Revue musicale, 1er février 1864

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Revue musicale, 1er février 1864
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 49 (p. 767-774).

REVUE MUSICALE.

Nous voilà presque à la fin de la saison où les théâtres lyriques produisent ordinairement ce qu’ils ont préparé de mieux pour les plaisirs du public, et nous sommes encore à attendre qu’ils donnent autre chose que les ouvrages qui composent leur ancien répertoire. Quelle peut être la cause d’une stérilité qui étonne d’autant plus que jamais les amateurs de bonne musique n’ont été plus nombreux et plus empressés à se rendre où ils espèrent trouver seulement une distraction aimable ? Ce ne sont pas les talens qui manquent pourtant, ce ne sont pas les compositeurs experts qui font défaut ; mais aucune individualité saillante ne s’élève au-dessus de cette cohue de savans manœuvres qui encombrent les chemins et assourdissent le public de leurs vaines clameurs. Lorsqu’un théâtre ouvre ses portes à quelque importun qui se présente au nom d’une vocation méconnue, il est rare que le directeur qui a eu cette faiblesse ne la paie assez cher. Dans cet état de choses, ce que les théâtres peuvent faire de mieux, c’est de reprendre avec soin les opéras consacrés par le temps et la sanction des connaisseurs. Voilà pourquoi l’Opéra, ne sachant depuis longtemps où donner de la tête, a eu la bonne pensée de remettre en scène un chef-d’œuvre qu’on avait trop négligé. Nous voulons parler de Moïse, une des grandes conceptions dramatiques de Rossini. C’est le 28 décembre 1863 qu’a eu lieu cette exhibition devant un public nombreux et bien appris qui a su apprécier les moindres beautés d’un opéra ou plutôt d’un oratorio qui remonte à l’année 1827. On sait que Rossini, venu en France en 1824, fit comme Gluck, en appropriant d’abord pour la grande scène lyrique de la France deux de ses opéras italiens : Maometto Secondo, qui devint le Siège de Corinthe, représenté le 9 octobre 1826, et Mosè in Egitto, qu’on donna le 26 mars 1827. Après un petit chef-d’œuvre de grâce, d’esprit et d’invention mélodique, le Comte Ory, qui parut sur la scène de l’Opéra le 28 août 1828, le maître s’arrêta dans sa carrière glorieuse, et ce point d’arrêt fut marqué par une merveille de l’art : Guillaume Tell.

La partition de Moïse est un remaniement du Mosè in Egitto, qui a été écrit à Naples et représenté sur le théâtre de Saint-Charles en 1818. Le libretto italien, qui est d’un poète nommé Totola, a été retouché et rendu plus raisonnable par M. de Jouy. Le caractère de Moïse surtout est mieux accusé ; mais il reste toujours un drame qui manque d’intérêt et qui n’a pas tout à fait la couleur du style biblique. On sait qu’il s’agit de la lutte du peuple hébreu, qui réclame sa liberté au pharaon qui gouverne l’Égypte. Au milieu de cette lutte nationale et religieuse se dessine la passion d’Aménophis, l’héritier de Pharaon, pour la Juive Anaï. Le dénoûment est connu. Si nous avions du temps à perdre et si la partition de Moïse avait besoin d’être défendue contre d’obscurs contradicteurs qui en sont encore à dire que Rossini n’a pas le génie dramatique, nous dirions à ces écrivains sans consistance : Écoutez le chœur de l’introduction, — Dieu de la paix, dieu de la guerre, — celui sans accompagnement qui vient après, le duo charmant entre Aménophis et Anaï, dont l’andante est d’une expression touchante, le duo entre Anaï et sa mère. Tout cela est aussi beau comme musique que comme expression des sentimens des personnages et de la situation où ils se trouvent. Et la belle introduction du second acte en ut mineur, pour parler comme les doctes du feuilleton, et l’invocation de Moïse, — Arbitre suprême, — avec le chœur qui en est la conclusion, est-ce que toutes ces parties d’un grand ensemble manquent de vérité ? Quant au finale du troisième acte, je ne le défendrai pas, parce qu’on ne trouverait dans aucun opéra connu une scène dramatique aussi longue, aussi compliquée et d’un effet plus puissant.

L’exécution de ce bel ouvrage, que le public a revu avec étonnement, est assez soignée. Mlle Battu, qui est Française et même Parisienne, a longtemps figuré parmi les artistes du Théâtre-Italien, où elle s’est acquis une réputation méritée d’habile cantatrice. Sa voix était alors un petit soprano aigu dont le timbre blanchâtre était peu sympathique. Engagée à l’Opéra pour remplir le rôle charmant d’Anaï, elle y est fort bien et comme cantatrice et comme comédienne. Elle s’est fait justement applaudir dans le duo avec Aménophis et dans l’air très difficile du quatrième acte. M. Faure chante avec goût le rôle de Pharaon, et M. Obin représente avec assez de noblesse la grande figure du prophète hébreu. Le spectacle est beau et digne de l’œuvre du maître. Depuis quelques mois, l’orchestre de l’Opéra est conduit par un homme intelligent, M. George Hainl, qui a longtemps dirigé l’orchestre du Grand-Théâtre de Lyon. Ancien élève du Conservatoire, où il a obtenu un prix de violon, je crois, M. Hainl est allé chercher fortune en province, et c’est dans cette grande ville de Lyon que M. Hainl s’est acquis la réputation qui lui a valu l’honneur d’être appelé à Paris par M. l’administrateur de l’Opéra. M. Hainl possède plusieurs des qualités nécessaires à un chef qui a sous sa main quatre-vingts ou cent musiciens, plus le personnel nombreux de chanteurs, de choristes et de danseurs qui concourent à l’exécution d’un grand ouvrage comme Robert le Diable, les Huguenots, la Juive, etc. Il est vigilant, son oreille exercée entend les moindres détails, son regard est vif, et ses indications toujours justes. Depuis son entrée à l’Opéra, M. Hainl a été nommé chef d’orchestre de la Société des Concerts en remplacement de M. Tilmant, à qui une santé chancelante ne permettait plus de remplir ces fonctions. M. Hainl a pris le commandement de cette corporation d’artistes d’élite au premier concert de l’abonnement, et son succès a été complet. Le public a accueilli M. Hainl avec des applaudissemens bruyans, comme s’il avait été un virtuose.

Mlle Adelina Patti nous est revenue avec la grâce, la facilité heureuse, l’entrain, la voix éclatante et flexible, qualités précieuses qu’elle nous a fait admirer l’année dernière. Elle s’est produite tout récemment dans son meilleur rôle, qui est l’Amina de la Sonnambula, délicieuse bucolique que les critiques tudesques doivent traiter d’enfantillage. En effet, ce divin soupir de Bellini ne peut être apprécié par les ergoteurs qui admirent les syllogismes de Wagner et compagnie. Mlle Patti a été ravissante, surtout dans la scène finale, dont elle a chanté la prière avec une onction qui semble annoncer une heureuse évolution dans le talent de la brillante virtuose. Sa voix aussi a pris un peu plus de force dans les notes supérieures : mais Mlle Patti n’a point encore acquis la tenue et le style qui lui manquent, et elle se livre toujours à ces extravagances vocales qu’on a de la peine à lui pardonner. M. Nicolini a fort bien secondé Mlle Patti dans le rôle d’Elvino, qu’il a chanté avec goût. Mlle Patti nous coûte cher, puisqu’elle est la cause indirecte du départ de M. Fraschini, qui se rend à Madrid, dont le théâtre est aussi dirigé par M. Bagier. C’est une perte que les amateurs ressentent d’autant plus vivement que le Théâtre-Italien, cette année, n’offre pas un bien brillant spectacle. La troupe qu’a réunie la nouvelle direction est, à quelques exceptions près, composée d’élémens bien médiocres, et l’on comprend sans peine que les Parisiens, qu’on a jugés trop débonnaires, ne se montrent pas très empressés toujours aux cinq représentations que l’on donne chaque semaine à la salle Ventadour. Une grande faute surtout a été de supprimer le parterre, ce refuge d’une classe assez nombreuse d’amateurs qui ne veulent et ne peuvent pas payer quatorze francs pour entendre les cris et la voix fatiguée de Mlle La Grange.

Veut-on un exemple de ce que peut faire un homme intelligent avec une réunion d’artistes et de chanteurs modestes, qu’on aille au Théâtre-Lyrique les jours où l’on y donne Rigoletto, le meilleur ouvrage de Verdi, qu’on a arrangé pour la scène française. L’exécution en est relativement excellente. Un artiste distingué, M. Ismaël, qui possède une bonne voix et de la tenue dans le style, a rendu avec talent le rôle si difficile du père. Une femme fort distinguée aussi, Mlle de Maesen, qui a débuté à ce théâtre dans les Pêcheurs de perles de M. Bizet, a saisi l’esprit et la grâce du rôle de Gilda, dont elle exprime les diverses nuances avec une belle voix de soprano qu’elle dirige habilement. M. Monjauze n’est pas trop au-dessous du rôle du prince, dont il est chargé. Les chœurs, l’orchestre, forment un ensemble d’exécution que le Théâtre-Italien devrait bien imiter.

Nous disions, en commençant, que les théâtres lyriques n’avaient rien produit encore de nouveau, et que tous vivaient de leur ancien répertoire. Il y a cependant une réserve à faire. L’Opéra-Comique a donné la Fiancée du roi de Garbe, en trois actes et six tableaux, dit le libretto, et dont les paroles sont de Scribe et de M. de Saint-Georges. La musique, on le sait déjà, est l’œuvre laborieuse de l’auteur fécond et charmant à qui la France doit dix ou douze petits chefs-d’œuvre parmi lesquels il suffit de citer la Mllette, le Domino noir, Haydée, le Maçon, les Diamans de la couronne, Fra Diavolo, etc. Dans tous ces ouvrages, écrits avec une facilité rare, sous laquelle se dérobe une habileté de maître, M. Auber est un musicien vrai, aimable et quelquefois touchant. Aucune difficulté de forme ne l’arrête, et son imagination est, comme son esprit, gaie, aimable, amusante, quoique sans profondeur et sans grande originalité.

Le sujet de la Fiancée du roi de Garbe est bien connu. Boccace l’a traité en homme de génie, et La Fontaine l’a remanié à sa façon et en a tiré des effets tout différens. On se doute bien que le canevas laissé inachevé par Scribe et terminé par M. de Saint-Georges n’a aucun rapport avec les récits des deux grands écrivains que nous venons de nommer. Quelques mots suffiront pour donner une idée de la pièce qui a pu faire illusion à un homme aussi expérimenté que M. Auber. Un roi de Garbe, Babolin Ier, dont le nom est aussi inconnu que le pays qu’il gouverne, a formé le projet de se marier en demandant la main de la fille de l’empereur de Maroc, la belle Alaciel ; mais comment s’y prendre pour atteindre au but de ses plus vifs désirs ? Le roi charge son neveu Alvar d’aller au Maroc et de lui ramener la princesse avec tous les égards dus à son rang et à sa rare beauté. On ne se douterait pas quel est le compagnon que le roi donne à son neveu pour l’aider dans l’accomplissement de sa mission : c’est la sémillante Figarina, dame d’atours de sa majesté Babolin 1er, dont elle est chargée de polir et de raser le menton tous les jours de la vie. Cette fonction, que Figarina remplit d’une main délicate, lui a valu la bienveillance du roi, dont elle dirige l’esprit sans paraître vouloir le dominer. Avant de partir, le roi confie à sa camériste un collier composé de treize perles du plus grand prix, et qu’elle doit remettre à la princesse Alaciel. Cet écrin, paraît-il, est un talisman qui a le pouvoir de révéler la moindre faiblesse de la femme qui le porte. Si elle se permettait seulement de recevoir le moindre baiser d’un autre homme que son fiancé, une perle tomberait et laisserait dans le collier un vide accusateur. Aussi, par une suite d’incidens sur lesquels il est inutile de s’arrêter, il arrive, que Figarina, portant toujours sur elle le collier fatal, pour ne pas compromettre la princesse, reçoit tant de baisers furtifs que les perles ont disparu jusqu’à une seule. « Pourquoi ma fiancée n’a-t-elle plus son collier ? dit ce roi de Cocagne furieux à Figarina, qui est revenue de son long voyage, et il menace de renvoyer la princesse à son père. — Si vous faites cette injure à l’empereur du Maroc, il vous déclarera la guerre, et vous serez perdu, car il est puissant, répond Figarina. — Mais que faire alors ? — Mon Dieu ! unissez la princesse à votre neveu, qui l’aime et de qui il est aimé, et tout finira bien. » Après un moment de réflexion, ce plaisant roi, qui n’est pas fâché de sortir de la position difficile où il se trouve, dit à Figarina : « J’y consens ; mais, comme vous m’avez donné souvent de bons conseils dont j’ai senti le prix, je veux que vous partagiez ma vie en devenant ma femme. » Ainsi soit-il, semble dire Figarina, et l’histoire finit en effet par un double mariage. Cette longue légende, divisée en trois mortels actes où la réalité la plus vulgaire se mêle à un merveilleux puéril, ne présente ni une scène intéressante ni un caractère qui ressorte d’une foule de personnages obscurs qu’on voit paraître et disparaître comme des êtres fantastiques qui ne tiennent à l’action que par des moyens grossiers de mise en scène. Ce ne sont pas les fades amours de don Alvar et de la princesse Alaciel qu’on peut admirer, car la scène nocturne du second acte, où les deux amans se font la première déclaration, est une reproduction affaiblie d’une scène touchante qui termine le premier acte de Lallar-Roukh de M. Félicien David. Le seul personnage qui ressorte un peu dans la pièce que Scribe n’a pu achever, c’est la sémillante Figarina, qui voit tout, qui entend tout et qui conduit toute l’intrigue avec l’adresse d’un Figaro féminin. C’est elle qui reçoit clandestinement les baisers qu’on croit donner à la princesse, ce qui rappelle encore une scène délicieuse du Comte Ory. — E per ciò si disse : Bocca bacciata non perde ventura, anzi rinnuova, corne fa la luna, ces mots qui terminent le conte de Boccace contiennent toute une philosophie qu’on chercherait vainement dans les trois actes et les six tableaux dont M. Auber a fait la musique.

Pour ne pas manquer de respect à un maître illustre qui a tant fait pour charmer les hommes de son temps, nous allons signaler du doigt les morceaux que le public a le mieux accueillis. L’ouverture, comme toujours, est bâtie avec des motifs empruntés à la partition, et, bien que cette petite symphonie soit finement traitée, elle n’a aucun caractère. Je ne puis signaler au premier acte qu’une romance de ténor que chante le neveu du roi et que M. Achard rend avec émotion. Cette romance, accompagnée avec goût, est fort applaudie et produit d’autant plus d’effet que c’est une perle isolée dans le premier acte. Les autres morceaux, tels qu’un duo bouffe entre le roi et son échanson, un petit air que chante le page et un quatuor qui vient après, sont des réminiscences du maître, affaiblies par des rhythmes vulgaires et sautillans qui persistent jusqu’à la fin de l’ouvrage. Nous l’avons déjà dit, le nocturne du second acte entre Alaciel et la barbière Figarina, le trio qui le suit, sont encore des effets connus qui augmentent l’ennui qu’on éprouve déjà, car la scène confuse et bruyante qui termine le second acte, et dans laquelle apparaît une troupe de brigands, de moines et de baladins, n’est qu’un petit chaos qui ne vaut pas la bacchanale de Gustave. Pour ne rien oublier, nous citerons encore au troisième acte un petit chœur, chanté par une troupe de pages en goguette, dont le rhythme ici est très heureusement choisi, et l’air que chante Figarina : — Dix perles, dix baisers.

Voilà ce que renferment de plus saillant les trois actes de la Fiancée du roi de Garbe, succession arbitraire de scènes épisodiques qui ne tiennent l’une à l’autre que par des changemens de décors. Le spectacle en effet est assez varié, et le nombreux personnel qui prend part à l’action éveille un peu l’attention du spectateur. L’exécution d’ailleurs est assez bonne. Mlle Cico a de la grâce dans le rôle de Figarina, et M. Achard chante avec un beau sentiment la romance du premier acte et les autres morceaux où il prend sa part dans les second et troisième actes. Cette figure piquante de Figarina doit être de Scribe, ainsi que l’introduction du collier, stratagème ingénieux qui, dans un drame bien conçu, produirait un effet certain. Quoi qu’il en soit de la valeur de cette dernière production de deux hommes justement célèbres, qui pendant un demi-siècle ont amusé la France et l’Europe, il n’est pas impossible que la curiosité qu’excite naturellement le nom de M. Auber, que le spectacle et les quelques morceaux agréables que nous avons cités assurent à la Fiancée du roi de Garbe un certain nombre de représentations ; mais l’œuvre elle-même a reçu en naissant le germe d’une courte existence. Chose singulière, si l’on examine séparément chacun des nombreux morceaux que contiennent les trois actes de l’opéra qui nous occupe, on sera étonné de l’habileté qui s’y révèle, de la grâce, de l’élégance de certains détails d’instrumentation, et parfois on y découvre aussi un rayon attendri de jeunesse et de sentiment, comme dans la romance du ténor du premier acte, dont l’accompagnement est exquis ; mais laissez à leur place ces airs, ces duos, ces trios, ces chœurs et ces rhythmes sautillans qui persistent, qui vous poursuivent depuis l’ouverture jusqu’à la dernière scène, et vous sortirez de la représentation le cœur affadi, le goût et le bon sens offensés : d’où je conclus que si M. Auber n’a pas réussi entièrement dans l’édification d’une œuvre aussi compliquée que la Fiancée du roi de Garbe, il a mis dans ces trois actes suffisamment d’idées faciles, de grâce et de talent pour que sa belle vieillesse n’ait point à rougir de l’adieu qu’il vient de faire à ses nombreux admirateurs.

Mardi, 26 janvier, M. Mario a fait sa réapparition au Théâtre-Italien sous le costume d’Almaviva, qu’il porte encore avec assez d’élégance. Bien qu’il ressemble un peu à l’un de ces anciens héros de romans que Gavarni a immortalisés de son crayon, il faut convenir que M. Mario a gardé dans sa voix délabrée quelques notes charmantes qui rappellent ses beaux jours. Si ce chanteur émérite, qui fait encore les délices des vieilles Anglaises, était plus modeste, on pourrait lui pardonner de ne chanter que la moitié de son rôle et de bayer aux corneilles pendant l’exécution des morceaux d’ensemble où sa partie est prépondérante. C’est une négligence que le public devrait blâmer, s’il y avait un vrai public au Théâtre-Italien. Le rôle brillant de Rosine n’est pas fait pour Mlle Patti ; elle y est commune, et elle change tous les traits écrits par l’auteur pour mettre à la place de misérables ornemens qui lui sont conseillés par ses protecteurs intimes. Elle prête à cette aimable figure, qui nous est apparue si élégante sous les traits des premières cantatrices de l’Europe, des allures qui ne sont pas de bonne compagnie ; dans la scène où Bartolo reproche à Rosine d’avoir écrit, Mlle Patti trouve charmant de lui faire des grimaces comme une pensionnaire espiègle. À cette reprise du Barbier, un débutant, M. Scalese, s’est fait entendre dans le rôle de Bartolo, où il a été fort comique. Ce n’est plus un jeune homme que M. Scalese, mais il a une bonne figure, une bonne voix et beaucoup d’entrain. Il a été fort bien accueilli par ce public singulier devant qui on peut tout faire, puisqu’il tolère que Mlle Patti substitue les ravaudages de son beau-frère à la musique de Rossini, et qu’il ne s’aperçoit pas que le chef d’orchestre précipite tous les mouvemens et gâte l’exécution par une folle ardeur. Tant qu’il n’y aura pas au Théâtre-Italien un maestro, c’est-à-dire un chef supérieur qui préside à l’exécution générale, nous n’aurons que des représentations comme celle du Barbier de Séville et d’un Ballo in maschera, de M. Verdi. Il faut que ce maestro que nous réclamons ait le droit de dire à M. le chef d’orchestre : Vous déchirez le beau quintette du second acte du Barbier en précipitant la stretie comme si vous dirigiez la musique d’un bal masqué, — et vous, monsieur Delle Sedie, vous commettez toujours la faute qu’on vous a si souvent reprochée de chanter à pleine voix cette phrase du finale : Guarda don Bartolo, sembra una statua, phrase qui doit être dite à mezza voce, parce que sans cela vous réveillez Bartolo de son saisissement, et vous détruisez l’effet du crescendo qui marque le réveil du tuteur. Avec un directeur des chœurs qui est sourd, avec un chef d’orchestre qui n’a pas le sentiment des nuances, avec des chanteurs interlopes qui viennent de tous les coins du monde sans qu’une main ferme et intelligente les dirige et les contienne, on ne peut avoir que de tristes représentations.

Ce qu’il y a de plus intéressant à Paris cet hiver, ce sont les nombreux concerts qui s’y succèdent et qui attirent un public bien autrement intelligent que celui qui fréquente les théâtres lyriques. La Société des Concerts, cette illustre institution qui a plus de trente ans d’existence, a déjà donné quatre séances brillantes, excepté celle où l’on a admis un pianiste qui est venu barbouiller une sonate de Beethoven. C’est un péché mignon de cette société, qui a peur du nouveau comme du loup-garou. Les concerts populaires de musique classique fondés et dirigés par M. Pasdeloup, dont le zèle n’a point fléchi, ont toujours le même succès. Au sixième de ces concerts, qui a eu lieu le 24 janvier, on a entendu M. Piatti, violoncelliste italien, célèbre depuis longtemps, et qui a exécuté avec un talent original une sonate de Boccherini, qui est, comme on sait, un compositeur italien du milieu du XVIIIe siècle qu’on a surnommé la femme d’Haydn. M. Piatti a produit un effet charmant en exécutant avec un goût parfait cette piquante fantaisie d’un maître qu’on pourrait qualifier le Cimarosa de la musique à cordes.

P. Scudo.