faut accepter franchement tous les élémens du personnage, toutes les plaies de la vie qu’on se propose de peindre. La délicatesse n’exclut pas la franchise. Mais en traitant de tels sujets, il ne faut jamais oublier que le vice pris en lui-même n’est pas une matière poétique. La poésie commence avec la passion et finit avec elle. Mettez la courtisane aux prises avec le rêveur je le veux bien ; mais ne perdez jamais de vue les limites poétiques de la donnée que vous avez choisie. La peinture du vice et de la dégradation, quelque habileté que vous puissiez déployer, n’offrira jamais qu’un intérêt languissant. Ce qu’il faut nous montrer, si vous voulez demeurer fidèle à votre dessein, c’est le duel de la honte et du mépris, c’est la transformation de la femme dégradée, c’est la courtisane purifiée, régénérée par la passion Or, M. Soulié, en nous racontant l’histoire de Louise Cerneil, ne paraît pas avoir compris les conditions inexorables de son sujet. Il s’est complu à tracer des portraits, et il n’a pas songé à grouper ses personnages de façon à composer un tableau. Il a pris la peine de nous expliquer longuement le caractère d’Adolphe Silas, et il n’a tiré aucun parti de ces développemens.

Il y a donc une grande différence entre Diane et Louise ; autant le premier de ces récits est rapide, animé, intéressant, autant le second est languissant et vulgaire. Toutefois, nous sommes forcé d’avouer que l’histoire même de Diane, malgré l’intérêt général qu’elle ne manquera pas d’exciter, n’est qu’une ébauche heureuse. C’est un livre qu’on ne peut quitter qu’après l’avoir achevé ; c’est là sans doute un mérite considérable, mais qui ne saurait classer Diane parmi les œuvres littéraires. Ce récit obtiendra certainement un succès de curiosité ; mais personne n’éprouvera le besoin de le relire. Pourquoi, sinon parce que les plus belles scènes sont indiquées plutôt que faites ? Les incidens sont noués avec vigueur, mais le style n’a rien de précis ni de définitif. On sent presque à chaque page que l’auteur se contente d’un à peu près ; qu’il pourrait mieux faire ; qu’il ne se donne pas la peine de trier ses pensées ; qu’il accepte avec empressement toutes celles qui lui arrivent, qu’il ne prend pas le temps de se montrer sévère.

Nous insistons d’autant plus volontiers sur ce reproche, qu’il peut s’appliquer au plus grand nombre des œuvres contemporaines. M. Soulié est coupable envers ses lecteurs, coupable envers lui-même ; mais il a pour s’excuser, sinon pour se justifier, des exemples imposans. Quand l’auteur des Méditations et des Harmonies pétrit à la hâte un poème de douze mille vers, peut-on s’étonner que M. Soulié se contente d’une ébauche et ne prenne pas le temps de traiter le sujet qu’il a choisi, selon l’étendue de ses facultés. Il est pour nous hors de doute que M. Soulié est capable d’une œuvre très supérieure à Diane de Chivri. Mais, pour accomplir cette œuvre, que nous souhaitons, que nous espérons, il faut qu’il se résigne à ne pas improviser. S’il veut faire en trois mois l’œuvre d’une année, il sera toujours au-dessous de lui même. Il aura beau s’évertuer, fouiller dans ses souvenirs, feuilleter la mémoire de ses amis, il ne donnera jamais sa mesure. Il sera toujours forcé de s’avouer qu’il n’a pas mené à bout sa pensée. Tant qu’il mettra son imagination en coupe réglée, il sera pour lui-même un juge plus sévère que nous.

Le procès que j’entame ici contre M. Soulié est d’une gravité que personne ne méconnaîtra. Ce qui manque, en effet, aux écrivains de nos jours, ce n’est ni la sagacité, ni l’invention, ni le savoir, ni le sentiment de l’élégance ; c’est la patience. Pour ne pas laisser échapper l’inspiration, chacun se croit obligé d’improviser. Pour éviter la sécheresse, on s’interdit les ratures. On est si pressé d’écrire, qu’on ne prend pas le temps de penser ; mais ce régime est mortel, et les plus fortes intelligences succombent sous le poids de cette perpétuelle improvisation. Peu à peu toutes les idées, à peine entrevues, finissent par avoir la même valeur. Le hasard décide en maître souverain de la composition et du style. Quelquefois nous gagnons à cette loterie capricieuse un poème éclatant ; mais la beauté vraie, la beauté complète n’est jamais l’œuvre du hasard, et notre admiration pour ces poèmes improvisés n’est pas exempte de regrets.

On reproche à la poésie française du XVIIe siècle sa régularité, sa monotonie, sa froideur ; ces accusations ne sont pas absolument injustes. Mais il faut bien reconnaître que ces œuvres, qui nous paraissent, à de certaines heures, immobiles et muettes, ont une valeur que nous chercherions vainement dans la plupart des poèmes de notre temps. Elles ont une vie qui leur est propre, qui défie nos railleries, qui résiste à l’analyse, et cette vie est fille de la patience. Elles nous semblent parfois guindées dans leur majesté ; mais il nous arrive souvent de les contempler avec une joie sérieuse, parce qu’elles ne manquent jamais d’exprimer une pensée.

Or, la pensée qui respire dans les œuvres poétiques du XVIIe siècle n’est pas née en une heure, en un jour. Elle s’est développée lentement ; elle s’est épanouie comme s’épanouissent les plantes ; elle a mûri comme les fruits de nos vergers, sous le soleil et la rosée. Refuser le secours du temps et condamner l’intelligence au régime de l’improvisation, ce n’est donc pas moins que nier les lois qui président au développement des facultés humaines, comme aux transformations de tous les êtres vivans que nous avons sous les yeux. C’est une gageure insensée, proposée par l’orgueil et acceptée par l’ignorance.

En voyant se multiplier autour de nous les ébauches boiteuses, en écoutant les bégaiemens confus qui se donnent pour des paroles, comment ne pas se demander la raison du rapide oubli qui envahit toutes ces œuvres promises à la durée ? Faudra-t-il révoquer en doute le progrès continu de l’intelligence humaine ? À Dieu ne plaise ! Les hommes de notre temps ne valent pas moins que les hommes du XVIIe siècle ; mais ils se proposent une tâche que nos aïeux n’ont jamais rêvée ; ils ont rayé de leur mémoire l’idée de temps, ils tentent l’impossible et il est tout simple qu’ils soient déçus dans leurs folles espérances. Lorsqu’ils voudront échanger le régime de l’orgueil et de l’improvisation contre le régime de la modestie et de la patience, ils produiront des œuvres durables.

Diane et Louise, qui nous ont suggéré ces réflexions, n’échapperont sans doute pas à la destinée commune de la plupart des œuvres contemporaines. Elles seront oubliées, et pour elles l’oubli ne sera pas une injustice. Que M. Soulié descende en lui-même, qu’il interroge sa conscience littéraire, et qu’il se demande sincèrement s’il a fait tout ce qu’il pouvait faire : nous avons l’assurance qu’il jugera comme nous les deux récits qu’il vient de nous donner. Notre franchise lui paraîtra peut-être exagérée : au milieu des louanges complaisantes qui accueillent chacun de ses ouvrages, notre voix lui semblera bien sévère ; mais l’avenir prendra soin de nous justifier, et M. Soulié, dès qu’il aura renoncé à l’improvisation, sera le premier à proclamer notre équité.


Gustave Planche.