Revue scientifique - Amas stellaires et nébuleuses

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REVUE SCIENTIFIQUE

AMAS STELLAIRES ET NÉBULEUSES [1]

Parmi les objets que le ciel offre à la contemplation de ceux qui aiment à fuir parfois, — ne fût-ce que sur l’aile rapide du regard, — les contingences de cette petite planète, si plate en dépit de sa rotondité, il n’en est pas de plus étonnants que les amas globulaires.

Lorsqu’on examine ou qu’on photographie, avec des lunettes de plus en plus puissantes, les diverses constellations, on remarque que les étoiles n’y sont pas également clairsemées. Dans certaines régions comme la constellation de la Girafe ou du Serpentaire les étoiles sont relativement rares. Elles le sont beaucoup moins dans Orion ou la Grande Ourse. En ce qui concerne ces deux dernières constellations, on a constaté que les principales étoiles qui les forment ne sont pas groupées seulement par les hasards de la perspective, ainsi que dans la plupart des autres constellations, mais qu’elles sont en réalité liées entre elles physiquement. Ainsi les étoiles de la Grande Ourse ont des vitesses et des mouvements propres concourants, ce qui ne saurait être dû au hasard et prouve que ces étoiles forment, suivant l’expression consacrée, un système stellaire physique. Ou constate facilement à la lunette l’existence d’autres groupes d’étoiles physiquement liées, et parmi lesquelles le groupe curieux des Pléiades, visible à l’œil nu dans l’hémisphère boréal, est un des plus anciennement connus. Dans le cas des Pléiades, sa seule observation à l’œil nu suffit à donner l’impression d’une collectivité d’étoiles physiquement solidaires, ce que confirment les résultats de l’astronomie de précision.

Enfin en continuant à la lunette la même recherche, on trouve finalement ces petits groupes serrés d’étoiles, ces petits nuages stellaires qu’on appelle, à cause de leur forme, les amas globulaires. Ces astres ou plutôt ces groupes d’astres sont en général invisibles à l’œil nu. Dans les lunettes et télescopes de faible puissance ils se montrent en général comme de petites taches rondes et floues. Messier qui se fit au xviiie siècle une renommée en les observant et les observateurs antérieurs ne les connaissaient que comme des nébulosités sans étoiles et on les rangea longtemps dans la catégorie vague des nébuleuses. C’est sir William Herschel et son fils qui, grâce à leurs puissants télescopes, réussirent à montrer que ces nébuleuses petites et rondes étaient en général composées de myriades d’étoiles distinctes. Alors naquit la distinction entre les nébuleuses non résolubles et les nébuleuses résolubles en étoiles. Ce sont celles-ci qui se dénomment aujourd’hui, avec plus de précision, amas stellaires.

La richesse en étoiles des amas est assez variable. Aussi on peut, pour la commodité, et suivant l’exemple de l’astronome américain Shapley, qui est aujourd’hui le principal spécialiste en la matière, les subdiviser en amas ouverts et en amas globulaires. On appellera amas ouverts tous les groupes d’étoiles physiquement liés (tels que les Pléiades, la constellation de la Grande Ourse, etc.), dont les étoiles ne sont pas fortement concentrées et ne semblent pas innombrables et confondues, même lorsqu’on a recours aux instruments les plus puissants. On appellera amas globulaires, les autres amas.

Nous nous occuperons en premier lieu des amas globulaires. Chose curieuse et qui frappe tout d’abord, alors que l’accroissement du pouvoir optique des instruments astronomiques a accru parallèlement et accroît chaque jour le nombre des étoiles et des nébuleuses, au contraire il n’a rien ajouté depuis 50 ans au nombre des amas globulaires catalogués. Le nombre aujourd’hui connu de ces objets stellaires, nombre qui est à peine égal à 80, est le même qu’il y a un demi-siècle, et l’ère de la découverte de pareils systèmes paraît terminée, ce qui n’est le cas d’aucun autre type d’objets célestes.

Pour en terminer avec ces généralités, j’ajouterai que le nombre des étoiles observables dans les amas globulaires dépasse tout ce qu’on peut imaginer, surtout lorsqu’on les photographie avec des durées de pose un peu longues. Auprès du centre du cliché les images des étoiles se superposent et donnent une impression d’entassement d’autant plus extraordinaire qu’il s’agit là, ne l’oublions pas, de soleils dont le moindre est beaucoup plus brillant et beaucoup plus massif que le nôtre. Sur les photographies récentes des amas globulaires obtenues avec les gigantesques télescopes modernes à puissante luminosité et à grand pouvoir séparateur, c’est par dizaines de milliers qu’on peut dénombrer les étoiles autour de la partie centrale où elles se trouvent tellement serrées qu’on ne peut les résoudre.

Les diamètres apparents des amas globulaires, — qui mesurent l’espace apparent occupé par eux dans le ciel, — sont assez variables. Le grand amas du Centaure dans l’hémisphère austral a un diamètre apparent double de celui de la lune. Pour plusieurs autres amas le diamètre apparent est égal à celui de la lune ou du soleil, mais, pour la plupart, le diamètre est inférieur à 5 minutes d’arc.

Il faut signaler enfin une curieuse particularité des amas globulaires, constatée il y a plusieurs années déjà : leur distribution dans le ciel présente une singulière anomalie ; ils ne sont pas distribués uniformément sur la sphère céleste ni ramassés comme les étoiles le long de la bande lumineuse de la Voie lactée. Mais ils apparaissent seulement sur un hémisphère du ciel dont le centre tombe en un point de la Voie lactée. Pour préciser, nous dirons que la position de ce centre, qui se trouve dans la constellation australe du Télescope, est définie par une ascension droite égale à 17h 40m et une distance polaire de 125°.

M. K. Bohlin, qui a étudié en détail ce phénomène, l’explique en admettant que le système des amas globulaires est situé dans l’espace au centre de la Voie lactée, tandis que la position du système solaire est un peu excentrique. D’après cela, et telle est aussi dans l’ensemble la conclusion à laquelle sont parvenus d’autres astronomes à la suite de profondes études, les amas globulaires feraient partie intégrante du vaste système stellaire de la Voie lactée. Mais alors, comme nous allons voir, les dimensions de celle-ci ou du moins de ses annexes se trouvent singulièrement plus vastes encore qu’on ne l’avait cru naguère.

Et maintenant nous pouvons, avec M. Shapley, et pour mieux concrétiser toutes ces notions par un exemple, aborder l’examen un peu plus détaillé d’un des amas globulaires, de l’amas de la constellation d’Hercule par exemple. Cet amas porte aussi le nom de Messier 13, c’est-à-dire qu’il est le treizième sur la liste, des amas dressée par Messier. C’est un objet d’une merveilleuse et impressionnante beauté, un essaim silencieux et pressé d’abeilles célestes dont chaque atome est un gigantesque soleil. J’ai eu, — il y a de longues années, — l’occasion de faire une photographie à longue pose de cet amas au moyen du merveilleux réflecteur de 1 mètre d’ouverture de l’Observatoire de Meudon. On ne saurait, — quand on ne l’a pas éprouvée, — imaginer l’impression à la fois esthétique et émouvante que peut produire l’image de ces myriades de soleils concentrée et saisie sur un centimètre carré de gélatine.

Le grand télescope de 60 pouces de l’observatoire américain de Mount Wilson se prête encore mieux que celui de Meudon à l’examen de cette fourmilière d’étoiles grâce à sa grande distance focale (qui est de 25 pieds et peut être porté à quatre-vingts pieds) qui sépare mieux les images stellaires du centre de l’amas. Sur une photographie de Messier 13, prise avec ce télescope unique, on compte déjà, après une pose de deux minutes seulement, les images de plus de mille étoiles. En portant à onze heures la durée de la pose on obtient une image de l’amas sur laquelle le professeur Ritchey a pu compter plus de 30 000 images d’étoiles plus brillantes que la vingt-et-unième grandeur.

J’ai déjà expliqué naguère ici même comment on arrive, dans les observatoires, à obtenir les clichés stellaires avec des poses aussi longues sans nuire à la netteté des images, en dépit du mouvement diurne et des déplacements accidentels, causés par l’atmosphère, des images stellaires. Je me borne à rappeler d’un mot qu’en outre du mouvement d’horlogerie qui fait suivre automatiquement à la lunette photographique le mouvement diurne des étoiles, il y a une deuxième lunette, visuelle, celle-ci, solidaire de la première et dans laquelle un observateur maintient attentivement, sous la croisée de fils d’un réticule, l’image d’une étoile quelconque voisine de l’objet photographié. Grâce à des manivelles délicates, cet observateur corrige ainsi à chaque instant les irrégularités du mouvement d’horlogerie et de la réfraction atmosphérique, et on est sûr dans ces conditions que les mêmes étoiles restent exactement en face des mêmes endroits de la plaque photographique. C’est un petit travail assez fatigant lorsqu’il dure des heures ; mais que ne ferait-on pas pour conquérir, emmagasiner et pouvoir emporter jalousement un petit coin du ciel ?

J’ai indiqué dans ma dernière chronique quelques-unes des méthodes récentes qui permettent de déduire les distances des étoiles de certaines de leurs particularités spectrales et photométriques. Appliquées à l’amas d’Hercule, ces méthodes ont montré que cet amas a une parallaxe légèrement inférieure à un dix-millième de seconde d’arc, ce qui correspond à un peu plus de 36 000 années de lumière.

Il est assez difficile, même quand on a une imagination que rien n’effraye, de concevoir ce que représente un pareil éloignement. Exprimée en kilomètres, cette distance serait indiquée par le nombre 35 suivi de seize zéros, et on la dénommerait correctement en disant qu’elle est égale à trois cent cinquante mille trillions de kilomètres. C’est près de dix mille fois la distance qui nous sépare de l’étoile la plus rapprochée, de cette Proxima dont j’ai parlé l’autre jour ici-même. C’est à peu près deux milliards de fois la distance qui nous sépare du soleil. C’est cinq mille fois la distance qui nous sépare de Sirius.

Voilà qui eût bien étonné M. Renan qui imaginait sincèrement avoir trouvé quelque chose d’aussi éloigné que possible de la terre lorsqu’il inventa le célèbre point de vue de Sirius. Les plus grands philosophes ont de ces naïvetés ! En réalité, Sirius c’est presque la banlieue pour nous et il faut être un peu myope et avoir, — philosophiquement parlant, — un minimum de vision distincte extrêmement réduit, pour ne regarder les choses de ce globule terraqué que du point de vue déplorablement géocentrique de l’étoile Sirius.

Maie évadons nous de ce cercle étroit et sans horizon et revenons à l’amas d’Hercule.

Étant donné sa distance, le rayon lumineux qui nous en arrive aujourd’hui, et qui parvient à nos lunettes, est parti en réalité de l’amas il y a 300 siècles. Si on se souvient que l’ère chrétienne dure depuis moins de 20 siècles et que tous les temps historiques de l’humanité n’atteignent pas 80 pauvres petits siècles, on concevra ce que représentent ces choses. L’amas d’Hercule pourrait avoir disparu depuis 360 siècles, ou il pourrait s’être modifié depuis lors de la manière la plus complète que nous n’en saurions encore rien. Depuis le jour où cet objet céleste a émis le frissonnant rayon de lumière qui nous arrive maintenant, et qui a voyagé sans arrêt, et à sa vitesse folle à travers l’infini glacé, mille générations humaines ont apparu et disparu ; des civilisations dont nous n’avons plus un souvenir ont fleuri ; des empires dont le nom même nous est inconnu ont été édifiés dans le sang et la douleur par des conquérants orgueilleux de l’œuvre inoubliable et permanente qu’ils avaient cimentée. Où sont ces choses et ces hommes ? Comment s’appelaient-ils ? Et pourtant ces centaines de siècles révolus dont le rayon palpitant qui nous vient de l’amas d’Hercule est le messager lointain, ils sont en vérité peu de chose dans l’histoire de l’évolution cosmique d’un système stellaire quelconque. Mais comment ne pas admirer cette astronomie qui est en réalité, grâce au recul spatial engendrant le recul chronologique, celle de toutes les sciences qui nous fait le mieux toucher du doigt le passé, la seule qui nous le rende présent et qui le fasse survivre à lui-même ?

C’est qu’il y a quelque chose de plus grand encore que les distances invraisemblables qu’elle mesure, c’est le fragile cerveau humain, puisqu’il est capable d’embrasser et de concevoir ces distances et que sans lui, sans la pensée, l’univers serait comme un diamant sombre qu’aucun rayon n’irise.

Connaissant la distance de l’amas d’Hercule, une foule d’autres déductions s’ensuivent immédiatement. Tout d’abord, on en déduit immédiatement l’éclat absolu, ou comme nous disons entre astionomes, dans un langage consacré par l’usage sinon très correct, la « grandeur absolue » des principales étoiles de cet amas. Étant donné que ces étoiles sont de treizième grandeur et qu’à leur distance le soleil serait une étoile moins brillante que la vingtième grandeur on en déduit immédiatement que les plus brillantes d’entre elles sont 2 000 fois plus brillantes que notre pauvre soleil.

On peut en déduire aussi les dimensions de cet amas globulaire. Elles sont colossales. On trouve en effet que son diamètre est égal à plus de trois cent cinquante années de lumière. Une étoile située à une distance de la terre égale au diamètre de l’amas d’Hercule devrait être cent fois plus brillante que le soleil pour être visible à l’œil nu.

D’ailleurs, les étoiles de l’amas d’Hercule sont beaucoup plus rapprochées les unes des autres que les étoiles qui avoisinent le soleil. Si on trace au centre de l’amas d’Hercule, — ou plutôt de son image photographique, — un cercle ayant pour diamètre la distance du soleil à l’étoile le plus rapprochée de nous, on trouve que ce cercle contient un très grand nombre d’étoiles de l’amas. La concentration des étoiles, la densité de la population stellaire, si-j’ose m’ex primer ainsi, est donc beaucoup plus considérable dans cet amas que dans la région relativement désertique de l’espace où divague notre système solaire.

Enfin on a découvert, par des méthodes spectroscopiques dont j’ai déjà parlé, que l’amas d’Hercule dans son ensemble se meut à la vitesse considérable de trois cents kilomètres par seconde. Cette volée de grains de plombs gigantesques, chassés dans le vide sidéral par le fusil de la gravitation, représente donc au point de vue balistique une force vive, difficile à concevoir, si on veut se souvenir que la masse de l’amas entier est sans doute supérieure à celle de cent mille soleils.

L’étude que nous venons de faire de l’amas Messier 13 a été étendue à tous les autres amas globulaires connus, notamment par M. Shapley. La conclusion de toutes ces recherches est que le plus proche de ces amas (qui est aussi le plus brillant), l’amas du Centaure, est à une distance de nous égale à 6 500 parsecs (je rappelle que 1 parsec équivaut à 3 ans et 3 mois de lumière et correspond à une parallaxe d’une seconde d’arc). Le plus éloigné, qui porte le nom de N. G. C. 7 006 (la terminologie astronomique est parfois un peu singulière) est à une distance de 67 000 parsecs, c’est-à-dire qu’il faut à la lumière 217 000 ans (deux mille cent soixante-dix siècles !) pour nous en arriver. Le centre de l’agglomération formée par ces amas est à environ 20 000 parsecs de nous, et nous nous trouvons sur les confins de cette agglomération ce qui explique que nous ne les voyons que d’un côté du ciel.

Tout récemment M. Shapley a étendu ces études des amas globulaires aux amas ouverts, et en employant des méthodes similaires. Les distances trouvées pour ces objets célestes sont comprises entre 80 parsecs pour les Pléiades et 18 000 parsecs pour un autre amas. La moyenne des distances de ces objets est de 6 000 parsecs et le centre de leur agglomération et à quelque 3 000 parsecs du soleil sur la longitude galactique 270°. M. Shapley pense que les amas ouverts sont les résidus d’amas globulaires qui se sont disloqués et en quelque sorte disséminés en éventail, comme fait dans l’air, — et pour reprendre ma comparaison, — un chapelet de plomb de chasse.

Il convient également de signaler dans cet ordre d’idées les très curieuses et suggestives recherches faites récemment par l’astronome suédois H. von Zeipel, dans le dessein de rechercher si on ne pourrait pas appliquer dans l’infiniment grand, aux étoiles des amas globulaires, les lois statistiques de la théorie cinétique des gaz qu’on applique, dans l’infiniment petit, aux molécules gazeuses. Ces belles recherches paraissent démontrer que les mêmes lois s’appliquent aux uns et aux autres, ce qui, d’une part, ouvre des horizons pleins de promesses à la dynamique stellaire tout entière, et ce qui, du même coup, apporte un chaînon nouveau au lien éternel, conçu par les poètes et les philosophes, mais tressé par les savants, qui apparente et fait communier dans la même harmonie l’infiniment grand et l’infiniment petit.

Lorsque Sir William Herschel commença le siècle passé à résoudre en étoiles un grand nombre de nébuleuses, il pensa d’abord que toutes celles-ci devaient être finalement résolubles. Puis, une observation plus subtile des phénomènes l’amena à cette conclusion qu’à côté de ces amoncellements d’étoiles, il devait réellement exister dans l’espace céleste des nébulosités formées par un fluide brillant et continu et non résolubles en étoiles. Puis sous l’influence de son fils John Herschel et de lord Rosse, on crut ensuite à nouveau que toutes les nébuleuses étaient résolubles en étoiles. On devait revenir peu après à l’idée de la dualité des nébuleuses si merveilleusement et si intuitivement entrevue par William Herschel.

C’est le spectroscope qui fournit à cet égard des données décisives, et d’abord entre les mains du grand astrophysicien anglais Huggins. Le spectroscope montra qu’un certain nombre de nébuleuses sont caractérisées par un spectre discontinu, strié de raies brillantes et caractéristiques des gaz, parmi lesquels on identifie l’hydrogène et un autre gaz encore inconnu sur la terre et qu’on a appelé le nébulium. À côté de ces nébuleuses nettement gazeuses, le spectroscope indiqua qu’un très grand nombre d’autres avaient un spectre continu analogue à celui des étoiles et pouvaient par conséquent être des agglomérations d’étoiles extrêmement serrées en apparence par l’effet d’une très grande distance.

Parmi les nébuleuses qui ont ainsi un spectre continu et non gazeux se trouvent une classe d’astres qu’on croyait naguère n’exister qu’en petites quantités et dont on connaît aujourd’hui un nombre énorme. Je veux parler des nébuleuses spirales.

Les nébuleuses spirales sont de petites taches vaporeuses qu’on peut observer ou photographier en divers points du ciel et qui, formées par deux spires enroulées, sont posées, comme de légers escargots d’argent, dans le Jardin des Étoiles. Le beau catalogue de nébuleuses de M. Bigourdan, fruit de longues années de patient, minutieux et judicieux labeur, contient la description et les positions rigoureuses d’un grand nombre de ces astres.

Ce catalogue servira certainement de bases dans l’avenir aux recherches, — si importantes, comme nous allons voir, et si difficiles, — sur les mouvements propres des nébuleuses spirales. C’est un des plus beaux monuments élevés ces dernières années par l’observatoire de Paris, un de ceux qui montrent le mieux combien sont injustifiées les préventions de ceux qui prétendent que le ciel de Paris ne se prête pas aux bonnes observations astronomiques. En réalité, si le travail n’est pas toujours aussi efficace qu’il pourrait l’être dans notre grand Observatoire, les causes en sont purement humaines et bureaucratiques et n’ont nullement leur siège dans l’atmosphère. Mais ceci est un autre sujet qui touche à l’avenir même, aujourd’hui en péril, d’une des branches les plus importantes de la science française. J’en reparlerai prochainement.

Pour en revenir aux nébuleuses spirales, on en a découvert ces dernières années un nombre si considérable qu’elles constituent à l’heure actuelle, après les étoiles elles-mêmes, la catégorie d’astre répandue avec le plus de profusion dans l’univers. En particulier, les clichés obtenus dans les observatoires américains grâce aux instruments puissants et aux intelligentes méthodes de travail dont on y dispose, ont décelé et décèlent chaque jour par milliers de nouvelles nébuleuses spirales.

M. Curtis de l’observatoire Lick (Californie), qui s’est fait une belle spécialité de ces problèmes, qu’il a contribué à élucider par ses recherches, estime qu’à l’heure actuelle le nombre des nébuleuses spirales observables avec les instruments dont on dispose est voisin d’un million.

Qu’est-ce donc que ces astres singuliers et si abondamment semés dans l’espace ?

Eh ! bien, — et c’est ici que l’imagination peut justement s’effarer, — il semble de plus en plus démontré, que chacune de ces nébuleuses spirales est en réalité un univers stellaire complet et analogue à notre voie lactée. Il est d’ailleurs maintenant bien établi que celle-ci a la forme d’un double courant d’étoiles disposé en spirales et dont les dimensions équivalent à huit ou dix mille années de lumière.

L’analogie entre la forme spiraloïde de la Voie lactée et celle des nébuleuses spirales serait évidemment loin d’être suffisante pour assimiler celles-ci et celle-là. Cette assimilation aujourd’hui légitimée et admise par la plupart des astronomes est le fruit de diverses recherches récentes utilisant les méthodes les plus subtiles de l’analyse astrophysique et dont les résultats que je vais sommairement indiquer sont étonnamment concordants et convergent irrésistiblement vers la même conclusion.

Tout d’abord, on a remarqué depuis longtemps que le nombre des nébuleuses spirales observables est beaucoup moins grand dans le voisinage de la Voie lactée que dans les régions éloignées de celles-ci, dans le voisinage des pôles célestes. C’est ainsi que si on divise la sphère céleste en six zones, d’égale surface apparente, les deux zones qui ont pour centre les deux pôles galactiques, c’est à-dire les régions les plus éloignées de la Voie lactée contiennent ensemble et proportionnellement près de trois fois plus de nébuleuses spirales que les autres zones qui comprennent la Voie lactée. Autrement dit, dans les deux zones éloignées de la Voie lactée la proportion des nébuleuses spirales est environ six fois plus grande que plus près de celle-ci.

Ce fait a donné lieu entre astrophysiciens à d’innombrables discussions. Il n’y a pas lieu de les rappeler. Je me bornerai à en donner la conclusion, généralement admise aujourd’hui, et qui est que, si les nébuleuses spirales paraissent moins nombreuses dans le plan galactique, et si d’ailleurs la proportion des rayons actiniques aux rayons lumineux y est à peu près la même au centre et aux bords de ces astres, tandis que les rayons actiniques nous arrivant des régions externes de la Voie lactée sont moins intenses proportionnellement, cela provient de ce que les nébuleuses spirales sont des objets extérieurs à la Voie lactée et très éloignés de celle-ci. La matière diffuse qui existe en certaines proportions dans les intervalles des étoiles et qui, par conséquent, forme des nuages plus abondants dans le plan de la Voie lactée qu’aux pôles galactiques, explique que les nébuleuses spirales soient apparemment plus nombreuses vers les pôles. C’est que leur lumière y est moins souvent masquée par les nuages absorbants de poussière cosmique.

L’étude des mouvements et des vitesses des nébuleuses spirales a confirmé tout cela et établi d’une manière tout à fait décisive que les nébuleuses sont à des distances prodigieuses de la Voie lactée. Le spectroscope permet, — comme je l’ai déjà expliqué, — de déterminer la vitesse radiale, c’est-à-dire la vitesse des astres dans le sens de l’observateur, quel que soit leur éloignement.

Or, l’étude spectrale des nébuleuses spirales y a décelé des vitesses radiales considérables.

Les unes se rapprochant, les autres s’éloignant de notre système solaire, les nébuleuses spirales ont des vitesses radiales extrêmement grandes et qui sont en moyenne de 800 à 1 000 kilomètres par seconde. Si les nébuleuses spirales étaient de nous à des distances comparables à celle des étoiles observables, même les plus éloignées, il arriverait pour elles ce qui arrive pour les étoiles : les vitesses dans le sens perpendiculaire au rayon visuel étant évidemment, en moyenne, du même ordre de grandeur que les vitesses radiales, l’effet accumulé de ces vitesses devrait produire au bout d’un certain nombre d’années, des déplacements apparents notables de ces astres parmi les constellations. C’est ce qu’on observe pour toutes les étoiles à grandes vitesses radiales. Or, pour les nébuleuses spirales, rien de pareil, quoique leurs vitesses radiales soient énormes.

Sur des photographies prises a quinze ans d’intervalle les nébuleuses spirales ne montrent pas le plus petit déplacement apparent mesurable dans le sens perpendiculaire au rayon visuel. Il faut en déduire de toute évidence que ces objets sont à des distances dépassant infiniment celles de toutes les étoiles galactiques. On peut ainsi avoir une valeur minima de ces distances et on trouve qu’elles correspondent à un éloignement tel que les dimensions réelles des nébuleuses spirales sont analogues à celles de la Voie lactée.

Une troisième méthode enfin a conduit exactement au même résultat ; c’est l’étude des étoiles nouvelles ou, comme on dit entre astronomes (les seuls savants qui aient conservé l’habitude si précieuse, au point de vue international, des désignations latines) des Novae. J’expliquerai quelque jour les curieux phénomènes des Novae. Pour aujourd’hui je dois me borner à rappeler que ce sont des étoiles faibles et qui soudain, par suite d’un cataclysme prodigieux, augmentent rapidement d’éclat, atteignent un certain éclat maximum, puis s’éteignent ou du moins s’atténuent lentement à nouveau, en présentant dans leur spectre et dans leur courbe photométrique certaines particularités constantes.

C’est précisément cette constance de leurs particularités qui a été constatée pour toutes les Nome observées dans la Voie lactée, c’est-à-dire dans notre système stellaire ; c’est en particulier la constance de l’éclat maximum atteint par les Novae qui a permis d’aborder d’une nouvelle manière la détermination des distances des nébuleuses spirales.

Or on a découvert ces dernières années par la photographie dans les nébuleuses spirales un certain nombre de Novae dont l’évolution photométrique et spectrale s’est montrée identique à celle des Novae delà Voie lactée. Connaissant leur éclat maximum apparent on en a déduit facilement la distance des nébuleuses spirales dont elles font partie. Les nombres obtenus sont en plein accord avec les résultats des méthodes précédentes. Ils nous montrent que les nébuleuses spirales les plus rapprochées de nous sont à des distances de l’ordre de 100 000 parsecs et ont des dimensions réelles analogues à celles de la Voie lactée.

De tout cela on tire cette conclusion, à laquelle il est difficile d’échapper, que les nébuleuses spirales sont des systèmes stellaires comparables à notre Voie lactée et dont chacun est formé comme celle-ci de milliards d’étoiles. Quant à la distance des nébuleuses spirales connues, on peut évaluer ainsi qu’elle est certainement pour beaucoup d’entre elles supérieure à un million de parsecs.

Cela représente une distance encore cent fois supérieure à celle des amas globulaires, dont l’éloignement pourtant nous avait tout à l’heure rempli d’étonnement.

Ainsi la lumière qui nous vient de certaines nébuleuses spirales, et qui progresse dans l’espace en faisant 300 000 kilomètres chaque seconde, a besoin de plusieurs millions d’années pour nous parvenir. C’est par dizaines de mille siècles que doit se compter le temps mis pour venir jusqu’à nous par la tremblante lumière que nous envoient ces univers lointains.

Dès maintenant le Cosmos. — et je parle seulement de ce que nous en ont révélé nos moyens actuels, bien faibles à côté de ceux de demain, — nous apparaît comme formé par un million de systèmes stellaires aussi vastes que notre Voie lactée et séparés les uns des autres par des océans de vide glacé que, reptilienne et follement rapide, la lumière ne peut franchir qu’en des myriades de siècles.

N’est-elle pas grandiose et écrasante, cette image de l’univers que la science nous montre de son doigt sec, la science qui ne rêve pas, mais qui constate ? Mais il y a des constatations plus émouvantes, plus prodigieuses et féeriques que tous les rêves, car notre imagination est une bien pauvre chose à côté de la sublime réalité.

Charles Nordmann. 
  1. Les lecteurs de la Revue auront rectifié d’eux-mêmes, par le contexte, deux coquilles typographiques qui se sont glissées dans ma dernière chronique : 1° Ce qu’on appelle la parallaxe d’une étoile, ou plus exactement sa parallaxe annuelle, c’est par convention l’angle sous lequel est vu de cette étoile non pas le diamètre, mais le demi-diamètre de l’orbite terrestre ; 2° puisque la distance de la nuée de Magellan équivaut à 30 000 années de lumière environ, cette distance est voisine de 10 000 parsecs et non pas de 1 000 parsecs comme il a été imprimé par omission typographique d’un zéro.