Revue musicale - 14 mai 1910

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Revue musicale - 14 mai 1910
Revue des Deux Mondes5e période, tome 57 (p. 443-457).
REVUE MUSICALE


Ariane et Barbe-Bleue, de MM. Maurice Maeterlinck et Paul Dukas, et ''Barbe-Bleue, de Meilhac, Halévy et Offenbach. — Le Dies iste de Don Lorenzo Perosi. — La deuxième symphonie (en ut mineur) de M. Gustav Mahler.


La reprise, après trois années déjà, d’Ariane et Barbe-Bleue à L’Opéra-Comique nous a charmé de deux manières : l’une pour ainsi dire absolue, l’autre plutôt relative ou mieux encore indirecte. Et toutes les deux feront l’objet ainsi que le partage de notre discours.

La musique de M. Dukas assemble et concilie en soi deux ordres de beauté très divers. L’impression générale et dernière qu’elle cause est assurément celle du mystère. Mélancolique et souvent douloureux, étrange et comme lointain, même vague, le sentiment ou l’éthos de l’œuvre est tout cela. Oui, mais d’autres élémens y entrent aussi, qui nous rassurent et nous raffermissent. Infini dans sa conception et son rêve, l’art de M. Dukas a pour signes sensibles des formes arrêtées et nettes. Il unit à l’horreur du réalisme le goût de la réalité. Il s’impose par la vigueur et le relief, par la puissance et l’aplomb. Comme il porte sur de profondes et solides assises, il peut s’élever très haut sans que rien l’ébranlé. La devise, ou le programme de Gounod : « Jamais de bornes, mais toujours des bases, » se vérifie en lui. M. Maeterlinck fait dire (nous citons de mémoire) à l’un des personnages de Pelléas et Mélisande : « C’est comme si je voulais emporter un peu d’eau dans un sac de mousseline. » Et l’image se rapporte aussi exactement à la musique de M. Debussy, qu’elle est contraire à la musique de M. Dukas. Dans l’une, tout se dérobe et fuit ; l’autre a quelque chose de consistant et de résistant, où l’on peut se prendre et se tenir. Des lignes, des plans, et non des points, composent la musique de M. Dukas. Elle est un ordre, une hiérarchie, un organisme. Elle a pour principe de style, au lieu du menu détail, la généralisation large et le grand parti pris. Et par là, si moderne qu’elle soit par d’autres, beaucoup d’autres côtés, elle est résolument et fortement classique.

Une observation pourtant, ou mieux une restriction préalable est nécessaire. Quand nous parlons ainsi d’Ariane et Barbe-Bleue et que nous essayons d’en caractériser l’esprit, il s’agit du premier acte et du dernier. Le second, aujourd’hui comme naguère, nous paraît ne pas ressembler aux deux autres et même, en quelque façon, les contredire. Est-ce inconséquence de l’artiste, ou plutôt faut-il accuser la « situation, » désespérément languissante et monotone ? Hormis quelques vigoureux éclats, tels que l’irruption du jour dans le souterrain et la sortie finale des cinq captives guidées par leur libératrice, la musique ici perd de sa tenue et de sa cohésion. Un souffle sur elle passe, un souffle debussyste, cette fois, sous lequel elle se désagrège et se dissout.

Mais ailleurs, presque partout ailleurs, avec quelle puissance tantôt elle se concentre et tantôt elle se répand ! Dès le début, elle s’affirme et s’établit. Elle prend possession tout de suite. A la façon dont se posent, au début, en un trémolo pathétique, deux accords parfaits, où l’impression de l’intervalle de quinte est la plus forte, on croit entendre commencer la Symphonie avec chœur. Beethoven pourrait bien être le maître préféré de M. Dukas. Il est facile de retrouver çà et là, dans le premier acte d’Ariane et Barbe-Bleue, ses exemples de noblesse et ses leçons de grandeur. L’œuvre n’est pas de celles à qui l’on accorde, du bout des lèvres, cet avare et chétif éloge : « Il y a là des coins. » Ce qu’il y a là, ce sont de vastes espaces où la musique se donne carrière. De loin, je veux dire longtemps après l’audition et après la lecture, on se souvient d’une série et comme d’une chaîne d’épisodes largement conçus et traités amplement.

Ils ne sont pas traités de même, et la musique a plus d’une manière ici de se manifester. La manière symphonique d’abord, et symphonique avec autant de liberté que de richesse. Je ne crois pas qu’un musicien de théâtre nous ait donné, depuis Wagner, un poème sonore égal à la symphonie qu’on pourrait appeler « des pierreries, » au premier acte d’Ariane et Barbe-Bleue. Il s’agit, vous en avez peut-être souvenance, de six portes magiques que la nourrice d’Ariane ouvre l’une après l’autre et qui laissent tour à tour apparaître six cascades de pierres précieuses : améthystes, saphirs, perles, émeraudes, rubis et diamans. Le poème, ici, prêtait, comme on dit familièrement, beaucoup à la musique. Il en a reçu ou retiré davantage. La scène est deux fois admirable. En vraie symphonie, elle l’est premièrement par l’unité du thème qui la produit tout entière. Elle l’est aussi par la variété des formes sous lesquelles ce thème, identique et changeant, revient, se renouvelle et se multiplie. A la diversité des lignes, celle des mouvemens, celle des rythmes et celle des timbres s’ajoute. Assez robuste pour tout soutenir, le thème est assez riche pour fournir à tout. Il se prodigue et ne s’épuise pas. Au contraire, plus il donne de lui-même et plus on dirait qu’il s’accroît et se fortifie, qu’il s’élève et s’anime. Tour à tour allegro, scherzo, finale, il se précipite ici d’un seul jet, en coulée sonore et brûlante ; ailleurs, il se brise en éclats et rejaillit en gerbes. Et quand la symphonie est arrivée au paroxysme, alors elle appelle la voix à son secours et le chant d’Ariane enivrée, éblouie, allume sur le sommet la strophe ou la flamme suprême.

Car la voix ici n’est pas méprisée. Une simple cantilène, et de plus un unisson, répond à cette polyphonie et l’égale. Rarement les deux grandes forces de la musique se sont rencontrées et comme affrontées ainsi. Mais, loin de se contredire, elles se confirment l’une l’autre et leur équilibre ne fait pas le moindre mérite du premier acte d’Ariane et Barbe-Bleue. Il est, ce chant des captives invisibles, saisissant et tragique. Il a comme un air d’incantation, de complainte et de légende. Belle en est la mélodie, et le développement, la progression magnifique. Par degrés un peu raides, il monte, et plus il monte, plus il s’avive, plus il se fait âpre. Le thème, à certains momens, semble crier sous une note qui le blesse et le déchire. Si peu que l’orchestre l’accompagne, il y ajoute cependant quelques touches vigoureuses : un grondement rauque des altos, un contrepoint de grand style et qui procède par intervalles étranges, où de sinistres harmonies sont comme enfermées et semblent, elles aussi, gémir. Mais tout de même, en ce nouvel épisode, c’est le chant qui l’emporte ; comme la symphonie là-bas, la mélodie occupe ici le centre ou le sommet. Ainsi dans cette musique les puissances sonores trouvent l’une après l’autre leur représentation grandiose ; elles s’y exercent, elles y triomphent tour à tour.

La parole même y a sa place et le verbe quelquefois y commande. En mainte page d’Ariane et Barbe-Bleue, l’effet, la beauté de la déclamation n’est pas inférieure à celle du chant ou de l’orchestre. Au premier acte, sur la cantilène des captives, Ariane et la nourrice posent ou jettent çà et là des répliques brèves, mais singulièrement expressives. Le dialogue lyrique de M. Dukas, dépourvu quelquefois de naturel, ne manque jamais de caractère ni d’intensité. C’est la déclamation qui donne à certaines scènes, véritablement grandioses, une partie au moins de leur grandeur. Des intonations étranges prennent alors un sens profond, une portée lointaine. La fin du premier acte, et celle du dernier plus encore, sont à cet égard des pages tout à fait supérieures et d’un style qui paraît, sous le régime (où nous vivons) de la polyphonie continue et du « tout à l’orchestre, » un style nouveau. J’entends bien que l’orchestre ici même intervient encore, tantôt pour alterner avec le récitatif et tantôt pour s’y unir. Mais toujours il le respecte, il le laisse en dehors, il le met en valeur. Favellar in musica, un canto che parla, disaient les Florentins, créateurs du drame lyrique. Ce principe verbal, qui régissait leur art primitif et simple, peut donc reparaître par momens au sein de notre art complexe et plus que trois fois séculaire, pour le clarifier et le rajeunir ! Et c’est encore une raison d’aimer l’œuvre de M. Dukas, que des élémens soi-disant incompatibles s’y rejoignent, dans une beauté commune, au-dessus de toutes les théories, de tous les systèmes et de tous les préjugés.

Il y a plus. On dirait qu’un rythme général ordonne l’œuvre entière, y distribue, ainsi que dans un édifice, les pleins et les vides, les lumières et les ombres comme dans un tableau. Partagés tous les trois, les trois actes d’Ariane et Barbe-Bleue ne se partagent pas de même. Le second seul est un crescendo ; les deux autres, suivant un mouvement inverse, décroissent et s’éteignent à la fin dans un demi-silence, encore plus émouvant peut-être que ne le fut précédemment tout leur éclat sonore. Ainsi, belle quand elle s’emporte, cette musique sait l’être quand elle se maîtrise et s’atténue. Puissante au paroxysme, elle ne l’est pas moins au repos.

Puissante, elle l’est à ce degré, que seule ici elle donne la vie. Le vrai poète, le poète unique d’Ariane et Barbe-Bleue, au sens profond du mot, celui qui « crée, » c’est le musicien. Le poème n’est que ténèbres. Mais la musique y répand sa clarté. Décidément, nous le disions dans notre dernière chronique, la musique surtout importe, existe. À elle appartient la beauté, la gloire, la puissance… et le contraire, tout le contraire, est également à elle. Elle ne fait ici que s’appuyer légèrement sur le drame, juste assez pour s’élancer plus haut, combien plus haut ! que lui. Partout et tout de suite elle le dépasse. Ariane vient à peine d’ouvrir la septième porte, la porte interdite à sa curiosité par le terrible époux. Un chant lugubre arrive à son oreille. Avant que nous sachions qui le chante, et ce qu’il chante, avant même que nous souhaitions de le savoir, il nous émeut, nous étreint et, se développant sans relâche, il nous plonge dans une angoisse, dans une épouvante sans objet encore, mais déjà sans bornes. Autre exemple. A la fin du premier acte, Ariane, surprise et menacée de violence, est sauvée par les paysans accourus à sa voix Ils vont frapper Barbe-Bleue. D’un mot, d’un geste, elle les arrête. Et ce geste, ce mot, nous étonnent, parce que le poète dramatique ne les a nullement préparés et ne les explique pas davantage. Ils nous demeurent inconcevables. Mais en musique, par la musique, ils se révèlent à nous, si nobles, si généreux, que d’instinct nous les sentons, en quelque sorte, sans les comprendre. Ils nous attendrissent et, cédant une fois de plus aux fameuses raisons du cœur, nous reconnaissons que la musique est de tous les arts celui qui sait le mieux nous les donner et nous y soumettre.

Autre exemple encore : la fin, non plus du premier acte, mais du dernier. Cette fin, comme vous savez, n’est qu’un recommencement, une remise des choses en l’état. Elle ne dénoue pas la pièce, mais plutôt elle la renoue, au même point. Livré pour la seconde fois par ses vassaux révoltés entre les mains non seulement d’Ariane, mais des devancières d’icelle, nous voyons Barbe-Bleue épargné, que dis-je, délivré de ses liens, guéri de ses blessures, par toutes ces petites mains conjugales qui s’empressent à la miséricorde, quand nous attendions, vous et moi, que ce fût à la vengeance. Et nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Les petites libérées se refusent à suivre leur libératrice, pour demeurer les gardiennes, les servantes, les victimes peut-être encore, mais du moins les épouses de leur bourreau. Ingrates envers l’une, clémentes à l’autre, elles prennent le parti de Barbe-Bleue contre Ariane, qu’elles ne pensent même pas à remercier. Et celle-ci, rédemptrice inutile, pour ne pas dire indiscrète, finit par s’en aller seule, sans comprendre... Et nous nous en irions comme elle, si la musique cette fois encore, surtout cette fois, ne dissipait l’ombre et ne levait les voiles. En dehors, au-dessus du sujet, de la situation et des personnages, elle crée un ordre, un ensemble de sentimens : mélancolie et pardon, pitié, charité, tendresse, dont elle nous enveloppe, nous pénètre et nous émeut. Beethoven avait raison : la musique est la révélation la plus haute, et Wagner lui-même n’exagérait point en disant qu’elle résout l’énigme du monde, puisque par elle une énigme du monde moral, que la poésie avait posée, est pour nous résolue.

Ainsi l’Ariane et Barbe-Bleue de M. Paul Dukas est premièrement une belle chose en soi. Mais l’œuvre a cet avantage aussi, de rappeler — par antithèse — un autre, ou une autre Barbe-Bleue, sans Ariane, et qui, dans le genre le plus différent, n’est pas une chose moins digne de mémoire. Il s’agit, vous l’avez deviné, du chef-d’œuvre bouffe de Meilhac, Halévy et Offenbach.

Dans la musique d’abord sont réunis les principaux traits dont se compose le génie ou l’idéal burlesque du musicien. Le premier, et non le moindre, est la mise en musique de situations, de « pensées, » de paroles, aussi peu musicales, ou « musicables « que possible. Le comique d’Offenbach résulte souvent de cette antithèse. Plus d’une scène de Barbe-Bleue en fournirait un exemple, soit agréable, soit éclatant. Ce serait, au premier acte, avant le tirage au sort de la rosière, et sur un « motif » délicieux, le couplet des concurrentes :


Ah ! prends mon nom,
Et mon prénom.
Joli greffier.
Gentil greffier,
Tremp’ ta plum’ dans ton encrier.


Au second acte, il faudrait citer l’entrée de Barbe-Bleue et de Boulotte, sa sixième femme, à la cour, avec l’allocution, ou l’algarade, si cordiale et si dépourvue d’étiquette, de Boulotte au roi Bobèche et à la reine Clémentine. Jamais le problème, éternellement débattu, de l’alliance entre les paroles et la musique, entre le verbe et le son, ne reçut, croyons-nous, plus réjouissante solution.

Un autre élément de la caricature musicale, telle que la pratiquait, — plus rarement d’ailleurs, — Offenbach, est le rappel, en des circonstances d’opérette, de passages d’opéra, plus ou moins travestis. Ainsi, dans l’interpellation de Boulotte au couple royal, il est aisé de reconnaître une parodie à la fois mélodique et rythmique du duo de Magali dans la Mireille de Gounod. La proclamation du sire de Barbe-Bleue, annonçant à ses vassaux, comme signe de l’ère nouvelle et des libertés futures, son mariage avec une bergère, est accompagnée par les mêmes fanfares de trompettes, à peu près, que la dernière harangue de Guillaume Tell, appelant à l’indépendance aussi les conjurés des trois cantons. Ailleurs, l’imitation est plus apparente encore, et la méditation de Barbe-Bleue devant le quintuple tombeau de ses femmes ne fait que transposer en style tragi-comique la prière d’Hoël, le héros meyerbeerien, à genoux près de Dinorah évanouie.

Enfin, s’il est vrai, comme on l’a dit, que le mélange ou l’amalgame d’une bouffonnerie débridée avec une sensibilité furtive soit, non pas la matière ou le fond, mais plutôt l’esprit et l’âme même de l’œuvre entier d’Offenbach, deux ou trois airs du rôle de Barbe-Bleue en rendraient à la fois le plus sentimental et le plus comique témoignage.

Et le livret de Meilhac et Halévy, non moins que la musique d’Offenbach, demeure la source d’une abondante et pure délectation. Popolani, l’alchimiste, serviteur des vengeances de Barbe-Bleue, mais serviteur pour rire, pour les déjouer et les défaire au lieu de les exécuter, Popolani dit quelque part de son maître : « Une justice à lui rendre, c’est qu’il prend tout ça gaiement. » Il est certain que M. Mæterlinck a pris « tout ça » d’une autre manière. Après la sienne, celle de Meilhac et Halévy fait du bien. D’abord elle est claire. Ce qui ne veut pas dire qu’elle soit plate ou vide, qu’il n’y ait rien dedans ou dessous. Oh ! non. Autant le personnage de Barbe-Bleue (pour ne parler que du héros) est, dans le drame de M. Mæterlinck, inintelligible et même inexistant, autant Meilhac et Halévy l’ont animé d’une vie originale, à demi plaisante et sérieuse à demi. Écoutez-le se définir, s’analyser lui-même et se complaire au spectacle de son « moi. » Popolani lui demandant s’il ne rougit pas d’être l’homme qu’il est : « Non, je ne rougis pas et je t’avouerai même qu’il y a dans mon caractère quelque chose de poétique... Je n’aime pas une femme, j’aime toutes les femmes. C’est gentil, ça ! En m’attachant exclusivement à l’une d’elles, je croirais faire injure aux autres. Ajoute à cela des scrupules qui ne me permettent pas de croire qu’il soit permis de prendre une femme autrement qu’en légitime mariage. Tout te paraîtra clair dans ma conduite ; tu m’auras tout entier. »

Ainsi Barbe-Bleue nous est proposé comme une variante, inédite ma foi ! de don Juan : coureur d’aventures amoureuses, mais ne les courant que sur le droit chemin, débauché sans désordre, ou plutôt selon l’ordre légal et conjugal, six fois meurtrier plutôt qu’adultère une seule. N’avions-nous pas raison de trouver ici quelque chose de limpide et de profond en même temps ! Il n’y a pas jusqu’à l’héroïne de Meilhac et Halévy, la sympathique Boulotte, qui ne nous rende, si nous savons l’entendre, Ariane et ses compagnes un peu moins inconcevables. Lorsque Popolani parle à Boulotte, par lui rappelée à la vie, de ses cinq devancières à elle, qu’il a comme elle épargnées, et lui propose de la conduire, avec les autres, auprès du roi Bobèche afin d’obtenir justice, Boulotte commence par accepter. Mais bientôt, se reprenant et vaguement songeuse, elle hésite : « Et puis... peut-on savoir ce qu’il y a au fond du cœur des femmes... un autre sentiment peut-être. Il était superbe, le brigand, il était superbe tout à l’heure, quand il chantait : Amours nouvelles ! »

Et voilà comment la sœur aînée et joviale annonce et d’avance justifie, — oh ! dans une certaine mesure, — la sœur cadette, tragique et mystérieuse. Voilà comment les deux œuvres, rapprochées, s’éclairent, et nous font considérer, dans un même sujet, les deux faces, ou comme disait, — à peu près, — Bossuet, les deux extrémités des choses humaines.


Nous ne savons pourquoi la Société des Grandes Auditions de France a reçu les deux musiciens étrangers qui furent dernièrement ses hôtes, en des lieux favorables inégalement. La symphonie de M. Gustav Mahler eut la chance d’être exécutée au Châtelet. C’est au Trocadéro qu’on n’a pas entendu la suite symphonique Florence et la cantate sacrée Dies iste de don Lorenzo Perosi. La première des deux salles choisies est excellente. L’autre, depuis trente ans, outrage les oreilles et les yeux. Puisque, avec la Tour Eiffel et la Grande Roue, ses voisines, elle forme une part du trésor architectural de la troisième République, celle-ci devrait la réserver à ses cérémonies ou à ses comices : festivals politiques, populaires ou sociaux, assemblées générales de mutualistes, ou de ces autres confédérés que, par un pléonasme fâcheux, « Prévoyans de l’Avenir « on nomme. Et, dans l’intérêt de la musique, on écrirait sur les murs de l’affreuse rotonde : « Les musiciens n’entrent pas ici. »

Moins importante, beaucoup moins, que le Dies iste, la suite symphonique Florence est composée de trois morceaux. Le second et le dernier pourraient bien être les meilleurs. L’un a de la grâce mélodique et chantante ; le sentiment en est mélancolique, tendre, et l’orchestre mystérieux. On l’appellerait, si les deux mots se pouvaient associer, un lied, italien et le terme de « sympathie » en définirait assez le caractère. Le finale, brillant, sorte de saltarelle, a paru celui des trois morceaux où le style et le travail véritablement symphonique a le plus de part.

Le Dies iste n’est en aucune façon, pas plus par l’idée, ou le sujet, que par la grammaire, du même genre que le Dies iræ, Dies illa. Jour de miséricorde et non de colère, d’allégresse et non de douleur, le jour dont il s’agit est celui de la conception de Marie. Ce texte, ou cette « prose, » en l’honneur de la Vierge, et dont l’auteur est inconnu, doit remonter au moyen âge. Réminiscences ou pressentimens, certaines analogies dantesques s’y rencontrent. Le fameux vers par où commence la prière de saint Bernard et le dernier chant du Paradis :


Vergine madré, figlia del tuo figlio,


ne paraît que la « matière » développée en ce tercet de la cantate, où par trois fois se renouvelle la même anthithèse et comme le même jeu d’idées et de mots :


Genitorem genitura,
Creatorem creatura,
Patrem parit filia.


L’ensemble du « poème » comprend six périodes, ou strophes, inégales, auxquelles vient s’ajouter, en guise de conclusion, l’antienne liturgique : tota pulchra es, Maria. Sur ce long cantique à la Vierge, le jeune prêtre musicien a répandu le flot paisible et pur d’une virginale tendresse. Pour éviter la monotonie, autant que pour suivre le double penchant de sa nature, il a partagé la cantate entre l’élégie et le drame, l’un et l’autre sacrés. Mais la première, en général, y garde l’avantage. Musique dynamique ou statique, diraient les savans, active ou contemplative, dirons-nous plus modestement, le musicien de la seconde musique est ici presque toujours le meilleur. Ce sont deux choses tout à fait délicieuses que les deux soli pour soprano solo avec reprise des chœurs. Analogues par le sentiment de mystique suavité, par la composition, le mouvement et l’allure, ils diffèrent pourtant, par le dessin mélodique d’abord et puis par maint détail d’accompagnement, de rythme, d’accent ou d’inflexion, et de sonorité. La première cantilène surtout nous paraît l’exemplaire accompli d’un art très simple, très sincère, très pur (le mot revient sans cesse) et que nous ne connaissons plus guère. Il est digne et il est juste, il est équitable et salutaire de le reconnaître et de le saluer avec joie. Où donc, et de quel style, Chateaubriand a-t-il dit qu’il y trouvait je ne sais quelle « longueur de grâce ? » Tel est, avant tout autre, le caractère de la cantilène perosienne. Elle se développe avec ampleur, elle est l’effusion abondante et chaude d’une âme et d’un amour généreux. Égale, unie, elle évite cependant la platitude et la raideur. Elle aime les détours élégans et se plaît à monter comme à descendre une pente légère. Tout en n’étant que mélodie, elle est cependant une ordonnance, une économie, un organisme. Symétrique et non rigoureuse, elle se divise en périodes librement balancées, qu’unissent des rapports choisis et d’harmonieuses proportions. Tantôt, la voix cessant de chanter, l’orchestre, qui chante aussi, lui répond ; tantôt l’un et l’autre se mêlent, puis se quittent, puis se reprennent encore.

Cette longue, très longue « canzone » est également très lente. Et nous lui savons gré d’être telle, en nos jours de fièvre universelle, où la musique même se hâte, où la mélodie est si pressée et si courte. Nous jouissons ici non seulement de la succession des notes, mais de chaque note en elle-même, parce que, avant de passer, elle s’arrête, elle s’attarde, elle dure ; parce que, loin de nous agiter, elle nous apaise, parce que, plutôt que de nous dérober le temps, elle nous le mesure et nous en fait goûter, dans un esprit de recueillement et de méditation, l’écoulement tranquille et doux.

L’œuvre de Mgr Perosi, je veux dire cette œuvre en particulier, n’a rien de plus pénétrant qu’un tel cantique. Mais les pages finales sont autres. Là se réunissent, là seulement, les deux principes dont nous parlions plus haut, principes qui se partagent l’idéal et la réalité, l’art aussi bien que l’âme, et que l’Évangile a personnifiés en deux figures de femme, celle de Marthe et celle de Marie. Cet épilogue est écrit pour double chœur et formé de trois morceaux : le premier animé, les deux autres paisibles. Le texte consiste en une suite d’invocations à Marie :


Tu spes certa miserorum !
Vera mater orphanorum !
Tu levamen oppressorum !


« Sûr espoir des malheureux ! Véritable mère des orphelins ! Réconfort des opprimés ! » La litanie est traitée en style de fugue-Fugue brève, sommaire plutôt que poussée, n’ayant en réalité pour sujet, pour amorce de sujet, que deux notes, mais qui sont pleines de caractère, d’expression et d’énergie. L’une des deux, brusquement, tombe sur l’autre ; c’est moins qu’un thème : un ictus, un coup, mais qui frappe juste et fort. Bientôt, et de plus en plus, il se multiplie, il se répercute. Les voix et les instrumens le portent, l’assènent tour à tour. « Tu spes ! Tu spes ! » A tous les degrés, avec tous les timbres, tantôt rapides, en valeurs brèves, tantôt en valeurs augmentées et qui les prolongent, les deux syllabes et les deux notes, également rudes, jaillissent et rejaillissent. Elles se répondent, se croisent et se heurtent. Il arrive même que, par un mouvement contraire, au lieu de descendre, elles montent, et la vigueur de leur élan n’est pas moindre alors que ne fut le poids de leur chute.

Il règne en tout l’épisode une sorte de sainte violence, telle que la souffre le royaume de Dieu. Les appels bientôt y deviennent des cris, des apostrophes, La prière y tourne à l’adjuration et la musique y semble moins implorer, qu’exiger, arracher le bienfait et la grâce. Par le sentiment, sinon par le style, par la hardiesse impérieuse, cette symphonie, car c’en est une à présent, rappelle un peu la pathétique requête : Pacem ! Pacem ! qui termine la messe en ré de Beethoven. On croirait presque entendre, au lieu du recours, la révolte de tous les opprimés, de tous les orphelins, de tous les misérables. Mais déjà, comme repentans et honteux de leur impatience, de leur audace impie, ils s’apaisent et s’humilient. Sur une intonation quasi grégorienne, une voix, qui n’est plus que plaintive, pose et tient longuement des sons d’une ravissante douceur. Le sens et comme la direction générale de la musique en est tout de suite modifiée. Au lieu de descendre et de tomber sans cesse, les notes s’étendent, s’étalent à l’infini. Plutôt que de sillonner et de hacher l’horizon, elles en dessinent la ligne pure et droite. A la violence a succédé la paix, l’extase même. Et maintenant, voici la gloire, une sorte d’apothéose, où des impressions de Dante se mêlent avec des souvenirs et comme des frissons de Wagner. Tout semble s’élever et s’élargir à la fois par étages superposés et par cercles concentriques, dont le nom répété de Marie est le centre et le sommet. Et sans doute il n’y a là rien de plus qu’une progression harmonique et tonale. Encore fallait-il qu’elle y fût et c’est assez qu’elle y soit, pour que cette péroraison d’une cantate en l’honneur de la Vierge compte parmi les belles « Assomptions » de la musique.

Elle s’ajoute et ressemble à tant de tableaux sacrés que nous a déjà donnés le maestro. Dans une exposition de la jeune école italienne, les œuvres de don Lorenzo Perosi rempliraient la salle d’honneur. Chez lui seul, depuis la mort de Verdict tant que Boito garde le silence, on reconnaît quelques signes encore de l’ancien génie de sa race, veteris vestigia flammæ. Par la flamme en effet, par la lumière et la chaleur, il n’est pas moins de son pays, — le pays des Carissimi, des Marcello et des Pergolèse, — que par l’abondance et la facilité. Dans les deux ordres de la musique religieuse, au concert comme à l’église, il n’a jamais traité qu’avec respect, avec amour, et saintement, les choses saintes, celles de l’histoire et celles de la foi. Les scènes de l’Évangile ont reçu de lui des expressions, des représentations tour à tour éclatantes et mystérieuses ; il en a figuré tantôt l’apparence extérieure, tantôt le sens intime et profond. Chaque oratorio de Mgr Perosi, la Passion et la Transfiguration, la Résurrection de Lazare et la Résurrection du Christ, se partage pour ainsi dire entre le dehors et le dedans. C’est un éblouissement sonore que le début de la seconde partie de la Résurrection du Christ, « l’aube du triomphe, » aboutissant à l’épisode, pathétique entre tous, de la rencontre de Madeleine et de Jésus. Mais, peu de pages après, quel demi-jour, quel clair-obscur à la Rembrandt, quelles harmonies sourdes et comme éteintes, enveloppent l’apparition du maître à ses disciples et ces deux mots : Pax vobis ! tombant des lèvres pâles de Celui qui vient à peine de ressusciter d’entre les morts.

Et maintenant, suivrons-nous don Lorenzo Perosi de la salle de concert à l’église ? Là, nous verrions le musicien d’oratorio s’oublier pour le musicien liturgique. Pourtant, si classique, si pure que soit la forme de son art, elle s’anime, elle s’illumine encore là de mouvemens et de rayons. Le même tempérament original, la même ferveur juvénile s’y unit, sans disparate, à la connaissance et à la pratique, sans imitation ni pastiche, des formes du passé. C’est une chose tout à fait belle en sa brièveté que certain salut au Souverain-Pontife, composé pour un jour de grande cérémonie, sur les paroles rituelles : Tu es sacerdos in æternum secundum ordinem Melchissedec. Dans Saint-Pierre, il y a deux ans, je me souviens de l’avoir entendu. Les mots de la formule peuvent paraître abstraits. Mais la musique perosienne leur donne, par l’intensité de la polyphonie, un élan qui les emporte, parle trait mélodique et qui monte, une flamme qui les couronne. En ce peu de mesures éclatantes, il sembla, ce jour-là, que celui qui avait été le lévite et comme l’enfant du patriarche de Venise, eût voulu jeter vers le Pontife, demeuré son maître et son père, le cri de toute sa jeunesse, de tout son art et de tout son amour.

Ce n’est pas au Trocadéro, c’est à Rome qu’il faut voir, entendre don Lorenzo Perosi. Un office dirigé par lui, soit à Saint-Pierre, soit à la Sixtine, est une belle chose. Une répétition à l’école de la piazza Pia, près du Château Saint-Ange, est quelque chose de délicieux. Une quarantaine d’enfans sont réunis là. Don Lorenzo les a recueillis un peu partout, au hasard, dans les rues et les carrefours de Rome. A Venise, avec le cardinal Sarto, il faisait déjà ainsi. Et n’est-ce point ainsi, qu’il y a plus de quatre cents ans, un maître de chapelle romain, un maestro dei putti, comme on disait alors, trouva, sur la place de Sainte-Marie-Majeure, cantando seconda l’uso dei giovanetti, le petit Pier Luigi, de Palestrina ?

Tous ces gamins sont vifs, mais d’une turbulence qu’une parole, un geste, un sourire, a vite fait d’apaiser. Le maestro s’est assis devant l’harmonium, sur une petite estrade. La scène rappelle un peu l’une des fresques de Benozzo GozzoU, à San Gimignano, où l’on voit une classe aussi, dont l’un des élèves est le futur saint Augustin. Mais surtout, — le maître a l’air si jeune, de visage, d’esprit et de cœur, — on songe à certaine inscription, tracée à quelques mètres de la salle où nous sommes, sous un chêne et sur un rocher du Janicule : « Qui… Filippo Neri, frà liste grida, si faceva co fanciulli fanciullo, sapientamente. Ici Philippe de Néri, parmi les cris joyeux, se faisait petit avec les petits, sagement. » J’entends encore la leçon de solfège, les voix chaudes, frémissantes, méridionales, et pour les diriger, pour les retenir dans le rythme et la mesure, les coups de baguette sur le pupitre de bois. Aux motets, aux répons des vieux maîtres romains succédèrent quelques pièces, choisies parmi les plus récentes, de leur jeune successeur. Beau style, sérieux, serré, qui parfois se détend et semble s’entr’ouvrir ; alors des mouvemens, des élans, des chaleurs soudaines. Ensuite, pour fêter le visiteur étranger, des refrains populaires, presque des rondes et des chansons de pifferari. Une loterie, où l’on gagne des bonbons et des gâteaux, de ces maritozzi chers au peuple de Rome, termine la séance. La nuit est venue et les enfans se sont dispersés. Leur maître et moi, par les rues du Borgo, nous gagnons la place Saint-Pierre et le Vatican. Nous devisons de musique, et de musique sixtine. Don Lorenzo porte avec modestie, avec une grâce juvénile, avec un religieux amour, l’honneur de sa charge, l’une des plus glorieuses dont un musicien, surtout ce musicien étant prêtre, puisse se voir investi. « Sanctuaire entre tous illustre et sacré, qui renferme en lui la piété et la joie de toute la terre. » Ainsi Léon X a parlé de la chapelle Sixtine. Dans ce lieu, que remplissent tout entier les plus magnifiques parmi les formes visibles, être le maître des formes sonores ; ranimer les sublimes concerts endormis depuis si longtemps sous cette voûte, y faire entendre des chants nouveaux ; ce n’est pas tout encore : par une faveur insigne, en même temps que le fils très aimé du Saint-Père, être en quelque sorte le vicaire pour la musique d’un pape musicien, la fortune, ou plutôt la Providence a fait à ce jeune prélat tous ces dons. Au Trocadéro l’autre jour, en écoutant son œuvre, en le regardant la conduire, il nous parut — tout simplement — que la Providence ne s’était pas trompée.


La symphonie énorme de M. Gustav Mahler tient plus de place qu’il ne nous en reste à lui donner aujourd’hui. Si la grandeur d’une œuvre se mesurait à sa masse et à sa durée, il n’y aurait pas d’œuvre plus grande que celle-là. Il n’y en a pas en effet, nous avaient assuré, d’avance, les admirateurs du célèbre musicien qui nous est venu de l’Autriche, son pays natal, par l’Amérique, sa patrie adoptive. Un de ses plus fervens apologistes écrivait dernièrement que M. Gustav Mahler, « seul, depuis la mort de Beethoven, a eu l’audace de s’engager dans la route que la Neuvième symphonie avait ouverte, et a su conquérir ainsi définitivement à la symphonie cette liberté illimitée des formes, cette puissance et cette variété d’expression, cette universalité de langage où Beethoven avait atteint dans l’Ode à la joie et les derniers quatuors. Tout cela magnifié encore par un luxe de moyens techniques inconnu jusqu’à nos jours[1]. »

Voici d’abord, dressé par le même auteur, le catalogue ou le bilan de ces richesses matérielles : « 4 flûtes, 4 hautbois, 3 clarinettes, 2 petites clarinettes en mi bémol, 4 bassons, 10 cors (6 dans les quatre premières parties), 8 trompettes (4 dans les quatre premières parties), 4 trombones, Basse-Tuba, 2 timbaliers, cymbales, grosse caisse, triangle, 3 cloches, 2 tam-tams (petit et grand), harpes, orgue et les cordes, plus, pour la partie vocale, un soprano-solo, un contralto-solo et un chœur mixte. » À ces timbres, d’ailleurs connus et multipliés seulement, ajoutez certaines sonorités exceptionnelles : archets frappant du dos le chevalet, verges de bois (à ce qu’on assure) frottant le bord des timbales. Si nombreux sont les instrumens, que plusieurs (trompettes, cors et flûtes, sauf erreur) sont obligés par moments de sortir et d’aller jouer dehors. Musique-foule, disait Amiel de la musique de Wagner. Cette foule à présent nous paraît un groupe choisi. Ajoutez que la symphonie de M. Mahler se déploie dans le temps non moins que dans l’espace. Elle dure cinq grands quarts d’heure. Enfin, autant que la durée et le nombre, sinon davantage, elle a pour élément le bruit. Et voilà ses trois façons d’être excessive et démesurée.

Quant à l’esprit, — un esprit qui l’enfle et la boursoufle plutôt qu’il ne la remplit et ne l’anime, — c’est le vieil esprit du romantisme. Il se reconnaît premièrement au luxe même des moyens, à la profusion des engins sonores. D’autres signes le trahissent également. Rien n’est plus loin de l’idéal classique, — et proprement beethovenien, — non pas que le contraste, mais que la disparate entre les diverses parties de l’œuvre. Auprès de la première et de la cinquième et dernière, qui veulent être grandioses, la troisième et surtout la seconde semblent mesquines, voire naïves, avec des grâces et des gentillesses déplacées. L’ordonnance générale, et spécialement le rôle respectif de la symphonie et des chœurs, sont réglés sans assez de logique. Il y manque, avec le sentiment des rapports et des proportions, la suite et le progrès continu. C’est trop, dans l’interminable finale, de plusieurs péroraisons, paroxysmes, apothéoses, renchérissant les unes sur les autres. Pour être la plus belle chose de l’ouvrage, et véritablement une chose belle en soi, noble, mélancolique et profonde, le lied chanté par le contralto solo n’est cependant pas à la mesure et comme à l’échelle des polyphonies environnantes. Et voulez-vous encore un trait romantique ? Les parties mêmes de symphonie pure ont l’air ici d’appeler un commentaire, de l’attendre ou de l’avoir perdu. Partout on demande compte à cette musique de ses intentions descriptives. Pour ne citer qu’un exemple, ou qu’un genre pittoresque, les marches y abondent, funèbres ou militaires, à pied et quelquefois, on le croirait du moins, à cheval. Enfin si nous signalons, non seulement dans le détail mélodique ou instrumental, mais dans le style et l’inspiration générale de cette symphonie, des analogies frappantes avec la Symphonie Fantastique, nous en aurons peut-être assez dit sur le romantisme de M. Gustav Mahler, pour que l’on soupçonne avec nous que la place du musicien d’Autriche n’est pas au-dessus, ni même à côté de Beethoven, mais au-dessous de Berlioz, très au-dessous.


CAMILLE BELLAIGUE

  1. Gustav Mahler et sa deuxième symphonie, par M. G. Casella ; Revue de la Société internationale de musique (15 avril 1910).