Rhétorique (trad. Ruelle)/Livre I/Chapitre 8

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Traduction par Charles-Émile Ruelle.
(p. 124-126).
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CHAPITRE VIII


Du nombre et de la nature des divers gouvernements. De la fin de chacun d’eux.


I. La condition la plus importante, la principale pour pouvoir persuader et délibérer convenablement, c’est de connaître toutes les espèces de gouvernement et de distinguer les mœurs, les lois et les intérêts de chacun d’eux.

II. En effet, tout le monde obéit à la considération de l’utile ; or il y a de l’utilité dans ce qui sert à sauver l’État. De plus, l’autorité se manifeste de par celui qui la détient ; or les conditions de l’autorité varient suivant la forme de gouvernement. Autant d’espèces de gouvernement, autant d’espèces d’autorité.

III. Il y a quatre espèces de gouvernement : la démocratie, l’oligarchie, l’aristocratie, la monarchie ; de sorte que l’autorité qui gouverne et celle qui prononce des jugements se composent toujours d’une partie ou de la totalité des citoyens[1].

IV. La démocratie est le gouvernement dans lequel les fonctions sont distribuées par la voie du sort ; l’oligarchie, celui où l’autorité dépend de la fortune ; l’aristocratie, celui où elle dépend de l’éducation ; je parle ici de l’éducation réglée par la loi, car ce sont ceux qui ont constamment observé les lois à qui revient le pouvoir dans le gouvernement aristocratique ; or, c’est en eux que l’on doit voir les meilleurs citoyens, et c’est de là que cette forme de gouvernement[2] a pris son nom. La monarchie, comme son nom l’indique aussi, est le gouvernement où un seul chef commande à tous. Il y a deux monarchies : la monarchie réglée, ou la royauté, et celle dont le pouvoir est illimité, ou la tyrannie.

V. On ne doit pas laisser ignorer la fin de chacune de ces formes gouvernementales ; car on se détermine toujours en vue de la fin proposée. La fin de la démocratie, c’est la liberté ; celle de l’oligarchie, la richesse ; celle de l’aristocratie, la bonne éducation et les lois ; celle de la tyrannie, la conservation du pouvoir. Il est donc évident qu’il faut distinguer les mœurs, les lois et les intérêts qui se rapportent à la fin de chacun de ces gouvernements, puisque la détermination à prendre sera prise en vue de cette fin.

VI. Comme les preuves résultent non seulement de la démonstration, mais aussi des mœurs (et en effet, nous accordons notre confiance à l’orateur en raison des qualités qu’il fait paraître, c’est-à-dire si nous voyons en lui du mérite, ou de la bienveillance, ou encore l’un et l’autre), nous devrions nous-mêmes[3] posséder la connaissance du caractère moral propre à chaque gouvernement ; car le meilleur moyen de persuader est d’observer les mœurs de chaque espèce de gouvernement, suivant le pays où l’on parle. Les arguments seront produits sous une forme en rapport avec les mêmes (mœurs). En effet, les mœurs se révèlent par le principe d’action ; or le principe d’action se rapporte à la fin (de chaque gouvernement).

VII. Du reste, à quoi nous devons tendre dans nos exhortations, qu’il s’agisse de l’avenir, ou du présent ; à quels éléments nous devons emprunter les preuves, soit à propos d’une question d’intérêt, soit au sujet des mœurs et des institutions propres aux diverses espèces de gouvernement ; pour quels motifs et par quels moyens nous pourrons avoir un succès en rapport avec la circonstance donnée, voilà autant de points sur lesquels on a dit ce qu’il y avait à dire, car c’est le sujet d’une explication approfondie dans les Politiques[4].

  1. Τούτων, littéralement de tels ou tels membres (d’un État).
  2. ῾Ο ἄριστος, le meilleur.
  3. Nous, les orateurs. (Note de M. Barthélemy Saint-Hilaire.)
  4. Politique, liv. III et suiv.