Rimes de Dante (trad. Fertiault)

La bibliothèque libre.
Traduction par François Fertiault.
Victor Lecou, libraire-éditeur (p. 7-324).


A DANTE,

SUR BÉATRICE.

Dans les vers a fleuri l’amour, printemps de l’àine,
Mais l’amour pur, marchant sous sa robe de lin :
De ton ange entrevu tout ton cœur était plein,
Et pour toi Béatrice était plus qu’une femme…

Oh ! tu l’enveloppais d’une mystique flamme. —
Tu n’étais pas encor le fougueux Gibelin,
Du haut de tes grandeurs jeté comme un vilain,
De ta Florence, hélas ! banni comme un infâme ! —

Suave et frais désir !… Comme un rayon des cieux,
Ta vierge devant loi promenait son image,
Et toi, tu lui rendais ton angélique hommage ;

De sa chaste beauté tu repaissais tes yeux,
Sans vouloir seulement lui prendre une étincelle…
Dante, le bel amour !… N’as-tu bien aimé qu’Elle ?

F. F.

Quelques mots sur cette traduction.

Depuis bientôt cinq siècles et demi l’on connaît Dante ; depuis cinq siècles et demi tout lecteur l’admire, et pendant ce long espace de temps, la Divine Comédie, à peu près seule, a suffi pour maintenir et pour consolider cette éclatante renommée. — Voici un volume qui vient compléter, par la traduction des Rimes, les œuvres poétiques de cet homme. Son nom y gagnera-t-il quelque chose ? nous le croyons. Dans tout ce livre, il n’est pas une seule ligne qu’on puisse appeler le rayon noir, c’est-à-dire la contrepartie de l’étincelle ; pas un seul mot qui puisse éteindre un autre mot dans les gerbes radieuses formées par les chants de son Poëme. — Donc, au flambeau de son Triple Cantique, qui a fait arriver jusqu’à nous l’auréole de Dante, si vous joignez le flambeau de ses Rimes, vous aurez un éclat, sinon double, au moins augmenté car jamais, que nous sachions, une lumière n’est restée sans gagner, sans s’accroître de l’approche d’une autre lumière.

Mais, pour bien tenir le (il de ce que nous avons à dire sur ce recueil, et sur la manière dont nous l’avons traduit, qu’il nous soit permis de répondre successivement à trois questions que nous allons nous poser, et que voici :

1° Ce travail mérile-t-il d’être fait ?

2° A-t-il déjà été fait ?

3° Comment l’avons-nous fait ?

Les trois réponses devront à peu près venir à bout de faire comprendre notre pensée.

Première Question : — Ce travail me’ritet-il d’être fait ? — Nous nous adressons cette question, à laquelle il nous semble presque oiseux de répondre, uniquement parce que des personnes, des personnes sensées, nous ont contesté l’opportunité de notre traduction. Mais cependant, à bien voir, et en laissant de côté de nombreuses raisons qui la justifieraient suffisamment, ne trouverait-on pas à la justifier encore, ’ et d’une manière complète, par le seul fait de la curiosité ? — « Si cela n’est point traduit, nous disait quelqu’un, c’est que cela ne mérite point de l’être… » C’est, nous trouvons, prononcer là une sentence beaucoup trop exclusive. L’œuvre, par sa valeur intrinsèque, ne méritât-elle point •qu’on la traduisît, — et cette hypothèse est impossible, — que, tout simplement parce qu’elle est une œuvre de Dante, et une œuvre peu connue parmi nous, elle devrait appeler dix traducteurs au lieu d’un. Ce n’est plus ici une œuvre qui a besoin d’un nom ; c’est au contraire un nom si éclatant qu’il ne peut point ne pas être la sauvegarde de l’œuvre. — Du reste, et même sans l’examiner sérieusement, l’objection doit tomber, disparaître : quand le premier traducteur de la Divine Comédie se mit à l’ouvrage, on pouvait parfaitement lui dire la même chose… nous vous laissons apprécier de quelle justesse eût été la réflexion ! Les traductions se sont succédé par centaines, et on n’en a point encore assez ;… il est vrai qu’il n’y a qu’un seul de tous leurs auteurs qui a pu avoir l’avantage (nous ne voudrions pas dire le déboire) de venir le premier.

Deuxième Question : — Ce travail a-t-il déjà été fait ? — Ici, nous commençons par avouer humblement qu’il ne nous a pas été donné de nous livrer à toutes les recherches que nous désirions faire pour nous assurer si ce recueil a déjà été traduit. Les causes qui nous en ont empêché ne tenant point à la littérature, nous croyons inutile de les faire connaître ici. En tout cas, parmi tout ce que nous avons cherché, nous n’avons rien découvert, et, dans notre âme et conscience, nous croyons arriver le premier pour la presque totalité de noire besogne. Nous n’avons, à notre connaissance, été précédé que pour un sixième de ce recueil, — le premier des six livres, —traduit par M. Delécluze comme partie poétique de la Fita Nuova (la Vie Nouvelle, ou la Jeune Viè) ; encore notre travail était-il commencé quand parut celui-ci. M. Villemaiu a traduit aussi quelques passages de ce même premier livre, dans son admirable étude sur Dante, comprise dans son Cours de littérature au moyen âge ;… d’autres sonl-ils allés au.delà ? — c’est ce que nous n’avons pu parvenir à savoir, malgré le vif désir que nous en avons eu et que nous en avons encore. — C’est une tache de bibliophile que nous léguons, quant à présent, non pas à plus ardent que nous, mais à qui aura à sa disposition plus de moyens de recherches.

Troisième Question : — Comment avonsnom fait ce travail ? — Celle fois nous allons répondre plus longuement que les deux précédentes, la troisième question étant celle qui provoque de notre pari les plus longs éclaircissements.

De tous les systèmes de traductions adoptés jusqu’à présent, un seul nous paraît admissible, c’est celui qui reproduit fidèlement l’original. Pour Dante, plus que pour tout autre, ce système doit être scrupuleusement suivi ; car du moment que l’on s’écarleraii,du texte pour arranger, polir, embellir, on pourrait avoir, il est vrai, une traduction plus coulante, plus euphonique, mais l’esprit et la lettre de Dante seraient à coup sûr disparus. Le vers de Dante est comme un rocher géant, que le dessinateur doit reproduire avec toutes ses fleurs et toutes ses rugosités, et surtout dans sa couleur et sa dimension véritables, sous peine de le dénaturer. — Nous ne sommes plus au temps où les traductions avaient besoin d’être de belles infidèles au contraire, les goûts sérieux et studieux de notre époque imposent rigoureusement au traducteur le devoir de faire connaître dans leur entière nudité les tournures et les images de l’œuvre traduite.

La Monnoye, à qui l’on pouvait s’en rapporter pour bien des choses, en fait d’érudition et de goût, et qui surtout savait parfaitement l’italien, dit quelque part, à propos d’une traduction qu’il avait commencée, des Ragionamenti de l’Arélin : « Vous dirai-je qu’en 1664 j’osai, moi qui « vous parle, entreprendre de traduire les trois « Journées de la première Partie ; j’y travaillai « avec soin, ne négligeant rien pour rendre mon « interprétation exacte. Je ne fus pas longce temps à sentir quelle ne Pétoit que trop. Je « ne l’avois pas assez dépaysée, c’étoit de l’italien en français f j’eti eus honte, cl pour me « venger d’un ouvrage qui, après lant de peine, « m’avoil si mal réussi, je le jetai au feu. » — Il y aurait, certes, à s’élever contre les quelques mots que nous venons de souligner, dans ses deux phrases ! Mais il faut faire la part de tout ; c’était là le goût du temps, et, si grande que soit l’individualité, la manière d’être littéraire d’un homme, il ne peut pas traverser son siècle sans refléter plus ou moins ce goût, ces mœurs des lettres existant chez ceux qui l’entourent.

Mais ne nous écartons point trop de notre citation. La Monnoye eut peut-être raison de blâmer ce que nous venons de souligner tout à l’heure ; reste à savoir si, vivant aujourd’hui, il l’eût blâmé de même. Nous ne le pensons pas. — itans tous les cas, c’est justement la contrepartie de son dire qui sert de base à notre système de traduction, et il aurait voulu en faire le programme que, en louangeant ce qu’il dénigre si fort, en admettant ce qu’il condamne, il n’aurait pu mieux réussir : — Oui, en dépit du vieux précepte d’Horace… mais à l’exemple de plusieurs autres, nous nous sommes asservi fidèlement. Rendant le mot par le mol, nous avons voulu une interprétation exacte ; nous n’avons pas craint quelle le fût trop ; nous n’avons cherché à rien depayser, cl notre but a élé surtout de tâcher de faire de ^italien en français, ne modifiant que ce qui était strictement nécessaire pour rendre supportabfe une traduction littérale… Dieu veuille que, pour mener le contraste jusqu’au bout, nous ne soyons pus contraint de faire comme notre sévère traducteur, de jeter notre traduction au feu ! — Ce ne serait pas, toutefois, l’intention qui pourrait nous mériter . cette brûlure ; niais en fait de traduction nous ne pensons point, hélas ! que l’intention puisse compter pour le fait.

C’est donc un mot à mot que nous publions, mot à mot plus difficile à faire que certaines tournures arrangées, dans lesquelles le traducteur n’a qu’à laisser tomber une banale élégance, et qui ne sont, à proprement dire, que l’original en détrempe. — Le mot à mot nous a semblé indispensable, nous l’avons dit, parce que Dante est un poëte assez puissant pour se passer de l’arrangement d’un traducteur, assez sanctionné pour qu’on ne louche qu’avec respect aux choses qu’il a laissées. Quel moyen aurions-nous eu, sans cela, de vous rendre palpables ces beautés vigoureuses, ces expressions pleines de feu, ces images d’une justesse si saisissante, ces tournures qui ne sont qu’à lui ? Il fallait se faire souple pour suivre ce vers énergique ; il fallait être un écho qui rendît le mot sans presque faire sentir le changement d’idiome ; il fallait être un miroir qui représentât fidèlement le grand écrivain qu’on faisait s’y mirer… Avons-nous été tout cela ? Nous n’avons, Dieu nous en garde, pas la prétention de le dire ; nous ne l’énonçons que pour faire comprendre bien clairement la direction que nous avons voulu nous donner.

Le tour italien a été suivi par nous autant que le français, — un français très-complaisant, — a pu nous le permettre ; l’inversion marche de plain-pied dans notre livre, et l’expression y va parfois jusqu’à l’élrangeté. Des parenthèses s’y rencontrent souvent ; ces parenthèses renferment : ou un mot indispensable qui ne se trouve point dans le texte, ou un autre indispensable éclaircissement pour le mot qui précède. On aurait pu mettre cela dans les notes ; mais nous avons tenu à ne point le rejeter hors du texte,

afin d’y laisser le plus de lumière possible. Les notes se composent de remarques et commentaires plus longs, et dont la lecture, tout en étant souvent importante, l’est cependant d’une façon moins immédiate.

Plusieurs manières s’étaient présentées à nous lorsque nous avons commencé à traduire. Une de celles qui nous séduisaient le plus était la traduction ligne pour vers. Nous avions déjà donné cette forme à plusieurs pièces, lorsque la crainte d’imposer une lecture trop pénible nous arrêta. C’est bien la traduction dont l’allure est la plus strictement fidèle ; mais en songeant au mysticisme, au style quintessencié, à l’obscurité même de certaines pages de ce recueil, nous quittâmes cette première résolution, et nous suivîmes la forme adoptée ici. — Ce n’est guère moins, du reste, que la traduction ligne pour vers ; ce n’est qu’un peu plus de facilité pour la lecture ; ce n’est que pour éviter des lignes coupant à chaque instant la phrase ; ce n’est, à vrai dire, que pour donner plus de suite aux mots, moins de fatigue à l’œil.

De toutes ces pièces traduites dans le premier système, quelques-unes cependant n’y perdaient pas trop. Nous allons en choisir et en citer une. Elle servira à deux fins : d’abord à faire voir ce qu’était ce premier travail, ensuite à donner un point de comparaison avec le travail existant. Si l’on veut bien prendre la peine de confronter les deux manières, on verra combien nous sommes resté près du mol à mot, combien la seconde forme ressemble à la première, et à quelle fidélité nous nous sommes astreint. Voici cette pièce :

CANZONE 1TM DU LIVRE V.

J’admire les crêpés et les blonds cheveux
Desquels a fait pour moi des rets Amour,
(Tantôt) avec une rangée de perles, et tantôt avec une belle fleur,
Pour me rendre amoureux ; et je trouve qu’il (Amour) me séduit.
Et auparavant je regarde au fond des beaux yeux
Qui passent par les miens jusque dans (mon) cœur,
Avec une si vive et si éclatante splendeur
Que réellement il semble que du soleil elle émane.
Il (Amour) montre une puissance telle qu’en eux encore elle s’ac
D’où moi, qui si gracieux se tenir les vois, [croit ;
Ainsi en moi-même, eu soupirant, je raisonne :
u Oh ! malheureux ! pourquoi ne suis-je
Seul à seul avec elle, là où je la demande !
Pour que je puisse cette blonde tresse
La défaire onde par onde,
El faire de ses beaux yeux aux miens deux miroirs
Qui brillent tant qu’on ne trouve point (leurs) pareils ! »

Puis je regarde l’amoureuse et belle bouche,
Le spacieux front, et le gracieux regard,
Les blancs doigts, et le droit nez, et les cils
Luisants et noirs, tels qu’ils semblent peints.
Mon amoureux penser alors me touche,
Disant : « Vois, dispos, à t’emparer
Du milieu de cette lèvre fine et vermeille,
Sur laquelle tout doux et savoureux parait.
De grâce ! écoute son aimable raisonnement,
Combien (il) la montre tendre et compatissante,
Et comme son parler se coupe et se mesure !
Admire que, quand elle rit,
Elle surpasse de beaucoup en douceur toute autre chose… »
Ainsi (avec) de telles paroles le penser mien
M’éperonne, parce que je
N’ai pas dans le monde une chose qui ne doive.
En présence de celle-là, avec bon vouloir, s’amoindrir.

Puis je regarde le svelte et blanc cou,
Lié si bien aux épaules et à la poitrine ;
Et le menton rond, fendu et tout petit,
Tel que de plus beau avec les yeux on n’en découvre point.
Et ce penser qui, seul, pour elle m’envahit,
Me dit : « Vois donc vite le doux plaisir
S’emparer de ce mont entre les bras placé,
Et imprimer à cette gorge un léger mouvemenl. »
Puis il ajoute, et dit : «Ouvre ton esprit ;
Si les parties extérieures sont si belles,
Les autres, que doivent (elles) paraître, qu’elle cache et recouvre ?
Car, seulement par l’admirable effet
Que produisent dans le ciel le soleil et les autres étoiles.
En dedans de lui (le ciel) ou croit le Paradis ;
De même, si (tu la) regardes fixement,

Penser tu dois bien que tout terrestre plaisir
Se trouve là où tu ne peux voir. »

Puis je regarde ses bras souples et ronds ;
La blanche main, potelée et douce ;
Je regarde les longs et déliés doigts,
Amoureux de cet anneau, qui tient l’un entouré.
Et mon penser me dit : « Or si lu étais
Dans ces bras à cet endroit,
Tant de plaisir ressentirait ton âme
Que dire par moi je ne pourrais le cinquième.
Vois que chacun de ses membres semble peint.
Beau et grand autant que cela lui convient,
Avec une couleur angélique de perle.
Gracieuse à voir.
Et Hère là où il faut ;
Timide, modeste et douce,
Et toujours chérie de la vertu,
Entre ses belles manières une allure règne.
Qui de toute révérence la rend digne.

« Calme, elle va à la façon d’un beau paon,
Droite sur elle comme une grue.
Vois que réellement parait bien
Autant qu’elle peut l’être décente sa gentillesse ;
El si tu veux en voir la véritable cause,
— Dit le penser, — regarde dans ton âme
Bien fixement ; alors qu’elle s’engage
Avec une dame, qui avenante et belle soit :
Et quand il se meut, il semble que s’enfuie
Devant le soleil toute autre clarté,
De même cette (Dame) efface tout ornement.
Or vois, si elle te plall,

Qu’amour est autant que sa beauté…
El une suprême et grande beauté avec elle se trouve !
Celui qui lui plait et lui agrée
Est uniquement de modestes et de nobles coutumes.. :

Mais seulement dans ton hien-faire prends espoir. »
Canzone, tu peux bien dire cette vérité :
« Depuis qu’au monde cette belle Dame est venue,
Aucune jamais ne plut
Généralement autant que l’a l’ait celle-là ;
Parce qu’il se trouve en elle
La beauté du corps et de l’âme la bonté…
Excepté (qu’il) lui manque un peu de compassion ! »

Cette comparaison faite, on peut se rendre compte du degré auquel nous nous sommes entravé, on peut voir combien nous avons serré de près notre original.

Plusieurs autres pièces se seraient encore trouvées mieux de ce système de traduction, entre autres la Sestine et les deux dernières Canzones du Livre III. Ces pièces sont curieuses par leur forme même, principalement par l’arrangement, la combinaison et la répétition des rimes. La traduction ligne pour vers pouvait seule en donner une idée exacte ; mais la conservation de cet agrément accessoire luttait contre la clarté des pièces… Pouvions-nous choisir ? — Les notes, auxquelles, du reste, on aura à recourir pour chaque pièce de ce recueil, donneront de plus amples détails sur ces bizarreries de forme.

Maintenant, après les explications qu’on vient delire, quand nous serions le premier traducteur de ce genre, aurions-nous besoin d’une justification ?… Qu’on nous permette d’en douter. — D’ailleurs, nous avons des modèles ; et, pour n’eu citer qu’un ou deux, qu’on veuille bien songer à M. de Chateaubriand pour su traduction du Paradis perdu, à M. Brizeux pour celle de la Divine Comedie, à M. de Gramont pour celle de Pétrarque, et à plusieurs autres, et l’on verra, seulement par la génération présente, que nous sommes précédé dans cette carrière par une brillante foule d’aïeux.

Ce n’est donc point le reproche d’initiative trop hardie que nous avons à craindre, mais bien plutôt celui de mauvaise réussite dans notre entreprise… Venons-en à ce point.

Dans tout ce qui précède on n’a vu que l’exposé de notre système de traduction ; nous avons montré de quelle façon nous désirions faire notre travail ;… nous avons moins dit de quelle façon nous l’avions fait. — Mais, après tout, à quoi bon entretenir le lecteur de difficultés dont il n’a pas besoin de se rendre compte ? Et un traducteur n’exagère-l-il pas toujours les difficultés qu’il a rencontrées ? Et, quand ces difficultés seraient bien réelles, bien véritables, viendraient-elles le moins du monde bonifier la pauvre traduction qui aurait le malheur de ne rien valoir ?

— Malgré ces questions nouvelles, la dernière surtout, à laquelle la réponse négative ne manquerait pas, nous allons dire deux mots sur la tâche que nous nous sommes imposée, et que nous avons eu souvent l’envie de qualifier de laborieuse et de rude.

Ainsi :

Chacun sait à quelle époque de la langue italienne écrivait Dante… Il en fut presque le père et le fondateur. De lui à nous, par conséquent, que de modifications inévitables ! combien de mots oubliés, vieillis, détournés ou transformés !

— Cela peut bien passer pour une difficulté.

Cet intervalle de cinq siècles et demi, qui sépare Dante de nous, laisse assez volontiers supposer un changement de goûts, de mœurs et d’idées… et le fil en a-l-il été assez soigneusement conservé pour que, de lemps à autre, on ne puisse pas y reconnaître quelques ruptures ? Bienheureux celui qui reconstruirait les lemps passés, de manière à en retroiver l’air et la température, à en revoir, pour ainsi dire, voltiger tous les atomes ! — II y a peut-être bien là dedans la source d’une autre difficulté.

De ces deux premières choses on conviendra qu’il doit résulter, pour le texte de Dante, une certaine atmosphère obscure, et que l’à-propos de plusieurs expressions peut échapper à la sagacité d’un premier traducteur. — Eh bien, si à ces causes involontaires d’obscurité, si à des expressions surannées et à des allusions nombreuses aux choses et aux personnes de son temps, on ajoute l’obscurité volontaire et cherchée dont le discret amant de Béatrice et le fougueux Gibelin entourait la plupart de ses pièces, on arrivera facilement à comprendre que l’esprit ait parfois hésité devant le sens, que le sens ait parfois échappé, ou au moins qu’il ne se soit pas présenté toujours sous sa véritable face, dans sa clarté pleine et entière. — Qu’on essaye donc de lutter sans désavantage contre un texte qui vous dit :

Canzone, je crois qu’ils seront rares
Ceux qui comprendront bien ton (vrai) sens,
Tant tu leur parles (un langage) difficile et élevé !..

Il faudrait vraiment être favorisé pour ne jamais faillir pendant toute la durée d’une tâche pareille ! —

M. Artaud, l’un des excellents traducteurs de la Divine Comédie, avoue dans sa préface que souvent il a pâli des mois entiers sur certains passages de Dante, dans lesquels il finissait, à force de sonder, par découvrir jusqu’à huit sens différents… Il est probable que dans ces huit sens il y en avait bien sept qui n’étaient pas dans l’original ; et M. Artaud, de son propre aveu, n’est pas toujours sûr que le huitième, choisi par lui, soit infailliblement celui qui rend la pensée de son poëte. — Nous voudrions bien nous servir d’une confidence semblable pour établir que, s’il y a des fautes dans notre traduction, — et il doit y en avoir plus d’une, — nous avons droit à quelque peu d’indulgence.

Notre entreprise, dans le fond, ne peut être que louable. Quel reproche peut-on adresser à celui qui, se sentant pris de belle passion pour un texte inconnu, travaille tant, el fait tant d’efforts qu’il arrive à en débrouiller… nous ne dirons pas le tout, mais seulement une partie ? Dante vaut, certes, bien qu’on le connaisse, et, lions l’avons dit, quand la curiosité seule s’en mêlerait, chacun devra avoir envie de lire ce livre. Si, par intervalles, quelques pièces un peu arides s’y montrent, pièces où la philosophie et l’allégorie viennent prendre la place des dires d’Amour, en revanche que de sonnets gracieux, de fraîches ballades, de délicieuses canzones ! Quelle suave atmosphère circule dans tous ces vers parlant de Béatrice ! Quelle expression neuve, souple et chaleureuse, juste et forte en même temps, tout à la fois incisive et aimante, et puissante jusque dans la délicatesse el la grâce ! A travers l’énergie de ce style, on voit percer tout entière l’énergie de l’homme, et ce qui, chez les autres, sert de thème à des peintures molles et langoureuses, chez lui s’incarne et se personnifie de la façon la plus vivante cl la plus mouvementée… ; il y a plus de drame dans certaines phrases amoureuses de Dante que dans bien di s poëmes erotiques que l’on pourrait citer. C’est bien le génie le plus vigoureux du moyen âge, et personne ne réclamera si on l’appelle le Michel-Ange des poètes… — Mais à quoi nous laissons-nous aller ? Quelle chose banale vient surprendre notre plume ? Qui donc peut juger nécessaire un nouvel éloge du vieux maître Alighieri, une nouvelle étude sur sa manière de penser et d’écrire ? Il est dans la littérature des noms dont la renommée doit remplir le rôle des axiomes dans les sciences positives, et si jamais on peut appliquer cette comparaison, c’est bien à un penseur, à un sculpteur de mots comme Dante.

Ainsi, pour l’opportunité de celle traduction, nous pensons rencontrer peu de contradicteurs. — Maintenant, rencontrerons-nous des approbateurs pour la manière dont nous avons fait cette même traduction ? Ceci est un autre point, et ce n’est pas encore aujourd’hui la cause que nous venons plaider.

Nous l’avons dit, des fautes inévitables et peul-être nombreuses doivent se trouver dans ce premier travail, et jusqu’à ce qu’une nouvelle édition nous permette d’en enlever le plus possible, nous ne cseserons d’y mettre la main… Réservons-nous donc pour ce moment le plaidoyer en notre faveur. — Quant à présent, nous ne demandons qu’à être remercié : de l’intention d’abord, et du commencement d’exécution ensuite.

Dans une page isolée qui suit le litre de ce livre, nous l’avons comme offert et dédié « aux esprits laborieux et élevés, mais in« dulgenls, qui voudraient bien n’y voir que « le commencement d’un travail sur les « Rimes De Dante. » Ce n’est point là de la modestie pour le plaisir d’en faire ; c’est au contraire la sincère manifestation de notre sentiment. Nous sentons toute noire infériorité, et c’est presque avec crainte que nous livrons à la publicité celle tentative de traduction. Pendant tout le temps qu’a duré le travail, l’ardeur que nous y menions nous donnait une espèce d’assurance ; mais le travail fini, l’ardeur a tombé ; et, l’ardeur tombant, l’assurance a fait comme elle… et aussitôt qu’elle. — Nous avions accepté de gaieté de cœur de voir noire pauvre petit nom éteint, mais au moins remorqué par le nom éclatant ; à cette heure nous nous demandons si le nom éclatant ne va point se révolter d’être ébréché par le nôtre ? si le géant ne va point se fâcher du voisinage du pygmée ; l’éléphant, du culte maladroit du ciron ?…

Espérons le contraire. — Néanmoins, cessons de chercher ainsi des armes contre nous. Un vieux dicton de notre Bourgogne dit :

Bien fol qui donne les verges Pour se faire fouetler !…

Abandonnons ce soin à la critique.

Résumons franchement la question : — Nous croyons qu’il y a du courage à défricher ainsi le premier un champ difficile ; qu’on nous sache gré de cette peine, et nous serons récompensé. - Si, en défrichant, nous avons oublié de nombreuses herbes, qu’on nous les montre, ou qu’on nous les laisse découvrir, et nous avons la main prête à les arracher. — Moins nous donnerons à faire à nos successeurs (car sans aucun doute on retraduira désormais les Rimes), et plus nous dirons que nous avons approché de notre but.

Nous aurons une reconnaissance illimitée pour les voix amies ou obligeantes qui voudront bien nous donner, non pas des louanges, mais de bons et véritables conseils. — Nous remercierons doucement aussi les personnes bienveillantes qui, à la lecture de notre œuvre imparfaite, voudront bien se souvenir que l’œuvre était ardue, et n’auront point pour nous des paroles de dédain. — Que si maintenant nous rencontrons des plumes plus aiguisées, et par conséquent plus disposées à piquer, de ces plumes qui passent silencieusement sur les bonnes choses et qui s’épanouissent, heureuses, sur une faute qu’elles ont réussi à découvrir ; si nous rencontrons de ces plumes, disons-nous, et que leurs lignes caustiques viennent épiloguer sur l’enfant de notre patience, eh bien, nous les laisserons parfaitement faire, et nous ne leur demanderons absolument qu’une chose, une seule, — c’est que, dans leur sortie et tout en donnant carrière à leur acrimonie et à leur fiel, elles veuillent bien songer qu’elles nous ont piqué avec noire aide, et que raisonnablement nous sommes en droit de réclamer d’elles le gré qu’elles doivent nous savoir du secours que noire traduction leur a prêté pour affiler contre nous leur critique.

Une grande partie de notre plaisir, louchant ce travail, consiste dans l’initiative que nous croyons avoir prise. En fait de traduction, c’est quelque chose… pour nous, du moins, que de venir le premier et nous prenons rang, — quille à dire pour celle tentative comme la Fontaine pour ses fables, mais avec plus de justesse, hélas ! que l’excellent bonhomme :

Et si de l’agréer je n’emporte le prix,

J’aurai du moins l’honneur «le l’avoir entrepris.

F. Fertiault.

  • C’est déjà ce que nous avons fait dans notre traduction des Noelt bourguignons de B. de la Monnove.

CLEF DE CETTE TRADUCTION.

Le Texte, — suivi a peu de chose près mot pour mol, du premier au dernier des six livres.

Les Sommaires, — n’existant point dans le texte, et entièrement faits par nous pour l’intelligence et la clarté de chaque pièce.

Les Parenthèses, — remplaçant un mot indispensable qui n’est point dans le texte, ou éclaircissant une expression obscure. Le point d’interrogation indique un doute de notre part.

Les Tirets, — véritables parenthèses du texte, représentées ainsi pour les distinguer de celles indiquées plus haut comme renfermant les éclaircissements.

Les Mots Italiques, — rendant scrupuleusement des expressions que nous avions d’abord eu envie de niitiger, mais que notre système de fidélité nous a fait conserver.

Les Notes, — renvoyées à la fin du volume, dans un ordre scrupuleux, et donnant sur chaque pièce des renseignements ou des commentaires.


RIMES

L’amour de la patrie, l’ardenle soif de la gloire, l’indignation et l’amour firent de Dante, — déjà naturellement poète,— un poêle si divin, que seul il sut ici-bas décrire le fond de tout l’univers, i

Ferdinando Arrivabene.

  • Enfer, chant xxvii, vers 8.

RIMES

DE DANTE.

LIVRE PREMIER.

SONNET I.

A ses amis poêles, sur un songe.

A chaque âme éprise, et à tout noble cœur à qui parviendra le présent sonnet, — afin qu’ils m’en écrivent leur ayis, — salut ! au nom de leur Seigneur, c’est-à-dire Amour.

Les heures, pendant lesquelles les étoiles sont le plus brillantes, étaient déjà presque au tiers écoulées, lorsque tout à coup m’apparut Amour, dont l’essence, quand j’y ressonge, me remplit d’effroi.

Amour me semblait gai, tenant dans sa main mon cœur, et dans ses bras une Dame enveloppée dans un voile et endormie.

Puis il la réveillait, et de ce cœur ardent la faisait humblement repaître, elle épouvantée… après quoi je le voyais fuir en pleurant.

BALLADE I.

Plaintes (fictives) sur le départ d’une dame qu’on croyait la sienne, et derrière laquelle il s’abritait de la curiosité.

0 vous qui passez par la voie d’Amour, faites atten- • tion et voyez s’il est une douleur aussi grande que la mienne : je vous prie seulement de vouloir bien m’entendre, puis dites si je suis bien la clef et la maison de toutes douleurs.

Amour, — non vraiment pour mon peu de mérite, mais par sa gértérosité, — m’avait placé dans une vie si douce et si suave, que souvent j’entendais dire derrière moi : « Eh ! en faveur de quel méri te celui-ci a-t-il le cœur si gai ? »

Maintenant j’ai perdu tout le courage, qui émanait de mon trésor d’amour, d’où vient que je reste stérile, et comme incertain de ce que je veux dire.

Aussi, voulant faire comme ceux qui par honte cachent leur pauvreté, je montre de l’allégresse au dehors, et dans le fond de mon cœur je me consume et gémis !

SONNET II.

Sur la mort d’une jeune dame, amie de Béatrice.

Amants, puisque Amour pleure, pleurez en apprenant la cause de ses larmes. Amour entend avec douleur les dames l’appeler en montrant dans leurs yeux une amère affliction,

De ce que la brusque Mort a mis sa main cruelle sur un noble cœur, en détruisant, l’honneur excepté, tout ce qui, en ce monde, est à louanger dans une dame.

Apprenez qu’Amour lui porta un tel honneur, que je le vis sous sa figure véritable, se lamenter sur l’avenante image défunte ;

Et il regardait souvent vers le ciel, où était déjà placée la belle âme qui avait été une femme de si gracieuse apparence.

BALLADE II.

Sur le même sujet.

Mort inflexible, ennemie de toute pitié, mère antique de la douleur, arrêt insurmontable et dur, puisque tu as donné matière à mon cœur affligé ; — ce qui m’a rendu soucieux, — ma langue s’efforce à te maudire.

Et je te vois si dénuée de pitié, qu’il faut que je publie ta faute, la plus lourde des fautes ; non qu’elle soit ignorée de personne, mais pour remplir de courroux ceux qui, plus tard, se nourriront d’amour.

Tu as enlevé du monde la courtoisie et ce qui est à apprécier dans une femme, la vertu ; dans une riante jeunesse tu as détruit la grâce amoureuse…

Je ne veux pas indiquer davantage quelle est cette Dame, que ses vertus font reconnaître. Qui ne mérite le salut éternel ne doit jamais espérer d’aller en sa compagnie.

SONNET III.

Amour lui indique une autre dame, pour lui servir d’égide coutre les curieux.

Chevauchaut avant-hier par un chemin, et tout pensif à cause de cette marche qui me déplaisait, je trouvai au milieu de la route, Amour, en habit léger de pèlerin.

Son air me parut misérable, comme s’il eût perdu sa puissance ; et il venait pensif et soupirant, et la tête baissée pour ne voir personne.

Lorsqu’il m’aperçut, il m’appela par mon nom, et dit : « Je viens d’un endroit éloigné où ton cœur était par ma volonté ;

Et je l’ai retiré pour lui procurer un nouveau plaisir. » Alors je pris de lui une si grande pitié, qu’il disparut, sans que je pusse savoir comment.

BALLADE III.

Béatrice, pour certain grief, ayant refusé de le saluer, il s’excuse.

Ballade, je veux que tu ailles trouver Amour ; va te présenter avec lui devant ma Dame, afin que mon excuse, que tu contiens, plaide ma cause auprès d’elle, avec l’aide de mon Seigneur.

Tu t’avances de façon si courtoise, Ballade, que, sans compagnie, tu devrais te trouver hardie partout. Mais si tu veux marcher avec plus de sécurité, va d’abord trouver l’Amour, car peut-être ne seraitil pas bon d’aller sans lui, puisque celle qui doit t’entendre s’est, à ce que je crois, tellement irritée contre moi, que si tu n’étais pas accompagnée par lui, elle pourrait facilement te mal recevoir.

Quand tu seras avec lui, commence ces paroles d’une voix douce, et après avoir demandé merci : « Ma Dame, celui qui m’envoie auprès de vous désire, pourvu que cela vous agrée, que vous écoutiez son excuse, s’il peut en avoir. Amour est là, qui, par le pouvoir de votre beauté, fait changer comme il veut de visage (à Dante) ; donc, puisqu’il (Amour) lui a fait regarder une autre femme, devinez pourquoi, car son cœur n’a pas varié. »

Dis-lui encore : « Ma Dame, son cœur est resté avec une foi si ferme, qu’il a forcé toutes ses pensées à vous obéir. Tout jeune il s’est voué à vous, et ne s’en est jamais éloigné. » Si elle ne te croit pas, dis-lui qu’elle demande à l’Amour si c’est la vérité. Et enfin fais-lui une humble prière, s’il lui déplaît par trop de me pardonner ; qu’elle m’envoie l’ordre de mourir, et elle me verra obéir en fidèle serviteur.

Et dis à celui (Amour) qui est la clef de toute pitié, et qui saura bien rendre bonne ma cause ; dis-lui avant qu’il se retire : « En faveur de ma suave harmonie, reste ici auprès d’elle, et dis ce que tu jugeras convenable de ton serviteur. » Et si à ta prière elle lui pardonne (à Dante), tâche de lui annoncer la paix avec un douxvisage. Ma gentille Ballade, quand le moment te plaira, dirige-toi de ce côté ; que tout l’honneur t’en revienne !


SONNET IV.

Incertitude de ses pensers amoureux.


Tous mes pensers parlent d’Amour, et ils ont entre eux une si grande dissemblance, que l’un me fait désirer son empire, l’autre traite son pouvoir de folie ;

Un autre m’apporte un espoir qui m’adoucit, un autre me fait verser de fréquentes larmes ; ils s’accordent seulement à me faire crier merci, au milieu de la crainte que j’ai dans le cœur.

Ce qui fait que je ne sais plus quel sujet prendre ; je voudrais dire, et je ne sais que dire, si bien que je me trouve dans l’incertitude amoureuse :

Et si je veux mettre entre eux (mes pensers) un peu d’accord, il me faut implorer mon ennemie, madame la Pitié, pour me défendre.


SONNET V.

A Béatrice, qui venait de le plaisanter sur sa pâleur.


Vous riez de ma figure avec les autres dames, et vous ne réfléchissez pas, ma Dame, d’où vient que je prends un si nouveau visage quand je contemple votre beauté.

Si vous le saviez, votre pitié ne pourrait tenir plus longtemps contre une preuve si évidente, puisque Amour, lorsqu’il me trouve si près de vous, prend tant de hardiesse et d’aplomb,

Qu’il frappe avec cruauté sur mes esprits effrayés, tuant les uns, chassant les autres, si bien qu’il reste seul à vous regarder :

D’où il résulte que ma figure est toute changée, mais non pas à ce point que je ne sente vivement alors les cuisantes douleurs des (esprits) expulsés.


SONNET VI.

Ce qui lui arrive quand il est près de sa Dame.


Tout ce qui se présente à mon esprit meurt quand j’arrive a vous contempler, ô ma douce joie ! Et quand je suis près de vous, j’entends Amour qui me dit : « Fuis, si tu ne veux périr ! »

Le visage fait connaître la couleur du cœur, qui va défaillant, quelque part qu’il se cherche un appui ; et pendant le délire de mon extrême anxiété, les pierres semblent crier : « Meurs ! meurs ! »

Elle commet un crime, celle qui me voit en cet état, de ne pas raffermir mon âme consternée, ne fut-ce qu’en montrant qu’elle prend peine de moi,

Par un peu de cette pitié que détruit votre raillerie, laquelle prend naissance dans le regard éteint de ces yeux, qui ont le désir de leur propre mort.

SONNET VII.

Sur lelat de son cœur.

Souventefois me vient à l’esprit la misérable condition qu’Amour me donne, et j’en suis tellement affligé, que je dis souvent : « Hélas ! y a-t-il personne à qui cela arrive ? »

Car Amour m’assaille si brusquement, qu’il me semble que la vie m’abandonne. Un seul esprit reste et survit en moi, et il y reste parce qu’il parle de vous (Béatrice).

Alors je m’efforce, je cherche à me donner aide à moi-même… ; et, pâle et dépouillé de tout courage, je désire vous voir, croyant guérir.

Et si je lève les yeux pour vous regarder, il s’élève dans mon cœur un tremblement, qui suspend aussitôt mon pouls et mon haleine.

CANZONE I.

km nobles dames, amies de Béatrice.

Dames, qui avez l’intelligence d’Amour, je veux parler avec vous de ma Dame ; non que je croie lui donner de dignes louanges, mais pour soulager mon esprit dans cette conversation. Je dis que, en pensant à son mérite, Amour se fait si doucement entendre à moi, que si je ne perdais alors toute hardiesse, je rendrais en parlant tout le monde amoureux. Mais je ne veux pas aborder un sujet si élevé, de peur que ma timidité ne me laisse trop audessous ; aussi, par respect pour Elle, je traiterai avec vous de ses nobles qualités, dames et demoiselles amoureuses, mais légèrement, attendu que c’est un sujet dont on ne peut parler à tout le monde.

Un ange invoque l’Esprit divin et dit : « Sire, dans le monde on voit une merveille, dont les manières procèdent d’une àme qui resplendit jusqu’ici-haul. » Le ciel, à qui il ne manquait rien… que de la posséder, la demande à son Seigneur, et chaque saint la réclame à merci. La seule Pitié prend ma défense, si bien que Dieu dit, comprenant qu’il est question de ma Dame : *« O mes bien-aimés, souffrez en paix que votre espoir ne se réalise que quand il me plaira. Là-bas est quelqu’un (Dante) qui s’attend à la perdre, et qui dira dans l’enfer aux damnés : J’ai vu l’espérance des bienheureux ! »

Ma Dame est désirée dans le plus haut des cieux. Maintenant je veux vous faire savoir quelque chose de sa supériorité, et je dis : « Toute dame qui veut paraître avec des manières nobles doit aller avec elle, parce que quand elle va par un chemin, Amour jette dans les cœurs corrompus un froid qui glace et détruit toutes leurs pensées. Celui qui se trouverait placé de manière à la voir, s’ennoblirait ou mourrait, et quand elle trouve quelqu’un qui soit digne de la regarder, celui-là éprouve le pouvoir de sa vertu ; s’il lui arrive qu’elle lui donne son salut, il en devient si modeste qu’il oublie toute offense. Dieu l’a (Béatrice) encore douée d’une grâce plus particulière, car celui qui lui a parlé ne peut pas mal finir. »

Amour dit d’elle : « Comment une chose mortelle peut-elle être si belle et si pure ? » Puis il la regarde, et affirme en lui-même que Dieu a l’intention d’en faire une chose merveilleuse. Couleur de perle imperceptible, et dans la mesure qu’il convient à une dame de l’avoir, elle a de la bonté autant que nature en peut produire : son aspect fait connaître la beauté ; de ses yeux, de quelque manière qu’elle les meuve, sortent des esprits enflammés d’amour, qui frappent les yeux de celui qui les regarde, et qui pénètrent tellement, que chacun va droit au cœur Vous voyez Amour peint sur son visage, visage que nul regard ne peut contempler fixement.

Canzone, je sais que tu iras de tous côtés, parlant à d’autres dames, quand je t’aurai envoyée. Maintenant je t’avertis, puisque je t’ai élevée comme une fille jeune et douce d’Amour, que là où tu arriveras, tu dises avec instances : «Enseignez-moi où aller ; je suis envoyée à celle dont la louange fait mon ornement. » Et si tu ne veux pas t’adresser inutilement, ne reste pas où se trouvent des gens corrompus. Ingénie-toi, si tu le peux, à ne te laisser voir qu’aux dames ou aux hommes honnêtes, qui te mèneront par la voie la plus prompte. Tu trouveras Amour avec elle (Béatrice) ; recommande-moi à lui, comme tu le dois.

SONNET VIII.

Ce que c’est qu’Amonr.

Amour et un noble cœur sont une même chose, comme le pose le Sage dans sa sentence ; et quand l’un ose aller sans l’autre, c’est comme quand l’âme (qui doit être) raisonnable abandonne la raison.

La nature, quand elle est amoureuse, fait choisir à l’Amour le cœur pour sa maison, dans laquelle on se repose en dormant tantôt peu de temps, tantôt une bonne fois.

Puis la beauté se montre dans une dame sage, qui plaît aux yeux ; si bien que dans le cœur naîtun désir de posséder cet objet agréable ;

Lequel (désir) y persiste parfois tellement, qu’il fait s’éveiller l’esprit d’Ariiour. — Un homme distingué agit de la même manière sur une dame.

SONNET IX.

A la louange de sa Dame.

Ma Dame porte Amour dans ses yeux, aussi ennoblit-elle tout ce qu’elle regarde. Partout où elle passe, chaque homme se tourne vers elle, et elle fait battre le cœur de celui qu’elle salue ;

De sorte qu’il baisse la tête, tout ému, et tout son être infime alors soupire. L’orgueil et l’emportement fuient devant elle. Aidez-moi donc, mes dames, à lui faire honneur.

Toute douceur, tout penser modeste naissent dans le cœur de celui qui l’entend parler : aussi donne-t-on des louanges à celui qui la voit le premier.

L’air qu’elle a, quand elle sourit un peu, ne peut se dire, ni se graver dans la mémoire, tant c’est un miracle gracieux et inouï.

SOINNET X.

Il demande aui amies de Béatrice la cause de leur douleur.

Vous qui portez une humble contenance, et dont les yeux baissés témoignent la douleur, d’où venezvous, que votre teint semble avoir pris la pâleur de la pierre ?

Avez-vous vu votre noble Dame baigner de pleurs Amour sur son visage ? Dites-le-moi, dames, car mon cœur me l’annonce, puisque je vous vois aller sans la moindre rudesse dans les manières.

Et si vous venez d’un douloureux spectacle, qu’il vous plaise de rester ici quelque peu avec moi, et quoi qu’il en soit d’elle, veuillez ne pas me le cacher.

Je vois vos yeux qui ont pleuré, et je vous vois venir si défigurées, que le cœur me tremble d’en voir autant que vous.

SONNET XI.

Les amies lui répondent. (Le père de Béatrice est Mort ! J

Serais-tu celui qui s’est entretenu si souvent de notre Dame, en ne parlant qu’avec nous ? Tu lui ressembles bien par la voix, mais ta figure nous semble celle d’un autre.

Eh ! pourquoi pleures-tu si abondamment, que tu te rais prendre en pitié par tes semblables ? L’as-tu vue pleurer, elle, que tu ne peux cacherquelque peu la douleur de ton esprit ?

Laisse-nous pleurer et aller tristement, — car ce serait mal que de nous consoler, — nous qui avons entendu ses paroles au milieu de ses sanglots.

Elle a la douleur si bien gravée sur son visage, que celle qui aurait voulu la regarder serait tombée morte devant elle.

CANZONE II.

Malade el exalté, il a une vision.

Une dame compatissante, dans la jeunesse de l’âge, et ornée de toutes les distinctions humaines, était là où j’appelais souvent la mort. En voyant mes yeux pleins de tristesse, et en écoutant mes paroles vagues, elle se mit, tout effrayée, à pleurer en abondance. D’autres dames, averties de mon état par elle, qui pleurait auprès de moi, la firent sortir, et s’approchèrent pour s’assurer si je les entendrais. L’une me dit : « Ne dormez plus. » L’autre : « Pourquoi vous découragez-vous ainsi ? » Alors je quittai mes riantes chimères, en prononçant le nom de ma Dame.

Ma voix était si douloureuse, et si brisée par les angoisses et par les larmes, que seul je pus entendre ce nom dans le fond de mon cœur. Alors, avec l’air de honte qui s’était répandu sur tout mon visage, Amour me fit tourner vers elles (ces dames), à qui l’aspectde mon teint paruttel, qu’il leurdonna l’idée de la mort : « Ah ! (disaient-elles,) rendons la force à celui-là. » Et elles priaient humblement les unes et les autres, et me disaient souvent : « Qu’as-tu donc vu, que tu n’as plus de courage ? » Et quand j’eus repris un peu de force, je leur dis : «Mes dames, je vous le dirai. »

Comme je songeais à ma frêle existence, et voyais combien sa durée pouvait être courte, Amour pleura dans mon cœur, où il habite ; ce dont mon âme fut si troublée, que je me dis en moi-même et en soupirant : « Il faudra donc que ma Dame meure ! » Il me prit alors un tel égarement, que je fermai mes yeux lâchement appesantis ; et mes esprits furent si consternés, que chacun d’eux s’en alla errant. Ensuite, au milieu d’idées factices et en dehors de la réalité, des femmes m’apparurent avec le visage courroucé, et qui me criaient : « Il faut que tu meures ! il faut que tu meures ! »

Ensuite je vis une foule de choses sans formes dans le vain rêve où j’entrais : il me semblait être en un lieu que je ne connaissais pas, et voir marcher des dames échevelées, les unes pleurant, les autres poussant des cris, et qui lançaient le feu de la tristesse. Puis il me sembla voir peu à peu le soleil se troubler, et l’étoile (du soir) apparaître, et l’un et l’autre pleurer ; et les oiseaux tomber en volant dans l’air, et la terre trembler. Alors un homme m’apparut, décoloré et faible, en me disant : « Que fais-tu ? ne sais-tu pas la nouvelle ? ta Dame, qui était si belle, elle est morte ! »

Je levai en haut mes yeux baignés de pleurs, et je vis, semblables à une pluie de manne, les anges qui retournaient au ciel ; ils étaient précédés d’une nuée, derrière laquelle ils chantaient tous : « Hosanna ! » S’ils avaient dit autre chose, je vous le dirais. Alors Amour me dit : « Je ne te le cache plus ; viens voir notre Dame, qui est là gisante. » Mon imagination trompeuse me conduisit voir ma Dame morte. Et quand je Feus aperçue, je vis que des dames la couvraient d’un voile ; et elle avait sur ses traits un air de modestie si pure, qu’elle semblait dire : « Je suis en paix. »

Je devins si humble dans ma douleur, en voyant en elle une si grande humilité, que je m’écriai : « Ô Mort, je te tiens pour très-douce ; tu dois désormais être une noble chose, puisque tu es entrée dans ma Dame, et tu dois éprouver de la pitié et non de la colère. Vois combien je suis désireux d’être des tiens, puisque en vérité je te ressemble déjà. Viens, mon cœur t’appelle. » Puis je me retirai, après avoir épuisé ma douleur ; et quand je fus seul je me dis, en regardant le royaume d’en haut « Heureux qui te voit, belle âme !… » Vous m’éveillâtes alors (dames), ce dont je vous rendis grâces.

SONNET XII.

A Guido Cavalcanti. Sur leurs deux Dame : ;.

Je sentis s’éveiller dans mon cœur un esprit amoureux qui dormait, et puis je vis venir de loin Amour, si gai, qu’à peine si je le reconnaissais.

Il me dit : « Maintenant pense à me faire honneur,» et il riait dans chacune de ses paroles Après que mon Seigneur eût resté un instant avec moi, moi regardant du côté par où il était venu,

Je vis ma dame Vanna (Giovanna) et ma Dame Bice (Béatrice) venir vers le lieu où j’étais, deux merveilles à côté l’une de l’autre.

Et, comme ma mémoire me le retrace, Amour me dit : « Celle-ci est Primavera ; pour celle-là, elle a nom Amour, tant elle me ressemble. »

SONNET XIII.

Merveilleux effets de la présence de sa Dame.

Ma Dame paraît si noble et si bienséante quand elle salue quelqu’un, que toute langue est saisie et devient muette, et que les yeux n’osent la regarder.

Elle chemine, s’entendant louer, vêtue d’une affable modestie, et l’on dirait qu’elle est une chose venue du ciel sur la terre pour faire voir un prodige.

Elle se montre si agréable à ceux qui la voient, qu’elle donne par ses yeux une douceur à leur cœur, douceur que l’on ne peut comprendre si on ne l’a éprouvée.

Et il semble que de ses lèvres il s’échappe un esprit suave et plein d’amour, qui va disant à l’âme : « Soupire ! »

SONNET XIV.

Comment le mérite de Béatrice opère sur les autres dames.

Qui voit ma Dame au milieu des dames, voit parfaitement tout moyen de salut ; celles qui vont avec elle sont tenues de rendre grâces à Dieu d’une si grande faveur :

Et sa beauté a une telle vertu, qu’aucune jalousie n’en germe chez les autres ; au contraire elle les fait marcher avec elle, vêtues de noblesse, d’amour, et de foi. t

Sa présence fait devenir humble toute chose ; et ce n’est pas elle seule que sa beauté rend agréable, mais chaque personne reçoit le reflet de sa gloire.

Enfin il y a dans ses actions une si grande noblesse, que nul ne peut la rappeler à son esprit sans qu’il soupire doucement d’amour.

SONNET XV.

Comment la vertu de sa Dame opère en lui.

Amour m’a si longtemps tenu et accoutumé à sa puissance, qu’autant il me fut pénible d’abord, autant maintenant il est suave à mon cœur.

C’est pourquoi, quand il m’ôte le courage au point que mes esprits m’abandonnent et prennent la fuite, mon àme frêle (débile) éprouve alors une si grande douceur, que mon visage en pâlit.

Puis Amour prend sur moi un tel pouvoir, qu’il fait que mes soupirs s’échappent en parlant ; et ils sortent en appelant

Ma Dame, pour qu’elle me donne plus de béatitude. Cela m’arrive partout où elle me regarde ; et c’est une chose (son regard) si modeste, que nul ne le croirait.

CANZONE III.

Béatrice est morte. Douleur et plaintes de Danle.

Mes yeux, affligés des chagrins du cœur, ont éprouvé en pleurant une douleur si grande, que désormais ils sont vaincus. Maintenant, si je veux soulager la tristesse qui peu à peu me mène à la mort, il me faut parler en exhalant des plaintes. Et comme je me souviens que, lorsqu’elle vivait, je parlais volontiers de ma Dame avec vous, 6 nobles dames, je ne veux m’adresser à personne, sinon aux dames qui ont un noble cœur, et puis je dirai d’elle en pleurant qu’elle s’en est allée subitement au ciel, et a laissé Amour affligé avec moi.

Béatrice est allée au haut du ciel, dans le royaume où les anges ont la paix, et elle est avec eux ; et elle vous a laissées, 6 dames ! Ce qui nous l’a enlevée, ce n’est l’excès ni du froid ni du chaud, comme cela arrive pour d’autres, mais seulement l’extrême douceur que sa modestie faisait briller. Elle a passé à travers le ciel avec un si éclatant mérite, qu’elle a émerveillé le Maître éternel, à qui un doux désir vint d’appeler une âme si sainte, et qui l’a fait venir de ce monde jusqu’à lui, voyant qu’une si triste vie n’était pas digne d’une si noble chose.

Pleine de grâces, l’àme noble s’est séparée de sa belle personne, et, glorieuse, a monté en un lieu digne d’elle. Qui ne la pleure, en en parlant, a un cœur de pierre, si méchant et si bas qu’il n’y peut entrer aucun esprit bienveillant. Il n’est cœur grossier, tant soit haute l’intelligence qui l’accompagne, qui puisse imaginer quelque chose d’elle ; aussi ne vient-il jamais à ceux-là l’envie de pleurer, tandis que la tristesse, et les soupirs douloureux, et l’envie de mourir de chagrin, viennent dépouiller de toute consolation l’àme de ceux qui, par la pensée, ont vu quelquefois ce qu’elle a été, et comment elle nous a été enlevée.

Les soupirs me donnent de vives angoisses quand le souvenir, dans ma pensée grave, me reproduit celle qui m’a déchiré le cœur ; et souvent, en songeant à la mort, il m’en vient un désir si doux, que mon visage change de couleur. Quand ces idées deviennent bien fixes dans mon esprit, il m’arrive de toutes parts une si grande peine, que je suis rappelé à moi par la douleur que j’éprouve. Alors la honte me fait fuir la foule ; puis en pleurant, seul dans mes larmes, j’appelle Béatrice, et dis : «Maintenant tu es donc morte ! » Et pendant que je l’appelle, je me sens soulagé.

Pleurer de douleur, et soupirer d’angoisse, me brise tellement le cœur partout où je me trouve seul, que celui qui me verrait en serait peiné : et telle est ma vie, depuis que ma Dame s’en est allée dans le siècle nouveau, qu’il n’est langue qui sache le dire. Et pour cela, 6 mes dames, quand je le voudrais, je ne saurais bien vous dire quel je suis, tant la vie amère me donne de tourment, cette vie si attristée qu’il me semble que tout homme, en voyant mes lèvres pâles, me dit : « Je t’abandonne. » Mais quel que je sois, ma Dame le voit, et j’espère encore d’elle quelque récompense.

O ma triste Canzone ! va maintenant tout en pleurs ; retrouve les dames et les demoiselles à qui tes sœurs étaient dans l’usage de porter la joie : et toi, fille de la tristesse, va-t’en, inconsolable, et reste avec elles.

SONNET XVI.

Composé à la demande du plus proche parent de Béatrice, ami de Dante.

Venez entendre mes soupirs, ô nobles cœurs, la pitié le demande ; ces soupirs inconsolables sortent enfin (de ma poitrine), sans quoi je mourrais de douleur,

Puisque mes yeux refusent plus souvent que je ne voudrais, hélas ! de pleurer assez ma Dame, assez pour que mon cœur suffoque en la pleurant.

Vous entendrez (mes soupirs) appeler souvent ma noble Dame, qui s’en est allée dans un siècle digne de ses vertus,

Et dédaigner parfois cette vie par celui dont l’àme plaintive se trouve abandonnée (de l’objet) de son bonheur.

BALLADE IV.

La première slance pour le même parent ; la deuxième pour le poète.

Toutes les fois que, malheureux, je me rappelle que je ne dois jamais plus revoir la Dame, objet de ma tristesse, cette pensée poignante rassemble tant de douleur dans mon sein, que je dis : « O mon âme, que ne t’en vas-tu ? car les tourments que tu souffriras dans ce monde, qui t’est déjà si pesant, me rendent tout pensif de frayeur. » Aussi j’appelle la mort comme mon doux bien, mon doux repos, et je lui dis : « Viens à moi ! » avec tant d’amour, que je deviens envieux de ceux qui meurent.

Et tous mes soupirs se condensent en un son douloureux qui va toujours appelant la mort. Vers elle se tournèrent tous mes désirs, quand ma Dame rut atteinte par sa propre cruauté : parce que l’agrément de sa beauté (de Béatrice), en s’éloignant de notre vue, est devenu une émiuente beauté spirituelle, répandant par le ciel une lumière d’Amour qui salue les anges, et rend émerveillée leur haute et subtile intelligence, tant Elle est noble.

SONNET XVII.

Anniversaire de la mort de Béatrice.

La noble Dame qui, à cause de son mérite, fut placée par le très-haut Seigneur dans le ciel de la modestie, où est Marie, était venue dans ma pensée.

Amour, qui la sentait dans ma mémoire, s’était réveillé dans mon cœur abattu, et disait aux soupirs : « Sortez. » C’est pourquoi chacun d’eux s’échappait tristement.

Pleurant, ils sortaient de ma poitrine avec un son qui souvent amène les larmes douloureuses aux yeux attristés.

Mais ceux qui s’échappaient avec le plus de peine venaient en disant : « O noble intelligence ! ce jour termine l’année dans laquelle tu es montée au ciel. »

SONNET XVIII.

A une noble el jeune dame, fort belle, devant qui Dante avait été sur le point de pleurer.

Mes yeux ont vu quelle compassion s’est manifestée sur votre visage, quand vous observiez l’air et la contenance que me fait prendre si souvent la douleur.

Alors je m’imagine que vous pensiez à l’état de ma sombre vie ; et la peur me prit au cœur de laisser voir à vos yeux mon (extrême) abaissement.

Et je me dérobai à votre vue, sentant que si les larmes se remuaient dans mon cœur, elles étaient soulevées par votre présence.

Puis je disais dans mon âme triste : « Il est sans nul doute avec cette dame, cet Amour qui me fait aller ainsi tout en pleurs. »

SONNET XIX.

A la même dame compatissante.

Couleur d’amour et expression de pitié ne se sont jamais emparées aussi admirablement du visage d’une dame, — voyant souvent des yeux affaiblis et écoutant des plaintes douloureuses, —

Que du vôtre, chaque fois que vous voyez mes lèvres attristées ; aussi par vous me vient-il à l’esprit une chose, qui me fait craindre fortement que mon cœur ne se déchire.

Je ne puis empêcher mes yeux abattus de vous regarder souventefois, à cause du désir qu’ils éprouvent de pleurer ;

Et vous accroissez tellement ce désir, que dans leur impatience ils se consument tout entiers ;… mais ils ne savent pas pleurer devant vous.

SONNET XX.

Il prend Irop de plaisir à voir cetle dame. Reproches qu’il s’adresse.

Les pleurs amers que vous avez versés, ô mes yeux, pendant un si long temps, faisaient l’étonnement des personnes compatissantes, comme vous l’avez vu.

Maintenant il me semble que vous l’oublieriez, si j’étais, de mon côté, assez felon pour ne pas vous distraire (de cet oubli) par tous les moyens, en vous rappelant Celle que vous pleuriez.

Votre vanité me rend tout pensif, et m’épouvante au point de me faire craindre beaucoup du visage d’une dame qui vous regarde.

« Vous ne devriezjamais, sinon dans la mort, oublier notre Dame, qui est morte.» Ainsi me dit mon cœur, puis il soupire.

SONNET XXI.

A la même dame. Conflit intérieur.

Noble penser, qui parle de vous, s’en vient souvent demeurer avec moi, et il raisonne d’Amour avec tant de douceur, qu’il fait consentir le cœur avec lui.

L’âme dit au cœur : « Quel est celui-ci, qui vient pour consoler notre esprit, et dont la vertu est si puissante, qu’il ne laisse aucun autre penser séjourner en nous ? »

Et il (le cœur) répond : « O âme rêveuse, c’est un nouveau petit esprit d’Amour, qui apporte devant moi ses désirs ;

« Etsa vie, et toute sa puissance, émanent des yeux de cette personne compatissante, qui se troublait de notre martyre. »

SONINET XXII.

Il se repeni de son coupable désir. Ses pensera se reportent vers Béatrice.

Hélas ! par la force des nombreux soupirs qui naissent des pensers renfermés dans mon cœur, mes yeux sont vaincus, et n’ont plus le courage de regarder la personne qui les regarde.

Et ils sont tels, qu’ils paraissent deux désirs de pleurer et de montrer de la douleur ; et souvent ils pleurent si abondamment, qu’Amour les entoure de la couronne des martyrs.

Ces pensers et ces soupirs que j’exhale deviennent si angoisseux dans mon cœur, qu’Amour y défaille, tant il en souffre ;

Parce qu’ils ont, — les douloureux ! — écrit en eux le doux nom de ma Dame, et de nombreuses paroles touchant sa mort.

SONNET XXIII.

À quelques pèlerins, traversant Florence, où naquit, vécut et mourut sa Dame.

Ah ! pèlerins, qui allez rêvant peut-être d’une chose qui vous est étrangère, venez-vous d’un pays si lointain, comme vous le laissez voir à votre air,

Que vous ne pleuriez pas, quand vous passez par le milieu de la cité plaintive, comme des personnes qui semblent ne rien comprendre à son (immense) douleur ?

Si vous restez pour vouloir l’apprendre, certes, le cœur plein de soupirs me dit que, tout en larmes, vous ne partirez plus ensuite :

Elle (la cité) a perdu sa Béatrice ! et les paroles qu’un homme peut dire de cette Dame ont la vertu de faire pleurer les autres.

SONNET XXIV.

Sur son élat. A deux dames qui lui avaient demandé des rimce.

Au delà de la sphère qui tourne plus largement, s’élance le soupir qui sort de mon cœur ; l’intelligence nouvelle qu’Amour en pleurs met en lui, l’attire à cette hauteur.

Quand il est arrivé là où il (Amour) le désire, il (le soupir) voit une Dame recevant des honneurs, et brillant tellement, qu’à cause de sa splendeur l’esprit-pèlerin l’admire.

Il la voit telle, que, lorsqu’il m’en fait le récit, je ne le comprends pas, tant il parle un subtil langage à mon triste cœur, désireux de ses paroles.

Je sais cependant qu’il parle de cette noble (Dame), puisqu’il me rappelle souvent Béatrice, et de telle sorte que ceci, je l’entends bien, mes chères dames.

FIN DU LIVRE PREMIER.

LIVRE DEUXIÈME.

BALLADE I.

A Primavera

Fraîche rose nouvelle, gracieuse Primavera, tout en chantant gaiement par les prés et les rivages, je publie à la verdure vos délicates louanges.

Vos louanges délicates, qu’on les renouvelle dans la joie chez les grands et chez les petits, et par tous les sentiers ! Que les oiseaux, chacun dans son langage, chantent du soir au matin sur leurs arbustes verts ! que tout le monde chante, car le temps vient, comme le prouve votre noblesse notoire, que vous serez une angélique créature !

Une apparence angélique repose en vous, 6 Dame. Dieu ! qu’aventureux fut mon désir ! Votre allure enjouée, surpassant et laissant derrière elle la nature et l’usage, est bien une admirable chose : en elles-mêmes les dames vous appellent Déesse, comme (en effet) vous l’êtes ; vous paraissez si belle, que je suis inhabile à le dire… eh ! qui pourrait imaginer quelque chose au delà de la nature ?

Au delà de la nature humaine Dieu fit votre douce beauté, afin que par votre essence vous soyez souveraine. Pour que votre image ne soit pas éloignée de moi, que maintenant la douce Providence ne me soit point cruelle ! Et si cela vous paraît un outrage que de m’être adonné à vous aimer, ne m’en blâmez pas ; c’est Amour seul qui m’y contraint, et contre lui ne tient ni force, ni prudence.

SONNET I.

Il envoie ses vers à la dame qui l’avait détonrne de la pensée de Béatrice.

O mes paroles, qui courez par le monde, vous qui avez pris naissance lorsque je commençai à dire, pour cette Dame en laquelle je m’égarai : « Vous qui, par votre intelligence, faites mouvoir le « troisième ciel »,

Allez-vous-en à Elle, vous qui la connaissez, et en pleurant si fort qu’elle entende nos sanglots. Diteslui : « Nous sommes vôtres ; donc vous ne nous verrez jamais vous être plus que nous ne sommes. »

Ne restez pas avec elle, car avec elle n’est pas Amour ; mais vaguez dans les environs avec une contenance triste, à la manière de vos anciennes sœurs ;

(Et) quand vous aurez trouvé des dames de mérite, prosternez-vous humblement à leurs pieds, en disant : « A vous nous devons faire honneur »

SONNET II.

Il prévient ses vers contre une supercherie.

O douces rimes, qui allez parlant de la noble Dame que les autres honorent, à vous viendra, s’il n’est déjà venu, un, dont vous direz : « Celui-là est notre frère. »

Je vous en conjure, par le Seigneur qui inspire de l’amour aux dames, ne l’écoutez pas ; car dans son contenu ne se trouve pas une chose qui soit amie de la vérité.

Et si vous étiez, par ses paroles, engagées à venir auprès de votre Dame, ne vous arrêtez pas, mais venez à elle ;

(Et) dites : « O Dame, notre venue a pour but de vous recommander (signaler ?) un qui se désole en disant : Où est le désir de mes yeux ? »

SONNET III.

Effet des regards de sa Dame.

Cette Dame, qui me fait aller rêveur, porte sur son visage la vertu d’Amour, laquelle réveille dans mon cœur le noble esprit qui y était caché.

Elle m’a rendu si craintif, depuis que j’ai vu dans ses yeux mon doux Seigneur avec toute sa puissance, que je vais tout près d’eux, et n’ose les regarder.

Et quand il arrive que je les contemple, ces yeux, je vois dans leur région le salut, où mon intelligence ne peut atteindre.

Alors ma force est tellement abattue, que l’âme, qui meut les soupirs, se trouve sur le point de m’abandonner.

SONNET IV.

L’holocauste. Effet plus puissant des regards.

Qui regardera jamais sans peur dans les yeux de cette belle jeune fille, lesquels m’ont tellement blessé, que l’on ne voit plus rien en moi sinon la mort, qui m’est cruelle ?

Voyez combien est rude ma destinée, qui fait qu’entre toutes les autres ma vie est choisie pour donner un exemple à mes semblables, afin qu’homme ne se mette en risque de contempler sa figure (de la jeune fille).

Cette fin me fut réservée depuis que l’on résolut qu’un homme serait défait pour tirer les autres du péril.

Et pour cela, hélas ! je fus comme entraîné à appeler sur moi l’ennemie de la vie… telle est la vertu de ces prunelles brillantes comme des perles.

SONNET V.

Splendeur et victoire des yeux de sa Dame.

Des yeux de ma Dame s’échappe une clarté si noble, que là où elle apparaît, se voient des choses qu’un homme ne peut rendre, à cause de leur grandeur et de leur allure nouvelle.

Et de leurs rayons pleut sur mon coeur une peur si grande, qu’elle me fait trembler ; et je dis : «Je ne veux jamais me tourner de ce côté. » Mais ensuite j’oublie toutes mes résolutions,

Et je me tourne là où je suis vaincu, en réconfortant mes yeux craintifs, qui sentirent d’abord cette si grande puissance.

Quand je suis près, hélas ! les voilà qui se ferment, et le désir qui les dirige est éteint… c’est pourquoi vienne Amour en aide à mon état !

SONNET VI.

Sa défaite.

Le charme délicat de ce beau visage forme le dard que ses yeux ont lancé dans le milieu de mon cœur, quand ils se tournèrent vers moi, qui contemplais fixement sa beauté.

Alors je sentis la vie s’arrêter dans mes membres, qui se troublèrent, et les soupirs qui s’exhalèrent disaient, en pleurant, que mon cœur était mortellement blessé.

Dès lors tout penser pleure dans mon imagination dolente, qui me met toujours en présence de son grand mérite.

Là, un de ces (yeux) parle de la sorte à mon cœur : « La compassion n’est pas notre vertu, pour que tu la rencontres. » Et c’est pour cela que je me désespère.

BALLADE II.

Il trouve dans son mal le moyen de se guérir.

Puisque je ne puis rassasier mes yeux de regarder le beau visage de ma Dame, je le contemplerai avec tant de fixité, que je deviendrai heureux en le regardant.

Comme l’ange qui, en planant — c’est (le privilége) de sa nature — dans les hauteurs des régions, devient heureux seulement en voyant Dieu : de même, étant un être humain, je pourrai devenir heureux dans ce monde en contemplant la figure de cette Dame, qui possède mon cœur ; tant est grande la vertu qu’elle répand et déploie, quoique nul ne la découvre, sinon celui qui l’honore de ses désirs.

BALLADE III.

Pratche vision. (Composée à Lucqucs, ponr la pargoletta.)

« Je suis une jeune fille (Pargoletta) belle et inconnue, et je suis venue, pour me montrer à vous, des beautés et du lieu d’où je suis.

« Je suis du ciel, et j’y retournerai encore, pour donner aux élus la jouissance de mon éclat. Qui me voit, et ne s’éprend pas de moi, n’aura jamais l’intelligence d’Amour ; car la nature eut la joie de n’éprouver aucun refus, quand elle me demanda à celui qui voulut, 6 dames, me faire votre compagne.

« Chaque étoile fait pleuvoir dans mes yeux sa lumière et sa splendeur ; mes beautés sont nouvelles dans le monde, — c’est pourquoi je suis venue d’en haut, — et elles ne peuvent être connues, sinon par le discernement d’un homme, en qui Amour s’introduise pour l’agrément des autres. »

Ces paroles se lisent sur le visage d’une jeune fille-ange, apparue ici naguère. De sorte que moi, qui, pour me sauver, la contemplai fixement, je suis en péril de perdre la vie, ayant reçu un tel coup d’un être que j’ai vu dans ses yeux, que je vais pleurant et ne me calme plus.

SONNET VII.

Il déplore le pouvoir des yeux de sa Dame.

Il n’est bois plein de si robustes nœuds, ni encore aucune pierre si dure, à qui cette cruelle, qui consomme ma mort, n’inspire de l’amour avec ses beaux yeux.

Or donc si elle rencontre un homme qui la regarde fixement, elle doit bien lui percer le cœur, s’il ne recule. Il lui faut en mourir, car jamais il n’obtient la récompense qu’il lui est juste de recueillir.

Hélas ! pourquoi un si grand pouvoir fut-il donné aux yeux d’une Dame si inhumaine, qu’elle ne garde sa foi à personne en sa vie ?

Et qui, contraire à toute pitié, est tellement hautaine, que si un autre meurt pour elle, elle ne le regarde plus, et dérobe ses beautés à sa vue ?

SONNET VIII.

Sur sa Dame, toujonrs belle el cruelle.

Je le dis avec certitude, il n’y a pas d’expédient pour retenir le coup que portent ses yeux ; et, là, je n’inculpe point un grand courage, mais le cœur dur et avare de toute compassion.

Elle me cache son bel et éclatant visage, ce qui renouvelle la plaie de mon cœur, (de mon cœur) que je ne justifie pas avec mes larmes, et dont je ne change pas l’état avec ma plainte amère.

Ainsi elle est constamment belle et cruelle, sauvage d’amour, et ennemie de toute pitié… ; mais je m’afflige plus qu’il ne me convient de le dire,

Tant est forte la douleur qui m’accable ; non que je lui porte, à Elle, aucun ressentiment, — car je l’aime beaucoup plus que moi-même, et lui suis fidèle.

SONNET IX.

Où le mène le désir de voir sa Dame.

Je suis si désireux de la douce lumière des traîtres yeux qui m’ont mortellement blessé, que là, où je suis mourant et raillé, cet ardent désir me ramène sans cesse.

El qu’elle se montre simplement ou qu’elle paraisse brillante, l’un ou l’autre aspect m’éblouit tellement, que, séparé de la force et de la raison, je suis le seul désir qui devient mon guide.

Il (ce désir) me mène tout plein de foi à une mort douce à travers une douce erreur, que j’ai reconnue seulement depuis ma perte.

Et j’ai une grande affliction de voir mon tourment dédaigné ; mais je m’afflige davantage, hélas ! de voir avec moi la pitié traîtresse (en fait) de récompense.

SONNET X.

Malédictions.

Je maudis le jour où je vis pour la première fois l’éclat de vos yeux perfides ; et le moment où vous vîntes sur la cime de mon cœur pour en tirer la vie dehors.

Et je maudis l’amoureuse lime qui a poli les paroles et les belles couleurs que j’ai trouvées pour vous, et mises en rimes, pour faire que le monde vous honore à tout jamais.

Et je maudis mon esprit opiniâtre, qui persiste à retenir l’objet qui me tue, c’est-à-dire votre belle et coupable figure,

Sur laquelle Amour se parjure si souvent, que chacun rit de lui et de moi, et que je crois que la roue tourne (mon sort va ?) à l’aventure.

SONNET XI.

Vaincu, il implore l’indifférence de sa Dame.

Entre vos mains, 6 ma noble Dame, je recommande mon esprit qui meurt, et s’en va si dolent qu’Amour le regarde avec pitié, et le renvoie.

Vous m’avez si vigoureusement enchaîné à sa puissance, que depuis je n’ai pas même eu la force de pouvoir lui dire autre chose que : « Seigneur, tout ce que vous voudrez de moi, je le veux aussi. >>

Je sais que toute injustice vous déplaît : c’est pourquoi la mort, que je n’ai pas méritée, m’entre beaucoup plus amère dans le cœur.

O ma noble Dame, pendant ce qui me reste de vie, et au nom du bonheur dont je jouissais dans mon repos, qu’il vous plaise de ne pas vous rendre chère à mes yeux !

SONNET XII.

Il demande à sa Dame si elle ne voit pas son triste élal.

Ne vous apercevez-vous pas d’un qui se meurt, et va fondant en larmes, tant il se décourage ? Je vous prie, — si vous n’en êtes coutumière, — de le regarder pour votre honneur.

Il prend dans sa consternation un teint qui le fait ressembler à une personne morte, et il porte une douleur dans ses yeux, qu’il n’a déjà plus la force de lever.

Et lorsque quelqu’un le contemple avec compassion, son cœur tout entier se fond à force de pleurer, et son âme souffre tellement qu’il en jette les hauts cris ;

Et il n’est personne qui alors ne s’enfuie. Il vous appelle avec tant de force, lorsqu’il soupire, que tout le monde dirait : « On ferait bien de lui ôter la vie. »

BALLADE IV.

Il s’adresse à quelque vision amoureuse.

De grâce, ô nue (vision), qui, comme une ombre d’Amour, apparus subitement à mes yeux, aie pitié de mon cœur, que tu as frappé, qui espère en toi, et meurt de désir.

Tu as, 6 nue, sous une forme surhumaine, (tu as) mis le feu dans mon àme avec ton parler, qui fait mourir ; puis, par l’action de ton esprit brûlant, tu as fait naître l’espérance, qui en partie m’est salutaire, là où tu me souris. De grâce, ne la retiens pas (l’espérance), car j’ai confiance en elle ; mais tourne (plutôt) les yeux sur la violente passion qui me consume… Des milliers de dames déjà ont, pour avoir été tardives, porté la peine des douleurs (qu’elles ont causées) aux autres.

BALLADE V.

Il veut être le serviteur d’Amonr el de sa Dame.

Je ne demande, Amour, que de pouvoir me plier à ta volonté ; aussi j’aime à te suivre en tout temps, 6 mon doux Seigneur !

Et je suis en tout temps prêt à aimer cette noble Dame, que tu me fis voir subitement, Amour, un jour que son modeste visage se grava tellement dans mon esprit, en te voyant te tenir dans ses beaux yeux, que, depuis, mon cœur n’a pas voulu se délecter en autre chose, sinon qu’à se rappeler à toute heure cette vision amoureuse que j’ai eue.

Ce souvenir, Amour, me plaît tant, et je l’ai tellement dans la mémoire, que je vois sans cesse celle que j’ai vue alors ; mais je ne pourrais dire, — et cela m’afflige beaucoup, — que seule elle s’est posée dans mon esprit, et par ce moyen m’a donné la paix ; je ne pourrais (pas non plus) feire connaître ses véritables couleurs par mes paroles… Amour, — comme je le désire, — dis-le (parle) pour moi, là où je suis ton serviteur.

Je dois sans cesse, Amour, te rendre honneur, parce que tu m’as donné le désir d’obéir à cette Dame, qui a un si haut mérite.

SONNET XIII.

Dante s’élatil réfugié dans la Verlu (qu’il appelle tyran ) prie Amour (dont il condamne l’abandon) de lâcher de s’unir avec elle… afin qu’il puisse être en même temps vertiteur et amoureur.

Si tu vois mes yeux désireux de pleurer, à cause de la nouvelle peine qui me brise le cœur, par cette (peine) je te prie de ne pas la faire cesser, 6 Seigneur, avant de te donner cette satisfaction

De ta main équitable ; savoir : de punir celui (Dante) qui tue la justice, et puis se réfugie auprès du cruel tyran, dont il suce le poison, (poison) qu’il a déjà répandu, et dans lequel il veut noyer le monde.

Il a mis un tel glaçon de peur dans le cœur de tes fidèles, que chacun (d’eux) se tait ; mais toi, feu d’Amour, lumière du ciel,

Celte vertu, qui gît là nue et froide, relève-la enveloppée de ton voile ; car sans elle il n’y a pas de paix sur la terre.

SONNET XIV. Il définit l’Amonr platonique.

Plusieurs, en voulant dire ce qu’est Amour, furent assez éloquents, mais ne purent en partie donner sa physionomie véritable, ni définir (justement) son mérite :

Il en est certains qui disent que c’est une ardeur de l’esprit créée par la pensée ; d’autres disent que c’est une envie de posséder, éclose pour le plaisir du cœur.

Mais je dis, moi, qu’Amour n’a point de substance, et n’est pas une chose corporelle qui ait une figure ; mais que c’est une passion pleine de désir,

Agréable d’apparence, donnée par la nature : c’est pourquoi la volonté du cœur surpasse toute autre (volonté), et celle-là suffit tant que le plaisir dure.

SONNET XV.

Pour une dame qui semble avoir eu des vues sur lui.

Par cette route, — où court la beauté quand, pour lui donner l’éveil, Amour lui vient à l’esprit,— passe une dame, hardie comme (le serait) celle qui me croirait en son pouvoir.

Quand elle arrive au pied de cette tour, silencieuse lorsque la pensée consent, elle entend une voix lui dire tout à coup : « Lève-toi, belle dame, et ne t’approche pas ;

Car la dame qui s’assit là auprès, quand elle demanda le sceptre de la puissance, Amour le lui accorda sur-le-champ, comme elle voulut ;

Et quand elle se vit congédiée de ce lieu, où Amour séjourne, elle revint, la figure toute rouge de honte. »

SONNET XVI.

Les qualités de sa Dame.

Des beaux yeux de ma Dame émane une vertu si pleine d’Amour, que toute personne qui la voit s’incline pour la contempler, et ne convoite plus rien autre.

La beauté et la courtoisie la proclament leur déesse ; et elles font bien, car elle est une chose si parfaite, qu’elle paraît non pas humaine, mais divine ; et toujours, toujours s’accroît sa renommée.

Qu’il doit être heureux, celui qui l’aime, en voyant les qualités si nombreuses qu’elle possède ! Et si tu me dis : « Comment le sais-tu ?» — « Je le sens. »

Mais si tu me demandes : « Combien en a-t-elle ?» je ne puis te le dire : « Elle n’en a sûrement pas une centaine, mais plus d’une infinité, et le double. »

SONNET XVII.

Les planètes lui fournissent des couleurs pour faire le portrait de sa Dame.

A cette lumière (Jupiter), — qui dirige toujours sa marche au gré des haubans de l’Empyrée, et en s’arrêtant séjourne entre Saturne et Mars, selon le dire de l’astrologue, —

Celle (sa Dame) qui, en moi, avec son assentiment y aspire, à cette (lumière) ressemble avec un art charmant ; et celle (autre lumière) qui reste fixée au quatrième ciel (le Soleil) lui donne la splendeur que je lui désire.

Pareillement la belle planète deMercure teint son langage de sa supériorité ; et, de lui-même, le premier ciel (la Lune, —Diane) ne lui est déjà point étranger.

Celle (autre lumière) que le troisième ciel (Vénus) tient attachée, lui fait le cœur pur de toute éloquence : — de la sorte elle se peint (des beautés) de tous les sept (cieux).

SONNET XVIII.

Il s’éprend d’une autre Dame (la Bolonaise).

Hélas ! malheureux que je suis ! je croyais trouver de la compassion, quand ma Dame se fut informée de la grande peine que porte mon cœur, et je rencontre dédain et cruauté,

Et violent courroux au lieu de timidité : si bien que je me regarde déjà comme une personne morte, me voyant consterné et découragé par la chose même qui devait me donner de l’assurance.

Pour cela parle un penser, qui me réprimande de ce que je ne vis plus qu’en espérant en elle, et si sa pitié me donne la paix :

D’où je vois qu’il me faut désormais mourir. — Je puis dire que c’est pour mon malheur que j’ai vu Bologne, et cette belle Dame que j’ai regardée.

BALLADE VI.

Splendeur d’Amonr.

Je ne sais, dames, quel cas fait de moi Amour,— car il me tue, et la mort m’est cruelle, — et je crains davantage de le sentir moins vivement !

Dans le milieu de mon esprit resplendit une lumière des beaux yeux, dont je suis épris, (lumière) qui contente l’âme. Il est vrai que d’heure en heure il en descend un rayon, qui me sèche un lac (de larmes) dans le cœur avant de s’éteindre. Amour fait cela chaque fois qu’il me rappelle la douce main et le serment sincère qui devraient faire la sécurité de ma vie.

BALLADE VII.

Sur la vertu dédaigneuse et cruelle de sa Dame.

Vous qui savez raisonner d’Amour, écoutez ma ballade attendrissante, qui parle d’une Dame dédaigneuse, laquelle m’a ravi le cœur par son mérite.

Elle a un tel dédain pour quiconque la regarde, qu’elle fait baisser les yeux par crainte, et qu’autour des siens se meut toujours l’image de la plus grande cruauté : mais en eux ils portent la douce figure qui fait dire à l’âme noble : « Merci ! » Elle est si vertueuse que, lorsqu’on la voit, elle fait, aux autres, sortir tous les soupirs du cœur.

Elle semble dire : « Je ne serai douce envers aucun de ceux qui me regardent dans les yeux, parce que je porte ici-dedans le noble Maître qui m’a fait sentir ses traits. » Et certes je crois qu’on les regarde ainsi pour le voir (Amour) dans elle (ses yeux), quand cela plaît ; de telle sorte que la Dame résiste quand on la contemple, pour commander le respect.

Je n’espère pas que par compassion elle daigne jamais regarderun peu son prochain, tant est cruelle dans sa beauté cette Dame qui sent Amour dans ses yeux ; mais qu’autant qu’elle voudra elle cache ses regards, pour que je ne voie jamais ma si grande félicité : par ce moyen mes désirs auront une vertu (force) contre le dédain dont me paye Amour.

SONNET XIX.

Il prie d’autres dames de parler pour lui à la sienne.

Eh ! mes dames, ne vîtes-vous pas l’autre jour le gracieux visage qui me fait mourir ? Je dis que lorsqu’il sourit un peu, il détruit tous mes pensers.

Il fait sentir à mon cœur des coups si rudes, qu’il semble me jeter un cartel de mort. C’est pourquoi, dames, quelles que soient celles de vous qui la voient, si vous la rencontrez parfois sur votre route,

Restez avec Elle, par pitié (pour moi), et tâchez respectueusement de la rendre prudente ; car par elle ma vie ressemble à la mort.

Et cependant, si elle le veut, sa compassion peut fortifier mon àme, accablée de tristesse… —Accordez-moi de le lui dire en mon absence.

SONNET XX.

A des dames, compagnes de la sienne, malade. — Réponse des dames.

Vous, dames, qui montrez un mouvement de compassion, quelle est cette dame qui glt là si abattue ? Serait-ce pas Celle qui est peinte dans mon cœur ? Oh ! si c’est elle, ne me le cachez pas davantage.

Elle a bien la physionomie si changée, et sa figure me paraît si éteinte, qu’à mon avis elle ne représente plus celle qui fait paraître les autres dames heureuses.

— Si tu ne peux reconnaître notre Dame, épuisée comme elle l’est, cela ne me semble pas bien surprenant, parce que pareille chose nous arrive ;

Mais si tu contemples le noble mouvement de ses yeux, tu la reconnaîtras de suite :… ne pleure pas davantage, tu es déjà tout défait.

SONNET XXI.

A lout prix il veut savoir ce qu’a sa Dame.

D’où venez-vous ainsi pensives ? Dites-le-moi en grâce, s’il vous plaît ; car j’ai le soupçon (et la peur) que ce ne soit ma Dame qui vous fasse aller ainsi affligées.

Eh ! nobles dames, ne me soyez pas dédaigneuses, et veuillez retarder quelque peu votre marche pour parler à un malheureux qui désire apprendre quelque chose de sa Dame.

Je crains que ce ne soit une chose cruelle à entendre ;… Amour m’a si complétement repoussé de lui, que son moindre geste me porte à deviner juste.

Regardez bien à quel point je suis consumé ; car ma vie commence à s’enfuir, si de vous, dames, je ne suis réconforté.

CANZONE I.

A la Mort. Il demande la vie de sa Dame.

O Mort, puisque je ne trouve à qui me plaindre, ni à qui la compassion fasse pousser des soupirs pour moi, quelque part que je regarde, ni en quelque lieu que je me trouve ; et parce que tu es celle qui me dépouilles de tout courage, me revêts de martyre, et fais tourner à moi toute la fortune adverse ; parce que tu peux, ô Mort, faire ma vie pauvre ou riche, comme il te plaît : il faut que je tourne vers toi ma figure peinte (pâle) comme celle d’une personne morte. Je viens à toi comme à un être miséricordieux, en pleurant, 6 Mort, cette douce paix que ton coup me ravit, si tu détruis la Dame qui porte mon cœur avec elle, celle qui est la véritable issue de tout bien.

O Mort, quelle est la paix que tu m’enlèves ! car je viens devant toi en pleurant sans la définir. Tu peux la voir si tu regardes dans mes yeux trempés de larmes, si tu regardes la douleur que là en moi j’endure, si tu regardes que je porte la marque des tiens. Hélas ! si la peur avec ses coups m’a déjà ainsi réduit, que me fera le mal, si je vois s’éteindre l’éclat des beaux yeux qui ont coutume d’être pour les miens un si doux guide ? Je vois bien que tu permets et veux ma ruine ; tu trouveras de la douceur dans mes gémissements ; et je crains déjà beaucoup parce que je sens que, pour avoir un cri de moindre douleur, je voudrai mourir,… et ne trouve personne qui me fesse mourir.

O Mort, si tu ôtes la vie à cette noble Dame, dont l’éminent mérite montre à l’esprit la perfection que l’on voit en elle, tu répudies la vertu ; tu la défies ; tu provoques avec plaisir sa retraite ; tu détruis l’immense bienfait de la compassion ; tu anéantis la beauté qu’elle possède, laquelle brille au-dessus de toute autre, comme il convient à une chose apportant la lumière du ciel dans la créature qui en est digne ; tu romps et divises la si grande bonne foi de ce sincère Amour qui la dirige. Si tu fermes, 6 Mort, ses yeux si beaux, Amour pourra bien dire, en quelque lieu qu’il règne : « J’ai perdu mon (plus) beau fleuron ! »

O Mort, aie donc regret d’un mal aussi grand que celui qui va s’accomplir si Elle meurt, (d’un mal) le plus grand qu’on ait jamais éprouvé ! Détends ton arc, pour qu’il ne lance pas, chassée au loin par la corde, la flèche que, pour transpercer son cœur, tu y as déjà mise. Eh ! en ce moment, grâce, au nom de Dieu ! regarde ce que tu fais ; retiens un peu ton audace effrénée, qui déjà est mue par le désir de frapper celle en qui Dieu mit tant de grâces. O Mort, éveille promptement ta pitié, si tu en as ; car il me semble déjà voir le ciel s’ouvrir, et les anges de Dieu venir ici-bas, voulant emporter l’àme sainte de celle en l’honneur de qui l’on chante là-haut.

Canzone, tu vois bien comme est frêle le fil auquel tient mon espérance, et ce que je puis sans cette Dame : c’est pourquoi, avec ton raisonnement doux et modeste, lève-toi, ma nouvelle fille, fais diligence ; car c’est par la confiance que j’ai en toi que s’est élevée ma prière ; et avec cette humilité que tu répands sur tes actions, 6 ma Canzone pieuse, va devant la Mort, de manière à rompre les portes de sa cruauté, et obtiens la faveur d’un heureux résultat. Et s’il arrive que par toi soit repoussée sa décision mortelle, fais que la nouvelle en parvienne à ma Dame, et lui rende le courage, de sorte qu’elle fasse encore au monde le don de sa personne, cette àme noble, à laquelle j’appartiens !

CANZONE II.

Plaintes anières. Reproches à des yeui qui l’ont trompe.

(Doit 0U» Wot£8.)

Hélas ! faux sourire, pourquoi as-tu trahi Mes Yeux ? Et Que T’ai-je Fait, que tu m’as rendu une si barbare trahison ? Les Grecs EusSent Déjà écouté Mes Paroles. Toutes les autres dames savent, et tu sais qu’un imposteur n’est pas digne de louanges. Tu sais bien comment se réjouit Le Pauvre Coeur De Celui Qui Est Dans L’attente. Je vais espérant, et ne prends aucun soin de moi : hélas ! quels malheurs Et

QUEL SORT DÉPLORABLE SONT RÉSERVÉS à Celui

qui perd son temps à attendre, et ne touche jamais de verte fleurette !

JE ME PLAINS, O TENDRE COEUR, DE TOI D’A

Bord, qui, pour un coup d’œil victorieux, ne devrais pas avoir perdu la raison ; néanmoins il me plaît qu’au moment des chocs (des regards),

IL S’EN ÉLÈVE TOUJOURS D’EN BAS CONTR1 MOI

(chocs), dont puissé-je mourir, sur ma foi, quand ils me déplaisent trop fort : Hélas ! malheureux ! je suis puni, et n’ai commis aucune faute ! Elle ne dit pas même : « C’est un malheur pour lui ; » ce qui me fait pousser des plaintes. Elle sait bien que si mon cœur se fût égaré à plaire à d’autres, — c’est d’Amour qu’elle le sait, — le cœur traître en porterait grand’peines.

Elle aura bien, cette Dame, un cœur de glace et si cruel, que pour prix de ma foi Elle Ne Donnera Pas Même De La Pitié A Son ServiTeur. Amour sait bien, si je n’en ai secours, que par elle je fais une mort douloureuse, L’esPérance Ne Pouvant Plus Soutenir Ma Vie. Malheur A Tous Mes Efforts, si elle ne fait, par un sentiment sincère, que je vienne à revoir son gracieux viaage. Hélas ! mon Dieu ! à quel point est-elle donc intègre !… maisjem’en doute, si grand’douleur en ai. Vis-A-vis De Moi Elle

NE PREND PAS SOUCI D’AMOUR AUTANT QUE LE DÉSIR QUE J’AI D’ELLE ME FAIT SOUFFRIR.

Canzone, tu peux aller par tout le globe ;

CAR JE ME SUIS EXPRIMÉ EN UN TRIPLE LANGAGE, AFIN QUE MA PROFONDE DOULEUR se sache

par le monde, et que tout homme la sente… Peutêtre Celle qui me tourmente en aura-t-elle de la compassion !

FIN DU LIVRE DEUXIÈME.

LIVRE TROISIÈME.

CANZONE I.

Il charge Amonr de le venger de la cruauté d’une Dame. (Composée à Pailone ponr Utaoonna pictni drgli Sfrooigiti.)

Je veux être âpre dans mon langage comme l’est dans ses actions cette belle pierre (jrietra), qui d’heure en heure acquiert une dureté plus grande et une plus rude nature, et enveloppe sa personne d’un (vêtement de) jaspe, tel que, par lui, ou parce qu’elle (la flèche) s’y émousse, il ne sort jamais du carquois une flèche qui l’atteigne à nu : et Elle s’acharne, et ne prend nul souci que l’homme se gare et se dérobe aux coups mortels, qui l’assaillent (l’homme) comme s’ils avaient des ailes, et rompent n’importe quelle arme ; c’est pourquoi je ne suis pas à elle, et ne peux me secourir.

Je ne trouve pas de bouclier qu’elle ne me brise, ni de lieu qui me garantisse de sa vue ; mais de même que la fleur (tient le sommet) de la tige, de même Elle occupe le faîte de ma pensée. Mon mal est devenu si visible, que je suis comparable au vaisseau que l’onde de la mer ne soulève plus : le poids qui me submerge est tel, que mes rimes ne pourraient l’exprimer. O angoisseuse et impitoyable lime ! (toi) qui uses sourdement ma vie, que n’ai-je appréhendé que tu ne vinsses ainsi me ronger le cœur couche par couche, ce qui te donne de la force, comme à moi de le dire aux autres ?

Et le cœur me tremble davantage chaque fois que je pense à Elle, là où elle attire d’autres regards ; par crainte mon penser ne luit pas au dehors de manière à ce qu’il se découvre ; je ne fais plus (de cas) de la mort, qui me ronge déjà en tous sens avec les dents d’Amour ; dans ma pensée aussi ma force s’énerve, et mon œuvre languit. Elle (la mort) m’a couché à terre, et Amour se tient sur moi avec ce fer dont il fit périr Didon. Je l’implore (Amour) en criant merci, et le prie humblement, et il me semble mis au refus de toute pitié.

De temps à autre il lève la main et provoque ma faible vie, ce pervers qui me lient à terre étendu à la renverse et brisé de toutes ces secousses : alors s’élève une tempête dans mon esprit ; le sang, dispersé par les veines, court en s’enfuyant vers le cœur qui l’appelle… ce dont je reste pâle. Il me frappe au-dessous du bras gauche avec une telle force, que la douleur m’en retentit dans le cœur. Alors je dis : « S’il frappe une autre ibis, la mort m’aura saisi avant que le coup soit tombé sur moi. »

Je voudrais lui voir fendre par le milieu le cœur de la cruelle qui met le mien en lambeaux ! Ensuite (la mort) ne me serait point hideuse, la mort où je me précipite par sa beauté, et qui, aussi bien au soleil que dans l’ombre, est larronnesse, odieuse et homicide. Hélas ! que n’est-elle, dans (quelque) ravin propice, assassine pour moi comme moi pour elle ! Je crierais aussitôt : « Je vous secours », et ferais volontiers comme elle ; je mettrais la main dans les blonds cheveux qu’Amour crêpe et dore pour me consumer, et alors je serais satisfait.

Si j’avais pris les blondes tresses qui sont devenues pour moi un fouet et une discipline, m’en emparant avant la troisième (heure), avec elles je passerais du soir jusqu’à l’Angelus du matin, et je n’aurais ni complaisance ni pitié ; je ferais plutôt comme l’ours quand il badine : et si Amour m’en frappait, je me vengerais plus qu’au centuple. Ses beaux yeux, d’où jaillissent les étincelles qui m’enflamment le cœur que je porte meurtri, je les regarderais de près et avec fixité, pour tirer vengeance de ce qu’elle m’évite sans cesse, et de grand cœur, ensuite, je lui laisserais la tranquillité.

Canzone, va-t’en droit à cette Dame qui m’a frappé le cœur, et qui me dérobe ce dont j’ai le plus vif désir,—et donne-lui d’une flèche parle cœur… : qu’un noble honneur s’acquitte en tirant sa vengeance !

CANZONE II.

Effets produits sur Dante par l’apparition de Béatrice.

Amour, qui tiens ta vertu du ciel, comme le soleil (en tient) son éclat, dont la force s’accroît d’autant plus qu’il rencontre un objet plus noble ; et de même qu’il dissipe l’obscurité et la froidure, de même, puissant Seigneur, tu chasses toute bassesse du cœur d’autrui, et le courroux ne fait pas longue lutte contre toi. Il convient que de toi chaque bien se meuve, ( bien ) par lequel se met en mouvement le monde tout entier. Sans toi se trouve détruit tout ce que nous avons de pouvoir de bien faire,—comme une peinture en un lieu ténébreux, qui ne peut ni se faire voir ni donner la jouissance de la couleur et de l’art.

Que ta lumière frappe toujours mon cœur, comme l’étoile le rayon, parce que mon âme fut faite, dès le commencement, la servante de ta puissance. De là naquit un penser qui me mène, par son doux langage, à contempler chaque belle chose avec d’autant plus de plaisir qu’elle est plus agréable. Pendant cette contemplation est entrée dans mon esprit une jeune fille, qui s’est emparée de moi, et m’a mis en un feu ardent, comme l’eau, que chacun sait raviver la flamme : aussi h son approche tes rayons, à l’aide desquels je resplendis, rejailliront tout en s’élevant à ses yeux.

Combien elle est belle dans son maintien et noble dans ses gestes, et pleine d’amour ! Tant l’imagination, qui ne s’arrête pas, l’orne dans mon esprit, où je la porte ! Non que de lui-même il soit assez pur pour une chose si élevée, mais par ta vertu il a ce qui le lait oser au delà des forces que la nature lui a données. Sa beauté est le confort de ta puissance ; on peut juger de son effet immense sur (ton) digne sujet, comme (on juge) que le soleil est le signe du feu, lequel ne lui donne ni ne lui ôte de la vertu, mais le fait dans un autre lieu effectivement paraître plus efficace.

Donc, Seigneur de si noble nature, que cette noblesse qui vient ici-bas, et toute autre bonté, achève le commencement de ton élévation. Regarde ma vie, combien elle est dure, et prends-en pitié : l’ardeur que tu m’inspires pour cette beauté me fait sentir au cœur un trop grand fardeau. Fais-lui sentir, Amour, par ta douceur, le grand désir que j’ai de la voir ; ne souffre pas que sa jeunesse me conduise à la mort ; qu’elle ne sache pas encore ni combien elle me plaît, ni avec quelle force je l’aime, ni que dans ses yeux elle porte ma tranquillité !

Ce sera un grand honneur pour toi, si tu m’aides, et pour moi un précieux bienfait : tant je vois avec évidence que j’en suis au point de ne pouvoir défendre ma vie. Mes esprits sont tellement combattus, que je ne pense guère, — si par ton bon vouloir ils n’ont secours, — qu’ils puissent aller longtemps sans succomber. Et que ta puissance encore soit circonspecte envers cette belle Dame, qui en est digne, et à qui il semble convenable de donner l’entourage de toutes sortes de biens, comme à celle qui est venue dans ce monde pour avoir l’empire sur l’esprit de tout homme qui le regarde.

CANZONE III.

La servitude d’Amour lui semble douce.

Je subis tellement l’immense pouvoir d’Amour, que je ne puis résister longtemps à souffrir (ainsi), d’où je m’afflige ; car sa force s’augmente sans cesse, et je sens la mienne s’éteindre ; je m’amoindris si bien d’heure en heure, que je ne peux plus me révolter. Je ne dis pas qu’Amour fait plus que je ne veux ; mais s’il fait autant que le demande sa volonté, la force que me donna la nature ne l’endurera pas, attendu qu’elle est limitée. Et c’est lui,—ce dont je prends un chagrin extrême, — qui impose ici sa puissance, sans règle et d’après son seul caprice ! Mais si le bon vouloir fait naître la récompense, je la demande, pour prolonger ma vie, à ces beaux yeux dont le doux éclat porte la consolation partout où je sens Amour.

Les rayons de ces beaux yeux pénètrent dans mes (yeux) amoureux, et portent de la douceur partout où je sens de l’amertume ; ils y font leur trajet comme ceux qui, là, ont déjà passé, et ils savent le lieu où je laisserai Amour, quand à travers mes yeux je le mènerai en dedans de moi : aussi, en se tournant sur moi, ils m’apportent de la consolation, et avec Celle à qui j’appartiens, ils pourchassent ma perte en se dérobant à moi. Puis je l’aime tant que je m’estime heureux d’être seulement son esclave, et mes pensers, qui cependant sont des pensers d’amour, comme à leur but tendent à son servage, tant j’éprouve avec violence le désir de m’employer pour elle. Que, — si je m’en croyais (et me laissais) faire, — en la fuyant je serais dégagé ; mais je sais que j’en mourrais.

Il est bien sincère, l’Amour qui s’est emparé de moi, et il (faut qu’il) m’étreigne bien fortement pour que je fasse pour lui ce que je dis : car nul amour n’est d’un aussi grand poids que (ne l’est) celui à qui la mort (même) est agréable pour bien servir une autre ; et dans un pareil vouloir je fus d’autant plus affermi, — lorsque le vif désir que j’éprouve eut pris naissance par le pouvoir du plaisir, — que toutes les beautés des autres se réunirent sur son beau visage. Je suis son serviteur, et, quand je pense à elle, quelle qu’elle soit, je suis satisfait de tout. L’homme peut bien servir malgré son peu d’habileté ; et si ce dévouement m’emporte nia jeunesse, je perds le temps que (doit) prendre ensuite la raison, si tant est que ma vie se soutienne jusque-là.

Quand je forme un noble désir, né du désir ardent que je porte en moi, il pousse toutes mes facultés à bien faire ; il me semble que je suis payé, et au delà, de mon abnégation, et, plus encore, que c’est à tort que j’ai le nom de serviteur : ainsi du plaisir d’être sous ses regards, ma servitude se fait une récompense plus grande que des bontés des autres ; mais puisque je me renferme dans la vérité, il est juste d’estimer servage un semblable désir. C’est pourquoi, si je suis en quête d’un certain mérite, je ne pense point tant à moi-même qu’à celle qui m’a en sa puissance ; je le fais parce la valeur (qu’elle possède) va toujours s’accroissant ; et je suis tout sien, comme je tiens à l’être, parce que Amour m’a fait digne d’un si grand honneur.

Un autre qu’Amour ne pouvait me rendre tel que je fusse dignement l’objet de celle qui ne s’enamoure point ; mais (plutôt) que je me tinsse avec la dame qui n’a nulle crainte de la pensée amoureuse, sans laquelle elle ne peut passer une heure. Je ne la vis jamais une seule fois sans découvrir en elle une beauté nouvelle ; aussi Amour accroît en moi sa prééminence (d’Elle), si bien qu’un plaisir nouveau vient s’y joindre : c’est pourquoi il arrive que je demeure si longtemps dans le même état, et qu’Amour m’accoutume tellement avec la douleur et avec la joie, que le temps qui me fait le plus souffrir est (le temps) qui dure du moment où je suis privé de sa vue jusqu’au moment où je la retrouve.

Canzone, ma belle, si tu me ressembles tu ne seras point dédaigneuse, pour que ceci agrée à ta bonté : je te prie donc, ma douce amoureuse, de t’étudier à prendre une allure et un maintien qui te siéent. Si un cavalier t’invite ou te relient, avant qu’il dispose de toi à son gré, vois si tu peux en faire ton partisan, et si cela t’est impossible, abandonnele aussitôt. Que le bon habite toujours avec le bon Mais il arrive que souvent un autre se glisse en sa compagnie, n’ayant que le déboire de la mauvaise renommée que chacun proclame de lui. Ne s’arrêter avec les méchants ni avec intention ni avec artifice n’a jamais été savoir adopter leur parti.

Canzone, auprès des trois moins méchants de notre terre tu t’en iras, avant de te rendre ailleurs : salues-en deux, et fais que l’autre essaye de se tirer auparavant hors de cette secte mauvaise. Dis-lui que le bon n’entre pas en guerre avec le bon. Avant qu’il essaye de vaincre avec les méchants, dis-lui que celui-là est fou qui ne se retire pas par crainte de la honte (qu’inspire) la folie ; que celui-là craint, qui a peur du mal, et qu’ainsi, en évitant l’un, l’autre se guérit.

CANZONE IV.

A de jeunes Dames, sur les désastres causés en lui par Amonr.

Je suis ennuyé de moi si excessivement, que la pitié me cause autant de peine que le martyre. Je suis malheureux parce que, avec douleur et contre mon gré, je sens se recueillir le souffle du dernier soupir dans ce cœur, que de beaux yeux ont frappé, quand Amour le perça de ses mains pour m’amener à ce point, qu’il me brise. Malheureux que je suis ! combien de (regards) suaves, affables et doux se lèveront sur moi, — quand ils commenceront ma mort qui, à cette heure, m’est si déplaisante, — disant : « Notre lumière apporte la paix. »

— « Nous donnerons la paix au cœur chéri de vous, » disent parfois à mes yeux ceux de la belle Dame ; mais c’est pour que je découvre ensuite dans leur langage que, par la force d’Elle, ma pensée m’était déjà ravie tout entière. Avec les insignes d’Amour ils (les yeux de la Dame) se sont tournés d’un autre côté, si bien que leur présence victorieuse ne se revoit plus une seule fois : d’où est restée triste mon àme, qui en attendait soulagement ; et maintenant elle voit comme mort le cœur dont elle était l’épouse, et il faut qu’elle se retire enflammée d’Amour.

Elle s’en va enamourée et en pleurant hors de cette vie, la désolée, (l’àme) que chasse Amour : elle s’éloigne d’ici avec tant de tristesse, qu’avant son départ son Créateur l’écoute avec compassion. Elle a fait retraite dans le milieu de mon cœur, avec cette vie qui demeure éteinte à ce point extrême, qu’elle m’abandonne. Dans ce (refuge) elle se plaint d’Amour, qui la chasse hors de ce monde ; et à chaque instant elle étreint les esprits qui versent des larmes continuelles, parce qu’ils perdent leur compagnie.

L’image de cette Dame siége encore dans mon esprit, où la déposa Amour, qui était son guide. Elle n’éprouve point de peine du mal qu’elle voit ; mais elle est à cette heure beaucoup plus belle que jamais, et elle me paraît beaucoup plus joyeuse, car ella- rit. Elle lève ses yeux homicides, et crie à celle (à l’âme) qui se plaint dans sa souffrance : «Va-t’en, malheureuse ! va-t’en désormais hors d’ici ! » Ce cri est le vœu qui me tourmente si fort, suivant son habitude. Cependant je commence à moins souffrir, parce que ma (force à) sentir devient beaucoup moindre, et que je suis plus près de terminer mes plaintes.

Le jour où celle-ci vint au monde, —autant que je (peux) le retrouver dans le livre de (mon) souvenir qui s’efface, — ma faible personne eut à supporter une souffrance nouvelle si forte, que je demeurai rempli d’épouvante ; un frein fut subitement posé à tout mon courage, et je tombai à terre, frappé par une voix qui retentit dans mon cœur. Et,—si le livre ne se trompe pas, — l’esprit qui me dompta (me fit) trembler si fort, qu’il me sembla bien que (c’était) par lui que la mort venait d’entrer en ce monde… ; maintenant j’en veux à celui qui fit mouvoir cet (esprit).

Quand m’apparut ensuite la grande beauté qui me fait tant gémir, — gracieuses dames, à qui j’ai parlé, — cette vertu, noble à plus d’un titre, en se contemplant dans son bonheur, s’aperçut bien que son malheur était né ; elle connut le désir qui venait de prendre naissance par l’intense contemplation à laquelle elle s’était livrée, si bien qu’en pleurant elle dit ensuite aux autres : « Ici viendra, à la place d’une, que j’ai vue, la belle figure qui déjà m’inspire de la crainte, et sera une dame au-dessus de nous toutes, (celle) qui aussitôt deviendra le plaisir de ses yeux. »

Je vous ai parlé, jeunes dames qui avez les yeux ornés de beauté et la pensée gagnée par Amour et rêveuse ; c’est pourquoi je vous recommande mes rimes, partout où vous les entendrez ; et, à votre * considération, je pardonne ma mort à cette belle Chose, pour qui la foute est moindre et qui ne fut jamais miséricordieuse.

CANZONE V.

Exilé, il prie sa Dame de l’aider dans la peine que lui cause l’absence de la pairie.

Le cruel souvenir, qui regarde en arrière le temps qui s’en est allé, est là d’un côté livrant combat à mon cœur ; et le désir amoureux, qui m’attire vers le doux pays que j’ai laissé, me (sollicite) de l’autre côté avec la force d’Amour : et je ne sens pas en lui un courage assez grand pour qu’il puisse faire longtemps résistance, ô ma noble Dame, s’il n’en vient (à bout) par votre aide. Donc, — si, pour son salut, il vous convient d’en tenter jamais l’entreprise, — qu’il vous plaise de lui accorder votre salutation, qui est le soutien de son énergie.

Qu’il vous plaise, 6 ma Dame, de ne pas manquer à ce point au cœur qui vous aime tant… ; car de vous seule il attend son secours. Un bon maître ne serre pas le frein pour secourir son serviteur, quand (ce dernier) l’implore. Ce n’est pas lui (mon cœur), mais son honneur qu’il défend ; et certes sa peine me tourmente davantage quand je me prends à penser, ô Dame, que par la main d’Amour vous êtes là, peinte en lui. Ainsi vous devez avoir (pour lui) une bien plus grande sollicitude, — pour lui dont il importe que le bien s’approche, —afin que votre image lui devienne encore plus chère.

Si vous voulez dire, 6 ma douce espérance, d’apporter un retardement à la chose que je vous demande, sachez que je ne peux l’attendre davantage, car je suis au bout de mes forces. Vous devez vous en apercevoir, puisque je me suis mis à chercher l’espérance dernière, et que je me suis chargé de supporter tous les fardeaux de l’homme, — (allant) jusqu’à sa condition, qui est la mort, avant qu’il éprouve son meilleur ami ; qui ne sait s’il le trouvera, et pour qui, s’il lui arrive qu’on réponde mal (à son attente), cette chose n’est plus celle qui lui était si chère…, la mort n’étant pas plus rude ni plus amère.

Et vous, (vous) êtes celle que j’aime le plus ; (c’est vous) qui pouvez me faire le plus grand bien, et en qui repose le mieux mon espérance. J’implore la vie seulement pour vous servir, et je ne demande et ne veux que les choses qui sont à votre honneur ; toutes les autres me sont ennuyeuses. Vous pouvez me donner ce qu’une autre n’ose (donner) ; le oui ou le non, Amour l’a entièrement remis à votre discrétion, ce dont je m’estime heureux. La foi, que je vous jure, émane de votre affable maintien ; car chacun de ceux qui vous admirent connaît infailliblement à vos dehors qu’en dedans de vous se trouve la pitié !

Donc, que dorénavant votre salutation se commence et arrive jusque dans mon cœur, qui l’attend, 6 ma noble Dame, comme vous l’avez compris. Mais sachez que, lorsqu’elle pénétrera, elle se trouvera serrée de près parce rayon qu’Amour lança, le jour que je fus enflammé. C’est pourquoi l’entrée en est empêchée à tous autres, excepté aux messagers d’Amour, qui savent l’ouvrir par le vouloir de la vertu qu’il (le cœur) renferme. Aussi, dans ma perplexité, sa venue (de la salutation) me serait préjudiciable, si elle arrivait sans la compagnie des messagers du Seigneur qui me tient sous sa toute-puissance.

Canzone, ta démarche veut être prompte ; car tu sais bien qu’un temps court désormais peut servir la (chose) pour laquelle tu vas.

CANZONE VI.

Combats d’Amour. Regrets de la pairie. (Ecrite du milieu de son exil,dans la Dalle Cajarina, territoire de Trente.)

Amour, — puisqu’il faut que je m’afflige parce que (ma) nation me hait et me montre dépouillé de toutes vertus,—donne-moi de savoir pleurer comme je le désire, de sorte que ma douleur, qui se dénoue, porte mes paroles comme je les sens. Tu veux que je meure, et je n’en suis point content ; mais qui me disculpera, si je ne sais dire ce que tu me fais éprouver ? Qui croira que je sois jamais si martyrisé ?… Mais si tu m’accordes d’exprimer tout ce que je souffre, fais, 6 mon Seigneur, que cette Cruelle ne puisse l’entendre de moi avant ma mort ; car si elle découvrait ce que je cache en dedans (de moi-même), la compassion rendrait moins beau son beau visage.

Je ne peux fuir (nulle part), qu’elle ne vienne aussitôt dans mon esprit ; mais ce n’est pas (seulement) comme une pensée qu’il (mon esprit) l’emporte : l’àme folle qui s’ingénie à son propre mal,— comme cette (Dame) est belle et cruelle, — donne ainsi une forme et une couleur à sa peine. Puis elle la contemple, et, quand elle est bien pleine de l’ardent désir que ses yeux lui lancent, elle s’emporte contre elle-même, qui a attisé le feu où, triste, elle s’incendie. Quel argument raisonnable (peut) mettre un frein en moi, où une tempête si violente se déchaîne ? L’angoisse, qui n’est plus contenue au dedans (de moi), frémit si fort au dehors de (mes) lèvres, qu’on l’entend… ; et encore, à ces yeux, elle reconnaît tout leur mérite !

(Oh !) la figure ennemie, qui reste victorieuse et inhumaine, et maîtrise (mon) courage selon son caprice ! Son image seule me fait aller là où elle est en réalité, comme le semblable qui a coutume de courir au semblable. Je sais bien que la neige fond au soleil, mais je ne puis (rien) davantage ; je fais comme celui qui, sous le pouvoir d’un autre, va directement là où il trouve la mort. Quand je suis près, il me semble entendre des paroles dire : « Hé bien ! allons ! verras-tu mourir cet homme ? » Alors je me retourne, pour voir à qui (je puis) me recommander ; et je suis seulement poursuivi par ces yeux qui s’acharnent sur moi avec grande injustice.

Ce que je deviens, étant si rudement frappé, toi seul, Amour, peux le dire, et non moi, qui reste là à me contempler sans vie ; et si mon âme retourne ensuite à mon cœur, l’ignorance et l’oubli sont là avec elle, (venus) pendant qu’elle (la vie) était partie. Quand je reviens à moi, et que je songe à la cruauté qui me brisa lorsque je fus blessé, je ne puis reprendre mes forces, si bien que ce n’est pas la peur seule qui me fait trembler ; et ma face décolorée montre ensuite quels furent les mots qui se firent entendre derrière moi ;… que s’ils vibrèrent un instant avec un doux sourire, (pour) longtemps après elle (ma figure) reste sombre ; c’est pourquoi mon esprit ne se rassure point.

Ainsi tu m’as, Amour, relégué au milieu des Alpes, dans la vallée du fleuve le long duquel tu règnes toujours puissamment sur moi. Là, tu t’assures de moi, vivant ou mort, comme tu l’entends, — récompense (que je reçois) de’cette lumière cruelle, qui, en brillant, m’achemine à la mort. — Hélas ! je ne vois ici ni dames, ni gens accorts qui éprouvent de la peine à mon mal ! Si Celle-ci ne s’en soucie point, je n’espère avoir jamais soulagement d’une autre. Et ce bannissement de ta cour, Seigneur (Amour), ne guérit point le coup que ton dard (a porté). Elle a fait à son cœur un tel bouclier d’orgueil, que toute flèche s’y émousse dans son vol, parce que le cœur armé n’est jamais mordu d’aucun trait.

O ma Canzone, (fille) des montagnes, tu pars ; peut-être verras-tu Florence, ma patrie, qui me bannit de son sein, veuve d’amour et dénuée de toute pitié : si tu pénètres dans ses murs, va disant : « Désormais mon maître ne peut plus vous faire la guerre ; là, d’où je viens, une chaîne le lie, si bien que, réussît-il à fléchir votre cruauté, il n’aurait point la liberté de (vous) revenir. »

SESTlNE I.

Ardeur des désirs de Dante ; éclatante beauté et froideur de sa Dame. (Doit cuir Ilotes.)

Je suis arrivé, hélas ! au jour amoindri, au grand cercle d’ombre, et au blanchir des collines, alors que la couleur disparaît de dessus l’herbe : et mon désir pour cela ne change point de verdeur, tant il est enraciné dans cette dure pierre, qui parle et sent — comme si elle était une dame —.

Pareillement cette nouvelle Dame se tient glacée, comme la neige à l’ombre ; (le doux temps) ne l’influence pas plus que si (elle était) une pierre, le doux temps qui réchauffe les collines, et les fait tourner du blanc au vert, parce qu’il les couvre d’herbe et de fleurs.

Quand elle a sur la tête une guirlande d’herbe, elle fait sortir de notre esprit toute autre dame : parce que le blond crêpé (de ses cheveux) s’y mêle si gracieusement à la verdure, qu’Amour y vient pour s’arrêter à son ombre, (Amour) qui m’a emprisonné entre de petites collines bien plus fort que (ne l’eût fait) la pierre calcinée.

Ses beautés ont plus de force que la pierre, et le coup (qu’elle porte) ne peut se guérir par (aucune) herbe. Je me suis enfui par les plaines et par les collines pour pouvoir me sauver d’une telle dame ; d’où (il résulte) que contre sa lumière elle ne peut me faire ni tertre ombreux, ni muraille, ni verte feuillée.

Je l’ai déjà vue habillée de verdure, de telle façon qu’elle aurait pétrifié l’Amour, que je porte néanmoins à son ombre ; d’où je l’ai appelée dans un beau pré d’herbe, amoureuse — encore comme si elle était une dame,—et fermée, tout alentour, de très-hautes collines.

Mais les fleuves retourneront bien aux collines avant que ce bois mol et vert s’enflamme, comme a coutume de faire de moi la belle Dame, qui me ferait consentir à dormir sur la pierre tout mon temps et à aller paissant l’herbe, seulement pour voir (le lieu) où ses vêtements répandent leur ombre.

Toutes les fois que les collines projettent une ombre plus noire, sous une attrayante verdure la jeune Dame la fait disparaître, comme la pierre sous l’herbe.

CANZONE VII.

L’hiver enveloppe cl glace la nature ; Amonr esl tonjonrs brûlant dans son cœur.

Je suis arrivé au point de la roue (année) où l’horizon, quand le soleil se couche, nous fait le ciel double - et l’étoile d’Amour se tient là éloignée par le rayon luisant, qui l’enfourche si obliquement qu’il lui sert de voile. Cette planète, qui réchauffe le froid glaçant, se montre tout entière à nous par le grand arc, dans lequel chacune des sept (planètes) répand peu d’ombre Et cependant ne se disperse un seul des pensers d’Amour, dont j’ai chargé mon esprit, lequel est plus tenace que la pierre — à garder profondément l’image d’une pierre.

Des sables d’Ethiopie se lève le vent-voyageur, chassant l’air par la sphère du soleil, qui alors le réchauffe ; il passe la mer, d’où il amène une telle abondance de nuages, que, si un autre (vent) ne la dissipe pas, cet hémisphère se ferme, se soude tout entier, et puis se résout et tombe en blancs flocons de froide neige et en pluie ennuyeuse, ce dont l’air s’attriste et pleure entièrementEt Amour, qui retire ses rets au ciel par le vent qui s’élève, ne m’abandonne pas, tant est belle, dame — cette cruelle qui m’est donnée pour dame.

Tout oiseau qui suit la chaleur, s’est enfui du pays d’Europe, qui ne perd jamais les sept étoiles glacées ; les autres ont imposé silence à leur voix pour ne plus la faire résonner jusqu’au temps de la verdure, si ce n’est pour pousser un gémissement ; et tous les animaux qui sont gais de leur nature sont dégagés d’Amour, parce que le froid amortit leur être :… Et le mien (être) éprouve plus d’Amour ; les doux pensers ne me sont point enlevés, ni ne sont mis en fuite par le temps, — mais une dame me les inspire, il y a peu de temps.

Elles ont passé leur saison, les feuilles que l’influence du Bélier fait sortir du sol pour orner la nature, et l’herbe est morte, et tout rameau vert se dérobe h nous, excepté sur le pin, le laurier et le sapin, ou tout autre qui conserve sa verdure. La saison est si piquante et si rude, qu’elle fait mourir les fleurs sur les cêtes qui ne peuvent supporter le givre Et l’amoureuse épine, Amour ne me l’ôte cependant point du cœur, parce que je suis résolu à la porter toujours, — tant que je serai en vie, si je vis toujours.

Les fleuves versent les eaux (rendues) fumeuses par les vapeurs que la terre a dans le ventre, et que du fond de l’abime elle tire en haut (du sol), ce qui fait qu’une promenade par un beau jour me plairait (fort). A cette heure le fleuve est gonflé, et il le sera lant que durera le rude assaut de l’hiver. La terre se fait une enveloppe qui semble être de pierre, et l’eau morte se convertit en verre par la froidure qui l’étreint du dehors :… Et moi, dans cette lutte, je n’ai cependant pas encore reculé d’un pas en arrière, ni ne veux reculer, parce que si le martyre a de la douceur, — la mort doit surpasser toute autre douceur.

Canzone, or que sera-ce de moi dans cet autre temps renouvelé et doux, quand sur la terre Amour pleut de tous les deux ; (que sera-ce) puisque, par ces gelées, Amour est seul en moi et non ailleurs ?… Il en sera ce qu’il en est d’un homme de marbre, — si dans une jeune fille le cœur devient un marbre.

CANZONE VIII.

Intensité de son Amour, et rigueurs de sa Dame. (Composée à Padoue pour inabonna JJietro Oea.lt âeropiani.) (poix aur tlotes.)

Amour, tu vois bien que cette Dame n’a souci de ta puissance en aucun temps, (celle) qui a coutume de se faire la dame d’autres joies. Elle s’aperçut qu’elle était ma Dame à l’aide de ton rayon qui luit sur mon visage, et elle se fit la dame de toute cruauté ; si bien qu’elle ne semble pas avoir un cœur de dame, mais d’inhumaine qui l’a le plus froid d’Amour ; car, par le temps chaud ou par la froidure, elle m’apparaît complétement comme une dame qui serait faite d’une belle pierre (pietra), par la main de celui qui m’a taillé dans la pierre.

Et moi, qui tiens bon plus que la pierre à t’obéir pour la beauté de cette Dame, je porte caché le coup de la pierre avec laquelle tu m’as frappé comme une pierre qui t’aurait nui longtemps. De sorte que je suis atteint au cœur, où je suis une pierre ; et jamais on ne découvrit aucune pierre, ou par la chaleur du soleil ou par sa lumière, qui ait assez de chaleur ou de lumière pour pouvoir me secourir contre cette pierre, afin qu’elle ne me mène pas avec sa froideur là où je serai froid par la mort.

Seigneur, tu sais que par le froid piquant l’eau devient pierre cristalline sous (le souffle de) la bise, où règne un grand froid ; et l’air se change toujours en élément froid,—comme l’eau et la Dame,—dans cette région, par cause de la froidure. Aussi devant celte allure froide mon sang se glace sans cesse et toujours ; et le penser qui m’accourcit le plus le temps, dans moi se change tout entier en un corps froid (une larme ?) qui me sort ensuite par le milieu de la prunelle, là où pénétra l’impitoyable lumière.

En elle se réunit l’éclat de toute beauté ; aussi le froid de toute cruauté lui court par le cœur, où n’est pas ta lumière ; et c’est pourquoi à mes yeux elle brille si belle, quand je la contemple, que je la vois dans la pierre ou en tout autre lieu vers lequel je tourne mes regards. De ses yeux me vient la douce lumière qui fait que je ne prends souci d’aucune autre dame ; (c’est) comme si elle était la dame la plus compatissante envers moi, que je la proclame la nuit et le jour, seulement pour la servir en temps et lieu ; et ce n’est point pour’une autre que je désire vivre longtemps.

C’est pourquoi, ô vertu, toi qui es avant le temps, avant le mouvement, et (avant) la vive lumière, aie pitié de moi, qui ai si peu de bons instants ; entre désormais dans mon cœur, il en est bien temps, afin que, par toi, ne s’échappe plus au dehors cette froideur qui ne me laisse pas, comme certains autres, avoir du bon temps ; et si tu me fais supporter ton temps orageux dans un tel état, cette gracieuse pierre voudra me coucher sous une étroite pierre pour ne plus m’en lever, sinon longtemps après, quand je verrai s’il exista jamais dans le monde une dame belle comme cette cruelle dame.

Canzone, je porte dans mon esprit (cette) Dame de telle sorte que, quoique à propos de tout elle soit pour moi une pierre, elle me donne du courage, là où tout homme me semble glacé ; si bien que je brûle de tenter, par cette froidure, la nouveauté qui brille dans ta forme, et qui jamais ne fut imaginée en aucun temps.

FIN DU LIVRE TROISIÈME.

LIVRE QUATRIÈME.

CANZONE I.

Il veut peindre lu lulle qui eut lieu en lui, quand il se blâma d’avoir aimé la dame (Hoir lime 1"J qui le détonrna de la pensée de Béalrice. (ttoir auïttotfe.)

Vous qui, par votre intelligence, faites mouvoir le troisième ciel, écoutez le discoure qui est (encore) dans mon cœur (dans le fond de moi-même), et que je ne puis dire à d’autres, tant il me semble nouveau : le ciel, qui suit votre impulsion, nobles créatures que vous êtes, m’a mis dans l’état où je me trouve ; d’où le langage (le récit) de la vie que je constate semble s’adresser directement à vous… C’est pourquoi je vous prie de vouloir bien l’entendre de moi. Je vous dirai la nouveauté du cœur, comment l’âme triste pleure en lui, et comment s’entretient avec elle un esprit qui vient par le rayon de votre étoile.

La vie de (mon) cœur dolent a coutume d’être un suave penser, qui s’en est allé maintes fois aux pieds de votre Seigneur (Dieu), où je voyais glorifier une dame, de laquelle je m’entretenais avec tant de douceur que l’âme disait : « Je m’en y veux aller. » Maintenant apparaît (un autre penser) qui le tait fuir et le domine avec une telle puissance que le cœur m’en tremble… au point que cela se voit au dehors. Celui-ci me lait regarder une dame, et dit : « Qui veut voir son salut fasse en sorte de contempler les yeux de cette dame, s’il ne craint l’angoisse des soupirs. »

Il en trouve un si contraire qu’il le détruit, l’humble penser qui avait coutume de me parler d’une Ange qui est couronnée dans le ciel ; l’âme pleure tant qu’elle pousse encore des plaintes et dit : « Oh ! malheureuse que je suis ! comment s’est enfui ce (penser) miséricordieux qui m’a consolée ! » Cette (âme) chagrine dit de mes yeux : « Quand donc arriva-t-il qu’ils virent cette dame ? et pourquoi ne me croyaient-ils pas sur elle ? Je disais bien : dans les yeux de cette (dame) doit se tenir celui (Amour) qui occit mes semblables ; et il ne m’a servi à rien d’avoir de l’expérience… ils (les yeux) ne l’eurent pas regardé, que j’en suis morte ! »

— « Tu n’es point morte, mais tu es consternée, 6 mon âme, qui tant te lamentes, » dit un esprit de noble amour ; cette belle Dame que tu sens (en toi) a tellement transformé ta vie, que tu en es effrayé, tant elle (ta vie) est devenue vile.— Regarde combien elle (Béatrice) est miséricordieuse et modeste, courtoise et sage dans son élévation, et songe à la proclamer (ta) Dame désormais. Si tu ne te trompes pas, tu (la) verras encore armée de si hauts miracles que tu diras : « Amour, maitre sincère, voilà ta servante ; fais ce qu’il te plaira. »

Canzone, je crois qu’ils seront rares ceux qui comprendront bien ton vrai sens, tant tu leur parles (un langage) difficile et élevé ; d’où, si par aventure il arrive que tu parviennes à quelques personnes qui ne te paraissent pas d’elles-mêmes bien expérimentées, alors je te prie de te réconforter et de leur dire, ô ma nouvelle (fille) chérie : « Mettez-vous au moins dans l’esprit combien je suis belle. »

CANZONE II.

Il célèbre les beautés intellectuelles et corporelles de su Dame. (Hoir aui notes.)

Amour, qui dans mon esprit me parle ardemment de ma Dame, agite souvent d’elle à moi des choses qui font dévier sur elles l’intelligence. Son parler résonne si doucement, que l’âme qui l’écoute et l’entend dit : « Oh ! malheureuse ! qui ne suis point capable de dire ce que j’entends de ma Dame ! » Et certes il me faut laisser d’abord, si je veux chanter ce que j’entends sur elle, (tout) ce que mon esprit ne comprend pas, et (encore) la grande partie de ce qu’il comprend, parce que je ne saurais le dire. C’est pourquoi si mes rimes sont en défaut, ( mes rimes) qui entreront dans les louanges de cette ( Dame ), —de cela on ( devra ) blâmer ma faible intelligence, et mon langage qui n’a point la force de répéter tout ce que dit Amour.

Il ne voit pas, le soleil qui tourne autour du mande entier, une chose aussi noble que celle qui, à cette heure, brille dans le lieu où demeure la Dame de qui Amour me fait parler ; toute intelligence de là-haut (du ciel) la contemple, et les personnes qui, ici, s’enamourent, dans leurs pensers la trouvent encore lorsque Amour fait goûler (un peu ) de sa paix. Son être plaît tant à Celui qui le lui donna, que sans cesse il répand sur elle sa vertu au delà de ce qu’exige notre nature. Son âme pure, qui reçoit de lui un si grand bien, le manifeste par ce qu’elle fait ; ses beautés sont choses connues, et les yeux de ceux devant qui elle brille en envoient des messagers au cœur (d’eux) plein de désirs, lesquels prennent l’air et deviennent des soupirs.

En elle descend la vertu divine, comme elle ( la vertu) feit dans un Ange, qui la voit (la Dame) ; et cette noble Dame ne croit pas cela, que (l’Ange) aille avec elle et admire ses actions. Là où elle parle se penche un esprit d’Amour, qui apporte la foi comme le haut mérite qu’elle possède, et au delà de ce qui nous est nécessaire. Les douces manières qu’elle montre aux autres vont, chacune avec des preuves, proclamant Amour dans ces termes, qu’elles font entendre : « D’Elle on peut dire : Noble est dans cette Dame ce qui se trouve en elle, et si beau et si grand que (tout cela) lui ressemble ; et l’on peut dire que son aspect aide à persuader qu’elle ressemble à une merveille, — d’où notre foi est secourue… ; de toute éternité c’est pour cela qu’elle (sa Dame ) fut créée. »

Aussi apparaissent sur son visage (des choses) qui montrent les plaisirs du Paradis. Je dis que dans ses yeux et dans son sourire Amour les apporte comme à leur place. Elles (ces choses) surpassent notre intelligence, comme un rayon du soleil (surpasse) un faible (rayon) visuel ; et parce que je ne puis la contempler fixement, il faut nie contenter de dire peu de choses sur elle. Sa beauté répand des splendeurs de feu,—animées par un noble esprit, qui est le créateur de tout bon penser,—et qui rompent, comme le tonnerre, les vices innés qui rendent vils les autres. Donc, que la dame qui entend blâmer sa beauté parce qu’elle ne paraît ni paisible ni modeste, contemple cette (Dame), qui est un exemple de modestie. Celle-là est celle qui humilie tout pervers… ; ainsi la jugea Celui qui créa l’univers.

Canzone, il me semble que tu parles contrairement au dire d’une sœur que tu as ; que cette Dame, que tu fais si modeste, cette (sœur — la Ballade VII, livre II)\a proclame fière et dédaigneuse. Tu sais que le ciel est toujours lumineux et clair, et à quel point en lui-même il ne s’obscurcit jamais ; mais nos yeux, pour de nombreuses raisons, avouent quelquefois l’étoile ténébreuse : de même quand je l’appelle orgueilleuse (cette Dame), je ne la considère pas selon le vrai, mais plutôt selon ce qu’elle me semble être ; (mon) âme la craignait et la craint encore tant, qu’elle me semble fière toutes les fois que je viens là où elle m’entend. Aussi excuse-toi, si cela t’est nécessaire ; et, quand tu le pourras, présente-toi devant elle, et dis (-lui) : « Ma Dame, si cela vous est agréable, je parlerai de vous en tout lieu. »

CANZONE III.

Il laisse les dires d’Amour ponr revenir à la Philosophie ; — il veut apprendre aui hommes quelle est la véritable noblesse. (Doit nui Ilotes.)

Les douces rimes d’Amour que j’avais coutume de chercher dans mes pensers, il faut que je les laisse ; non parce que je n’espère pas retourner à elles, mais parce que les manières dédaigneuses et fières qui me sont apparues dans ma Dame ont fermé la voie à mon langage ordinaire : et puisque le temps me semble (venu) d’attendre, je déposerai mon doux style, (style) que j’ai employé en traitant d’Amour, et je parlerai — du mérite par lequel l’homme est vraiment noble—avec une rime âpre et subtile, en réprouvant l’opinion fausse et méprisable de ceux qui veulent que la richesse soit le principe de la noblesse… ; et pour commencer je fais connaître quel Seigneur (la Vérité) demeure dans les yeux de ma Dame (la Philosophie), afin qu’elle s’éprenne d’elle-même.

Tel prétendit impérieusement que la noblesse, selon sa manière devoir, veut être une antique possession d’héritages avec de pompeuses généalogies ; il y en eut d’autres d’un plus mince savoir, qui modifièrent ce dire et en enlevèrent la dernière partie,… qu’ils ne possédaient peut-être pas ; en arrière de ceux-là vont tous ceux qui font les autres nobles par leur famille placée depuis longtemps dans une grande richesse. Et elle est si soutenue parmi nous, cette tant fausse opinion, que l’homme proclame homme noble celui qui peut dire : «Je suis le neveu ou le fils de tel (homme) puissant, » bien qu’il soit (un homme) de rien ; mais paraît très^vil, à qui considère le vrai, celui à qui le chemin est (tout) frayé et qui (n’a) ensuite (que la peine de) le parcourir ; il louche à cette extrémité, qu’il est mort et (ne fait que sembler.) cheminer sur le sol.

Celui qui définit : « L’homme est un bois animé, » d’abord ne dit point vrai, puis, outre le faux, il ne s’exprime pas complétement ; mais peut-être n’en voit-il pas davantage. Pareillement celui qui prétendit impérieusement (voyez la lre ligne de la stance précédente) fut erroné dans sa définition, qui d’un (côté) pose une (chose) fausse, et de l’autre côté procède avec (une forme) défectueuse : car les richesses, comme on le croit, ne peuvent ni procurer ni donner la noblesse, parce qu’elles sont viles de leur nature. Celui qui peint une figure, s’il ne peut être (s’identifier avec) elle, ne peut la retracer ; et la tour droite ne fait pas plier (s’élever à elle) le fleuve qui coule au’ioin. Il est manifeste qu’elles (les richesses) sont viles et imparfaites ; car, bien qu’elles soient nombreuses, elles ne peuvent donner la paix, mais elles donnent (au contraire) plus de souci :… d’où l’esprit, qui est droit et vrai, n’est point abattu par leur perte.

Ils ne veulent pas qu’un vilain devienne homme noble, ni que d’un père obscur descende une naissance qui passe jamais pour noble : cela est avoué par eux, d’où il semble que leur raisonnement est fautif, en tant qu’il allègue que le temps est nécessaire à la noblesse, (qui) s’achève avec lui. Il suit encore de ce que j’ai écrit plus haut que nous sommes tous nobles ou roturiers, ou qu’il n’y eut point de commencement pour l’homme ; mais je n’accorde point cela, ni eux non plus, s’ils sont chrétiens, parce que, aux esprits sains, il est manifeste que leur dire est vain : aussi comme faux je les réprouve et d’eux je me retire ; et je veux désormais dire, comme je le pense, quelle chose est la noblesse et d’où elle vient, et je dirai les signes que l’homme noble possède.

Je dis que toute vertu vient particulièrement d’une cause ; par vertu j’entends (celle) qui fait l’homme heureux dans ses actions : « Elle est,—selon le dire de la Morale (d’Aristote.Voir liv. II, chap. i), —une habitude qui choisit, et elle demeure (setient) seulement dans le milieu (entre les vices) ;… » elle (la Morale) s’exprime en ces propres termes. Je dis que la noblesse, dans son discernement, dénote toujours le bien de ce qui lui est soumis, comme la bassesse en dénote toujours le mal, et la vertu telle (noble) donne toujours aux autres bonne opinion de soi, parce que. dans le même dire se réunissent deux choses (noblesse et vertu) provenant d’un (même) effet ; donc il convient que l’une procède de l’autre, ou chacune d’une troisième ; mais si l’une vaut ce que vaut l’autre, et encore davantage, c’est plutôt de l’une que l’autre viendra… Et que ce que j’ai dit soit (accepté) ici comme hypothèse.

La noblesse est partout où est la vertu, mais non la vertu partout où est (la noblesse) ; de même que le ciel est partout où est l’étoile,… mais cela n’a point de réciproque. Et nous, dans les dames et dans la génération nouvelle (les jeunes gens), nous voyons ce salut (la noblesse), en tant qu’ils sont tenus par la modestie, qui est distincte de la vertu. Donc, comme le glauque (pers) vient du noir, d’elle (la noblesse) viendra chaque vertu, ou leur aptitude, dont j’ai parlé auparavant. Que personne, pour cette raison, ne se vante en disant : « Par (ma) naissance je suis avec elle. » Ceux-là sont presque des dieux, qui ont une telle faveur, de préférence à tous les indignes ; car Dieu seul la donne à l’âme, qui voit en elle-même se recueillir parfaitement,—comme (cela arrive) chez quelques-uns,—la semence de félicité si prochaine répandue par Dieu dans l’âme bien disposée.

L’âme qui est ornée de cette qualité (la noblesse) ne la tient point cachée ; et dès le premier (instant) qu’elle s’est unie au corps, il la montre jusqu’à la mort.—Obéissante, douce et modeste, elle est (ainsi) dans le premier âge, et elle orne de beauté sa personne en (rendant) accortes (toutes) les parties de son (être) ; — Dans une jeunesse tempérée et forte, (elle est) pleine d’amour et de courtoise renommée, et ne se plait qu’aux (choses) loyalement faites ; — Dans l’âge mur (elle est) prudente et juste, et la générosité s’y mêle ; en elle-même elle se réjouitd’entendre (parler) et de discourir de l’avantage d’autrui ; — Puis, dans la quatrième partie de la vie, elle se réunit à Dieu, en contemplant la fin qu’elle attend, et bénit les jours écoulés ;… voyez maintenant combien sont (nombreux) les (gens) abusés !

Devant ceux qui s’égarent, d ma (Canzone), tu l’en iras ; et quand tu seras dans le lieu où est ma Dame (la Philosophie), tu n’auras plus à tenir ta mission cachée ; tu pourras leur dire avec assurance : « Je vais parlant de votre amie. »

CANZONE IV.

Sur le peu de courtoisie et de verlu des jeunes gens de son lemps.

Puisque Amour m’a absolument abandonné, — non pour mon agrément, car je n’étais pas dans un état si joyeux, mais parce qu’il (Amour) fut tellement apitoyé sur mon cœur qu’il ne put s’empêcher d’écouter sa plainte, — (pour cela) je chanterai, ainsi dépouillé d’amour, contre cette erreur née en nous (et consistant) à désigner à contre-sens telle chose, qui est vile et ennuyeuse, sous le nom de mérite…, c’est-à-dire de courtoisie, laquelle est si belle qu’elle rend digne du manteau impérial celui en qui elle règne. Elle est un sincère indice, lequel montre où demeure la vertu ; c’est pourquoi, si je la défends bien dans mon dire comme je l’entends, je suis certain qu’Amour, pour elle, me fera grâce encore.

Il y en a qui, en dissipant leur fortune, croient atteindre à la valeur où se tiennent les bons, et qui, (pour) au delà de la mort, inspirent de la sécurité à l’esprit de tous ceux qu’ils connaissent. Mais leur mission ne peut plaire aux bons, parce que leur puissance (des bons) est dans le savoir, et qu’ils éviteraient le préjudice qui se joint à l’erreur d’eux (des premiers) et de leur secte, qui ont un faux jugement dans leur opinion. Qui ne reconnaîtra (comme une) erreur de dévorer des mets et de s’adonner à la luxure ? de se parer comme si l’on voulait se vendre à un marchand de fous Le sage ne prise pas l’homme d’après ses vêtements ni parce qu’ils sont ornés ; mais il prise le sens juste et les nobles cœurs.

Il y en a d’autres, qui avec un air riant, veulent être jugés d’intelligence prompte, par ceux qui sont trompés en les voyant rire d’une chose que leur esprit ne voit pas encore. Ils parlent avec des expressions prétentieuses ; ils vont, pleins de morgue et contents d’être loués par le vulgaire ; ils ne sont jamais enamourés d’une dame amoureuse ; leur conversation est.remplie de fadaises ; ils ne bougeraient pas le pied pour faire la cour aux dames à la manière d’un amant : mais comme au larcin (se platt) le larron, de même ils (mettent leur) plaisir à aller piller le pauvre ;… et cependant, ce n’est point que chez les dames soit si éteinte toute démarche séduisante, s’ils ressemblent à des animaux sans intelligence !

Ce n’est point une vertu sincère que celle qui dévie ; elle est blàmée et répudiée là où la vertu est le plus recherchée, — c’est-à-dire chez les gens honnêtes, de vie spirituelle, ou de mœurs qui tiennent de la science. Donc, si elle (cette vertu) est louée en un cavalier, elle sera causée et mélangée de beaucoup de choses, parce qu’elle convient que d’elle l’un se revêt bien et l’autre mal. Mais la Vertu sincère se tient ferme en chacun ; elle est un agrément qui admet avec elle Amour et l’œuvre parfaite (la Perfection). La courtoisie de ce tiers est loyale, et elle subsiste dans sa nature, — comme le soleil, dans la nature duquel se trouvent et la chaleur et la lumière, avec sa belle et parfaite figure (forme).

Encore que le ciel soit en harmonie avec le ciel, la courtoisie en divise autant et plus que je n’en compte ; et moi, qui lui suis connu, — parla grâce d’une noble (dame) qui la montrait dans toutes ses manières,—je ne tairai point d’elle qu’elle paraissait me faire une injure si cruelle que je m’en serais joint à ses ennemis ; c’est pourquoi, de ce moment, avec une rime plus subtile je dirai la vérité sur elle, mais je ne sais à qui. Je jure, par celui qu’on appelle Amour et qui est plein d’effet salutaire, que, sans pratiquer la vertu, nul ne peut acquérir une véritable gloire : donc, si cette mienne matière estbonne, comme chacun le pense, elle sera la vertu, et avec la vertu elle se lie.

Elle (la vertu) est toute semblable à la grande planète (le soleil), qui, depuis l’instant de son lever jusqu’au (moment) où elle se couche, avec ses beaux rayons fait, ici-bas, entrer la vie et l’efficacité dans la matière, suivant qu’elle (la matière) y estdisposée : celle-ci est dédaigneuse d’autant de personnes qu’il y en a qui portent la ressemblance d’un homme, et chez qui le fruit ne répond point aux fleurs à cause du mal qu’ils mettent en pratique. Au cœur noble elle procure des biens semblables, étant prompte à donner la vie avec un doux agrément et de belles manières nouvelles, qu’elle semble trouver à toute heure ;… et il a la vertu pour exemple, celui qui s’éprend d’elle, ô faux cavaliers, vicieux et méchants, ennemis de celle qui s’assimile au prince des étoiles !

Il donne et reçoit, l’homme à qui celle-là est favorable ; et il ne s’en plaint jamais, — pas plus que le soleil, lorsqu’il donne sa lumière aux étoiles, et qu’il en reçoit d’elles pour ajouter à son éclat ; — mais l’un et l’autre éprouvent du plaisir dans cet (échange) : déjà il (l’homme) ne s’induit point à la colère par des paroles ; mais il honore ceux-là seuls qui sont bons, et ses nouvelles (les choses qu’il dit ?) tout entières sont belles ; par lui est prisé et désiré des personnes sages ce qui, des autres (personnes) grossières, emporte autant d’éloge que de blâme ; pour aucune grandeur il ne monte en orgueil ; mais quand il rencontre où son courage a besoin de se montrer, là il se fait louer… Ceux qui vivent (maintenant) font tout le contraire !

CANZONE V.

Il montre aux dames combien peu d’hommes sont vertueux, et par conséquent combien peu sont digues d’elles.

Le chagrin me pousse, dans mon cœur, à avoir la hardiesse de vouloir ce qui est l’ami de la vérité. C’est pourquoi, ô dames, si je dis des paroles presque contre tout le monde, ne vous étonnez point, mais connaissez votre blàmable désir ; car la beauté qu’Amour fait briller en vous, pour la vertu seulement fut formée, — d’après son antique décret, contre lequel vous faites faute. Je vous dis que vous êtes enamourées ; que si la beauté vous a été donnée, et à nous la vertu, un phare (l’a été) également à celui-là de (ces) deux pouvoirs. Vous ne devriez point aimer, mais cacher tout ce qu’il vous a été donné de beauté, parce que ce n’est point la vertu qui était son indice… Hélas ! qu’arrivé-je à dire ? Je dis : « Ce serait un beau dédain, loué avec raison dans une dame, que, de son plein gré, .renvoyer de soi la beauté ! »

L’homme a fait la vertu distante de lui ; ce n’est déjà plus un homme, mais une bête, qui ressemble à un homme. O Dieu ! quelle chose surprenante (que de) vouloir tomber dans le servage d’un maître, ou de la vie dans la mort ! La Vertu, toujours soumise à son Créateur, lui obéit et lui rend honneur, 6 dames, jusqu’à ce qu’Amour la désigne (comme étant) de son excellente famille dans la cour bienheureuse : — Joyeusement elle sort par les belles portes ; (elle) se tourne vers sa dame (la dame où elle fait sa demeure) ; (elle) va, joyeuse, et séjourne ; joyeusement (elle) opère son grand vasselage ; pour le court voyage (la vie) (elle) conserve, orne et améliore ce qu’elle trouve : la mort lui est si incompatible qu’elle n’a souci d’elle… — O servante chérie et pure ! tu as atteint ton but dans le ciel ; toi seule donnes (un) maître ;… et cela prouve que tu es une possession qui réjouit toujours.

Il se fait le serviteur, non d’un maître, mais d’un til esclave, celui qui s’écarte d’un tel seigneur (la vertu). Apprenez ce qu’il en coûte, si vous raisonnez l’un et l’autre dommage, à celui qui s’éloigne d’elle : ce serviteur, ô maître, est si hautain, que les yeux qui portent la lumière à l’àme restent fermés pour lui, si bien qu’il est obligé de se conduire au gré d’autrui, et qu’il ne voit seulement que la folie. Et pour que mon dire vous soit utile, je descendrai du tout aux parties et à une marche plus facile, parce que (ce qui est) moins élevé s’entend (mieux), et que la parole obscurcie sous un voile arrive rarement à l’intelligence. C’est pourquoi je veux parler clairement avec vous ; et je demande pour récompense, — pour vous, et non, certes, pour moi, — que vous teniez à dédain et à mépris quiconque fait naître son plaisir (d’une chose) semblable (à la parole obscurcie ?).

Celui qui est esclave ressemble à celui qui est le suivant dévoué d’un maître, et qui ne sait où il va dans la voie douloureuse, comme est l’avare, suivant son trésor qui le domine tout entier ; l’avare court, mais la tranquillité s’enfuit (encore) plus (vite). O esprit aveugle, qui ne peux voir ton insensé désir ! avec tes richesses, qui te feront perdre ton temps à toute heure, qui sont vides à l’infini, te voilà arrivé à celle qui nivelle tout (la mort) ! Dis-moi, qu’as-tu fait, avare aveugle et délabré ? Réponds-moi, si tu peux, autre chose que rien. Maudit soit ton berceau, qui caressa en vain tant de sommeils ! Maudit soit ton pain, que tu perds, et qui ne (serait) point perdu (en le donnant) à un chien, toi qui, du soir au matin, as amassé et étreint à deux mains ce qui sitôt sera loin (de toi) !

De même qu’il (l’avare) amasse démesurément, de même il conserve outre mesure. Il est celui que beaucoup (de choses) poussent plus avant dans son servage, et si quelqu’une s’en défend, ce n’est point sans grande peine. Mort, que fais-tu ? Que fais-tu, fortune débonnaire P Que ne délivrez-vous celui-là qui ne s’achète rien ? (Et) si vous le faites, à qui se rendra-t-il ? Je l’ignore ; parce qu’un tel cercle (une telle croûte) l’environne, que rien de là-haut n’arrose (ne lave) cette faute de la raison (son avarice), qui ne se corrige point. S’il veut dire : « Je suis pris (le servage s’empare de moi) !» ah ! comme il montre une faible résistance, le seigneur (la vertu) que l’esclave (le vice) a surmonté ! Ici se redouble la honte, si bien elle se garde là où j’ai montré, — à vous, sots et trompeurs, et à d’autres, cruels, — que vous voyez aller nus par les collines et par les marais des hommes devant qui le vice s’est enfui, et que vous (vous) tenez (sous un) vêtement… d’ignoble fange !

Qu’elle se pose en face de l’avare, la vertu qui invite ses ennemis à la paix ; (qu’elle s’y pose) avec une parole agréable, pour l’attirer à elle mais il en est peu digne, parce qu’il refuse toujours la nourriture (la parole de la vertu). Puisqu’elle l’a entouré, en suppliant beaucoup, qu’elle jette vers lui des aliments autant qu’il lui en faut ; mais il n’ouvre point son aile, et il arrive là quand elle en est partie. Il est si visible que cela l’ennuie,—quoique ce (soit pour lui) donner de la force, — que le remerciment ne sort pas du bienfait. Je veux que chacun m’entende : qui avec son indifférence, qui avec sa mine hautaine, qui avec son apparence triste, change le donné en un vendu si cher, que l’on sait seul qui paye une telle emplette. Vous voulez savoir si le déboire déconcerte autant celui qui reçoit ?… Le refus, après (tout cela), ne lui semble pas amer comme à un autre, et l’avare s’en accommode.

Je vous ai dévoilé, 6 dames, dans chacun de leurs membres, la bassesse des gens qui vous regardent, afin que vous les preniez dans (votre) courroux, — mais beaucoup et plus encore ce qui (reste) caché, parce qu’il est hideux de dire : qu’on s’est identifié à chaque et chaque vice ; que l’amitié est confondue dans le monde, et que la feuille amoureuse, de la racine du bien tire ensuite un antre bien, semblable à elle en sa qualité. Ecoutez comme je vais concluant : 1l ne doit point croire en celle-là, celui à qui elle semble bien être belle, et être aimée de telles gens ; car si nous voulions apprécier la beauté par (ses) maux, croyez qu’on le pourrait, en appelant Amour un appétit de bête féroce. Oh ! qu’est dangereuse une telle dame, dont la beauté détourne de la bonté naturelle par une telle cause, et qui croit Amour hors de la source de la raison !

CANZONE VI.

La Vérité, la Générosité, et la Tempérance, ne pouvant vivre au milieu des hommes, se réfugient dans le cœur de Dante.

Trois dames sont venues autour de mon cœur, et restent en dehors, parce que en dedans siége Amour, qui est en domination de ma vie. Elles sont si belles et de tant de vertu, que le puissant Seigneur,—je (veux) dire celui qui est dans le cœur, — se sert difficilement de leurs paroles. Chacune paraît triste et effrayée, commeune personne repoussée et abattue, à qui tout le monde fait défaut et en qui la vertu et la noblesse n’ont plus de valeur. Il fut un temps, jadis, dans lequel elles furent chéries selon leur langage ; maintenant elles sont en courroux contre tous et ne se soucient (de personne). Celles-là sont venues ainsi seulettes, comme à la maison d’un ami,parce qu’elles savent bien que dedans se trouve ce que je dis.

L’une se plaint avec de nombreuses paroles ; elle se pose sur sa main, comme une rose coupée (en sa tige) ; son bras nu, appui de sa douleur, sent le rayon qui tombe de son visage. L’autre maintient cachée sa face larmoyante, dévêtue, pieds nus, et par elle-même uniquement paraissant une dame. Comme Amour la vit d’abord, par son vêtement affaissé, en un endroit qu’il est beau de taire, lui, charitable et dissimulé pour elle, lui fit la demande de sa douleur. — « Oh ! qu’elle a peu à vivre, répond-elle avec une voix mêlée de soupirs, notre nature qui s’abandonne à toi ! moi, qui suis la plus triste, je suis la sœur de ta mère,… je suis la Vérité, pauvre, tu le vois, d’habits et de ceinture ! »

Après qu’elle se fut rendue évidente (connaissable) et manifeste, le chagrin et la honte s’emparèrent de mon Seigneur, et il s’informa quelles étaient les deux autres qui se tenaient avec elle. Et celle-là, qui était si prompte à pleurer, aussitôt qu’elle l’eut entendu, s’excita davantage dans sa douleur, disant : « Maintenant ne te peine-t-il point (de voir) mes yeux ? » Puis elle commença : « Comme tu dois le savoir, d’une source le Nil naît (tout) petit fleuve, là où une grande lumière fait sortir de terre la feuille de l’osier. Sous l’onde virginale j’ai engendré celle qui est à mon côté, et qui s’essuie avec ses tresses blondes. Ce beau fruit de mes entrailles, en se mirant dans la claire fontaine, a engendré celle qui est plus loin de moi. »

Les soupirs rendent Amour un peu indécis ; puis, avec des yeux humides, qui d’abord avaient été égarés, il salua les sœurs désolées. Après qu’il eut pris l’un et l’autre dard, il dit : « Relevez la tête ! voici les armes que je désirai ! Par le peu d’usage (que j’en ai fait) vous les voyez en mauvais état. La Générosité, la Tempérance, et l’autre, née de mon sang, vont mendiant !… C’est pourquoi, si c’est un malheur, que les yeux le pleurent et la bouche le plaigne, (les yeux et la bouche) des hommes qu’il touche, et qui sont approchés (éclairés) des rayons de ce ciel ; (mais) non pas moi, qui suis de l’éternelle roche : que, maintenant, si je suis atteint, eh bien ! je le serai, et trouverai toujours des personnes que ce dard fera tenir enflammées ! »

Et moi, qui entends, dans ce parler divin, se consoler et se plaindre ainsi (ces) hauts réfugiés, l’exil qui m’est donné me fait honneur ; et si la justice, ou la force du destin, veut jamais que le monde change les blanches fleurs en (fleurs) perses, je tomberai parmi les bons et (serai) digne de louanges ; et, n’était que le beau signe de mes yeux (le bel objet de ma contemplation) est par l’éloignement ôté de mes regards, — qu’il m’a mis en feu,—ce qui m’est pesant me paraîtrait léger. Mais ce feu m’a déjà consumé les os et la chair au point que la mort m’a mis la clef sur la gorge : d’où, si j’ai (commis une) faute, (de même que) la lune s’est éclipsée parce qu’elle a passé (par derrière) le soleil, de même la faute meurt parce que l’homme se repent.

Canzone, qu’ (aucun) homme ne porte la main à tes vêtements, pour voir ce que, belle dame (qu’elle est), elle (la Canzone) renferme. Que les parties (qui sont) nues suffisent ; le doux sein (doit) refuser à toute personne pour que chaque main se retire. — Et s’il arrive que jamais tu trouves quelque ami de la vertu, et qu’il te supplie, revêts-toi de couleurs nouvelles ; puis montre-toi à lui…la fleur qui est belle au dehors fait naître le désir dans les cœurs amoureux.


FIN DU LIVRE QUATRIÈME.

LIVRE CINQUIÈME.

SONNET I.

Il implore l’assistance de la Vierge Marie (Voit aut Hôtes.)

O mère de vertu, lumière éternelle, qui enfantas le fruit de bonté qui souffrit sur le bois (la croix) la mort cruelle, pour nous sauver de la caverne obscure ;

O toi, Dame du Ciel, et souveraine du monde, oh ! prie donc ton bien digne fils qu’il me conduise à son céleste royaume, au moyen de cette vertu qui y règne toujours !

Tu sais qu’en toi fut toujours mon espérance, tu sais qu’en toi fut toujours ma joie :—or secoursmoi, 6 bonté infinie !

Or secours-moi, (moi) qui suis près du port qu’il va me falloir franchir de force… oh ! ne m’abandonne point, mon suprême confort !

Que si jamais dans ce monde j’ai commis quelque faute, (mon) âme en pleure, et (mon) cœur en devient tout contrit.

SONNET II. Il rencontre une Dame, qu’il admire.

J’ai vu, à cette Toussaint la plus proche passée, une gracieuse troupe de dames ; et l’une en vint comme la première (d’entre elles), menant avec elle Amour à son côté droit.

De ses yeux sortait une lumière, laquelle paraissait un esprit enflammé ; et j’en ressentis un tel enthousiasme, qu’en regardant sa démarche, je vis la ressemblance d’un Ange. „ Puis, à qui en était digne, elle donnait un salut avec ses yeux, cette douce et affable (Dame), en remplissant de vertu le cœur de chacun.

Je crois que cette souveraine naquit dans le ciel, et vint sur la terre pour notre salut ;… bienheureuse donc (celle) qui est proche d’elle !

BALLADE I.

La Corneille et les autres oiseaux. — Apologue.

Quand le conseil des oiseaux se tint, il fallut nécessairement que chacun comparût, sur un tel avis ; et la Corneille, malicieuse et félone, eut la pensée de changer de robe, et emprunta les plumes de beaucoup d’autres oiseaux.

Elle s’orna, et vint dans le conseil ; mais elle se tint peu sur ses gardes, parce qu’elle paraissait belle au-dessus de tous les autres. Chacun demanda à l’autre : « Quelle est celle-là ? » si bien que finalement elle fut connue. Or écoutez ce qu’il en advint.

Tous les autres oiseaux se mirent autour d’elle ; de telle sorte que, sans délai, ils la dépouillèrent, si bien qu’elle demeura nue. Et l’un disait : « Or voyez la belle amoureuse ! » L’autre disait :’ « Elle mue !… » Et ils la laissèrent ainsi dans une grande honte.

Pareillement il en arrive chaque jour à l’homme qui se montre orné de la renommée et de la vertu qu’il dérobe aux autres : parce que souventefbis tel sue la chaleur d’autrui, qui ensuite se gèle ;… bienheureux donc qui se pourvoit par soi-même !

SONNET III.

Pressentiments de la mort de sa D.ime.

Un jour s’en vint à moi la Mélancolie, et (elle me) dit : « Je veux rester un peu avec toi. » Et il me sembla qu’elle menait avec elle la Douleur, et (que) le Courroux (était) en sa compagnie.

Et je lui dis : « Va-t’en ! pars ! » Et elle me répondit comme un grec. Et en raisonnant tout à mon aise avec moi, je regardai, et vis Amour, qui venait

Vêtu de nouveau d’un drap noir ; sur sa tète il portait un voile, et certainement il pleurait tout de bon.

Et je lui dis : « Qu’as-tu, pauvre enfant ? » Et il (me) répondit : «J’ai du malheur, et du chagrin… parce que notre Dame se meurt, 6 (mon) bon frère !… »

SONNET IV.

Il répond à quelque demande de messire Brunello ( Latiui ?).

Messire Brunetto, cette vierge s’en vient faire la pâque avec vous ; n’entendez pas la paque à manger, car elle ne mange pas ; auparavant elle veut être lue.

La sentence (qu’elle renferme) n’exige ni hâle, ni lieu de rumeur ou de réjouissance ; (mais) elle veut plutôt qu’on la trouve agréable avant qu’elle s’introduise dans l’intelligence des autres.

Si vous ne l’entendez point de cette façon, dans votre nation elle a beaucoup de frères Albert, qui comprendront ce que je tiens pour eux dans (ma) main.

Avec eux vous me joignez, sans rire ; et si, eux autres, (ils) ne sont point certains de (ce dont vous) doutez, ayez recours à la fin à Messire Giano.

CANZONE I.

Il détaille et analyse, en les admirant, toutes les beautés de sa Dame (Béatrice).

J’admire les cheveux crêpés et blonds dans lesquels Amour a fait pour moi des rets, (tantôt) avec une rangée de perles, tantôt avec une belle fleur, pour me rendre amoureux ; et je trouve qu’il (Amour) (me) séduit. Et auparavant je regarde au fond des beaux yeux, qui passent par les miens jusque dans (mon) cœur, avec une splendeur si vive et si éclatante qu’il semble réellement qu’elle émane du soleil. Il (Amour) montre une puissance qui s’accroît encore en eux ; d’où moi, qui les vois se tenir si gracieux, je raisonne ainsi en moi-même, (tout) en soupirant : « O malheureux ! pourquoi ne suis-je seul à seul avec elle, là où je la demande ! pour que je puisse défaire cette blonde tresse onde par onde, et faire de ses beaux yeux deux miroirs pour les miens, (miroirs) qui brillent tant qu’on ne trouve point (leurs) pareils ! »

Puis je regarde l’amoureuse et belle bouche, le front spacieux, et le gracieux regard, les doigts blancs, et le nez droit, et les cils luisants et noirs et tels qu’on les dirait peints. Mon penser amoureux me touche alors, disant : « Vois, (tout) dispos, à t’emparer du milieu de cette lèvre fine et vermeille, sur laquelle tout semble doux et savoureux ! De grâce ! écoute combien son aimable raisonnement la montre tendre et compatissante, et comme son parler se coupe et se mesure ! Admire que, quand elle rit, elle surpasse de beaucoup en douceur toute autre chose… » C’est avec de telles paroles que mon penser m’éperonne, parce que je n’ai pas dans le monde une chose qui, avec (plein) bon vouloir, en présence de celle-là, ne doive s’amoindrir.

Puis je regarde son cou svelte et blanc, qui se lie si bien à ses épaules et à sa poitrine ; et son menton rond, tout petit et (légèrement) fendu, tel qu’avec les yeux on n’en découvre point de plus beau. Et ce penser, qui, seul, m’envahit pour elle, me dit : « Vois donc vite à ce que le doux plaisir s’empare de ce (petit) mont placé entre les bras, et qu’à cette gorge il imprime un léger mouvement. » Puis il ajoute, et dit : « Ouvre ton esprit ; si les parties extérieures (d’elle) sont si belles, que doivent donc être les autres qu’elle cache et recouvre ? car (de même que), uniquement par l’admirable effet que produisent dans le ciel le soleil et les autres étoiles, on croit qu’en dedans de lui (le ciel) (se trouve) le Paradis, de même, si tu la regardes fixement, lu dois bien penser que tout terrestre plaisir se trouve là où tu ne peux voir. »

Puis je regarde ses bras souples et ronds, (et) sa main blanche, potelée et douce ; je regarde ses doigts longs et déliés, amoureux de cet anneau, qui tient l’un d’eux entouré. Et mon penser me dit : « Or, si tu étais dans ses bras à cet endroit (même), ton âme éprouverait tant de plaisir qu’il ne me serait pas possible de t’en dire la cinquième (partie). Regarde que chacun de ses membres semble peint, beau et grand autant que cela est convenable pour elle, avec une couleur de perle (tout) angélique. Gracieuse à voir, et flère quand il le faut ; timide, modeste et douce, et toujours chérie de la vertu, entre toutes ses manières une allure règne, qui la rend digne de toute révérence.

« Calme, elle va à la façon d’un beau paon, et droite sur elle (-même) comme une grue. Vois que réellement sa gentillesse paraît bien aussi décente qu’elle peut l’être» et si tu veux en voir la véritable cause,—(me) dit (toujours) mon penser, —regarde bien fixement dans ton âme, alors qu’elle s’engage avec une dame (choisie pour) avenante et belle : de même que, quand il se meut, toute autre clarté semble disparaître ’ devant le soleil, de même cette (Dame) efface tout (autre) ornement. Or vois bien, si elle (te) plaît, qu’Amour est autant que sa beauté… et une grande et suprême beauté se trouve avec elle ! Celui qui lui plaît et lui agrée est (doit être) uniquement de coutumes nobles et modestes ;… mais seulement, (toi), ne prends espoir que dans son bien faire. »

Canzone, tu peux bien dire cette vérité : « Depuis que cette belle Dame est venue au monde, aucune jamais ne plut (aussi) généralement que l’a fait celle-là ; parce qu’il se trouve en elle la beauté du corps et la bonté de l’âme… excepté qu’il lui manque un peu de compassion ! »

CANZONE II.

Profonde donleur que lui fait épronver son éloignement de sa Dame.

A la belle étoile (le soleil) qui mesure le temps ressemble la Dame qui m’a enamouré, placée dans le ciel d’Amour, et comme celle-ci, de sa figure, fait de jour en jour le monde illuminé, de même fait celle-là, — pour le cœur des (personnes) nobles et de celles qui ont du mérite, — avec l’éclat qui demeure sur son visage : et chacun l’honore, parce qu’on voit en elle une parfaite lumière, par laquelle la vertu arrive entière dans l’esprit de celui qui devient amoureux d’elle (de cette Dame). Et le fait est, qu’elle colore ce ciel d’une clarté qui sert de guide aux bons, avec la splendeur qu’apporte sa beauté.

De (cette) belle Dame, bien plus que je ne le fais connaître, je suis parti épris au degré qui convient pour elle, et je porte peint dans mon esprit le visage d’où proviennent les pleurs douloureux que mes yeux répandent : « O belle Dame ! à lumière ! que je verrais, si j’étais là d’où je suis parti !… » Dolent, consterné, (ainsi) dit en lui-même et en pleurant (mon) cœur plaintif. Je la porte beaucoup plus belle dans mon esprit que vous ne l’entendrez dans mon langage, parce que je ne suis point doué d’ (une) intelligence à parler (d’une chose) si élevée, ni à conter mon mal avec (quelque) perfection.

Par elle se meut chacun de mes pensers, parce que (mon) àme a pris l’attribut de sa belle personne ; et il me vient un désir de la voir, que m’apporte le penser de sa beauté et qui éperonne mon envie de l’aimer : et il (ce désir) ne m’abandonne pas, mais me le fait appeler sans cesse. Hélas ! je n’ose mourir, et je mène ma vie dolente dans les pleurs ! Et si je ne puis dire entièrement mon deuil, cependant je ne veux pas (non plus) le tenir caché ; car j’en inspirerai de la pitié à chacun (de ceux) à qui mon Seigneur (Amour) tient le frein, quand même j’en dirais un peu moins.

A ma mémoire revient chaque chose qui fut jamais vue par moi en elle, ou que je lui entendis (jamais) dire ; et je fais comme celui qui ne repose (point), et dont la vie de plus en plus s’écoule dans les plaintes et dans la langueur. Toute chose d’Eue me fait endurer le martyre ; que si par elle la compassion me fut montrée, et que je l’aie laissée, avec d’autant plus de raison je dois m’en affliger : et si jamais je me la remémore — paraissant, dans son allure, troublée devant moi, ou sevrée d’amour, — il m’arrive alors ce qui m’arriva en la voyant, et il mevient un plus grand désir de pleurer.

Ma vie amoureuse s’enfuit derrière le désir qui m’attire à ma Dame sans la moindre réserve, et le grand versement de pleurs, qui me détruit quand ma vue contemple (cette) belle Dame, devient beaucoup plus abondant : et je ne saurais dire ce que, moi, je deviens. Je me rappelle alors que je voyais parfois ma Dame ; et sa figure, que je porte en dedans de moi-même, m’apparaît si vivement que j’en deviens mort. D’où je ne pourrais faire connaître mon état, (qui est) hélas ! que je ne voudrais jamais trouver qui me donnât réconfort, jusqu’à ce que je sois aperçu de son beau regard.

Tu n’es point belle, mais tu es miséricordieuse, ô ma Canzone nouvelle, et telle tu f en iras là où, par aventure, tu seras entendue de ma Dame : parlelui, respectueuse et craintive, en (la) saluant d’abord ; et puis tu lui diras comme quoi je n’espère jamais plus la revoir avant ma fin ;… parce que je ne crois pas avoir une bien longue vie.

CANZONE III.

Dans sa tristesse, il prcroil el désire une mort [iromjilc.

Parce que, dans mes jours cruels, je demeure quelquefois en (en) attendant de pires, je ne sais comment je dois jamais me consoler, si Dieu ne m’aide par la mort, que je le supplie de me (faire) venir à mon secours : car les malheureux comme moi, elle les dédaigne toujours, comme je le vois et l’éprouve. Je ne veux point me plaindre de (Celle) qui fait cela, parce que d’elle j’attends la paix au moment de ma mort ; car je crois la servir, hélas ! en mourant ainsi… je la désoblige et lui déplais en vivant.

Eh ! pour le coup Amour m’eût, avant que je la visse, incontinent (mis à) mort, que pour (tout) reproche à (son) tort, il eût fait honneur à lui et à moi ! Je porte une telle vergogne de ma vie, qu’il (s’en faut) de peu (que je) ne meure ; et j’ai pis que (cette) douleur, dans laquelle je détourne le monde d’aimer : car Amour est une chose, et le Sort (une autre), qui dominent la nature, l’une par son usage, et l’autre par son pouvoir… et chacune me contraint, si bien que je veux, pour moins de mal, mourir, contre la volonté naturelle.

Cette mienne volonté cruelle est si forte, que souventefois par la main d’autrui je donnerais à mon cœur la mort plus légère : mais, hélas ! par pitié pour mon àme affligée, qu’elle ne se perde pas (mon àme), et retourne à Dieu telle qu’elle est ! Elle ne meurt pas ; mais elle arrive à (être) chargée : bien que je ne croie pas déjà pouvoir finalement obtenir que sa miséricorde nouvelle (de Dieu) ne me compte pas cela pour un outrage, il en prendra peut-être alors pitié de moi, le Seigneur qui voit cela.

O ma Canzone, tu resteras donc ici avec moi, afin que je pleure avec toi ; car je n’ai rien où je puisse aller sauf : et (comme), auprès de ma souffrance, chacun autre a de la joie, je ne veux pas que tu ailles faisant de l’ennui aux autres.

CANZONE IV.

Sur II ; bien et le mal qu’il éprouve eu dedans do lui-même au tujel de sa Dame.

Une jeune Dame siége en dedans de mon cœur, et montre en elle une beauté si parfaite que, si je n’ai secours, je ne saurai le faire connaître. Elle voit les esprits amoureux, de qui cette vie nouvelle, (qui est la) leur, est chérie ; c’est pourquoi toute leur vertu s’en est allée vers elle, — de quoi je me trouve déjà sans force, par (cet) accident doux (en partie) et en partie cruel. Donc je demande du secours de ce Seigneur qui apparut sur son clair visage (de la Dame), quand il s’empara de moi par une contemplation si attentive.

Elle séjourne dans le centre (de mon cœur) la noble (Dame), gracieuse, belle, et presque timide : et cependant plus d’une fois resplendit à ses pieds l’âme humble. Seule, (l’àme humble) contemple la (Dame) avec un si puissant amour, qu’elle n’est attentive à nul autre (objet) : et, comme elle (l’àme) s’enflamme avec une grande joie, ses beaux yeux (de la Dame) se lèvent avec douceur pour réconforter sa chère servante : d’où, ici, en scintille l’âpre flèche qui m’a frappé, aussitôt qu’elle (la Dame) eut appuyé la clef sur moi.

Alors s’accroît le désir effréné, et sans cesse et toujours, sans qu’il se dise fatigué, jusqu’à ce qu’il m’ait conduit au port (au point) qu’il se change en un amer soupir ; et avant qu’il s’éteigne, je reste blanc (pâle), à la manière d’un homme mort. Et s’il arrive que je recueille quelque réconfort en me représentant sa vue angélique (d’Elle), cela encore ne me rassure-t-il point tout à fait ; je reste plutôt dans (ma) frayeur, parce que rarement on gagne à vaincre lorsque l’on s’attriste de (sa) prise.

Noble, elle brille sur son siége orné, et domine avec un maintien digne, tel que (cela) convient à elle : puis sur (son) cœur, là tout au beau milieu, Amour se glorifie, dans le bienheureux royaume, (de ce) qu’il l’honore et la possède ; si bien que les pensers, qui ont un vague espoir, en considérant un séjour si élevé, entre eux-mêmes se rapprochent ets’entre-choquent :… et de là se dépeint la fantaisie (l’hallucination) qui me maigrit et m’énerve, en feignant (me faisant croire) qu’une chose honnête (m’est) acerbe (cruelle).

Ainsi, en moi, se rencontrent ensemble le bien et le mal : — la raison, qui veut la vérité pure, est satisfaite d’une telle fin, — et la douleur s’est changée en un sens naturel, parce que quiconque est affligé l’éprouve… et jamais elle ne se ralentit ! Et, quoique ce soit que d’abord elle me rappelle, (elle) m’en brise violemment l’esprit : il n’en reviendra, je crois, jamais solide ; mais bien mieux, comme un amant, je m’appelle l’esclave de son doux visage, et je ne serai jamais joyeux si elle m’est ravie.

Va-t’en, ma Canzone, (va), je t’en prie, auprès de personnes qui t’entendent volontiers, et arrête-toi à raisonner avec elles ; dis-leur que je ne. vois pas, ni ne crains pas (non plus) que le grand jour (la publicité) m’offense ;… je porte un vêtement noir et un modeste bandeau.

CANZONE V.

Il interpelle doncement Amonr sur les peines que sa Dame lui fait endurer.

Dès qu’il te plaît, Amour, que je retourne (me ressoumette) à l’outrage usité chez l’orgueilleuse et belle (Dame), autant que tu sais (le faire) embraselui le cœur ; si bien qu’elle s’accommode avec l’amoureux rayon, de manière à ne plus trouver bon que je pousse toujours mes plaintes : et, —si d’abord (dans l’incendie de son cœur ?) tu comprends (sa) récente tranquillité, et ma flamme constante, et le dédain qui me crucifiait à tort, et la raison pour laquelle j’implorais la mort, — tu seras, là, tout à fait avisé… Après, si tu m’ôtes la vie et que tu en aies (bien) la volonté, je mourrai soulagé et j’en aurai une moindre peine.

Tu connais, Seigneur (Amour), (et) d’une manière bien certaine, que tu me créas de tout temps apte à te servir ; mais je n’étais pas encore mordu (épris), quand sous le ciel je vis à découvert le visage par lequel je suis captivé ; de quoi mes esprits prennent leur course directement vers ma Dame. Cette (Dame) noble, qui, plus (encore) que la vertu, est belle de sa beauté à elle-même, (se) montre pour leur donner sur-le-champ le salut : alors ils se fient à elle ; et lorsqu’ils se furent glissés sous son voile, la douce paix les changea en pleurs.

Moi, qui les entendais se douloir, comme l’affection (me) mène, nombre de fois je courus devant Elle. L’àme qui devait se tenir pour assurée, me donna quelque peu de vigueur, et je contemplai fixement les yeux de cette (Dame). Tu dois t’en souvenir, toi (Amour), qui m’appelas avec un air (si) doux (que) j’en espérai (un) allégement à mon plus grand fardeau ; car, aussitôt que la clef s’appuya sur moi, tu me plaignis avec un soupir (si) obligeante ! avec un air si plein de compassion, qu’à (ce) tourment je m’enflammai (encore) plus joyeux.

Par (cette) vue noble, lumineuse et charmante, je devins sujet soumis, et je trouvai agréable chacun de ses gestes, me glorifiant de servir une si noble Chose. J’ai laissé (ce que j’avais) de plus cher pour jeter mes regards sur cet éclatant prodige ; et il m’a rendu un si cruel dédain, pour me consumer du désir de l’avoir, que j’en défaillis. Elle cacha sa modestie sous le noble visage, d’où (m’) arriva dans le flanc la flèche qui m’avait frappé à vif : et elle se réjouissait de me voir dans la peine, uniquement pour éprouver si de toi venait (quelque) valeur.

Ainsi las, amoureux et abattu, je désirais la mort, comme la chance d’un différent martyre ; car les pleurs m’avaient déjà rompu et brisé si (fort) su delà de l’humaine mesure, que je me croyais à mon tout dernier soupir. Et l’ardent désir me contraignit ensuite tellement à souffrir, que, pour mon angoisse, tu t’affaissas sur la terre ; et dans mon hallucination tu m’entendais dire que, de cette guerre, il faudra bien encore que j’en périsse ;… si bien que, par une grande peur, je craignais d’aimer.

Seigneur (Amour), tu as entendu quelle vie j’ai supportée en me tenant avec toi : non que je te la raconte pour ma défense ; avant (tout) j’obéirai à ton commandement. Mais si, (pour prix) d’une telle entreprise, je reste mort, et que tu m’abandonnes, pour Dieu, je te prie au moins de lui pardonner (à Elle) !

CANZONE VI.

Il dépeint la puissance mortelle des regards auxquels s’est joint Amonr.

(Il) est digne de se disposer à oser, l’homme qui connaît et qui se risque, en se hasardant auprès d’une (chose), d’où— naturellement ou d’une autre manière — la frayeur peut (lui) venir. Je reprends ainsi maintenant, et veux dire que ce ne fut point pour oser si j’ai pris garde à cette créature ; que j’ai vu celui qui vint pour me frapper, parce que jamais je n’avais vu Amour, — dont on ne connaît point le cœur si on ne le sent, (et) qui semble réellement un (objet de) salut, par la vertu duquel on est créé ; puis pour frapper il part avec un dard rapide, qui se joint au doux regard.

Quand les yeux regardent la beauté et trouvent leur plaisir à exciter la pensée, ils émeuvent l’âme et le cœur, et se mirent dans leur trésor, se tenant à voir sans autre volonté : si le regard (de l’autre personne) s’y joint, incontinent dans le cœur ardent passe Amour, qui semble sortir de sa clarté (du regard). Je fus frappé ainsi en regardant, puis il (Amour) me renversa, tremblant dans mes soupirs, (et) ne sachant qui désormais (pourrait) me relever, bien que jamais je ne puisse me sauver (de là). Dès que je veux (seulement) y réfléchir, je-tremble tout entier… ; de cette manière je connais le cœur détruit (le mien).

Puis je montre que la mienne (manière) ne fut point la hardiesse : non que j’aie aventuré (mon) cœur dans (cette) vue… ; je peux dire que dans mes yeux est venue directement (leur) nourriture ; et sur (mon) visage est répandu un air qui vient du cœur, (du cœur) où (ma) vie est si combattue qu’elle est perdue. C’est pourquoi son secours (du cœur) n’a (aucun) pouvoir ; cette pitié vient comme le veut la nature, puis montre sur (ma) figure le cœur triste, pour me faire seulement acquis à la compassion, — laquelle se requiert comme il est convenable, là où la force ne vient point du Seigneur qui juge la cause de celui qui meurt.

Canzone, on peut comprendre ton sens, mais non savoir si tu seras approuvée, ou non, de l’âme enamourée et noble où Amour se pose :-et cependant tu sais bien avec quelles personnes tu dois chercher à le tenir pour être honorée ; et quand tu es regardée, ne t’effraye point dans ta pensée ; que la raison te rassure, et la courtoisie. — Donc mets-toi dans la voie claire et ouverte de tout serviteur courtois et modeste ; appelle-toi librement (et) comme tu voudras, et dis que tu es la nouvelle (fille) d’un, qui voit le Seigneur qui tue celui qui le regarde.

CANZONE VII.

Abattement et consternation de ses esprits devant la souveraineté du mérite de sa Dame.

Je ne pensais pas que le cœur éprouvât jamais, des soupirs, un tourment si grand, que de mon àme il naquit des pleurs, — mes yeux montrant la mort dans leur regard. Je ne sentis jamais la paix, ni une seule fois le sourire, depuis que je trouvai Amour et ma Dame ; lequel Amour me dit : « Tu ne l’éviteras pas ; car de (ce) côté trop fort est le mérite. » Mon courage s’en alla désolé, parce que je laissai (mon) cœur à la bataille, où ma Dame se tient, — laquelle, de ses yeux, vint à me frapper de telle sorte qu’Amour mit en déroute et fit fuir tous mes esprits.

On ne peut pas apprécier le mérite de cette Dame, parce qu’elle vient ornée de tant de beautés que l’esprit d’ici-bas ne la comporte point ;… ainsi la voit notre intelligence. Elle est si noble que, quand j’y pense bien, je sens l’àme (me) trembler par le cœur, comme la (chose) qui ne pourrait tenir bon devant la grande douleur que je lui dévoile. Son éclat (me) frappe par les yeux (m’éblouit), si bien que l’homme qui me voit dit : « Qu’elle ne me regarde point, cette pitié qui est placée (qui descend) sur une personne morte, (même) pour demander merci !… » Et ma Dame ne s’en est pas encore aperçue.

Quand il me vient (un) penser que je veux dire à (ce) noble cœur sur son mérite, je me trouve de si peu de valeur que je n’ose pas m’arrêter à ce penser. Amour, à la vue de ses beautés (de la Dame) me consterne tellement que (mon) cœur ne peut endurer de la voir venir, et qu’il dit (à Amour) en soupirant : « Je désespère de toi, parce que j’ai reçu de son doux sourire (d’elle) une flèche aiguë, qui a dépassé ta pensée et la mienne (ton but et le mien) ;… Amour, tu le sais, maintenant que je te le dis ; puisque tu l’as vue, forcément il faudra que tu meures ! »

Canzone, tu sais que je semblai te (faire sortir) des lèvres d’Amour, quand je vis ma Dame ; pour cela agrée donc que je me confie à toi : Va-t’en à elle de telle façon qu’elle t’écoute, et, — je t’en prie humblement, — guide auprès d’elle les esprits fugitifs de mon cœur, qui, par la souveraineté de sa valeur, étaient renversés, s’ils ne furent détruits, et vont seuls, sans compagnie, par une route trop difficile et (trop) dure. Mène-les pour cela par une route certaine ; puis dis-lui, quand tu seras présente devant elle : « Ceux-ci (ces esprits) sont sous la figure d’un, qui se meurt en tremblant. »

CANZONE VIII.

Il reconnaît et célèbre les hautes perfections de sa Dame.

La haute espérance, — que m’apporte Amour, d’une Dame noble que j’ai vue, — salue doucement mon àme, et la fait se réjouir en dedans de (mon) cœur ; d’où elle (l’espérance) la fait (l’àme) étrangère à ce qu’elle était, et lui conte sa nouveauté comme si elle venait d’un pays lointain ; car cette Dame, pleine de modestie, joint la courtoisie à l’affabilité, et repose entre les bras de la Compassion.

De tels soupirs sortent de cette (àme mienne) rajeunie, que je me tiens seul, pour que les autres ne les entendent point, et (pour) qu’Amour entende combien elle (l’àme) loue ma Dame, qui me fait vivre sous son étoile. Le doux Seigneur dit : « Je veux proclamer cet (objet de) salut (la dame) en la louant par tous noms de nobles vertus, (vertus) qui, en l’ornant réellement toutes, sont accrues en elle, et de bonne envie s’en vont l’embellissant. »

(Nul) ne peut dire ni savoir à qui elle ressemble, sinon (celui) qui demeure dans le ciel, (ou) qui est de là-haut, parce que son cœur ne peut jamais être envieux. (Celui-là) n’a point d’envie, qui possède une merveille ; ce vice règne où il y a comparaison ;… mais Celle-là est sans pareille, et je ne sais donner (un) exemple (du degré) auquel elle est supérieure. Sa grâce, à qui peut la contempler, descend dans le cœur, et là ne laisse aucun défaut séjourner.

Sa vertu et son mérite sont si grands qu’ils font s’émerveiller le soleil, (qui), pour complaire à Dieu en ce qu’il désire, devant elle s’incline et lui rend honneur. Donc si la chose connaissante (le soleil) la grandit et l’honore, combien les hommes doiventils l’honorer davantage ? Tout ce qui est noble s’éprend d’elle ; l’air en est réjoui, et le dû pleut sa douceur là où elle habite.

Je me tiens seul comme (un) homme qui désire la voir, en soupirant souvent ; car je regarde dans mon esprit, et trouve qu’elle est ma Dame, — d’où Amour me donne de la joie, et me rend confus de l’honneur qu’elle me fait… car je suis (tout) à elle, qui est si noble. Ses paroles sont la vie et la paix ; elle est si entendue et si subtile, que de toute chose elle tire la vérité.

Elle se tient dans mon esprit comme je la vis, de douce apparence et d’air modeste, — d’où Amour tire une espérance, (espérance) dont le cœur se nourrit et en laquelle il veut qu’on se fie. Dans cet espoir est tout mon plaisir, qui est comme une noble chose ; car, seulement pour voir (l’objet de) toute son affection, cette espérance ose être manifeste… et je n’affecte rien autre que de la voir, (elle) qui est le repos de ma vie.

Tu me parais, Canzone, si belle et (si) nouvelle, que je n’ai point la hardiesse de te proclamer mienne. Dis qu’Amour te fit, — si tu veux bien dire, — dans le milieu de mon cœur, qui éprouve son pouvoir. Il veut (Amour) qu’à son nom seul tu ailles à ceux qui sont parfaitement les siens, bien qu’ils soient rares. Tu (leur) diras : « Je viens demeurer avec vous ; et, je vous (en) prie, que je vous sois agréable, au nom du Seigneur par qui je suis envoyée ! »

CANZONE IX.

Il se lameile de ce que la mort lui a enlevé lonles les beautés de sa Dame.

Hélas ! malheureux que je suis ! les tresses blondes, par lesquelles brillaient d’une couleur d’or les monts d’alentour (les seins ?) ; hélas ! le beau maintien et les douces ondes (regards humides ?), qui, dans mon cœur, descendaient de ses beaux yeux au jour bien indiqué ; hélas ! le frais, le beau et l’éclatant visage ; hélas ! le doux sourire, par lequel on voyait la blanche neige (les dents) à travers les roses (les lèvres) en tout temps vermeilles… ; — hélas ! ô Mort ! pourquoi, sans moi, as-tu enlevé (tout cela) si tôt ?

Hélas ! (le) cher passe-temps, et (le) port gracieux ; hélas ! (le) doux accueil, et (la) sage intelligence, et (le) cœur réfléchi ; hélas ! (le) beau, modeste, et sublime dédain, qui augmentait en moi la volonté de haïr les (choses) viles et d’aimer les (choses) haut placées ; hélas ! le désir né d’une si belle abondance (de qualités) ; hélas ! l’espérance qui me faisait voir indifféremment toute autre (dame), et me rendait léger le fardeau d’Amour… ; — hélas ! 6 Mort ! tu as brisé ce verre (ce prisme), (si bien) que, (moi) vivant, tu me tiens mort, et irrésolu !

Hélas ! d Dame, Dame de toute vertu ! Déesse pour laquelle, —ainsi que le voulut Amour, —je fis refus de toute autre déesse ; hélas ! quelle colonne, — et de quelle pierre, — avais-je dans le monde entier, qui fût digne de te donner aide (te soutenir) dans les airs ? hélas ! vase accompli d’une (façon) si surnaturelle, par (le) coup du sort tu fus conduit au haut des âpres monts, où la Mort, hélas ! t’a fermée au milieu des dures pierres, (la Mort) qui a fait deux fontaines de mes yeux fatigués de pleurer.

Hélas ! 6 Mort, quoique je ne te disculpe point, dis-moi au moins, au nom de nies tristes yeux, si ta main ne me décharne pas, ne dois-je point finir de pousser (mes) gémissements ?

FIN DU LIVRE CINQUIÈME. LIVRE SIXIÈME.

CANZONE I.

Son ame véhémente laisse échapper celle apostrophe rude, mai» pleine d’amour, à Florence, sa patrie.

O patrie, digne d’une triomphale renommée, mère des (hommes) magnanimes, en toi plus que dans ta sœur la douleur s’élève. Celui de tes enfants qui t’aime dans (ton) honneur, en voyant les œuvres basses qui se commettent dans ton (sein), ressent de la tristesse et de la honte. Hélas ! combien en toi la gent inique est toujours prête à s’assembler à ta mort, montrant à ton peuple le faux pour le vrai, avec des yeux louches et hypocrites ! Relève le cœur des accablés ; enflamme- (leur) le sang ; leurs traîtres, dégrade- (les) dans ton opinion, — si bien qu’en te louant on indique ce bienfait qui te réclame, (et) dans lequel tout bien surgit et fait sa demeure.

Tu régnas fortunée dans le bel âge où tes enfants voulurent que les vertus fussent leurs soutiens. Mère de louange, et maison de salut, avec (ta) foi pure et solide tu étais heureuse, et avec les sept dames (sept vertus). Maintenant je te vois dépouillée de tes vêtements, vêtue de douleur, pleine de vices, ayant chassé les fidèles Fabrizi, orgueilleuse, avilie, (et) ennemie de la paix. Oh ! (comme) tu es déshonorée ! miroir des nations parce que tu t’es jointe à Mars, tu punis en Antenora quiconque ne suit point sincèrement la tige du lis veuf… ; et à ceux qui t’aiment le plus, tu fais le plus méchant accueil.

Rends moins nombreux en toi les mauvais germes, (toi) non miséricordieuse pour (ceux) de (tes) enfants qui ont rendu ta fleur souillée et inutile ; et veuille que les vertus soient victorieuses : de sorte que la Foi cachée ressuscite avec la Justice, le glaive à la main. Suis les lumières de Justinien, et tes lois fougueuses et injustes, corrige- (les) avec équité, si bien que le monde et le divin royaume les louent. Puis, de tes richesses, honore et embellis le fils qui t’estime le plus, non en initiant à tes biens qui n’en est point digne. Que la Prudence et toutes ses sœurs, aillent avec toi…, et toi, ne leur (sois point) rebelle*

Sereine et glorieuse, sur la roue de toute heureuse existence, — si tu fais cela, — tu régneras honorée ; et ton grand nom, que l’on note mal, pourra ensuite (se) dire Florence ! Dès que la tendresse t’aura ornée, heureuse l’âme qui sera créée en toi ! En toi toute puissance et (toute) louange seront dignes. Tu seras la bannière du monde. Mais si (tu) n’ (as pas) de muets pour la direction de ton vaisseau, attends pour ton sort, avec une mort… fortunée, une plus forte tempête que celles essuyées (par) toi pleines de gémissements. Choisis désormais : (vois) si la paix fraternelle fait plus pour toi, ou (si tu veux) rester louve rapace.

Tu t’en iras, Canzone, hardie et fière, parce que Amour te guide, au milieu de ma patrie, que je regrette et pleure ; et tu trouveras des bons dont la lumière ne donne aucun éclat, mais (qui) se tiennent terrifiés, et dont la vertu est dans la fange. Crie-leur : « Sus ! levez-vous ! pour vous je sonne la fanfare ! Prenez les armes, et exaltez cette (patrie) ! Elle vil en pâtissant, et Capanée et Crassus la dévorent, (et) Aglaure, Simon Magus, le faux Grec, et l’aveugle Mahomet,qui tiennent Jugurtha et Pharaon dépassés ! »… — Puis retourne-toi vers tes loyaux citadins, en les priant qu’elle (Florence) se rende toujours heureuse.

SONNET I.

A Cino da Pistoja, qui était resté longtemps sans lai écrire, et qui lui parlait de ses amonrs.

Je me croyais complètement être privé de ces rimes vôtres, Messire Cino, (rimes) qui se cherchent désormais un autre chemin à mon navire, plus éloigné du rivage ;

Mais puisque j’ai, de vous, plusieurs fois entendu que vous (vous) laissez prendre à tout hameçon, qu’il vous plaise de reconnaître un tant soit peu à cette plume le doigt fatigué :

Qui s’enamoure, comme vous faites, et à tout plaisir se lie et s’arrache, montre qu’Amour le darde légèrement…

Si votre cœur se plie à tant de désirs, pour Dieu ! je vous prie de le corriger, afin que (vos) actions s’accordent avec (vos) douces paroles.

SONNET II.

A Guido Cavalcanli. Désirs de vie amonreuse.

Guido, je voudrais que toi, et Lappo, et moi. (nous) fussions pris par enchantement, et transportés dans un vaisseau, qui, à tout vent, allât par la mer selon votre désir et le mien ;

Si bien que la tempête, ou (tout) autre temps contraire, ne pût lui donner obstacle, et que, vivant auparavant toujours entre nous, le talent de rester ensemble (en) augmentât le désir ;

Et que le bon enchanteur mît avec nous ma dame Vanna (Giovanna), et puis ma Dame Bice (Béatrice), (qui est) avec elle sur le nombre des trente ;

Et, là, raisonner toujours d’Amour ; et que chacune d’elles fût contente,… comme je crois que nous- (mêmes) le serions.

SONNET III.

Il répond à quelque ami savant, qui lui demandait l’élal de son cœur.

Qui que vous soyez, ami, votre manteau de science me paraît tel qu’il n’est point un jeu ; si bien que de ne (rien) savoir je me prends de colère, ne (pouvant) vous louer ni vous plaire assez.

Sachez bien, — car je m’y connais quelquefois,— qu’auprès de vous j’ai moins de savoir qu’une orobe (que rien) ; je ne navigue point comme vous par une route sage, (vous) qui paraissez sage de tous côtés.

Puis il vous plaît de connaître mon cœur ; et je vous le montre sans mensonge, comme celui qui a son sage (véridique) parler.

Certainement à ma conscience il parait que : qui n’est point aimé, s’il est amoureux, porte en son cœur une douleur sans pareille.

SONNET IV.

A quelque autre ami. Réponse analogue à la précédente.

Ne connaissant point, ami, votre nom, de quelque côté que se meuve celui qui parle avec moi, je connais bien qu’il est la science de grand renom, si (grand) que d’une telle sagesse personne ne parle (n’a l’idée).

Car, en discourant, il peut bien connaître d’un homme s’il a (du) savoir, celui qui parle un peu avec vous ; ensuite vous louer sera au-dessus de la renommée, et (c’est) difficile à ma langue lorsqu’elle parle de cela.

Ami, certes, je suis de ce qui (est) aimé (et que) je mène par amour ; sachez bien que : qui aime, s’il n’est aimé, supporte le plus grand dol :

Car une telle douleur tient sous sa baguette toutes les autres, et se proclame la première de toutes… ; de là vient la grande peine qu’apporte Amour.

SONNET V.


A un autre ami. Il vaut mieux que les vertus s’entendent avec Amour que de lutter contre lui.


La science et la courtoisie, l’intelligence et l’habileté ; la noblesse, la beauté et la richesse ; la force et la modestie, et la largesse du cœur ; la bravoure et la majesté, réunies et séparées ;

En tout lieu (toutes) ces grâces et (ces) vertus, avec l’agrément d’elles-mêmes, sont victorieuses d’Amour ; l’une a bien contre lui un peu plus de force que l’autre, mais chacune en a sa part.

D’où si tu veux, ami, choisir une vertu naturelle ou accidentelle, emploie-la loyalement et avec le bon plaisir d’Amour,

Et non pour contester son gracieux ouvrage, — contre lequel aucune chose n’est puissante, quand l’homme veut entrer en lutte avec lui.

SONNET VI.

Il répond encore à quelque missive poétique.

Vous savez mener votre raisonnement, 6 homme qui recevez le prix du savoir ; aussi, évitant de soulever avec vous une question, je réponds, comme je le sais, aux paroles’ornées.

Je désire vraiment que là où l’on se propose un but rare, on ait pour moteur le mérite ou la beauté ; et l’opinion amie imagine (que cela) signifie le don que vous narrez auparavant.

L’enveloppe (la forme ?), ayez la sûre espérance qu’elle vient de celle en qui vous désirez Amour ; et en cela pourvoyez bien votre esprit.

Je dis, en pensant à son œuvre d’alors : « La figure qui, déjà morte, survient — est la fermeté qu’il aura dans le cœur. », ! ’

BALLADE I.

h une Dame qui lui paraît accessible.

Ma Dame, le Seigneur (Amour) que vous portez dans vos yeux si bien qu’il triomphe de toute puissance, me donne l’assurance que vous serez amie de la pitié.

C’est pourquoi là, — où il tait sa demeure, et (où) il a pour compagnie une grande beauté,—il attire toute bonté à lui, comme à la source qui a (tout) pouvoir : d’où je conforte toujours mon espérance, laquelle est restée si combattue qu’elle serait perdue, — n’était qu’Amour, contre toute adversité, lui donne courage avec sa vue, et avec le souvenir du doux lieu et des fleurs suaves, qui d’une couleur nouvelle entourent ma pensée…, grâce à votre douce courtoisie.

SONNET VII.

A Ci no da Pisloja. Il se plaint du lieu qu’il habile.

Puisque je ne trouve (personne) qui, avec moi, s’entretienne du Seigneur (Amour) à qui vous êtes, et moi (aussi), il me convient de satisfaire le grand désir que j’ai de dire (mes) bonnes pensées.

Que nulle autre cause auprès de vous ne m’inculpe de mon long et fâcheux silence, sinon le lieu où je suis, qui est si misérable, que (celui-là) ne (s’y) trouve pas bien qui logea (en lui) les talents.

Il n’y a pas ici (une) femme à qui Amour vienne au visage, ni (un) homme non plus qui soupire pour lui ; et qui le ferait serait appelé fou.

Hélas ! Messire Cino, comme le temps est changé à notre dommage, et (contraire) à nos dires, depuis que le bien est si peu cultivé ici !

SONNET VIII.

Il appelle Amonr ponr deviser avec lui do sa Dame.

Eh ! raisonnons un peu ensemble, Amour, et délivre-moi du chagrin qui me fait penser ; et si tu veux l’un l’autre (nous) être agréable, parlons de ma Dame, ô mon Seigneur !

Certes, le voyage (nous) en paraîtra moins long, en prenant un aussi doux passe-temps ; et déjà il me semble joyeux de retourner à entendre parler, et à parler (moi-même) de son mérite.

Or commence, Amour, — car cela te convient, — et excite-toi à le faire ; c’est la raison qui t’engage à me tenir compagnie.

Oh ! ta pilié demande, oh ! ta courtoisie exige que mon esprit, ou mon penser se décharge ;… tel est le désir qu’il te convient d’écouter.

BALLADE II.

la Ballade des Fleurs. A une Dame.

Pour une couronne que j’ai vue, toute fleur (va) me faire soupirer.

Je vous ai vue porter, 6 Dame, une gracieuse couronne de fleurs, et sur elle j’ai vu voltiger un ange du doux Amour, et dans son chant délicat il disait : « Qui me verra louera mon Seigneur. »

Si j’étais là où se trouve ma fleurette belle et gentille, alors je dirais à ma Dame, qui porte mes soupirs sur sa tête : « (C’est) pour accroître les désirs (qu’) une Dame vient ici couronnée par Amour. »

Mes paroles nouvelles, qui ont tait la Ballade des Fleurs, pour (plus de) charmes ont pris ici un vêtement qui fut donné à d’autres : c’est pourquoi vous êtes priée, (6 Dame), de faire honneur à tout homme qui la chantera.

SONNET IX.

Il envoie son sonnet courtois saluer Heuccio, son ami.

Sonnet, si Meuccio t’est montré, tout aussitôt que tu le verras, salue-le, et va courant, et jette-loi à ses pieds, afin que tu paraisses bien appris.

Et quand tu seras resté un peu avec lui, tu le ressalueras encore ; ne reviens point sur toi ; et, après ton ambassade, poursuis, et rais qu’il t’attire d’abord de côté.

Et dis : « Meuccio, celui qui t’aime beaucoup te fait part de ses joies les plus chères, pour répondre à ton agréable désir. »

Cependant fais qu’il accepte, pour première offrande, ces frères à toi, et qu’il leur enjoigne de se tenir avec lui, (pour) qu’ils n’en reviennent jamais.

SONNET X.

Sur le rhume de la femme de Bicci.

Qui entendrait tousser la malheureuse femme de Bicci, appelé (dit) Forèse, pourrait dire qu’elle a été hivernée là où se fait le cristal (où l’eau se gèle) dans ce pays.

Le milieu d’août la trouve refroidie ; or pensez ce quelle doit faire en tout autre mois : et il ne lui sert de rien de dormir chaussée (ni d’avoir) le secours d’une couverture de Cortonne.

La tous, le froid et l’autre mauvaise disposition ne lui arrivent point des humeurs qu’a (une) vieille, mais par la pénurie qu’elle éprouve dans son nid.

Elle pleure, la mère (la sienne ?) qui a plus d’une douleur, disant : « Malheureuse que je suis ! pour des figues sèches le comte Guido l’aurait placée dans sa maison ! »

SONNET XI.

Sur certains autres membres de la famille Bicci.

Bicci, nouveau fils de je ne sais qui, — à moins que je n’interroge ma dame Tessa, —tu t’es déjà passé par le gosier une telle quantité de choses que, forcément à cette heure, il te faut voler le bien d’aulrui !…

— Et, en effet, (ils) se gardent de lui les gens qui ont la bourse au côté dont il s’approche, disant : « Celui qui a la race fendue est dans toutes ses allures un escroc et un larron. »

Et tel, par son fait, gît sur sa triste couche, dans la crainte qu’il (le larron) ne prenne pour l’entonner tout ce qui lui appartient (à l’autre). —

De Bicci et de ses frères je puis dire que, par leur sang saturé de mal (de vices), ils semblent donner à leurs femmes de délicieux beaux-frères !

SONNET XII.

Il déplore le sort de Comin.

Hélas ! Comun, comme je te vois traiter, soit par les ultramontains, soit par (tes) voisins ! et bien plus (encore) par tes concitoyens, qui devraient te porter - sur un siége élevé (un trône) !

Qui te doit le plus honorer te fait le pire (Jraitement) ; la loi n’a rien, là, qui pour toi fléchisse : avec des griffes, des scies et des crocs, chacun s’ingénie à déraciner le rocher !

Il ne te reste pas un cheveu qui te veuille du bien : qui t’arrache la baguette, qui te déchausse, qui te dépouille de ton vêtement, en le déchirant.

Toute leur peine rebondit (s’émousse) sur toi… : ce n’est point personne qui songe à ta douleur, 6 toi qui t’abaisses en te rendant plus grand !

SONNET XIII.

Il fait allusion à la perle de ses biens, occasionnée par soir bannissement de Florence, (tioir Ouï Uotes.)

Si, pour mon bien, chacun eût été fidèle autant qu’il se délecte à me dépouiller, Rome, (au moment) où elle fut le plus intègre, n’aurait jamais été ce que serait la loyale Florence.

Mais soyez certains que de ce mal, tôt ou tard, je tirerai vengeance. Qui m’(en) empêchera sera obligé de décharger en moi Comun du point capital.

Car tel par moi se tient à la cime de la roue, qui pareillement m’offense en dérobant, d’où ensuite le siége (qu’il avait) reste vide.

— Toi qui t’élevas quand eux s’abaissèrent, note mes paroles en profitant de l’exemple, et fais qu’ils acquièrent de l’expérience à leurs dépens.

Puisque tu vois que la justice se venge sur moi, de grâce ! n’aie point le vouloir de faire l’accaparement de mon trésor !

SONNET XIV.

Nonvelles provocations que lui fait Amonr.

Tournez les yeux pour voir qui m’entraine, — parce que je ne peux plus vivre avec vous, — et honorez-le, car il est Celui qui martyrise autrui pour les nobles dames.

Sa puissance, qui fait mourir sans courroux, priezla qu’elle me laisse arriver plus (loin) :… et je vous dis qu’elle a coutume de durer aussi longtemps que l’homme soupire.

Cruelle, elle (sa puissance) s’est emparée de mon esprit, et me peint une Dame si noble, que toute mon ardeur se met à galoper,

Et me fait entendre une voix subtile, qui dit : « Ne veux-tu donc pour rien prendre une dame si belle à mes yeux ? »

SONNET XV.

Elève de Bmnetto Lalini, il envoie un remerciaient à son niftrc.

Toi qui décris la colline ombreuse et fraîche, qui est avec le fleuve, et non (avec le) torrent, — ce qui fait que cette nation l’appelle mollement d’un nom italien et non tudesque, —

Tu monter, soir et matin, content à ton labeur, puisque de ( ton ) cher fils tu vois présentement le fruit que tu espéras, et que tout à coup il s’avance dans le style grec et français.

De ce que la cime de l’intelligence ne s’installe point dans cette Italie, refuge de douleur, — (intelligence) de laquelle on espère déjà un si grand avantage, —

Tr te réjouis précisément du premier Raphaël qui voudra être remarqué parmi les savants, comme le gland se soutenant sur l’eau.

SONNET XVI.

Il est amonreux de deux Dames… : la Beauté et la Vertu

Deux Dames sont venues sur la cime de mon cœur pour raisonner d’Amour. L’une a en elle la courtoisie et la valeur, accompagnées de la prudence et de l’honnêteté ;

L’autre a une beauté et une gracieuse élégance, et une délicate parure lui tait honneur. Et moi, (pour) remercier mon doux Seigneur, je m’incline aux pieds de leur puissance.

La Beauté et la Vertu parlent à (mon) esprit, et demandent comment un cœur peut demeurer entre deux Dames avec un amour parfait ?

La source d’un généreux parler répond que l’on peut aimer la Beauté par goût, et que par un noble effort on peut aussi aimer la Vertu.

FIN DU SIXIÈME ET DERNIER LIVRE.


NOTES


Un poëte, dont les pensées sont, pour ainsi dire, aussi nombreuses que les mots, peut-il se passer de commentaire ?…
(Correspondance.)

NOTES

LIVRE PREMIER.

RIMES.

Par opposition aux noms de faiseurs de vers, de poètes, que l’on donnait aux hommes qui composaient des vers latins, on se servait des noms de diseurs d’amour, de diseurs eu rime, de rimeurs en tangue vulgaire, pour désigner les auteurs de poésies érotiques en langue de si, ou italien.

LIVRE PREMIER.

Ce premier livre se compose entièrement et uniquement de la partie poétique de la Vila Nuova. Les pièces s’y trouvent rangées dans le même ordre que dans le gracieux ouvrage de la jeunesse de Dante. Comme nous ne pouvions pas ici en traduire l’autre partie en prose, nous avons tâché de construire nos sommaires de manière à suppléer un peu à cette lacune et surtout à rétablir le fil qui lie entre elles ces différentes poésies.

Dans un ingénieux passage de ses Observations sur la Vie Nouvelle, M. Delécliue nous montre Dante comme le père du roman moderne ; et, a I appui de cette assertion, il donne une analyse succincte et charmante de tout ce premier livre, qui n’est autre, a dire vrai, que le roman poétisé du premier amour du grand Florentin. — Néanmoins, malgré notes et sommaires, on fera bien de recourir à la Vie Nouvelle, dans laquelle Dante analyse el commente lui-même toutes ses impressions amoureuses.

Sonnet i (page 37).

Te sonnet est une espèce de missive poétique envoyée par Dante à tous les diseurs d’amour en rime, pour leur demander leur avis sur un songe qu’il a eu. Trois de ces réponses sont parvenues jusqu’à nous : celle de Dante da Majano, de Cino da Pistoja et de Guido Cavalcanti. Elles ont chacune un caractère bien tranché.

— Dante da Majano, esprit peu cultivé, ne s’ingénie pas à trouver le mot de l’énigme ; il se moque de Dante, l’appelle cerveau malade, et termine en lui disant : « …Telle est mon opinion,… dont je ne changerai pas, « jusqu’au moment où je pourrai faire voir tes urines au « médecin. »

— Cino da Pistoja avait plus de délicatesse dans l’esprit ; mais son imagination restait toujours tempérée. En homme raisonnable et positif, il prédit à son ami un amour naturel et heureux : « …Amour se montra gai, « venant à toi pour le donner ce que le cœur demandait, « de comprendre deux cœurs ea un seul… »

— Quant à Guido Cavatcanti, c’était un JidlU d’amour, un diseur en rime, adepte ardent de l’amour poétique et de la morale platonicienne. Il ne vit rien de positif dans le sonnet de Dante ; il y reconnutau contraire le langage d’un poêle qui s’élève jusqu’aux régions épurées de l’amour platonique : « Vous avez vu, à mon avis, « tout ce qu’un homme peut sentir et connaître de fort, « d’agréable et de bon, si, en effet, vous avez été mis à « pareille épreuve par le puissant Seigneur (Amour) qui « gouverne le monde de l’honneur… »

De toutes les réponses qu’il reçut, c’est cette dernière qui fit le plus de plaisir a Dante. Il ne connaissait point encore Guido Cavalcanli ; et, "a partir de ce moment, ce fut celui qu’il appela désormais te premier de ses amis.

BALLADE I (page 38).

Dans la Vie Nouvelle, cette ballade est appelée sonnet. Dante donnait parfois celle dernière dénomination à certaines de ses poésies ayant plus de quatorze vers. De son lempsce nom n’était pas encore rigoureusement spécialisé. Certaines canzones l’ont porté aussi ; et dans les anciens poêles on voit nombre de sonnets de seize vers, un distique étant ajouté à la fin de la pièce. Nous en retrouverons des exemples.

Ce sonnet-ballade pourrait bien être, du reste, un sonnet augmenté, car les vers excédant le nombre voulu dans chacune des stinces sont encore sur les mêmes rimes. — Les stances sont par six, six, quatre, quatre, au lieu d’être par quatre, quatre, trois, trois.

Les trois premiers vers sont une traduction d’un passage de Jérémie. Il peut être curieux de comparer :

« O vos qui transitis per fiant, attendite et videte si est dolor sicut dolor meus. »

ii O voi, che per la via d’Amor passate, Attemlete, e guardate

S’egli è dolore alcun, quanto’l mio grave. »

Sonnet n (page 39).

Cette pièce et la suivante, ainsi que les sommaires l’indiquent, sont faites sur la mort de la même personne, amie de Béatrice. « Après le départ de cette dame (celle de la ballade qui précède), il plut au maître des Anges, dit Dante dans la Vie Nouvelle, d’appeler au milieu de sa gloire une autre jeune dame de cette ville, dont la grâce et la beauté charmaient les habitants. Je vis son corps inanimé au milieu de beaucoup de dames qui pleuraient. Me rappelant de l’avoir vue faisant compagnie a cette noble personne (Béatrice), je ne pus me tenir de verser quelques larmes ; et même en pleurant, je me proposai de dire quelques paroles de sa mort, en bon souvenir de ce que je l’avais vue plusieurs fois avec ma Dame. »

Dante, tout le long de sa Pila Nuova, suit simultanément trois formes différentes : — 1° le récit, ou l’exposé, bien détaillé en prose ; — 2" le même sujet resserré dans le cadre des Rimes ; — 3° l’analyse et le commentaire de ce même sujet ou récit.

Le passage que nous venons de citer donnera un échantillon de l’exposé en prose.

Ballade ii (page 40).

Cette seconde ballade est absolument jetée dans le même moule que la première, et appelée comme elle sonnet dans la Vie Nouvelle. Les mêmes remarques sur la forme s’appliquent à celle-ci comme à l’autre. (Voir la note de la ballade 1.)

Quadrio estime la composition de celte ballade incomparable pour la beauté.

Sonnet iii (page 41).

Dante, voulant s’entourer de mystère au sujet de son amour pour Béatrice, donne le change à ses amis sur son affection, en feignant d’adresser ses hommages à une autre dame. La ballade I avait déjà ce but. La dame qui en était l’objet étant partie, Amour en indique une autre à Dante.—La pièce suivante montrera l’épisodequi advint de ces amours simulées.,

Muratori trouve l’image de ce sonnet vive, et gracieuse quoique rendue avec des expressions modestes.

Ballade iii (page 42).

Béatrice, trompée par les apparences, ou au moins blessée intérieurement de voir les hommages de Dante s’adresser à d’autres qu’à elle, refuse un jour de saluer son poëte qui la rencontre. — Dante riposte aussitôt par cette ballade, dans laquelle il se disculpe vivement et avec grâce, car il veut regagner cette « douce salutation » que Béatrice lui a refusée, et «dans laquelle résidait toute sa félicité. »

Sonnet iv (page 44).

Dante avait « une multitude de pensées qui combattaient » en lui. « Quatre surtout ne lui laissaient plus aucun repos. » — L’une lui disait que « la domination d’Amour est bonne ; »— l’autre, que « la domination d’Amour n’est pas bonne ; » — la troisième, que « le. nom d’Amour est chose douce à entendre ; » — et la quatrième était celle-ci : « La Dame dont tu es si fortement occupé n’est pas comme les autres femmes ; elle ne se laisse pas facilement vaincre. »

Assailli par ces pensées diverses, le poëte-amant fait ce sonnet, a la fin duquel il invoque la pitié, qu’il appelle son ennemie parce que sa Dame est cruelle.

Sonnet v (page 45).

Dante est conduit par un de ses amis dans une assemblée de dames de distinction, réunies pour assister au repas d’une fiancée chez son (iancé. « Je crus faire plaisir à mon ami en me proposant pour servir ces dames avec lui. Lorsque je fus dans l’assemblée, je sentis, dans la partie gauche de ma poitrine, un tremblement extraordinaire qui se communiqua dans tout mon corps. » Puis, levant les yeux, il aperçut la très-noble Béatrice parmi ces dames. Il se troubla, pâlit ; les dames, y compris la sienne, le raillèrent. —Voulant expliquer son état a cette dernière, il lui adresse ce sonnet.

Sonnet vi (page 46).

Il faudrait vraiment traduire toute la Vie Nouvelle pour faire connaître suffisamment le thème de toutes ces pièces. Dante ne fait grâce d’aucune de ses pensées ; il les compte, il les met en ordre, il les choisit par groupes, et c’est après ce travail achevé, qu’un sonnet ou une ballade vient pour les traduire. — C’est encore un coullit de ce genre qui a donné naissance au sonnet que l’on vient de lire.

Sonnet vu (page 47).

Quatre nouvelles pensées l’assiégent de nouveau au sujet de sa Dame ; — ce sonnet est fait dans l’intention de les exprimer. Chaque stance en contient une.

Canzone i (page 48).

Le motif de cette canzone est une des plus charmantes pages de la Vita Nuova. Nous aurions le plus vif désir de la citer ici ; mais ce serait aller au delà des limites que nous nous sommes assignées pour ces notes. Nous engageons le lecteur à y recourir. — Cette pièce est adressée à des dames, en réponse à des questions qu’elles lui avaient faites sur son amour pour Béatrice.

C’est une des belles et gracieuses canzones du poëte florentin.— Dans le xxivc chant du Purgatoire, Buonagiunla de Lucques, poëte renommé du temps de Dante, interpelle ce dernier en lui demandant s’il n’est « pas celui qui vient de mettre au jour les nouvelles rimes commençant ainsi : « Dames, qui avez l’intelligence d’Amour ?… »

A chacune des pièces de la Pie Nouvelle, Dante a fait une glose, qui l’explique et l’éclaircit souvent vers par vers. A la fin de celle qui accompagne cette canzone, Dante a mis quelques lignes bonnes a transcrire ici pour bien faire comprendre la nature de cette obscurité volontaire dont il entourait bon nombre de ses vers : « Je sens bien que, pour en faire saisir tout le sens, il conviendrait de les multiplier encore (les divisions qu’il a indiquées plus haut) ; maisje ne suis pas fiché de ne pas être compris par celui dont l’intelligence ne serait pas satisfaite des explications que j’ai données, et qui laissera là ma canzone ; car je crains d’en avoir donné le sens trop ouvertement, » etc.

Sonnet via (page 51).

Un ami de Dante désirant savoir de lui ce que c’est qu’Amour, le poëte, qui trouva ce sujet beau a traiter, et qui d’ailleurs voulait se rendre agréable à cet ami, lui fait ce sonnet.

Sonnet ix (page 52).

Dans ce sonnet, Dante veut « montrer comment Amour s’éveille par Béatrice. Non-seulement il s’éveille par elle là où il dormait ; mais d’une manière merveilleuse elle le fait venir la où il n’est point en sa puissance. »

Sonnet x (page 53). — Sonnet Xi (page 54).

Ces deux sonnels sont faits sur le même sujet. Dante venait de voir passer en pleurs les amies de Béatrice. Il est triste de les voir aller et de les entendre parler si tristement.— Dans le premier sonnet, il leur demande la cause de leur si profonde douleur ; dans le second, les dames sont censées lui donner leur réponse. — Cette douleur était motivée ;… Béatrice venait de perdre son père !

Canzone ii (page 55).

M. Villemain, avant de traduire le passage de la Pila Nuova qui sert de thème à cette singulière canzone, s’exprime ainsi (Littérature au moyen âge, Ile leçon) : « Ce qui fait surtout connaître l’âme agitée de Dante, ce qui le montre sous le joug de la fantaisie poétique, c’est un long récit dont je ne veux rien retrancher, tant les expressions en sont originales et suffisent pour expliquer tout son génie ! Cela vous semblera-t-il un songe, une vision, une extase ? n’importe… » Puis, après avoir cité le mot de Sénèque : tiNullum est magnum ingenium sine aliqua mixturadementias,» il ajoute : «Il faut vous faire connaître cet homme de génie, dussiez-vous croire un moment que cet homme de génie était fou. »

Il est presque indispensable de recourir à la Vie Nouvelle pour ce passagej si l’on tient à se bien pénétrer de la disposition d’esprit dans laquelle se trouvait Dante lorsqu’il écrivit cette canzone.

Sonnet Xii (page 58).

A propos du nom de la dame de son ami Guido, Dante trouve ici une étymologie qui vaut peut-être la peine d’être citée : « Cette première dame, dit-il, est appelée Primavera (printemps), seulement à cause de cette venue qu’elle fait aujourd’hui. Car j’ai poussé l’inventeur du nom à lui donner celui de Primavera, ce qui signifie elle viendra la première (prima verra), le jour que Béatrice se montrera après la vision qu’a eue son fidèle… »

Sonnet Xiii (page 59).

Ce sonnet est cité entre tous ceux de la A’fe Nouvelle. Il est peu de recueils d’anciennes poésies italiennes qui ne s’en soient emparés. Il semble qu’une atmosphère suave et gracieuse vous arrive en le lisant.

Il est trois ou quatre sonnets seulement que Dante ail jugés assez simples et faciles à comprendre pour ne point les accompagner de-commentairt-s. Celui-là en est un. Ce n’est pas souvent qu’on fait pareille rencontre dans les œuvres du poëte florentin !

Parini trouve que ce sonnet est le plus tendre et le plus pathétique dont puisse se vanter le parnane italien.

Sonnet xiv (page 60).

« Non-seulement ma Dame devient l’objet des hommages et des louanges de tous, mais, de plus, beaucoup de dames furent louées et honorées a cause d’elle. » — S’étant aperçu de cela et désirant la faire connaltie a ceux qui ne pouvaient la voir, Dante se proposa de l’exprimer en vers, et fit ce sonnet.

Sonnet xv (page 61).

La Vie Nouvelle ne donne point cette pièce comme un sonnet, mais comme le commencement d’une canzone. La disposition des limes est cependant celle du sonnet : mais, avant tout, on doit croiie le poëte lui-même. Nous ne laissons subsister le nom de sonnet que pour nous conformer au texle que nous avons suivi (édilion de Luigi Caranetiti, de Mamoue, 1823). Ce tuile donne même un vers de plus que l’original, Dante s’étant arrêté au treizième vers. — Béatrice meurt comme le poëte en est là, et il suspend son chant pour écrire, pour pleurer ces deux phrases de Jérémie : « Quomod’o sedet sola civitas plena populo ! facta est quasi vidua domina gentium. »

Le vers ajouté pour compléter le sounet est celui-ci :

u E si è cosa umil, cln : nul si cri’tie. »

Canzone m (page 62).

Cette plaintive, et touchante canzone est inspirée par la mort de sa m ole Dame. — Béatrice était fille de Koleo Portinari. Lorsque Dante en devint amoureux, elle devait avoir huit ans passés (127i). l :lle devait donc avoir environ vingt-quatre ans lorsque arriva le jour de sa mort (9 juin 1290).

« Comme après avoir longtemps pleuré, dit Dante, mes jeux ne pouvaient se soulager de leur tristesse, j’eus l’idée de faire passer une partie de leur douleur dans mes plaintes parlées, et de composer une canzone dans laquelle, tout en pleurant, je pusse raisonner de celle par qui ma grande douleur était devenue destructrice de mon âme… »

Sonnet xvi (page Ci).

Dante a composé ce sonnet pourêlre agréable au frère de Béatrice, qui avait prié le poëte d’écrire quelque chose sur la mort de sa sœur. C’est le frère qui est censé parler dans ces vers. (Voir la note qui suit.)

Ballade iv (page 65).

Cette ballade est appelée canzone dans la Vie Nouvelle (voir la note de la ballade 1). Chacune de ses deux stances en constitue une partie différente. « Dans la première, dit Dante, mon ami, parent de Béatrice, se lamente. Dans la seconde, je me lamente… ; en sorte que dans cette canzone il semble que deux personnes se lamentent, l’une comme frère, l’autre comme serviteur. »

L’abbé Angelo Mazzoleni, en citant, dans les Rime Oueste, cette canzone, émet, dans une note, l’opinion que ces deux stances ne sont que le commencement d’une canzone dont la fin manquerait. Il n’aurait point commis cette erreur s’il avait 1» ce que Dante dit de celle pièce dans la Vie Nouvelle.

Sonnet Xvii (page 66).

Dante a donné deux commencements à ce sonnet. Voici celui qui ne se trouve point dans notre texte :

« Cette noble Dame, qu’Amour pleure, était venue dans ma pensée au moment où la puissance de sa vertu vous poussa à regarder ce que je faisais. »

Ce commencement est adressé à ceux qui étaient venus le voir le jour de l’anniversaire de la mort de Béatrice.

Sonnet Xviii (page 67).

Tout le long de ce premier livre, il faut citer la Vie Nouvelle pour bien faire comprendre la pensée du poëte : « Comme j’étais en un lieu où je réfléchissais au temps passé, dit Dante, je me sentais accablé par de si douloureux souvenirs, que mon visage trahissait les sentiments terribles dont j’étais agité. M’étant aperçu de ce trouble, je levai les yeux pour voir si quelqu’un ne me regardait pas, et j’aperçus une noble et jeune Dame fort belle, qui, du haut d’une fenêtre, observait mes traits avec tant de compassion. qu’il semblait que la pitié fût tout entière en elle. »

On aura plus tard à revenir a la citation de cette note. L’épisode qu’elle indique est important dans l’histoire du premier amour.de Dante.

Sonnet xix (page 68).

Cette Dame rappelle Béatrice au poëte, et peut-être avec trop de charmes : « Et souvent ne pouvant pleurer ni me débarrasser de mon chagrin, j’allais pourvoir cette Dame compatissante, dont la vue semblait tirer les larmes de mes yeux. »

On pourrait se demander souvent si l’exposé en prose de la Vie Nouvelle est inférieur au même sujet rimé ?

Sonnet xx (page 69).

Une bataille se livre dans le cœur du poëte : « Des soupirs longs et douloureux viennent l’assaillir. » Il éprouve trop de plaisir à voir cette jeune et belle Dame compatissante ; il s’en chagrine, et « prend la résolution de faire un sonnet qui comprenne tout cet horrible conflit. »

Sonnet xxi (page 70).

Le combat dure entre le chaste souvenir de Béatrice et l’image de la Dame compatissante : « Comme dans la bataille des pensées, celles qui militaient pour la Dame étaient victorieuses, il me parut convenable de m’adresser à elle, et je fis ce sonnet. »

Sonnet xxii (page 71).

La chair est faible, et Dante faiblissait. Il commence à se sentir attiré trop puissamment vers la dame compatissante ; mais il ne veut pas qu’elle remplace la Dame d’Amour : « Désirant donc que ce coupable désir, cette orgueilleuse tentation, parussent détruits au point que les vers que j’avais composés précédemment ne pussent faire naître aucun doute, je r’solus d’écrire un sonnet qui exprimât cette disposition de mon esprit. »

On remarquera les septième et huitième vers de ce sonnet :

« Et souvent ils (ses yeux) pleurent si abondamment, qu’Amour les entoure de la couronne des martyrs. »

Cette couronne des martyrs pour des yeux rougis, gonflés, fatigués et cernés, est quelque chose de grand. — Presque a chaque vers on aurait à relever ainsi des expressions modèles.

Sonnet xxiu (page 72).

Après ce chagrin, Dante vit quelques pèlerins passer par la rue qui est située presque au milieu de Florence. Ces pèlerins marchaient tout pensifs, ignorant sans doute la perte (Béatrice morte) que venait de faire cette ville. Comme il aurait désiré les entretenir de ce sujet, et qu’il les perdit néanmoins de vue, il lit ce sonnet, dans lequel il suppose leur avoir adressé la parole.

Sonnet xxiv (page 73).

« Deux dames nobles envoyèrent ensuite vers moi, pour me prier de leur faire tenir de ces paroles rimées… » Dante leur lit un sonnet, celui qui motive cette note, et l’accompagna d’un second, commençant par ce vers : a Venez entendre mes soupirs, 6 nobles cœurs,» etc., et qui n’est autre que le sonnet XVI de ce livre. — On se rappelle que ce seizième sonnet a été fait à la demande du frère de Béatrice. Les deux nobles dames, à qui Dante en envoie la copie, devaient être sinon parentes, au moins amies très-intimes de la Dame de son cœur.

Par cet agréable et doux commerce, qui provoque la communication des idées ; par cet empressement, disonsnous, que le jeune amant met à en saisir une occasion, on doit voir, ce nous semble, combien Dante était sincère et vrai dans son rôle de poëte, et combien surtout ce rôle avait pour lui d’importance.

Avec ce sonnet se termine la Vie Nouvelle. Avant de poser la plume, Dante clôt l’œuvre de sa jeunesse par quelques lignes dans lesquelles se révèle assurément le germe de la grande œuvre qu’il devait enfanter plus tard. — Nous allons encore citer la traduction de M. Delécluze : « Après avoir terminé ce sonnet, j’eus une vision extraordinaire pendant laquelle je fus témoin de choses qui me firent prendre la ferme résolution de ne plus rien dire de cette Bienheureuse (Béatrice), jusqu’à ce que je pusse parler tout à fait dignement d’elle. Et pour en venir là, j’étudie autant que je peux, comme elle le sait trèsbien. Aussi, dans le cas oii il plairait à Celui par qui toutes choses existent, que ma vie se prolongeât, j’espère dire d’elle ce qui n’a jamais encore été dit d’aucune autre ; et ensuite qu’il plaise à Celui qui est le seigneur de la courtoisie que mon àme puisse aller voir la gloire de la Dame, c’est-à-dire la bienheureuse Béatrice, qui regarde glorieusement en face Celui qui est per omnia stecula benedictus. — Lacs Deo ! »

Pour" peu qu’on ait étudié Dante, on doit voir poindre là-dedans l’idée première de la Divine Comédie, et principalement du Paradis, celui des Trois Cantiques, oii le puissant et sublime poëte a fait preuve d’une si riche et si splendide imagination, qu’après l’avoir lu, on est comme ébloui par une éclatante lumière, T- lumière qu’il a créée pour en faire l’auréole de sa bien-aimée et toute pure Béatrice.

FIN DES NOTES DU LIVRE PREMIER.

LIVRE DEUXIÈME.


Ballade i (page 75).

On a vu, dans la note du sonnet XII du livre précédent, que Vanna (Giovanna), la dame de Guido Cavalcanli, élait appelée par Dante Primarera. Est-ce la même que celle à qui est adressée cette ballade ? ou la Primavera de cette pièce est-elle une des assez nombreuses femmes qui vinrent, dans la vie du poête, faire brèclu au souvenir de Béatrice ? Nous pencherions volontiers pour cette dernière hypothèse, attendu que le ton d’amour qui règne dans ces vers est très-décidé, et qu’il n’est pas probable que Dante ait voulu marcher sur les brisées du premier de ses amis. — Quoi qu’il en soit, cette pièce est charmante ; une fraîcheur toute gracieuse vous arrive à la lecture de ces expressions neuves et délicates, et on se prend à regretter que certains passages de ce recueil, plus philosophiques, mais plus arides, ne soient pas de la même famille que cette délicieuse ballade. (Voir la noie de la ballade III de ce livre.)

M. Ferdinando Arrivabem ; nous apprend qu’un certain signor CanonicoDionisi prétendit qu’une crasse ignorance pouvait seule attribuer à Dante celle ballade, qu’il dit n’être pasde lui, —et met en regard les deux opinions de Jacopo Mazzoni, qui la cite comme de Dante dans un de ses ouvrages, et de Salvini, qui en cite aussi plusieurs vers dans une note, en l’attribuant à notre auteur.

Sonnet i (page 77).

Le sommaire de ce sonnet est incomplet et forme juste un contre-sens ; il faut le lire ainsi : « // envoie ses vers à sa Dame, et les prie de ne pas demeurer avec celle qui favail détourné de la pensée de Béatrice. » — Dante fait allusion a la dame compatissante du premier livre, dame qu’il s’était surpris à contempler avec trop de complaisance après la mort de sa chère Béatrice. Il revient à cette dernière, et envoie ses rimes lui faire serment de fidélité.

Le quatrième vers de ce sonnet est le premier de la canzone I du livre IV. (foir aux notes de cette canzone.)

Sonnet il (page 78).

Ce sonnet doit certainement se rapporter au temps où Dante écrivait la ballade 1 et le sonnet III du livre I. Les vers que, pour dépister les curieux, il adressait, du vivant de Béatrice, à des amantes simulées, lui ont inspiré ceux-ci, dans lesquels, en s’adressant a ses rimes mêmes, il explique sa précautionneuse supercherie. — Il tient à ce que ses lecteurs ne tombent’point dans l’erreur qu’il avait rendue possible.

Sonnet iii (page 79).

Ce livre deuxième renferme un certain nombre de sonnets sur les yeux et les regards de la Dame de Dante. — L’avant-dernier vers de celui-ci : « … L’àme, qui meut les soupirs, … miima, che muove gli sospiri, » est un de ceux qui viennent justifier ce que nous avons dit dans notre Introduction, que, chez ce poëte puissant, tout s’incarne et se personnifie, et qu’il y a plus de drame dans certaines phrases de Dante que dans bien des poèmes… etc.

Niccolb Pilli di Pistoja, qui édita à Rome, en 1559, les Himes de Cino da Pistoja, réunies à celles d’un autre poëte, attribue ce sonnet à. messire Cino. Beaucoup d’autres pièces de Dante se trouvent, par lui, dans le même cas. Nous mentionnerons, au fur et à mesure que nous les rencontrerons, ces excès d’affection de l’éditeur pour son auteur compatriote.

Sonnet iv (page 80).

Sonnet à ranger encore dans la catégorie indiquée par la note précédente. — Mêmes remarques sur ce mouvement donné aux expressions par le poëte. VEnnemie de la vie, pour la Mort, est à noter.

Sonnet v (page 81).

Dans celui-ci, qui fait partie de la famille des deux précédents, le poëte dépeint de la manière la plus riche et la plus éclatante la clarté qui s’échappe des yeux de sa Dame, et on lit et relit avec plaisir ce vers dans lequel il nous dit que, des rayons de ces jeux, une peur extrême pleut sur son cœur. Comme c’est énergique et vrai !

Sonnet vi (page 82).

Ici, pour continuer un instant nos remarques sur les mots, on a : « Les soupirs qui s’exhalèrent disaient, en pleurant, » etc. Voila les soupirs personnifiés, qui parlent et qui pleurent, — et tout cela n’est point ridicule, point forcé, et semble au contraire la chose la plus naturelle du monde !

Ce sonnet est encore attribués Cino da Pistoja par Niccolô Pilli.

Ballade H (page 83).

Cette ballade donne encore la main aux sonnets qui précèdent. Nous croyons parfaitement inutile de faire remarquer la grâce et la justesse de la comparaison par laquelle commence la staiice deuxième.

Ballade m (page 84).

Voilà encore une pièce fraîche et jolie à mettre U côté de la première de ce livre. — Seulement, ici, va commencer de notre part un reproche que nous aurons plus d’une fois l’occasion d’adresser à Dante… non pas au poëte, mais à l’amant. La Pargoletta ! ce n’est plus sa Béatrice !… el d’autres encore viendront s’ajouter a celle-là. — Dans la première pièce de ce livre, on avait déjà un doute, mais au moins ce n’était qu’un doute. Cette fois le doute n’est plus permis : le sommaire nous dit même la résidence de la nouvelle bien-airaée.

Boccace écrit, dans sa Vie de Dante .- « Nous trouvons qu’il a souvent soupiré, lorsqu’il demeurait a Lucques, pour une jeune fille, qu’il nomme Paryoleua… etc. » Boccace cite encore une certaine silpigiana, que Dante aurait aimée sur la fin de sa vie, et M. F1*O Arrivabene, après la Pargolella, éuumère : la Gentucca, la Monlanina, la Pietra, la Uolognese, toutes maltresses que ses rimes font connaître… N’y en a-t-il pas quelques autres d’inconnues ? On ne l’a pas dit ; ne le disons point… c’est déjà même un peu trop, pour l’amant entbousiaste de Béatrice, que toutes celles qui viennent d’être nommées.

Après cette liste, on admet sans peine le mot de M. F^’ Arrivabene : « Dante ne fut certainement pas ennemi du beau sexe… »

Sonnet vii (page 85).

On peut encore ranger ce sonnet avec ceux dont nous avons parlé tout à l’heure, et traitant des yeux et des regards de sa Dame — Une grande vigueur de louche distingue celui-ci, qui débute par quatre vers de la plus superbe exagération.

Sonnet vin (page 86).

Toujours le même sujet qui nous revient, et toujours avec des formes et des couleurs nouvelles. Les expressions sauvage d’amour, et ennemie de toute pitié doivent assurément se remarquer. — La chute de ce sonnet est admirable, et fait le plus grand honneur au cœur aimant du poëte. C’est le dévouement le plus désintéressé qui se puisse voir.

Sonnet ix (page 87).

Encore les yeux de sa Dame ! — Cette fois le poëte est moins patient et surtout moins magnanime que dans le sonnet précédent.

Salvini nous apprend que ce sonnet plaisait beaucoup au prince lettré Léopold, promoteur et protecteur des Lettres cardinales.

Sonnet x (page 88).

Le voilà enfin qui maudit les yeux ! Et il les maudit avec une certaine vigueur ! — On doit remarquer, en fait d’expressions : « La cime de mon cœur où vous vîntes pour en tirer la vie dehors, et cette amoureuse lime qui a poli les paroles,… » etc. — C’est bien là créer avep des mots ; c’est bien là donner la forme et la vie à sa pensée.

M. Lhomann, de Gottingue, dit à M. Artaud, qu’on ferait, de toutes les beautés des vers de Dante, un riche recueil, le plus admirable florilegium poétique.

Sonnet xi (page 89).

A la lecture de ce sonnet, dans lequel le poête se montre vaincu par son amour, on se sent presque touché à l’égal de lui-même, surtout quand on arrive a cette chute si dolente et si remplie de l’amertume du cœur : « Qu’il vous plaise de ne pas vous rendre chère à mes yeux ! »

En fait d’expression, on peut remarquer : <t La mort, qui m’entre beaueoup plus am’ere dans le cœur. »

Sonnet xn (page 90).

Il continue à peindre avec des couleurs énergiques la tristesse de l’état où Amour l’a réduit. — La comparaison qu’il y fait de son teint avec celui d’une personne morte se retrouve plusieurs autres fois dans le cours de ce recueil.

Ballade iv (page 91).

Le mot nuvoletta, a-t-il, dans cette pièce, un sens que nous n’avons pu découvrir ? renferme-t-il une de ces allusions qui sont demeurées le secret du poëteî Nous ne savons. La manière dont nous l’avons traduit ne nous satisfait pas complètement. — A part cela, du reste, cette ballade est a ranger parmi les pages gracieuses de ce livre.

Ballade v (page 92).

Dans ses notes sur les poésies de messire Cino da Pisloja, Sébastiano Ciampi observe que cette ballade, attribuée à Dante dans l’édition des Giunti, est, dans beaucoup de manuscrits, donnée à Cino, à qui Trissino la concède encore, en la citant comme modèle dans sa Poétique.

Nous rencontrerons dans ce recueil, surtout vers les derniers livres, un certain nombre de pièces contestées à notre auteur, et dont en effet l’authenticité n’est pas parfaitement prouvée. — Nous les indiquerons, sans rien débattre, l’original que nous suivons ayant donné ses raisons ou ses preuves, et notre but étant ici de traduire et non de nous arrêter à faire parade d’érudition.

Sonnet sut (page 93).

Celte pièce nous a semblé obscure. Le sommaire a fait quelque effort pour tâcher de la rendre claire nous désirons vivement avoir avancé un pas dans ce sens, mais nous sommes malheureusement presque certain de n’y avoir pas tout à fait réussi.

Sonnet xiv (page 94).

Dans un recueil intitulé : Opéra moralissimadi diversi, ce sonnet est cité comme étant d’un auteur incertain.

Sonnkt xv (page 95).

C’est sans doute par un retour au souvenir de sa chère Béatrice que Dante refuse les avances de la dame dont il est question dans ce sonnet. — La ticlion dont il se sert est singulière ; mais on voit toujours qu’elle émane dun esprit créateur et puissant.

Les guillemets doivent se fermer à la lin de la troisième stance.

Sonnet xvi (page 96).

Le poète revient encore sur les yeux de sa Dame ; mais il y revient cette fois avec un sonnet qui est un des plus beaux que ces yeux aient inspirés. Il y a dans ces quatorze vers une couleur et un mouvement admirables.

Sonnet xvii (page 97).

Voilà un sonnet que l’érudition a singulièrement gâté, et qui, gracieux d’intention, dans la traduction est presque barbare. — Pour le comprendre un peu, il faut d’abord connaître l’astronomie de Dante, puis prêter aux planètes, dont le poëte emploie les noms scientifiques, le sens qu’y trouve et surtout l’influence que leur attribue l’astrologie. — C’est bien là de la poésie du moyen âge ; elle porte avec elle son cachet reconnaissable. — Dante a tenu à faire entrer dans son sonnet le nom de ses sept planètes.

Le système de Dante est qu’il y a dix cieux ou sphères : sept pour les planètes, la Lune, llercure, Vénus, le Soleil (qu’il appelle souvent la grande planète ou la grande étoile), Mars, Jupiter et Saturne ; dans la huitième sphère il place les étoiles fixes ; vient ensuite le premier Mobile, et enfin l’Empyrée. La terre, selon lui, est le centre immobile de tout l’univers.

Il fait ressembler Béatrice à Jupiter ; il lui prête la splendeur du Soleil, l’éloquence de Mercure, la chasteté de Diane (la Lune), et l’amour de Vénus. — Il ne faut pas prendre tout cela à la lettre ; il y a dans ces comparaisons mélange de divers éléments… les planètes, chez Dante, servent aussi de demeure aux anges, archanges, trônes, dominations, etc. (Voir la noie de la canzone VII du liv. III.)

SonnetXviii (page 98).

Nous voyons apparaître dans ce sonnet lu Bolonaise, une des amantes qui ont fait dire que Dante n’était pas ennemi du beau sexe. — Un Italien (Ubaldo di Bastiano da Gubbio), dans un ouvrage latin sur la mort, intitulé : de Teteuielogio, introduit une des Parques, qui lui dit que « la Luxure est celle qui empoisonna Dante de ses baisers adultères. » Notre poëte est assurément plus loin de cette accusation que de l’assertion de M. Ferdinando Arrivabene, qui dit que « Béatrice fut le premier et le dernier penser de Dante. » — Il y a une distance entre l’ardeur et la luxure.

Le Tasse, en citant, dans un dialogue sur la poésie, ce sonnet, dont le premier vers est :

ci Ahi lasso, ch’io crcdea trovar pietate, » le donne avec cette variante :

« Ahi lasso, non credea trovar pietate. »

Ballade vi (page. 99).

On peut remarquer, en passant, les deux premiers vers de la seconde stance de cette ballade, comme riches de couleur et surtout pleins de grâce : «Dans le milieu de mon esprit resplendi ! une lumière des beaux yeux dont je suis épris… » — C’est partout la suprême puissance de l’expression.

Ballade vu (page 99).

Ici Dante se plaint de la rigueur d’une Dame, « autour des yeux de laquelle se meut toujours l’image de la plus grande cruauté. » Cette pièce ferait-elle allusion au salut que, dans le premier livre, Béatrice refuse à Dante ? ou bien n’est-elle qu’un jeu poétique de diseur d’amour, comme ceux auxquels il se livrait avec son ami Guido Cavalcanti ? ou bien encore est-ce un reproche direct a une Dame dont il sollicitait l’amour ?… On a le cboix dans la solution de ces trois questions.

Sonnet xix (page 101).

Ce sonnet est encore attribué par Niccolo l’illi a soi’ compatriote messire Cino da Pistoja. — Nous en verrons d’autres encore. Toutes les rimes qui sont dans ce cas se trouvent comprises, par Zatta, dans son édition de 1758, parmi celles de Dante.

Sonnet xx (page 102).

C’est évidemment à Béatrice que doit se rapporter ce sonnet, si plein de douce émotion et de tendre douleur. — Il interroge les dames, qui lui répondent dans les deux dernières stances.

Voir, dans l’intérêt du poëte, la note suivante

Sonnet xxi (page 103).

Nous sommes tenté de placer ce sonnet avec le précédent, et pour les mêmes raisons. Les vers faits pour Béatrice doivent se reconnaître à travers tons ceux de son ardent et enthousiaste poëte.

Canzone i (pagè 104).

Cette canzone est belle et élevée d’un bout à l’autre. Il faudrait en souligner presque tous les vers, si l’on voulait indiquer toutes les expressions remarquables qui s’y trouvent. — Un soupçon ne vous vient-il pas, en la lisaut, que Dante craint pour les jours menacés de Béatrice ? et ne se prend-on pas à se demander comment il se fait que cette pièce ne soit pas intercalée dans la Vie Nouvelle ?

Canzone ii (page 107).

Comme le dit la dernière stance de cette canzone, elle est composée en trois langues. Le but que se proposait Dante, parce mélange, est-il atteint ? Nous ne le croyons pas. Le potjle dit : « Je me suis exprimé en un triple langage, afin que ma profonde douleur se sache par le monde, et que tout homme la sente… » Et ses vers sont, au contraire, intininient plus obscurs qu’ils ne l’eussent été en italien seulement. — Les lignes italiques sont, dans le texte, les vers pyouençaux ; celles en petites capitales, les vers latins ; celles en caractères ordinaires, les vers italiens.

Voici les trois premiers pour échantillon :

« Ahi ! faulx ris, perqe Irai hâves

OCCLOS MKOS ? HT QUIO TIB1 FECl,

Cliefatto m’iiai cosi spictata fraude ?… » Nous n’avons pas été sûr de nous tout le long de cette pièce. La seconde stance est celle dont la traduction doit laisser le plus a désirer. Mais nous y reviendrons.

FIN DES NOTES DU LIVRE DEUXIÈME.

LIVRE TROISIÈME.

Canzone i (page 109).

Cette canzone est une de celles que certains commentateurs attribuent a Dante. Néanmoins M. Ârrivabene y reconnaîtra touche du poëte florentin, au ton d’âpretéet d’acerbe courroux qui y règne, et qui suffit, selon lui, pour faire distinguer les rimes de son poëte de celles de tous les autres.

Le sommaire dit pour qui cette pièce a été composée… Ce n’est plus pour Béatrice, mais bien pour madonna Pietra, de la noble famille padouaune des Scrovigni. La rime du second vers (pietra) fait allusion au nom de cette dame, que nous retrouverons encore. — Quelques-uns voulaient qu’il y fût question de Béatrice ; mais Ugo Foscolo, dans les notes de la Chevelure de Bérénice, trouve que les cheveux blonds dont il y est fait mention sont plutôt ceux de la madonna Pietra que de la belle et chère Florentine.

Le premier vers de cette canzone est dit emprunté de Pétrarque. Presque tous les poëtes d’alors s’amusaient parfois à commencer ou terminer les stances de certaines de leurs pièces par un vers d’un poète en renom. C’était flatteur pour tous deux : perle et diamant se rendaient justice. Le vers en question termine la troisième stance de la canzone VII du livre I de Pétrarque. — A bien regarder, c’est Pétrarque qui a dû l’emprunter a Dante, attendu que le dernier vers de chacune des stances de la canzone de ce premier poëte se termine par un vers emprunté : l’un à Arnauld Daniel, poëte provençal ; l’autre à Guido Cavalcanti ; le troisième à Dante ; le quatrième à Cino da Pisloja, et le cinquième à lui-même (le premier de sa canzone Ire). —La canzone de Dante qui nous occupe se trouve imprimée à la suite des poésies de Pétrarque, dans plusieurs éditions.

Dante décrit les armes des Scrovigni dans le tercet vingt-deuxième du XVIIe chant de son Enfer.

Canzone Ii (page 113).

Dante se fait partout sentir, si bien que, même dans ses canzones morales, il sème de robustes paroles, qui sont comme des germes de la Divine Comédie. — Dans cette pièce, M. Ferdinando Arrivabene trouve un reflet de la fie Nouvelle, et, pour justifier son assertion, il cite les trois derniers vers de la canzone, en disant que : « Quiconque a lu la Vie Nouvelle et lit les vers qu’il cite, reconnaît aussitôt en eux le prodige que Dante seul vit constamment opéré par sa Béatrice. »

Voici le texte des trois vers cités, que l’on peut comparer avec la traduction :

« Corne a colei, clie fu nel mondo nata Per aversignoria

Sovra la mente d’ogni uom, clie la guata. »

On voit avec plaisir le poëte revenir au cher objet de ses pensées.

Canzone m (page 116).

Des commentateurs ont encore contesté cette canzono à Dante. Ici nous ne nous sommes point donné la tâche d’éclairer ces questions, toujours arides et rarement bien résolues. Nous indiquons simplement ce qui n’est pas reconnu authentique, et nous passons ;… pour ce premier travail il faut une autre aptitude que la nôtre.

Cependant, malgré le doute émis sur cette pièce, M. Arrivabene a bien envie de la restituer à son poëte ; car, selon lui, lacanzone (celle-ci) qui commence par ce vers : « lo senlo si dCAmor la gran possanza, » doit certainement être de celui qui écrivait dans le Purgatoire (chant xxx, vers 39) : « D’anlico amor senti la gran potenza. »

L’amour platonique de Dante s’élève dans cette pièce jusqu’au chevaleresque, et le ton qui y règne en est des plus gracieux. — Peut-on lire sans charme ces lignes : « Les rayons de ces beaux yeux pénètrent dans mes (yeux) amoureux, et portent de la douceur partout on je sens de l’amertume… » Et plus loin : * Il me semble que je suis payé, et au delà, de mon abnégation, et, plus encore, que c’est à tort que j’ai le nom de serviteur, » etc. ?

Canzone iv (page 120).

Dans le même esprit et dans le même but que pour la canzone précédente, M. Arrivabene compare un passage de celle-ci avec un vers de la Divine Comédie, et conclut a la paternité de Dante pour cette pièce. — Le poêle dit dans cette canzone, en parlant de sa mémoire : « Secondo che ii Irova v Nel libro delta mente che vien mena, » ce qui ressemble assurément au cinquante-quatrième vers du chant xxm du Paradis : « Del libro, che’t prelerito rasscgna. »

Nous ne savons si, en lisant attentivement cette pièce, on n’aurait pas le regret (pour ne pas dire la douleur) de deviner qu’elle s’adresse à une autre qu’à la chaste idole que le Florentin adora dans son cœur ?…

Canzone v (page 124).

Béatrice est morte en 129O ; Dante a été condamné à l’exil en 1301, et voilà encore un chant d’amour du poëte exilé !… Ombre de Béatrice, si tu entends, ferme un instant ton oreille, ou adresse à ton amant des reproches comme ceux qu’il se fait lui-même adresser par toi dans certain passage de la Divine Comédie !

« Et vous, (vous) êtes celle que j’aime le plus »ô Dante ! ces mots-là, devais-tu les dire pour une autre que la fille de Porlinari ?…

Quel contraste ! à côté de cet amour changeant, cette pièce porte au plus haut degré l’empreinte de l’attachement et de la fidélité d’affection que le poëte banni conservait pour son ingrate Florence !

Canzone vi (page 127).

Le sommaire de cette canzone apprend dans quel lieu elle a été écrite. Nous y continuons à faire brèche à la mémoire de Béatrice. Cette pièce est généralement nommée : La Montanina, du nom sans doute de celle qui l’a inspirée. On continue aussi à y voir l’ardent amour Uu poëte pour sa patrie. — La dernière slance, dans laquelle il dépêche sa canzone elle-même à Florence, est pleine d’àme et de mouvement ; on y sent palpiter le cœur du banni. — M. Villemain et madame A. Tastu ont traduit l’un et l’autre cette stance dernière.

Boccace pense que cette canzone est écrite pour celle des maîtresses de Dante qu’il appelle XAlpigiana.

M. Arrivabene compare encore plusieurs vers de cette pièce avec d’autres de la Divine Comédie, avec lesquels il leur trouve des airs de famille, et cela toujours pour avoir le droit de restituer à Danle cette canzone, apparemment contestée.

Le cavalier Valeriano Vanetti dit l’avoir vue dans uu ancien manuscrit telle qu’elle se trouve dans l’édition rare de 1537, et ajoute que : « Bien fortunés ils peuvent appeler leur vallée (la vallée Lagarina), où séjourne et a fait une si excellente production celui qui sait tout et écrit sur tout. » — D’autres ont voulu y voir la description du site de Çascntino, près du fleuve Arno.

Quadrio appelle cette canzone une des meilleures que possède la poésie vulgaire.

Sestine i (page 131).

Cette sestine est la première et l’unique de tout ce recueil. — Ce nom vient à ce genre de pièce de ce qu’elle se compose de six stances de six vers chacune. Outre cette combinaison du nombre six, la sestine a cela de remarquable que la première stance fournil les rimes pour les cinq autres, qui ne font que les changer de place en tes employant, et dans un ordre curieux que nous allons essayer de vous faire comprendre. — Voici les rimes de la stance première :

ombra

colli

crba

verde

pietra

donna.

Maintenant la stance deuxième arrive, et s’empare de ces mêmes rimes. Elle commence par la dernière, de l’a remonte à la première, revient à la cinquième, puis retourne à la seconde, ainsi de suite, et comme le voici :

donna

ombra

pietra

colli

verde

erba.

La stance troisième fait sur la seconde, pour le mélange des rimes, le même travail que la seconde a fait sur la première, et ainsi de suite jusqu’à la fin de la pièce, — ce qui fait que si une stance septième survenait, elle se trouverait en tout semblable à la première. — La pièce est couronnée par un tercet, encore sur les rimes employées.

Il est étonnant que Dante, qui aimait les difficultés de la forme, n’ait pas employé celle-ci plus souvent. — Pétrarque en a un certain nombre dans son recueil.

Nous croyons que l’on peut appeler l’attention sur ce passage : « Le doux temps qui réchauffe les collines, et les fait tourner du blanc au vert, parce qu’il les couvre d’herbe et de fleurs. » Il est indubitable qu’on doit le pittoresque de ces expressions à la traduction mot à mot. — Pour bien montrer cette pièce avec tout le piquant de son moule et l’agencement de ses rimes, il fallait la traduction ligne pour vers, dont nous avons parlé dans notre Introduction.

Canzone vu (page 133).

Cette canzone devra être d’un grand secours pour ceux qui auront à s’occuper du système astronomique de Dante. — Elle est curieuse d’un bout à l’autre, tant pour le mérite et la justesse des expressions, que pour le cercle de connaissances qu’elle révèle dans son auteur. Nous laissons les détails de cet examen à ceux qui envisageront notre auteur au point de vue scientifique ; nous nous contenterons de faire remarquer que souvent l’entrave du mot technique fait surgir une beauté chez Dante, qui triomphe toujours des difficultés en véritable et puissant poëte.

Dans la stance première, l’énergique auteur parle astronomie ; — dans la seconde, vient la météorologie ; — dans la troisième, c’est le tour de l’histoire naturelle ; — dans la quatrième, apparaît la botanique ; — dans la cinquième, se montre la géologie ;… n’est-ce point précieux d’avoir ainsi en une seule pièce, pittoresque et poétique du reste, le résumé du savoir d’un homme tel que Dante ?

M. Ferdinando Arrivabene trouve de la ressemblance entre le vers de cette canzone : a E quel pianeta che conforta il gielo, » et celui de la Divine Comédie, qui en effet le rappelle : « bel pianeta che ad amor conforta. »

Les deux derniers vers de chaque stance se terminent par les deux mêmes mots ; nous avons réussi à conserver cette recherche dans notre traduction. — Nous n’avons pas trouvé clairs les deux vers qui forment la chute de la canzone. (Se reporter à la note du sonnet XVII du livre I.)

Canzone vin (page 136).

Dans ses annotations sur cette canzone, Anton Maria Amadi veut que Dante l’ait composée pour l’amour de cette même madonna l’icira de la famille des Scrovigni, dont il a été question dans la note de la canzone I de ce livre III. Pour appuyer son opinion, il fait remarquer que, sur les soixante-six vers dont se compose cette pièce, il s’en trouve treize avec le mot pietra pour rime. C’est une supposition qui n’a rien d’extraordinaire.

Les soixante-six vers de cette canzone n’ont en tout que cinq mois pour se terminer, cinq mots qui s’entremêlent et reviennent sans cesse, mais avec une combinaison bien plus compliquée que dans la sestine que nous avons vue tout à l’beure, et qu’il deviendrait oiseux de vous mettre sous les yeux. — Les cinq mots qui reviennent sans cesse sont : donna, tempo, luce, freddo, pietra.

La traduction ligne pour vers était encore indispensable pour faire sentir celle bizarrerie ; mais cette fois le sens et la clarté de la pièce y auraient perdu… et nous croyons que la fidélité à la pensée de l’auteur ne devait point être sacrifiée à une simple question de mécanisme et d’arrangement extérieur, pour lequel doit suffire ce que nous en indiquons dans cette note.

Ce moule imposé a, d’ailleurs, gêné un peu le poëte ; on sent par-ci par-là que le vers ne s’est point épanoui à son aise, contraint d’arriver avec une rime si fréquemment répétée. — Dante a encore été séduit la par la difficulté, comme on le voit dans les trois vers qui terminent * la canzone :

« Sicch’io ardisco a far per questo Iralilo

La novità, che per tua forma luce,

Che mai non fu pensata in alcun tempo. »

Bien d’autres depuis lui, et comme lui de puissants penseurs, ont été séduits et quelquefois gênés par la silhouette du moule, par le piquant de la forme.

FIN DES NOTES DU LIVRE TROISIÈME.

LIVRE QUATRIÈME.

Canzone i (page 139).

Cette canzone est la première du Convito de Dante. — Le Convito est un ouvrage en prose que le poëte florentin avait commencé, et qui devait être le commentaire d’un certain nombre de ses canzones morales ou amoureuses. Villani dit que la mort l’empêcha de l’achever ; et, en effet, trois canzones seulement y sont commentées : ce sont celle-là et les deux qui la suivent. — Ce commentaire suit les pièces vers par vers, et quelquefois mot par mot ; et ce sera en donner une idée, comme dimension du moins, que de dire que ce commentaire de trois canzones remplit à lui seul un fort volume in-oclavo.

Le chant vm du Paradis fait allusion à cette canzone. Son premier vers : « Voi, che intendendo il terzo ciel movete, » se trouve être le trente-septième de ce même chant. Dante voit dans le troisième ciel, qui est la planète de Vénus, «des lueurs… qui reflètent l’éternelle clarté… » Elles se meuvent en rond, plus ou moins agiles,… et derrière celles qui.lui apparaissent en avant résonne un Hosanna si mélodieux, que depuis il n’a jamais été sans un désir de l’entendre. Alors l’une d’elles descendit plus près de lui, et seule commença : « Nous sommes toutes « prêtes à faire ton plaisir, afin que tu le réjouisses avec « nous. Nous tournons ici dans le même cercle, avec le « même mouvement circulaire et avec la même soif que « les princes célestes, auxquels tu as déjà dit dans le « monde : « Vous qui, par voire intelligence, faites mouvoir « le troisième ciel ; » et nous sommes si pleines d’amour « que, pour te plaire, un moment de repos ne nous sera « pas moins doux. [Paradis, chant vm). » — (Voir la note du sonnet I du livre II.)

I.e Tasse, dans sa septième canzone, termine chaque siance par un vers d’un poëte renommé, et la deuxième stance se termine parle même premier vers de notre canzone de Dante : « foi, che intendendo, » etc.

Pour comprendre celte canzone, nous ne dirons pas parfaitement, mais le plus possible, il faut se reporter à l’épisode de la Dame compatissante du premier livre. Il se livra dans le cœur de Dante une grande bataille entre le souvenir de sa toute aimée Béatrice et l’image de cette Dame sensible à sa peine, et, comme le sommaire en avertit, c’est cette lutte que le poêle a l’intention de peindre dans cette pièce.

C’est dans la dernière siance de cette canzone que le poëte dit ces trois vers, auxquels se cramponne l’impuissance du traducteur : « Canzone, je crois qu’ils seront rares ceux qui comprendront bien tonvrai sens, tant tu leur parles (un langage) difficile et élevé ;… »— On a déjà eu l’occasion de remarquer des passages analogues, qui montrent le soin que prenait Dante parfois de s’entourer de difficultés et d’obscurité volontaire.

Canzone n (page 142).

Cette canzone est la deuxième du Convito. — A la fin du chant n du Purgatoire, le poëte se fait chanter cette canzone par Casella, « qui, dit Grangier, estoit grand amy de Dante, avec lequel il alloit souvent se resjouir quand il estoit las d’estudier. » — « Il y a, dit M. Artaud, un peu de vanité a se faire chanter ainsi une de ses contants ; mais c’est Dante déjà vieux, et enhardi par le succès de sa Comédie, qui a sans doute ajouté ce passage dans les nombreuses additions qu’il faisait tous les jours à son poëme. »

Voici le passage du Purgatoire : « Et moi : « si une « nouvelle loi ne t’enlève pas la mémoire ou l’usage de « ces chants amoureux qui avaient coutume d’apaiser « toutes mes peines, console un peu mon ame qui, en « venant ici avec mon corps, s’est remplie de tant de « troubles et de terreurs. » Il se mit alors a chanter avec tant de douceur : « Amour, qui dans mon esprit me parle, » que sa douce voix vibre encore au fond de mon âme. »

Tous les commentateurs ont réputé cette canzone une des plus belles que Dante ait composées. — L’éditeur modénois du Convito (Fortunato Cavazzoni Pederzini) dit, en parlant d’une variante de cette même pièce, que « Dante avait deviné l’éternité de cette angélique et tout admirable canzone… » En effet, elle est du ton le plus suave, et en quel nombre n’aurait-on pas à y souligner les expressions magnifiques et ravissantes !

Le premier vers de la seconde stance, souligné en partie dans notre traduction, montre encore un point du système planétaire de Dante : « Le soleil, qui tourne autour du monde entier. »

Canzone iii (page 146).

Cette canzone est la troisième du Convito. — En annotant cette pièce, le Tasse a écrit en marge, à coté d’un certain nombre de vers, le mot : « Bello ! » — Dante, là, tourne à la philosophie ; il change de ton d’une manière sensible ; mais avec quelle grâce il prévient ses lecteurs de cejchangement ! « Les douces rimes d’Amour que j’avais coutume de chercher dans mes pensers, il faut que je les laisse, » etc. On dirait presque que l’austère penseur prend des précautions avant de toucher à la satire.

Il faudrait le commentaire du Convito lui-même pour accompagner cette pièce, dans laquelle la vigueur de la pensée et du style se fait sentir a chaque vers. — Ce ne sont plus des chants d’amour. Dante veut montrer aux hommes la vraie noblesse, qu’il fait consister dans la vertu ; et, pour cela, Aristote et la scolastique viennent se mêler aux pensées ardentes et vivaces du poëte… Ce serait une grande étude à faire que celle de celle canzone et de quelques autres de même nature ; mais ce n’en est point la place dans ces notes, et l’espace, du reste, nous le permettrait-il, que nous nous empresserions de renvoyer ce travail à des mains plus habiles.

Dans la septième stance, on voit la division que Dante fait de la vie humaine ; il la divise en quatre phases, qu’il appelle : « L’adolescenza, la gioventute, la senettule, et lo senio, » l’adolescence, la jeunesse, l’âge mur, et la vieillesse. Il semble presque qu’il a voulu dire, pour les deux dernières : la vieillesse et la décrépitude ; la première manière de le traduire nous semble néanmoins plus rationnelle, et nous croyons vraiment bien faire en l’adoptant.

La transition des idées amoureuses aux idées philosophiques a amené Dante à une personnification nouvelle et qui aurait pu tromper… c’est que sa Dame, dans cette longue pièce, n’est plus liéatrice ou tout autre, mais bien la Philosophie, à laquelle il finit par députer sa canzone, qui dira à ceux qui s’égarent : « Je vais parlant de votre amie.»

Canzone iv (page 151).

Le Florentin continue sur le ton de la satire, et la satire de Dante, on le sait, n’existe guère sans une certaine apreté. Les deuxième et troisième stances surtout sont d’une rude clarté et vont droit à leur adresse… On pourrait même, au besoin, les exhumer de l’époque reculée de Dante, et leur donner une application toute moderne et toute contemporaine.—Nous renvoyons à ces deux stances, avec prière instante qu’on veuille bien les relire.

Beaucoup d’autres vers seraient encore à souligner dans cette canzone ; mais une des épithètes que nous avons à faire remarquer est celle de grande planète, qu’il donne au soleil. Il l’appelle aussi ailleurs la grande étoile. — Cette remarque est nécessaire pour l’intelligence de certains passages de ces poésies.

A propos d’un passage de la dernière stance de cette canzone, M. Ferdinando Arrivabene fait la citation suivante, dans la traduction de laquelle nous déclarons ne pas mettre la moindre malice, et dont nous le laissons complètement responsable quant à l’opportunité : « Avec blâme je dis que ne doivent point être appelés lettrés (ou littérateurs) ceux qui ne cultivent pas les lettres pour leur usage, mais bien dans le but d’en retirer de l’argent ou des dignités ; c’est absolument comme on doit appeler cythariste celui qui a une cytharc dans sa maison pour la prêter moyennant salaire, et non pour en tirer des sons. » — On sent bien que nous devons être tout à fait innocent de l’intention… à qui pourrait-on appliquer cela aujourd’hui ?

Dante, lui, termine en donnant le portrait de l’homme qui fait bien, et il arrive a dire, dans son dernier vers : « Ceux qui vivent {maintenant) fout tout le contraire ! »

Canzone v (page 155).

Cette canzone est encore une de ces pièces qui demanderaient un commentaire aussi long qu’elles, sinon davantage. Elle se range dans la catégorie de celles qu’on peut appeler philosophiques ; mais le poëte tlorentin ne s’y est pas tenu à cette nuance seulement : il y a fait marcher de front deux choses, et on y trouve, mêlée à la philosophie, une forte dose de verte satire.

Le début, d’ailleurs, est bien de nature à montrer ce que doit être la pièce : « Le chagrin me pousse, dans mon cœur, à avoir la hardiesse de vouloir ce qui est l’ami de la vérité. » Le poëte sent ce que la vérité pèse à dire, et cependant il ne recule pas devant sa tâche. « L’homme, continue-t-il, a fait la vertu distante de lui ; ce n’est déjà plus un homme, mais une bête, qui ressemble à un homme. » C’est franc et rude a la manière de ce qu’on peut attendre de l’âpre auteur de YEnfer. Il frappe fort contre ceux qui se laissent tomber dans l’esclavage du vice. — La quatrième slance, dirigée contre les avares, esl d’une mordante vigueur, et serait tout entière à citer ici. Nous ne pouvons résister au désir de transcrire cette violente sortie : « O esprit aveugle, qui ne peux voir ton insensé « désir ! avec tes richesses, qui te foront perdre ton temps v « à toute heure, qui sont vides à l’infini, te voilà arrivé « à celle qui nivelle tout (la mort) ! Dis-moi, qu’as-tu « fait, avare aveugle et délabré ? Réponds-moi, si tu « peux, autre chose que rien. Maudit soit ton berceau, « qui caressa en vain tant de sommeils ! Maudit soit ton « pain, que tu perds, et qui ne (serait) point perdu (en le « donnant) à un chien, toi qui, du soir au matin, as « amassé et étreint à deux mains ce qui sitôt sera loin « (de toi) ! » — Nous songerions vraiment à demander pardon pour cette longue répétition, si la touche du morceau ne se chargeait de le faire pour nous.

Certains vers nous ont, malgré la précision du trait, embarrassé dans le cours de cette pièce. Elle est une de celles pour lesquelles une seconde édition, revue et corrigée, serait bien nécessaire.

Canzone vi (page 160).

Ici le poëte emploie une allégorie touchante. Dans cette belle canzone le pauvre Dante montre l’état de son ame, ployée, brisée par la peine et la désillusion, mais pleine de fierté dans l’infortune. — Le sommaire en fait suffisamment connaître l’idée ; l’ensemble peut s’en déduire quant aux détails, la plupart sont d’une gracieuseté, d’une fraîcheur et d’une délicatesse qui laissent peu de chose a désirer.

M. Ferdinando Arrivabene dit que « cette canzone sera toujours un parfait modèle de poésie morale. »

La cinquième stance parle de l’exil de Dante ; le poêle a le cœur ulcéré.— ir est presque certain que les blanches fleurs changées en fleurs perses » sont une allusion aux dissensions terribles des Guelfes et des Gibelins ; cependant les couleurs qui servaient de signe aux deux partis, au lieu d’être le blanc et le pers (vert), étaient le blanc (pour les Gibelins) et le noir (pourles Guelfes). —Nous ne faisons, du reste, que soulever cette question, nous récusant s’il fallait la résoudre… nous aurions trop crainte de nous tromper.

M. Benjamin Laroche, dans une note de sa traduction de la Prophétie de Dante, de lord Byron, cite quelques vers de cette canzone, qu’il qualifie de sonnet. Ce ne peut être qu’une distraction, ou une indication fautive à laquelle il aura puisé. — Cette chose, après tout, n’est pas de grande importance, puisque nous avons vu que chez les anciens poëtes italiens, et particulièrement chez Dante, le mot sonnet n’avait pas encore d’acception bien arrêtée.

FIN DES NOTES DU LIVRE QUATRIÈME.

LIVRE CINQUIÈME.

Sonnet i (page 165).

Voilà un de ces sonnets de seize vers, dont nous avons dit plus haut (noie du livre 1) que nous retrouverions des exemples. Après les quatorze vers, qui sont aujourd’hui le cadre impérieux et unique, le poëte ajoutait un distique, pour compléter sa pensée en même temps qu’il couronnait son œuvre. — Le sixième livre de notre recueil nous en fournira encore un du même genre.

Ce sonnet doit toucher par sa beauté quiconque le lira. —On sait que le dernier chant du Paradis est, d’un bouta l’autre, une espèce d’hymne à la Vierge, et que ce chant est admirable ; eh bien ! ce sonnet ne le cède en rien a ce chant, et tous les commentateurs sont d’accord pour lui décerner les plus grandes louanges. — M. Ozanam, dans une note de son savant ouvrage intitulé : Dante et la poésie catholique, s’exprime ainsi au sujet de cette pièce : « Dante a célébré la sainte Vierge dans un sonnet que nous ne pouvons nous empêcher de citer ici, comme l’un des plus beaux hommages que la mère de Dieu ait reçus des hommes. »

Et nous, nous faisons comme l’érudit professeur, nous citons le sonnet, ne trouvant rien de mieux a faire pour va compléter l’éloge :

« O Madre di virtute, Luce eterna,
Che partoristi quel frutto benegno,
Che l’aspra morte sostenne sul legno
Per scampar noi dall’ oscura caverna ;

Tu del Ciel Donna, e del mondo superna.
Deh ! prega dunque il tuo flgliuol ben degno,
Che mi conduca al suo celeste regno,
Per quel valore che sempre ci governa.
Tu sai ch’in te fu sempre la mia spene,
Tu sai ch’in te fu sempre ’1 mio diporto :
Or mi soccorri,o Infinito bene !

Or mi soccorri, eh’ io son giunto al porto,
Il qual passar per forza mi conviene ;
Deh ! non mi abbandonar, sommo conforto !

Che se mai feci al mondo alcun delilo,
L’alma ne piange, è ’1 cor ne vien contrito. »

Nous doutons qu’il y ait une traduction qui puisse rendre, avec toute leur grâce, la naïve et sublime élévation de ces paroles.

Nous aurions bien aussi des éléments mystiques à chercher dans ce sonnet, à propos du mot Luce du premier vers, jouant sur le nom de Lucie,— qui n’est autre que sainte Lucie de Syracuse, symbolisée comme tout ce qui passe par l’imagination du poëte, et représentant, selon lui, la grâce illuminante ;de même que Béatrice, la théologie ;… mais nous sortirions encore trop des limites assignées pour ces notes. On peut se reporter, du reste, pour cela, à la Divine Comédie.

Ce sonnet, que les Rime aniiche donnent sous le nom de Dante, et qui est bien de lui, se trouve, dans un recueil intitulé : Poésies du premier siècle de la langue italienne (Florence 1816) ; se trouve, disons-nous, restitué par l’éditeur à Monte Andrea da Firenze.— On n’est pas commentateur -pour rien !

Sonnet n (page 166).

Gracieux sonnet, dans lequel, nous le craignons fort, Béatrice viendrait en vain réclamer sa part. La Fila Nuova ne nous montre point d’entrevue, à la Toussaint, entre Dante et la fille de Folco Portinari… Quelle âme inflammable que celle de notre poëte florentin 1 — Ne serait-il pas généreux, pour sa mémoire, de chercher à voir dans tous ces écarts de son cœur quelques-uns de ces jeux de diseur en rimes d’Amour, auxquels les poëles de son temps s’amusaient parfois, y compris lui-même et son ami Guido Cavalcanti ?

L.-A. Muratori cite ce sonnet dans sa Perfetia poesia, en se livrant à un commentaire sur l’écriture du manuscrit où il l’a trouvé et sur son orthographe.

Ballade i (page 167).

Le sommaire donne le nom d’apologue a cette pièce, parce que c’est véritablement un apologue coulé dans le moule d’une ballade. — C’est tout a fait le même sujet que celui de la fable de la romaine, intitulée : le Geai paré des plumes du paon (livre IV, fable 9). La comparaison entre les vers de Dante et ceux du bonhomme est curieuse et piquante ; nous la proposons à nos lecteurs.

Cette ballade est rimée, chez le puissant auteur de l’Enfer, avec une grande énergie. Tout le monde remarquera la vigueur de cette expression : « …Souventefois tel sue la chaleur d’autrui, qui ensuite se g’ele bienheureux donc qui se pourvoit par soi-même ! » — Dante, qui est toujours maître par la pensée, est presque toujours aussi maître par le mot.

Sonnet m (page 168).

Le pressentiment, exprimé d’une manière triste dans ce sonnet, nous amène encore à un point d’interrogation. Est-ce de la mort de Béatrice qu’il se préoccupe ? alors ce sonnet n’est point à sa place, et devrait se trouver dans la Pie Nouvelle. Ou bien ne serait-ce qu’un triste retour vers la chère amante de ses pensées, une de ces œuvres non faites en leur temps, quoique entrevues ou projetées, et que l’on arrive à faire plus tard pour se compléter ? Nous ne savons… que la sagacité de ceux qui veulent bien nous suivre nous vienne en aide !

La marche brève et coupée de cette pièce est d’ailleurs remarquable.

Sonnet iv (page 169).

Sonnet obscur, parce que, pour le comprendre, il faudrait avoir la missive a laquelle il fait réponse. La vierge dont il y est fait mention n’est bien certainement pas autre chose que la lettre, la missive, la réponse, — ce sonnet, en un mot, — que Dante envoie à son correspondant. — Mais elle est remplie d’allusions aux choses que la missive de Brunetto doit renfermer, et sans ce premier texte, adieu la clarté !

Tout porte a présumer que le Brunetto en question est Brunetto Latini, le maître chéri de Dante, et que nous retrouverons plus tard.

Il est dit, dans la troisième stance de ce sonnet, que « beaucoup de frères Albert comprendront… » Il est probable que les lecteurs voudraient bien être comme les frères Albert… et nous aussi !

Canzone i (page 170).

Nous retrouvons dans cette canzone une ancienne connaissance ; car nous aimons à croire que les lecteurs de notre Introduction se souviennent que c’est celle-là dont nous leur avons donné la traduction ligne pour vers. Cette première traduction a été donnée, comme nous l’avons dit, pour rendre possible une comparaison entre les tournures de l’original et celles que nous avons employées pour le rendre. Nous engageons sincèrement le lecteur sérieux à faire ce petit travail, dans lequel il ne trouvera point de déplaisir,… d’amant moins que la canzone est une des jolies du recueil.

Cette fois l’amant-poëte revient à celle qui aurait dû remplir toujours son âme. En parlant de cette pièce, M. Ferdinando Arrivabene dit : « …Cette canzone, dans laquelle Dante fait le portrait de Béatrice ; » et c’est en effet le portrait de la jeune et chaste amante du fougueux Florentin. Ce portrait est long et détaillé avec une complaisance infinie ; mais, malgré cette longueur, ou le suit, trait par trait, avec le plus grand charme.

Tout le long de la traduction de cette pièce, nous avons fait une expérience que nous regrettons sincèrement de ne pouvoir faire faire à nos lecteurs : — Nous avions sous les yeux une excellente gravure du portrait de Béatrice, d’après le buste de Canova. A chaque vers du poëte, nous regardions le trait correspondant dans l’œuvre du sculpteur, et nous sommes resté convaincu de la ressemblance parfaite de l’un avec l’autre. Comment s’y est donc pris Canova ? avait-il cette canzone dans l’esprit en sculptant son buste ?… Quelques personnes savent qu’il avait, sinon mieux, au moins aussi bien que cela, et que « pour atteindre, comme il le dit alors, la perfection qu’il pouvait désirer, il représenta Béatrice sous les traits de madame Récamier, qui habitait Rome en ce moment. » — Voilà qui est clair, et qui doit nous prouver une chose, c’est que madame Récamier, dans la physionomie de laquelle Canova « trouva réunis, grâce, délicatesse, esprit et beauté, » devait singulièrement ressembler a Béatrice, attendu que deux choses ressemblant à une troisième, doivent toujours se ressembler entre elles. — M. Artaud a fait sur Canova et son admirable modèle une note extrêmement curieuse, qui se trouve a la fin du chant x du Purgatoire, de sa traduction de la Divine Comédie.

Dans les Rime aniiche, cette canzone se trouve indiquée comme étant d’un auteur incertain. — Monti, en commentant le mot induare, dit encore que « cette canzone, que l’on rencontre parmi les Rimes de Dante, a tout l’air du style de Fazio, à qui réellement un manuscrit très-rare la restitue. >> — Pour peu que les commentateurs continuent à y aller de ce train, de toutes les Rimes de Dante, il ne restera bientôt que le titre 1

Le treizième vers de la treizième stanco ressemble au dernier de la Divina Commedia : « …USole, e l’allreslelle, le Soleil, et les autres étoiles. » — Ce mot autres étoiles nous est expliqué, une note précédente (page 268) ayant dit que souvent Dante appelait le soleil la grande étoile. (Voir la note suivante.)

Canzone il (page 174).

Dans le premier vers de cette canzone, Dante appelle précisément le soleil, non pas la grande, mais : « La belle étoile qui mesure le temps. »

Cette canzone, qui avait été, comme tant d’autres, attribuée par Pilli à Cino daPistoja, fut retirée à ce dernier et donnée à Dante. Le professeur Ciampi l’a restituée à Cino, sans citer le manuscrit qui l’attribue a l’un ou à l’autre des deux —Un ancien manuscrit du Vatican, qui est la copie d’un autre plus ancien, l’assigne à Guido Guinicelli. — Cela va toujours à plaisir ; amant de copistes ou d’annotateurs, autant d’opinions ! Le tout pour éclaircir la chose.

Il y a des expressions neuves et remarquables dans cette pièce, dont la Gn est touchante.

Canzone m (page 177).

Tout le long de cette pièce règne un ton de résignation qui n’est "pas toujours dans les habitudes de Dante. On rte rencontre pas fréquemment chez le poëte gibelin des phrases comme celle-ci : « … et (comme) auprès de ma souffrance chacun autre a de la joie, je ne veux pas que tu ailles faisant de Vennui aux autres, » ou, ce qui est beaucoup plus fort et vraiment par trop chevaleresque, cette suivante : « … car je crois la servir, hélas ! en mourant ainsi… je la désoblige et lui déplais en vivant. »

Est-ce pour cette raison que Pilli, notre éditeur si zélé de Cino da Pistoja, attribue encore cette canzone à son ami et compatriote ? Est-ce également pour cela que les Rime antiche, déjà nommées, la rangent parmi les poésies d’auteurs incertains ? Nous laissons, d’après notre système, le champ libre à la discussion.

Canzone iv (page 179).

Encore une canzone que les Rime antiche désignent comme d’un auteur incertain. Celle fois, elles ne paraissent pas faire un tort grave à Dante, car M. Ferdinando Arrivabene lui-même, comme Quadrio, ne l’accepte pas. Il la trouve si ettropiée, qu’il ne peut se persuader qu’elle soit de notre grand homme. En effet, presque partout dans ses sonnets et ses canzones, Dante s’est montré, plus que dans sa Divine Comédie, amoureux de la pureté et de la correction, et les linguistes italiens reprochent a cette pièce des taches nombreuses. Des mots, des locutions, des phrases entières leur déplaisent… Aussi Dante da Majano, poëte inculte (comme on l’a vu dans la note du sonnet premier du premier livre), se trouve-t-il là à point pour recevoir la charge de la faute, dont n’a pu se rendre coupable le « merveilleux poëte, » et il est vrai de dire que l’homonymité rend l’hypothèse très-acceptable.

Maintenant qu’il nous est si bien prouvé que nous devons exclure cet oiseau de la volière, il n’est plus guère opportun de nous amuser à analyser son plumage… La cage est ouverte ; qu’il s’envole ! — On voit que, quand tout le monde est contre nous, nous ne faisons pas résistance,

Cawzone v (page 182).

A propos de cette canzone, toujours la même histoire que précédemment, et pour les Rime antiche, et pour l’éditeur de Cino da Pistoja (Pilli). Ce cinquième livre semble être le bien de tout le monde ; on s’acharne après lui comme si l’on éprouvait le besoin de faire un petit vandalisme 1 — Nous n’y pouvons rien, ni par notre opinion, ni par le poids de notre science… laissons donc détourner ceux qui veulent détourner. Constatons, mais ne discutons pas.

Que cette canzone, après tout, soit de Dante ou non, son auteur, poëte amoureux, montre un beau mouvement de générosité dans les derniers vers. Il dit d’abord à Amour : « vivant (tout) j’obéirai à ton commandement ; » puis, terminant sa pièce : « Mais si, (pour prix) d’une telle entreprise, dit-il, je reste mort, et que tu m’abandonnes, pour Dieu, je te prie au moins de lui pardonner (à Elle) ! ;.. » Est-ce bien l’a le ton de Dame ? — Quelquefois.

Canzone vi (page 185).

Le doute sur l’authenticité des pièces continue. —On ne peut pas se dissimuler que certains passages de certaines de ces canzones suspectées justifient un peu la défiance des commentateurs. Le début de celle-là est obscur et contourné ; elle vient redire, après plusieurs autres, ce qui est déjà dit et redit,… et Dante ne s’amusait guère à écrire pour le plaisir de se répéter ! « Dante n’était pas un bomme à écrire à la légère, » dit M. Arrivabene, et cette répétition de choses dans une série de pièces ne nous semble pas tout à fait devoir venir de l’âpre et serré penseur de la Divine Comédie.

Cette canzone est, comme plusieurs de celles qui précèdent et quelques-unes de celles qui suivent, reléguée par les Rime antiche au nombre des productions d’auteurs incertains, — et, d’un autre côté, réclamée par l’infatigable Niccolô Pilli, pour être donnée par lui à son ami Cino !… Nous ne lui contesterons pas trop fort la propriété, ou, pour mieux dire, la paternité de cette pièce.

Canzone vii (page 188).

Toujours la même réclamation de la part des Rime antiche ; mais, chose assez surprenante 1 il signor Niccolè Pilli n’a point fait entrer cette canzone dans le recueil de son ami Cino da Pistoja !… c’est un gré à lui savoir.

Cette pièce l’emporte de beaucoup en mérite sur l’autre, et la touche dantesque s’y reconnaîtrait volontiers. Elle débute largement, et tout le long les détails s’y font remarquer ; l’expression y est énergique et vigoureuse. On ne peut guère passer sous silence : «… Quand j’y pense bien, je sens l’urne (me) trembler par le cœur ; » et ce mot : « Me frappe par les yeux, » en disant que l’éclat de sa Dame l’éblouit ; et d’autres encore que nous négligeons, de peur qu’on ne vienne nous accuser de répéter notre texte dans nos notes.

Canzone viii (page 191).

Attendez, nous n’y perdrons rien ! si le zélé Pilli n’a pas mis son embargo sur la canzone précédente, il se bâte pour celle-ci de rattraper ses distances, et son ami Cino en est encore, de son fait, déclaré l’auteur. — En revanche, les Rime antiche (puisque ces deux recueils-là doivent constamment nous poursuivre) n’ont point désigné cette pièce sous la rubrique habituelle.

On trouve dans cette canzone une allure svelte et gracieuse, et il nous semble que, en cherchant un peu, on aurait plus d’une raison de l’attribuer à Dante. Certaines expressions s’y rencontrent, qui en rappellent d’autres de ses autres pièces ;… d’ailleurs il n’est pas donné à tout le monde, ni même à tout rimeur vulgaire, de dire, en parlant d’une Dame chère : « Tout ce qui est noble s’éprend d’elle ; tair en est réjoui, et le ciel pleut sa douceur là où elte habite. » Voici les trois vers qui disent cela dans le texte :

« Tutto cio, ch’è gentil, s’en’ innamora ; L’aerne sta gaudente, E’1 Ciel piove dolcezza a’ la dimora. »

On pourrait encore en citer d’autres.

Cette pièce est coulante et volontiers saisissable du commencement à la fin. La chute en est charmante.

Canzone ix (page 194).

Nous ne pouvions pas finir paisiblement ce cinquième livre ! Non-seulement Niccolô Pilli continue a s’emparer de cette canzone pour son ami Cino, mais nous croyons que cette fois il le fait avec apparence de raison. C’est aussi l’opinion de M. Ferdinando Arrivabene, qui, malgré plusieurs éditions l’attribuant à Dante, n’y retrouve pas moins la louche et le style de Cino da Pistoja, et l’accorde à ce dernier sans avoir l’air de trop la regretter.

Cette canzone a cela de particulier dans sa forme qu’on y trouve seize fois le mot « oimi ! hélas ! » et que, sur ces seize mêmes mois, quinze servent à commencer chacun un vers. — Noire iraduction a conservé fidèlement cette répétition, qui est parfois d’un bon effet, lout en effleurant l’abus.

Dans l’avant-dernier vers de la deuxième slance : « oimi, rotui hai quai vetro…, liélas ! tu» as brisé ce verre…, » nous ne savons trop si le mot verre est pris pour signifier prisme, ainsi que nous l’avons indiqué, comme pour dire que le bonheur du poêle avait l’éclat d’un prisme, — ou s’il est là pour indiquer le peu de durée de ce bonheur, que le poëte appellerait, dans ce dernier cas, fragile comme un verre… on peut choisir.

FIN DES NOTES DU LIVRE CINQUIEME.

LIVRE SIXIÈME.

Canzone i (page 197).

Voilà une pièce pleine d’âme et de véhémence, et dans laquelle on retrouve, à son plus haut degré, l’ardeur que Dante apportait à son amour pour sa patrie. — Le poëte florentin est exilé, et exilé, comme on le sait, par Florence elle-même. Eh bien ! du fond de son exil, le nom de son pays fait bouillonner son cœur ; il sympathise avec le triste état de sa ville natale ; il a honte de l’abaissement de sa cité, comme si cet abaissement lui était personnel ; les conseils et les vœux s’échappent avec feu dans cette canzone, qui est peut-être la première parmi les pièces les plus vraies qui soient sorties de la plume fougueuse et enthousiaste de Dante. — - Notre tâche n’est point ici de l’analyser vers par vers ; mais nous appelons vivement sur elle l’attentiou de nos lecteurs.

Voyez ces trois vers de la première stancc : « Celui de tes enfants qui t’aime dans (ion) honneur, en voyant les œuvres basses qui se commettent dans ton {sein), ressent de la tristesse et de la honte. » Comme l’âme du poêle est blessée et souffre ! — ht plus loin : « Tu régnas fortunée dans le bel âge où les enfants voulurent que les vertus fussent leurs soutiens. » Comme il désire que sa ville revienne a cet état vertueux et fortuné ! — Les sept vertus, qu’il appelle quelques vers plus loin les sept dûmes (avec lesquelles Florence vivait jadis heureuse), sont : la Justice, la Force, la Tempérance, la Prudence, l’Intelligence, la Sagesse et la Science. Dans la Divine Comédie le poëte les appelle aussi les sept nymphes. — Plus loin encore, on lit : « Quiconque ne suit point sincèrement la tige du lis veuf, » et quelques vers après : « (Ceux) de (les) enfants qui ont rendu la fleur souillée et inutile. » Il y a là dedans, aux mois lis et fleur, une allusion à l’étymologie du nom de Florence, Fiorenza, que certains prétendent venir de ce que la ville fut bâtie dans un endroit planté de lis, de fleurs, fiore. — Le cœur du poëte espère ensuite que ses conseils seront suivis et ses vœux exaucés : « Sereine et glorieuse, si lu fais cela, lu régneras honorée ; et ton grand nom, que l’on note mal, pourra ensuite (se) dire Florence ! » — Et puis vient la dernière stance, qui envoie la canzone aux bons : « Crie-leur, leur dit-elle : Sus ! levez-vous ! pour vous je sonne la fanfare ! prenez les armes, et exaltez cette (pairie) ! » — Dans les vers qui suivent, il veut montrer cette patrie, « qui vit en pâlissant, » et il personnifie les maux qu’elle souffre en les baptisant de noms historiques.de différents âges, noms qui résument pour lui les types de la tyrannie et de toutes autres affreuselés. — « Puis, termine-t-il en s’adressanl toujours a sa canzone, retourne-toi vers tes loyaux citadins, en les priant quelle (Florence) se rende toujours heureuse. »

Voila cette pièce qui semble, en la lisant, un souffle ardent qui vous arrive ; pièce dans laquelle on reconnaît si bien le cachet puissant du grand poète florentin, et que plusieurs commentateurs n’ont cependant pu s’empêcher de contester à Dante. Certains manuscrits commettent cette faute ; mais Dionisi, dans sa Série d’anecdotes, cite cette canzone, et, d’accord avec un autre manuscrit, la tient pour une canzone de Dante, jusqu’à preuve lumineuse du contraire. — Le comte Perticari a, depuis, ôté tous les doutes à cet égard, en en donnant un texte correct et épuré dans la première partie de son Traité de l’amour de la patrie de Dante.

Les noms propres dont nous avons parlé tout à l’heure se trouvent cités dans divers chants du Purgatoire et de Y Enfer.

Sonnet i (page 200).

Dans ce sonnet Dante donne à son ami Cino da Pistoja un conseil qu’il est bien loin d’avoir toujours suivi luimême : « fous (vous) laissez prendre à tout hameçon, » lui dit-il ; puis, comme si lui, l’amant un peu infidèle de Béatrice, n’avait jamais mérité de reproches de ce genre, il termine par un tercet gracieux, à ne le considérer que comme vers, mais toutà fait remarquable et piquant si l’on songe qu’il émane de la plume de celui qui chanta cinq ou six maîtresses.

Voici le texte de ce tercet, pour l’interprétation duquel nous renvoyons nos lecteurs à notre traduction :

« Se ’1 vostro ctior si piega in tante voglie, Per Dio vi priego che voi ’1 correggiate ; Sicchè s’accordi i fatti a’ dolci detti. »

N’est-il pas surprenant d’entendre Dante dire une semhlable chose ?

Sonnet n (page 201).

Cette pièce sert de sujet a M. FdO Arrivabene pour s’écrier : « Qu’aurait donc dit le père Pompeo, s’il eût commenté les Rimes, en rencontrant un pareil sonnet ! » — Le père Pompeo a commenté la Divine Comédie, et a blâmé Danle d’avoir, dan s le cinquième tercet du chant xvi du Paradis, comparé Béatrice à la suivante de Genèvre (Ginevra. — Se reporter à l’épisode de Francesca di Rimini). Il est certain que, si cette comparaison l’a lâché, il eût poussé les hauts cris à la lecture de ce sonnet gracieux, mais, il est vrai, un peu erotique.

C’est une fantaisie charmante et tout artistique à la fois que ce désir de vie amoureuse répartie et goûlée entre quelques groupes amis ;… on dirait qu’on a devant les yeux un de ces croquis où le dolce far niente de la vie italienne se traduit par des collations, des chants et des baisers, au bord des eaux fraîches et sous des arbres pleins d’ombre.

Nous ne ferons pas comme le père Pompeo, nous ne nous voilerons pas la face devant ce séduisant tableau, certain qu’aucune foudre n’éclatera pour nous frapper. Pour blâmer cela il faut n’avoir jamais été jeune, n’avoir jamais senti ce que Dieu a fait de plus beau dans le monde.

Le onzième vers a peut-être besoin d’être expliqué. Dante parle de Giovanna (la dame de Guido Cavalcanti), et dit que la sienne (Béatrice) « est avec elle sur le nombre des trente. » Il ne faut que se rappeler l’âge auquel est morte Béatrice (vingt-quatre ans) pour ne pas pouvoir faire de confusion, et voir que ce n’est pas l’une qui est, de même que l’autre, sur le nombre des Ironie années, mais bien que c’est l’âge de l’une qui, joint à l’âge de l’autre, forme les trente ans en question. C’est comme s’il avait dit ; Elles ont trente ans à elles deux.

Sonnet m (page 202). M. Fdo Arrivabene dit, dans son excellent commentaire des Rimes : « On lit dans les Rime antiche, imprimé sous le nom de Dante Alighieri, ce sonnet, qui appartient à Tommaso Buzzuola da Faenza. » — Nous ne chercherons pas à contester cette assertion, que l’érudit commentateur n’a dû faire qu’à l’aide de preuves. Les quatre premiers vers sont un peu contournés, quoique compréhensibles ; le reste n’est certainement pas mal…. mais, sans même chercher s’il y a bien là le cachet dantesque, n’est-il par permis de dire que Dante n’était pas seul à bien faire ? [folr la note suivante.)

Sonnet iv (page 203). Ce sonnet a de l’analogie avec le précédent. Les Rime antiche l’impriment encore sous le nom de Dante. Fontelles pour ces deux sonnets comme Niccolo Pilli pour son ami Cino da Pistoja ? On le dirait presque. — Mais M. Fdo Arrivabene arrive bien encore cette fois, et les rappelle à l’ordre, en rendant à Dante ce qui est à Dante, et à Mino ce qui est a Mino… car il nous apprend que ce sonnet est de Mino del Pavesajo d’Arezzo.

Cette pièce a cela de particulier dans sa forme qu’on y remarque une recherche bizarre pour la rime. Le mot « parla » se trouve quatre fois a la fin des huit premiers vers, et pour le reste c’est une richesse de rimes qu’il serait donné a MM. Méry ou Barthélemy seuls de dépasser.

En lisant attentivement ce sonnet et celui qui le précède, on dirait presque le même thème traité de deux manières, ce qui justifierait assez l’opinion de M. Fia Arrivabene. — Le précédent finit par : « Qui n’est point aimi, s’il est amoureux, porte en son cœur une douléur sans pareille, » et le onzième vers de celui-ci dit : « Qui aime, s’il n’est aimé, supporte le plus grand dol, » … cela se ressemble singulièrement ! et, au besoin, l’on trouverait entre les deux pièces d’autres points de ressemblance.

Sonnet v (page 204).

La plupart des sonnets composant le reste de ce livre sont plus obscurs que tous les autres de ce recueil. Cela tient à ce que ces pièces ne roulent pas sur des généralités, mais sont plutôt des espèces de lettres poétiques provoquant des réponses que nous n’avons pas, ou répondant à des demandes que nous ignorons… et cette ignorance du sujet traité laisse forcément placer sur la pièce un pan de voile, a travers lequel la netteté de la pensée et de la forme disparaît quelque peu. — La dernière slance de celui-ci en est la partie la plus franchement saisissable. En voici le texte :

« E non a contastar sua g’ aziosa ovra (’PAmor), Che nulla cosa gli é incontro possente, Volendo prendere om con lui battaglia. »

Le principal commentateur des Rimes se repose à partir de cette pièce. — Y a-t-il chez lui si grand doute au sujet de l’authenticité, qu’il juge à propos de cesser son travail ?… Nous ne saurions le dire. Cependant plusieurs des pages à voir portent encore un cachet reconnaissante.

Sonnet vi (page 205).

Nous renvoyons en toute humilité ce sonnet a la partie de la note précédente qui peut le plus justifier l’obscurité de certaines pièces. La première stance se comprend encore et a même un certain charme d’élévation familière ; mais, passé cela, le fil du labyrinthe se casse, elle pauvre traducteur court vainement après la pensée, la chose que l’auteur a fait enlrer dans le cadre de son sonnet !… — C’est bien fait pour celui qui tenteI II faut être puni par où l’on a péché.

Ballade i (page 206).

Lày sans aucun doute, nous retrouvons Dante. — Ce « souvenir du doux lieu et des fleurs suaves, qui entourent sa pensée d’une couleur nouvelle, » nous semble hardi a la manière du poëte florentin ; et les expressions « Vous portez Amour dans vos yeux » et « yous serez amie de la pitié, » se rencontrent fréquemment dans les Rimes et la Divine Comédie.

Tout porte à croire que ce n’est pas Béatrice dont il est question dans cette pièce… et ce serait peut-être encore une raison de plus pour y reconnaître le multiple amant, celui qui, tout en conservant religieusement le souvenir delà fille de Portinari, ne lui donna pas moins, dans ses vers et autrement, tant de rivales successives !

Sonnet vii (page 207).

Dans quel lieu était donc notre poëte pour écrire un pareil sonnet a messire Cino ? Cette pièce date-t-elle de l’exil de Dante ? on le dirait. Dante, quoique occupé d’idées graves et politiques, n’a pas, on l’a vu, dédaigné l’amour pendant ses années de bannissement ; et un des endroits divers qu’il a parcourus se sera trouvé dans le dénûmentau sujet des choses du cœur, ce qui aura motivé cette expansion de quatorze vers. — L’expression en est vive et piquante, et on ne peut guère voir de vers plus pittoresque que celui-ci (le neuvième du sonnet) :

« Donna non c’è die Amor le venga al volto, »

La chute aussi en est bonne. Aligbieri se plaint à Cino que « Le temps est changé à leur dommage, depuis que LE Bien est si peu cultivé ici (là Où il est) », et par bien Dante entend l’amourC’est décidément un bien vilain pays qu’habitait Dante quand il écrivait ce sonnet !

Sonnet viii (page 208).

Cette invocation, dans laquelle le poëte fait intervenir Amour, est gracieuse et même tendre. Il ne règne aucune obscurité dans cette pièce, dont l’expression est douce sans aller jusqu’à la mignardise, et des plus agréablement caressantes. — La le til du labyrinthe est ressaisi ; on comprend et on n’a guère besoin de commentaire.

Ballade il (page 209).

Cette ballade est, selon nous, en fait de pièces fralcbes et jolies, ce que le sonnet à la Vierge (commençant le livre V) est en failde pièces religieuses. Aussi le meilleur commentaire que nous puissions lui donner va être analogue à celui de ce même sonnet, c’est-à-dire que nous allons en citer le texte, dans lequel, à l’aide de notre traduction, il sera possible de trouver quelque agrément :

M Per una gliirlandetla
Ch’io vidi, mi farà
Sospirare ogni 8ore.

Vidi a voi, Donna, portare
Gliirlandetta di ftor gentile,
E sovra lei vidi volare
Angiolel d’Amore umile,
E nel suo cantar soltile
Diceva : « Chi mi vedrà
« Lauderà il mio Signort. »

S’io sarô là dove sia
Fioretta mia bella e gcntile,
Allordirô alla donna mia
Che porta in testa i miei suspiri :
« Ma per crescere i desiri
« Una donna ci verrà
« Coronata dall’ Amore. »

I,a parole mie novelle,
Che di fior fatlo han liallala.
Per leggiadria ci lian toit’ elle
Una veste ch’ altrui fu data :
Pèro ne siate pregata.
Quai uomo la canlerà,
Che a lui facciate onore. »

Nous ne révoquons pas en doute qu’on nous sache gré de celle agréable citation, qui pourrait nous confirmer dans l’idée que le texte ne serait pas mal venu en regard de la traduction.

Sonnet ix (page 210).

Pièce délicieuse de ton, et qui prouve une grande aménité dans son auteur. Il a dû être agréable pour Mcuccio de recevoir de Dante une semblable missive. Cesvers sont la preuve d’une sincère amitié, d’un lendre attachement, et il y a vraiment de quoi être fier de les avoir provoqués. — Voyez le joli tercet que Dante prie son sonnet de répéter à son ami : « El dis : « Meuccio, celui qui l’aime beaucoup, » etc., et dont voici le texte :

« E di : « Meuccio, quei clie t’ama assai Delie sue gioje più care li manda, Per accostarsi al luo coraggio buono. »

On trouve un grand charme dans l’échange de ces doux témoignages, dans ce commerce poétique qui fait passer de l’un à l’autre la fleur de ses sentiments et de ses pensées.

Sonnet x (page 2Il).

Dans ce sonnet et dans celui qui va suivre, Dante change tellement de ton qu’on aurait de la peine à le reconnaître. — Ces deux pièces font grandement contraste avec tout le reste du recueil. Elles sont dans le genre qu’on pourrait appeler charge, et Dante n’habitue pas son monde à des caricatures ! — Non qu’on ne puisse, en cherchant un peu, découvrir, comme dans certaines légendes d’un grand dessinateur philosophe de nos jours (Gavarni), l’idée sérieuse en dessous de la trivialité de l’expression ; mais, nous le répétons, on pouvait ne pas s’attendre à voir tomber ces vers de la plume qui écrivit tant de canzones châtiées, et d’un style grave et sévère.

Le Forèze dont il est fait mention dans ce sonnet estil le même que celui qu’on trouve dans le chant xxm du Purgatoire et dans le chant in du Paradis ? Et quel est ce comte Guido dont le dernier vers donne le nom en finissant ? — On serait embarrassé s’il fallait répondre d’une manière satisfaisante.

Sonnet xi (page 212).

On peut se reporter à la noie précédente pour une partie de ce qu’on a à savoir sur ce sonnet. — Celui-là, plus que l’autre, laisse peut-être deviner le sérieux du fond sous la trivialité de la forme ; on trouve même dans le ton une certaine âpreté de satire ironique, que Dante, après tout, peut bien avoir empolyée une fois ou deux en l’unissant au sans-gêne de l’expression. — Ce n’est point, et nous tenons à ce qu’on s’en persuade, que nous blâmions ce mélange des genres, cette vibration successive ou simultanée des cordes élevées et basses ; nul plus que nous, au contraire, ne pardonnera à la trivialité toutes les fois qu’elle amènera la vérité ; mais à celte condition seulement. Ce que nous avons dit n’est que pour constater le fait chez notre auteur.

Le septième vers du sonnet nous dit, toujours en parlant deBicci (dit Forhze) : « Celui qui a la face fendue… » et le chant xxm du Purgatoire nous montre son Forèze avec la figure lépreuse, déformée et rongée ;… rongée et fendue, ce n’est pas tout à fait la même chose ; mais, avec le nom qui est le même, cela peut donner à penser, ou au moins inviter à faire de plus amples recherches.

Sonnet xn (page 213).

Il y a ici, d’un bout à l’autre, allusion à une chose que Dante personnifie. Comun n’est pas un personnage ; tout porte à croire que, sous ce nom, le poëte gibelin, le fougueux banni de Florence désigne ouson patrimoine, ou*sa dignité perdue de Prieur, ou son Priorat lui-même, ou tout à la fois ses grandeurs et ses biens gaspillés et disparus. — Franco Sacchetti dit, en parlant de Dante : « … Il fut chassé de Florence, et puis mourut en exil, dans la cité de Ravenne, non sans vergogne de son Comun (de/ i«o Comune). » — M. Fdo Arrivabene écrit cette autre phrase : « Le 1O mars de la même année (1302) Dante fut condamné à être brûlé vif s’il venait nelteforze del suo Comune. »

Un itinéraire intéressant a tracer serait celui du grand Florentin dans ses pérégrinations d’exilé. Ce serait un de nos grands désirs ; mais la place nous manquerait dans ces notes. Nous pouvons dire néanmoins qu’il parcourut la Vallée Pulicella, la Vallée Lagarina, les bords de t’Arno, les montagnes du Véronais ; qu’il fut élève à Padoue, Crémone, Cologne et Naples ; qu’il visita l’Angleterre, la France, l’Allemagne, la Flandre, etc. — lîenvenuto dit de lui : « Nam quum Auctor isle in viridiori cetait vacasset philosophiœ natumli et morali in Florentia, Bononia, et Padua, in matura œtatejam exul, dcdit se sacrœ Theologiœ Parisius… » — Dans le chant X du Paradis, Dante manifeste une grande estime pour un professeur qu’il nomme Siggieri ; ce nom italianisé n’est autre que Sigier (que M. Arrivabene va même jusqu’à appeler Séguier) ; c’était un professeur en philosophie de Paris, qui tenait ses cours dans la rue du Fouarre, près la place Haubert, professeur dont M. Leclerc est parvenu à rétablir la biographie. — Tous ces détails sont curieux ; il serait précieux de les donner au complet.

Sonnet xiu (page 214).

Tout le premier alinéa de la note précédente s’applique à ce sonnet aussi bien qu’à celui qu’on vient de lire. Comun y apparaît encore, et il y est directement question de la perte des biens du poëte.

Le ton de cette pièce est énergique et élevé, et l’homme blessé s’y fait vigoureusement sentir. Il vient de parler du mal que lui a fait Florence, puis il ajoute : « Mais soyez certains que de ce mal, tôt ou lard, je tirerai vengeance.» Et le poëte a tenu parole ; YEnfer est venu, dans les tourments duquel il a précipité tous ceux qui s’étaient acharnés contre lui… et, on ne peut se le dissimuler, Dante a exercé là une vengeance grande et terrible.

Ce sonnet a encore seize vers au lieu de quatorze, et toujours au moyen d’un distique ajouté à la fin.

Sonnet xiv (page 215).

Voilà que nous retrouvons Dante amoureux. La puissance d’Amour a s’est emparée de mon esprit, dit-il, et me peint une Dame si noble, que toute mon ardeur se met à galoper. » Quelle nature inflammable 1 et comme ils auraient du mal, ceux qui voudraient disculper le poëte de ses nombreuses infidélités ! — Dionisi a cependant soutenu gravement que ces diverses amours de Dante n’étaient qu’autant d’allégories, et que la Gentucca, cette fillette dont Béatrice parle avec tant de dédain dans le xxxie chant du Purgatoire, n’était qu’une simple figure

du parti Blanc (ou Gibelin). Voici à ce sujet quelques lignes du savant professeur

Ozanara, qui ne donneront point de démenti à ce que nous avons avancé nous-même dans les différentes notes qui précèdent : «… Son extrême sensibilité, quoique protégée par le souvenir de Béatrice, résistait mal aux séductions de la beauté : le recueil de ses compositions lyriques a gardé la trace de ses affections passagères, qu’il essaya vainement de voiler à demi par d’ingénieuses interprétations. » — Nous craignons beaucoup que, pour la mémoire d’amant qu’a laissée notre poëte, il n’y ait guère moyen de révoquer en doute ces déviations de son cœur, et nous souhaitons bonne chance a Dionisi avec son hypothèse de tout à l’heure !

Sonnet xv (page 216).

Sonnet un peu alambiqué, dans lequel on voit l’attachement sincère de l’élève pour son maître. Dante y remercie Brunetlo Latini, auteur du Trésor, du soin qu’il a pris de l’initier aux premiers éléments des sept arts (le trivium, ou : la grammaire, la rhétorique et la dialectique ; — le quadrivium, ou : l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie et la musique).

Dans un des chapitres du Convito, on voit que Dante n’avait pas la prétention de savoir le grec. Cependant, il ne l’ignore pas entièrement ; un autre chapitre du même Convito nous montre des élymologies adroitement citées, et le vers huitième de ce sonnet prouve que Dante dégrossissait un peu cette riche langue d’Homère :

. . . .car figliuol si repente S’avaccia ne lo stil greco e francesco. »

Il fallait bien que cela fût un peu pour que Dante le dit. Dans le premier passage indiqué du Convito, le Florentin fait de la modestie ;… ce n’est pas par laque Dante a le plus péché.

Sonnet xvi (page 217).

Conclusion grave et gracieuse en même temps pour ce recueil 1 Dante prend deux choses, les personnifie, en fait deux Dames et en devient amoureux. L’une de ces deux choses est la Beauté, l’autre la Vertu. — On doit savoir à quel degré Dante chérit la piemière… par bonheur que, pour établir une espèce de compensation, la seconde ne lui tint pas non plus toujours rigueur !

Ce sonnet est d’une venue assez franche et saisissante. — Chacune de ces deux personnes différentes est étonnée, et se « demande comment un cœur peut demeurer enire deux Dames avec un amour parfait’ ! » La dernière slance du sonnet répond à cette question d’une manière victorieuse :

ci Risponde il fonte del gentil parlare Che amar si puô Bellezza perdiletto, E amar puossi Virlù per alto oprare. »

Plusieurs auteurs ont donné le portrait du vieux paire Alighieri. — Avant de clore ces notes, où nous aurions peut-être pu le placer, qu’on nous permette de reproduire celui qu’en a tracé Boccace, et que M. Artaud traduit dans l’Introduction qui précède sa dernière traduction de la Divine Comédie :

« Dante, dit le biographe italien, fut d’une stature moyenne, et quand il parvint à l’âge mûr, il cheminait un peu courbé. Il avait la démarche empreinte de gravité et de mansuétude ; toujours il était vêtu de draps assez Gns, ajustés comme il convenait à son âge. Il avait le visage long, le nez aquilin, les yeux plus grands que petits, le menton allongé ; sa lèvre inférieure débordait la lèvre supérieure. Il avait le teint brun, la barbe et les cheveux épais, noirs et crépus ; la figure était mélancolique et pensive… Dans ses habitudes publiques et domestiques, il était admirablement retenu et modeste, plus que tout autre, courtois et civil. Il buvait et mangeait peu, et constamment aux heures réglées. Il se contentait du nécessaire à ses repas : il ne montrait aucune gourmandise. Il louait les mets délicats, et s’alimentait de mets communs… Il parlait rarement, a moins qu’on ne l’interrogeât. Il répondait poliment et du ton qui convenait a la matière. Néanmoins, quand il le fallait, il était très-éloquent, avec une prononciation excellente et prompte. »

Ce passage et la canzone I du livre Y, donnent les deux portraits de Dante et de Béatrice, qu’on peut maintenant rapprocher, — ce qui aurait manqué à ce volume sans cette dernière citation.

FIN DES NOTES DU LIVRE SIXIÈME ET DERNIER.


APPENDICE.

Ces passages rompus, ces vers isolés, ces hémistiches brisés, ces mots sans suite, soigneusement ramassés dans les anciens écrivains,… tous ces lambeaux du poète sont des reliques précieuses pour l’étude des lettres.

(A. F.)

APPENDICE.

Comme les notes qu’on vient de lire ont fait voir un certain conflit de commentateurs, dont les uns veulent et les autres nient que certaines pièces de notre recueil soient de Dante, nous allons donner encore quelques points de certitude sur plusieurs d’entre elles.

Dans son Eloquence Vulgaire (de p’ulgari Eloquio), Dante cite comme étant de lui :

Donne, eh’ avete intelletto d’Amore. (Canzone I, liv. i.) Donna pietosa, e di novella ctate. (Canzone II, liv. i.) Amor, che muovi tua vertù dal cielo. (Canzone ti, liv. III.) Amor, tu vedi ben che questa donna. (Canzone vni, liv. III.) Amor, che nella mente mi ragiona. (Canzone n, liv. iv.) Posciach’Amor del tutto m’ha lasciato. (Canzone IV, liv. IV.) Doglia mi reca ne lo core ardire. (Canzone v, liv. IV.) Al poco giorno ed al gran cerchio d’ombra (.Sestine I, liv. IH.)

  • Tragemi de la mente Amor la stiva (Voir les citations suiv.)

D’un autre côté, le Trissino, dans ses Divisions de la poétique, cite comme étant indubitablement de Dante :

Si lungamente m’ha tenuto Amore. (Sonnet xv, liv. i.)

6 voi, die per la via d’Amor passate. (Ballade i, liv. I.)

Ballata, io vo’ che tu ritrovi Amore. (Ballade m, liv. i )

Amor, tu vedi ben che questa donna. (Canzone viti, liv. ni.)

Le dolci rime d’Amor cl»’ io solia. (Canione III, liv. IV.) Posciach’ Amor del tutto m’Iia lasciato. (Canzone iv, Hv. IV.) Doglia mi reca ne lo core ardire. (Canzone V, liv. IV.) Al pocogiorno ed al gran cercliio d’ombra [Sestine I, liv. m.)

  • In ijuella parte del giovineW anno. 1 (Voir les citations qui
  • Virlù ch"l ciel movetli ait bel ponlo. ( vont suivre.)

Maintenant, pour apporter une compensation aux incertitudes que nous avons eues, aux craintes qu’on nous a soulevées sur l’authenticité de certaines pièces, nous allons faire un petit retournement de médaille, et montrer, au lieu de vers contestés parmi ceux que nous connaissons, des vers (presque) authentiques et certains parmi d’autres que nous ne connaissons pas. — Dante est assez reculé de nous pour que toutes ses poésies ne nous soient pas parvenues ; mais, comme pour les anciens poëtes, des commentateurs ou des citatcurs nous ont conservé des fragments, des lambeaux de ses pièces non retrouvées.

Voici ceux de ces fragments dont nous avons pu avoir connaissance. — Autant que nous le pourrons, nous citerons les sources auxquelles il faut remonter pour les connaître.

Commençons d’abord par les deux derniers vers que la citation du Trissino vient de nous montrer tout à l’heure, et que nous avons soulignés :

In quella parle del giovineit’ anno,

Virtù ch’ ’I ciel movesti a si bel ponlo,

Ce sont deux commencements de canzones.

Sebastiano Ciampi cite le vers suivant d’un sonnet attribué à Dante, et imprimé parfois dans ses poésies, quoiqu’il le croie de Cino da Pistoja : Maraviglia non è talor s’io movo,

Dans les Rimes des poëtes antérieurs à Dante, on ne trouve point de sestine ; mais parmi les canzones du Florentin, on lit parfois la sestine commençant par le vers suivant :

Amor mi mena tal fiata ail’ ombra,

laquelle serait la première écrite en langue italienne. — « Mais, dit M. Ferdiuando Arrivabene, on se prend à douter qu’elle lui appartienne (à Dante). Qui jamais voudra croire qu’on lui attribue l’énigme suivante :

« O tu, che sprezzi la nona figura, E sei da men de la sua antecedente, Va e raddoppia la sua susseguente ; Per altro non ti ha fatlo la natura. »

Parmi les canzones d’auteurs incertains, on en trouve une qui commence par ce vers :

Nel tempo che s’infiora e cuopre d’erba,

que le témoignage de Vitale veut tout a fait, pour sa manière, retenir comme de Dante.

Venturi, dans son commentaire sur le soixante-septième Ters dn chant n de l’Enfer, cite une canzone de Dante, qui commence par :

Morte cantô.muovi novella mia Non far tardanza.

Dans le Parnasso italiano, compilé par dndrea Rubbi, on annonce comme un sonnet inédit de Dante, celui dont voici le premier vers :

Quando la notte abbraccia con fosch’ aie,

Dionisi, dans sa Série d’anecdotes, cite un sonnej de Dante tiré d’un vieux parchemin des archives publiques, et commençant ainsi :

Tu, che stanzi lo colle ombroso e fresco,

mais Dionisi ne fait pas attention que c’est le même que le sonnet XV du livre VI, dont le premier vers est, dans notre texte :

Tu, che stampilo colle ombroso e fresco. Nous pouvons désormais choisir entre les deux variantes :

Muratori fait mention d’un autre sonnet, qui montre en quel temps Dante l’a écrit, puisqu’il finit par ces deux vers :

E fu di giugno venti dell’ entrante Anni mille dugento novenluno.

Dante cite encore dans son Eloquence vulgaire, comme modèle et comme étant de lui, une canzone qui porte ce commencement :

Tragemi de la mente Amor la stiva,

C’est le vers que nous avons souligné à la fin de la première citation de cet appendice. — Il est étonnant qu’une pièce que Dante avoue lui-même ne se trouve pas dans son recueil.

Voici, pour finir, la plus importante de ces citations.

Redi, dans ses annotations sur le Dithyrambe, parle du sonnet de seize vers dont nous avons parlé aussi, et finit par dire : « Ils mettaient (les poëtes) un distique après les quatorze vers, comme à ceux qu’on lit dans mes manuscrits, et particulièrement à celui de Dante, qui commence par :

Jacopo, io fui nelle nevical ’Alpi Coo quel gcntili, donde nata è quella Ch’ aneor nella memoria ti suggella. E perche tu parlando anzi lei palpi ;

Non credi tu, perch ’io aspre vie scalpi Ch’ io mi ricordi di tua vita fella.

Ces citations ne pouvant guère intéresser que ceux qui comprennent un peu l’italien, nous n’avons pas cru devoir les traduire. — Nous n’avons eu d’autre but que celui de recueillir et de conserver ces fragments, dont quelques-uns pourraient bien encore être plus ou moins contestés.

FIN.

TABLE DES MATIÈRES.

Pages.

Dédicace. 5

A Dante, sur Béatrice. — Sonnet. 7

Quelques mots sur cette traduction. 9

Clef de cette traduction. 33

Rimes. 35


LIVRE PREMIER.


Sonnet I. A ses amis poëtes, sur un songe qu’il a eu. 37

Ballade I. Plaintes (fictives) sur le départ d’une dame qu’on croyait la sienne, et derrière laquelle il s’abritait de la curiosité. 38

Sonnet II. Sur la mort d’une jeune dame, amie de Béatrice. 39

Ballade II. Sur le même sujet. 40

Sonnet III. Amour lui indique une autre dame, pour lui servir d’égide contre les curieux. 41

Ballade III. Béatrice, pour certain grief, ayant refusé de le saluer, il s’excuse. 42

Sonnet IV. Incertitude de ses pensers amoureux. 44

Sonnet V. A Béatrice, qui venait de le plaisanter sur sa pâleur. 45

Sonnet VI. Ce qui lui arrive quand il est près de sa Dame. 46

Sonnet VII. Sur l’état de son cœur. 47

Canzone I. Aux nobles dames, amies de Béatrice. 48

Sonnet VIII. Ce que c’est qu’Amour. 51

Sonnet IX. A la louange de sa Dame. 52

Sonnet X. Il demande aux amies de Béatrice la cause de leur douleur. 53

Sonnet XI. Les amies lui répondent. (Le père de Béatrice est mort !) 54

Canzone II. Malade et exalté, il a une vision. 55

Sonnet XII. A Guido Cavalcanti. Sur leurs deux Dames. 58

Sonnet XIII. Merveilleux effets de la présence de sa Dame. 59

Sonnet XIV. Comment le mérite de Béatrice opère sur les autres dames. 60

Sonnet XV. Comment la vertu de sa Dame opère en lui. 61

Canzone III. Béatrice est morte. Douleur et plaintes de Dante. 62

Sonnet XVI. Composé à la demande du plus proche parent de Béatrice, ami de Dante. 64

Ballade IV. La première stance pour le même parent ; la deuxième pour le poëte. 63

Sonnet XVII. Anniversaire de la mort de Béatrice. 66

Sonnet XVIII. A une noble et jeune dame, fort belle, devant qui Dante avait été sur le point de pleurer. 67

Sonnet XIX. A la même dame compatissante. 68

Sonnet XX. Il prend trop de plaisirà voir cette dame. Reproches qu’il s’adresse. 69

Sonnet XXI. A la même dame. Conflit intérieur. 70

Sonnet XXII. Il se repent de son coupable désir. Ses pensers se reportent vers Béatrice. 71

Sonnet XXIII. A quelques pèlerins, traversant Florence, où naquit, vécut et mourut sa Dame. 72

Sonnet XXIV. Sur son état. A deux dames qui lui avaient demandé des Rima. 73


LIVRE DEUXIÈME.


Ballade I. A Primavera. 75

Sonnet I. Il envoie ses vers à sa Dame, et les prie de ne pas demeurer avec celle qui l’avait détourné de la pensée de Béatrice. [Voir la note de ce sonnet, page 240.) 77

Sonnet II. Il prévient ses vers contre une supercherie. 78

Sonnet III. Effet des regards de sa Dame. 79

Sonnet IV. L’holocauste. Effet plus puissant des regards. 80

Sonnet V. Splendeur et victoire des yeux de sa Dame. 81

Sonnet VI. Sa défaite. 82

Ballade II. Il trouve dans son mal le moyen de se guérir. 83

Ballade III. Fraîche vision. (Composée à Lucques pour la Pargoletta.) 84

Sonnet VII. Il déplore le pouvoir des yeux de sa Dame. 85

Sonnet VIII. Sur sa Dame, toujours belle et cruelle. 86

Sonnnt IX. Où le mène le désir de voir sa Dame. 87

Sonnet X. Malédictions. 88

Sonnet XI. Vaincu, il implore l’indifférence de sa Dame. 89

Sonnet XII. Il demande à sa Dame si elle ne voit pas son triste état. 90

Ballade IV. Il s’adresse a quelque vision amoureuse. 91

Ballade V. Il veut être le serviteur d’Amour et de sa Dame. 92

Sonnet XIII. Dante s’étant réfugié dans la Vertu (qu’il appelle tyran), prie Amour (dont il condamne l’abandon), de tâcher de s’unir avec elle… afin qu’il puisse être en même temps vertueux et amoureux. 93

Sonnet XIV. Il définit l’Amour platonique. 94

Sonnet XV. Pour une dame qui semble avoir eu des vues sur lui. 95

Sonnet XVI. Les qualités de sa Dame. 96

Sonnet XVII. Les planètes lui fournissent des couleurs pour faire le portrait de sa Dame. 97

Sonnet XVIII. Il s’éprend d’une autre Dame (la Bolonaise). 98

Ballade VI. Splendeur d’Amour. 99

Ballade VII. Sur la vertu dédaigneuse et cruelle de sa Dame. Id.

Sonnet XIX. Il prie d’autres dames de parler pour lui a la sienne. 101

Sonnet XX. A des dames, compagnes de la sienne, malade. Réponse des dames. 102

Sonnet XXI. A tout prix il veut savoir ce qu’a sa Dame. 103

Canzone I. A la Mort. Il demande la vie de sa Dame. 104

Canzone II. Plaintes amères. Reproches à des yeux qui l’ont trompé. 107


LIVRE TROISIÈME.


Canzone I. Il charge Amour de le venger de la cruauté d’une Dame. (Composée a Padoue pour Madonna Pietta degli Serovigni.) 109

Canzone II. Effet produit sur Dante par l’apparition de Béatrice. 113

Canzone III. La servitude d’Amour lui semble douce. 116

Canzone IV. A de jeunes Dames, sur les désastres causés en lui par Amour. 120

Canzone V. Exilé, il prie sa Dame de l’aider dans la peine que lui cause l’absence de la patrie. 12 4

Canzone VI. Combats d’Amour. Regrets de la patrie. (Ecrite du milieu de son exil, dans la Fallu Lagarina, territoire de Trente.) 127

Sestine I. Ardeur des désirs de Dante ; éclatante beauté et froideur de sa Dame. 131

Canzone VII. L’hiver enveloppe et glace la nature ; Amour est toujours brûlant dans son cœur. 133

Canzone VIII. Intensité de son amour, et rigueurs de sa Dame. (Composée à Padoue pour Madonna Pietra degli Scrovigni.) 136


LIVRE QUATRIÈME.


Canzone I. Il veut peindre la lutte qui eut lieu en lui, quand il se blâma d’avoir aimé la Dame qui le détourna de la pensée de Béatrice. (1re du Convito.) 139

Canzone II. Il célèbre les beautés intellectuelles et corporelles de sa Dame. (2e du Convito.) 142

Canzone III. Il laisse les dires d’Amour pour revenir a la Philosophie : — il veut apprendre aux hommes quelle est la véritable noblesse. (3e du Convito.) 146

Canzone IV. Sur le peu de courtoisie et de vertu des jeunes gens de son temps. 151

Canzone V. Il montre aux Dames combien peu d’hommes sont vertueux, et par conséquent combien peu son dignes d’elles. 155

Canzone VI. La Vérité, la Générosité, et la Tempérance, ne pouvant vivre au milieu des hommes, se réfugient dans le cœur de Dante. 160


LIVRE CINQUIÈME.


Sonnet I. Il implore l’assistance de la Vierge Marie. 165

Sonnet II. Il rencontre une Dame, qu’il admire. 166

Ballade I. La Corneille et les autres oiseaux. — Apologue. 167

Sonnet III. Pressentiments de la mort de sa Dame. 168

Sonnet IV. Il répond a quelque demande de messire Brunetto (Latini ?). 169

Canzone I. Il détaille et analyse, en les admirant, toutes les beautés de sa Dame. 170

Canzone II. Profonde douleur que lui fait éprouver son éloignement de sa Dame. 174

Canzone III. Dans sa tristesse, il prévoit et désire une mort prompte. 177

Canzone IV. Sur le bien et le mal qu’il éprouve en dedans de lui-même au sujet de sa Dame 179

Canzone V. Il interpelle doucement Amour sur les peines que sa Dame lui fait endurer. 182

Pages.

Canzonb Ti. Il dépeint la puissance mortelle des regards auxquels s’est joint Amour. 185

Canzonb Vu. Abattement et consternation de ses esprits devant la souveraineté du mérite de sa Dame. 188

Canzone Viii. Il reconnaît et célébra les hautes perfections de sa Dame. 191

Canzone Ix. Il se lamente de ce que la Mort lui a enlevé toutes les beautés de sa Dame. 194

Canzone I. Son âme véhémente laisse échapper cette apostrophe rude’, mais pleine d’amour, à Florence, sa patrie. 197

Sonnet I. A Cino da Pistoja, qui était resté longtemps sans lui écrire, et qui lui parlait de ses amours. 200

Sonnet H. A Guido Cavalcanti. Désirs de vie amoureuse. 201

Sonnet m. Il répond à quelque ami savant, qui lui demandait l’état de son cœur. 202

Pages.

Sonnet Iy. A quelque autre ami. Réponse analogue à la précédente. 203

Sonnet V. A un autre ami. 11 vaut mieux que les vertus s’entendent avec Amour que de lutter contre lui. 204

Sonnet Vi. Il répond encoreà quelque missive poétique. 205

Ballade I. A une Dame qui lui parait accessible. 206

Sonnet Vu. A Cino da Pistoja. Il se plaint du lieu qu’il habite. 207

Sonnet Viii. Il appelle Amour pour deviser avec lui de sa Dame. 208

Ballade Ii. La Ballade des Fleurs.A une Dame. 209

Sonnet Ix. Il envoie son sonnet courtois saluer Meuccio, son ami. 210

Sonnet X. Sur le rhume de la femme de Bicci. 211

Sonnet Xi. Sur certains autres membres de la famille Bicci. 212

Sonnet XII. Il déplore le sort de Comun. 213

Sonnet Xiii. Il fait allusion à la perte de ses biens, occasionnée par son bannissement de Florence. 214

Sonnet Xiv. Nouvelle provocation que lui fait Amour. 215


Sonnet XV. Elève de Brunetto Latini, il envoie un remerciaient a son maître. 216

Sonnet XVI. Il est amoureux de deux Dames… : la Beauté et la Vertu. 217

Notes. 219

— du livre premier. 221

— du livre deuxième. 239

— du livre troisième. 253

— du livre quatrième. 263

— du livre cinquième. 273

— du livre sixième. 287

Appendice. 307