Rimes de joie/25

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Grisaille (1881)
Rimes de joieGay et Doucé, éditeurs (p. 149-151).

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Grisaille


À Henry Céard



I




L a pluie égrène ses pleurs froids.
Sur le sol ils tintent, funèbres,


Ô nuit, déroule les plis droits
De ta fourrure de ténèbres !


Le jour est mort, en rayons gris
Sa trouble lueur se tamise.


Jette sur moi, des cieux aigris,
Tes grands bras d’ombre, ô nuit promise !


Point de lune en ce triste soir :
Elle a rentré ses cornes lentes.


Les réverbères, dans le noir,
Font des taches sanguinolentes.


Le spleen, l’ennui, graves tyrans,
Courbent nos fronts, d’un pied immonde ;


L’heure fait râler les cadrans…
C’est ton glas qui sonne, vieux monde !


II



Ô Jeunesse, pourquoi faut-il
Que ton prisme en nos doigts se brise ?


La Gloire, cet encens subtil,
S’évapore à la moindre brise.


La Bonté… verbe décevant
Lorsque la guigne vous enserre.


La Vertu ? Le plus frêle vent
Effeuille cette fleur de serre.


Toi, Beauté, fragile pastel,
Le temps sans paix te brutalise.


L’Espérance… un rêve immortel
Qui jamais ne se réalise…


L’Amitié, dans ce siècle faux,
Par l’égoïsme fut tuée


Et le moindre de ses défauts
C’est d’être une prostituée.


Quant à l’Amour, qu’il soit maudit
Ô le plus vain de tous les termes !


Amour, Amour, on t’a bien dit,
Un contact coûteux d’épidermes.


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