Robert le Diable (opéra)

ROBERT, duc de Normandie.
BERTRAM, son ami.
RAIMBAUT, paysan normand.
Un Ermite.
Un Majordome du roi de Sicile.
Un Héraut d’armes.
Chevaliers et Ermites.
LE ROI DE SICILE.
LE PRINCE DE GRENADE.
Un Héraut d’armes.
LE CHAPELAIN de Robert.
Fugitifs.
ISABELLE, princesse de Sicile.
ALICE, paysanne normande.
HÉLÉNA, supérieure des normes.
Dames d’honneur d’Isabelle.
Chevaliers et Seigneurs.
Écuyers, Pages et Valets.
Ermites.
Nonnes.
Paysans et Paysannes.
Soldats du roi de Sicile.
ACTE PREMIER.

Scène PREMIÈRE.
chevaliers, valets et écuyers.
Versez à tasse pleine,
Versez ces vins fumeux,
Et que l’ivresse amène
L’oubli des soins fâcheux.
Au seul plaisir fidèles,
Consacrons-lui nos jours.
Le vin, le jeu, les belles,
Voilà nos seuls amours.
- Quels nombreux écuyers ! quelles armes brillantes !
- Quel est cet étranger, ce seigneur opulent,
- Dont les tentes élégantes
- S’élèvent près de notre camp ?
- Qui l’amène en Sicile ?
- Pour assister comme nous aux tournois
- Que donne le duc de Messine.
Il y vient, j’imagine,
- Pour assister comme nous aux tournois
- Illustres chevaliers, c’est à vous que je bois !
Au seul plaisir fidèles,
Consacrons-lui nos jours.
Le vin, le jeu, les belles,
Voilà nos seuls amours.
Scène II.
- J’amène devant vous un joyeux pélerin
- Qui, si vous le voulez, pourrait par un refrain,
- Égayer le repas de votre seigneurie.
- Il arrive de France et de la Normandie.
- Quoi ! de la Normandie ? BERTRAM, à voix basse.
- Votre ingrate patrie !
- Quoi ! de la Normandie ?
- Approche !
- Prends ; dis-nous quelques récits.
- Je vous dirai l’histoire épouvantable
- De notre jeune duc, de ce Robert-le-Diable.
- Robert-le-Diable !
- Ce mauvais garnement à Lucifer promis,
- Et qui pour ses méfaits s’exila du pays.
(Robert tire son poignard.)
- Y pensez-vous !…
- Commence.
- Écoutons, mes amis !
- Jadis régnait en Normandie
- Un prince noble et valeureux.
- Sa fille, Berthe la jolie,
- Dédaignait tous les amoureux,
- Quand vint à la cour de son père
- Un prince au parler séducteur ;
- Et Berthe, jusqu’alors si fière,
- Lui donna sa main et son cœur.
- Funeste erreur ! fatal délire !
- Car ce guerrier était ; dit-on,
- Un habitant du sombre empire :
- C’était… c’était un démon ?
- Ah ! le conte est fort bon ;
- Comment ne pas en rire ?
- Quoi, c’était un démon ?
- Oui, c’était un démon !
- De cet hymen épouvantable
- Vint un fils, l’effroi du canton !
- Robert, Robert, le fils du diable,
- Dont il porte déjà le nom.
- Semant le deuil dans les familles,
- En champ clos il bat les maris,
- Enlève les femmes, les filles
- Et s’il paraît dans le pays…
- Fuyez, fuyez, jeune bergère,
- Car c’est Robert ; il a, dit-on,
- Les traits et le cœur de son père,
- Et comme lui c’est un démon.
- Ah ! le conte est fort bon ;
- Comment ne pas en rire ?
- Robert est un démon !
- Oui, c’est un vrai démon ?
- C’en est trop !… qu’on arrête un vassal insolent !
- Je suis Robert !
- Miséricorde !
- Pardon, mon doux seigneur !
- Une heure je t’accorde !
- Fais ta prière, et puis qu’on le pende à l’instant.
- Grâce ! grâce ! je vous en prie !
- J’arrive de la Normandie.
- Avec ma fiancée, et nous venons tous deux
- Remplir auprès de vous un message pieux !
- Ta fiancée ?… attends. Sans doute elle est jolie !
- Je me laisse attendrir, allons, pour ses beaux yeux,
- Je te fais grâce de la vie ;
- Mais elle m’appartient, qu’on l’amène en ces lieux.
- Chevaliers, je vous l’abandonne.
- Hélas !
- Tais-toi, vassal, quand ma bonté pardonne,
- Oses-tu bien encor murmurer ? RAIMBAUT.
- Malheureux !
- Écuyers, versez-nous ces vins délicieux !
Au seul plaisir fidèles,
Consacrons-lui nos jours.
Le vin, le jeu, les belles,
Voilà nos seuls amours.
Scène III.
- Où me conduisez-vous ? par pitié laissez-moi !
- Qu’elle a d’attraits ! qu’elle est jolie !
- Allons, calmez un vain effroi.
- Grâce ! grâce, je vous supplie !
- Non, non, il faut qu’il soit puni !
- Non, point de pitié pour vos larmes !
- Notre vengeance a trop de charmes
- Pour que vous obteniez merci !
- Plus d’espoir ! ô peine cruelle ! ROBERT, reconnaissant Alice.
- Qu’entends-je ? qu’ai-je vu ? c’est elle !
- Plus d’espoir ! ô peine cruelle !
- Alice !
- Ah ! monseigneur, protégez-moi contre eux.
- Arrêtez ! c’est Alice ; respectez sa faiblesse.
- Le même lait nous a nourris tous deux ;
- Je ne l’oublierai pas.
- Tenez votre promesse ;
- Avez-vous oublié votre refrain joyeux ?
Au seul plaisir fidèles,
Consacrons-lui nos jours.
Le vin, le jeu, les belles,
Voilà nos seuls amours.
Partons, amis, point d’imprudence,
N’excitons point un vain courroux ;
Retirons-nous sans résistance,
Et plus tard nous reviendrons tous.
Non, je prends sa défense ;
Calmez un vain transport ;
Malheur à qui l’offense !
Il recevra la mort.
Craignez d’exciter ma vengeance,
À mon ordre il faut obéir ;
Retirez-vous sans résistance,
Ou mon bras saura vous punir.
Scène IV.
- Ô mon prince ! ô mon maître !
- Banni par de sujets ingrats,
Appelle-moi ton frère.
- Je suis un exilé sur la rive étrangère.
- J’ai cherché vainement la mort dans les combats ;
- Mais toi, près de Palerme, ici, que viens-tu faire ?
- J’y viens pour remplir un devoir.
- Avec mon fiancé j’ai quitté ma chaumière,
- J’ai suspendu l’hymen qui devait nous unir…
- Pourquoi ?
- Pour accomplir l’ordre de votre mère.
- Ma mère bien-aimée ! Ah ! parle, à son désir
- Je m’empresserai de me rendre.
- Vous ne devez jamais la revoir ni l’entendre.
- Ô ciel !
- ROBERT.
Elle n’est plus.
- Quoi ! ma mère ? ô tourment !
- Va, dit-elle, va, mon enfant,
- Dire au fils qui m’a délaissée
- Qu’il eut la dernière pensée
- D’un cœur qui s’éteint en l’aimant.
- Adoucis sa douleur amère,
- Il ne reste pas sans appui :
- Dans les cieux comme sur la terre,
- Sa mère va prier pour lui.
- Dis-lui qu’un pouvoir ténébreux
- Veut le pousser au précipice ;
- Sois son bon ange, pauvre Alice,
- Il doit choisir entre vous deux.
- Puisse-t-il fléchir la colère
- Du Dieu qui m’appelle aujourd’hui,
- Et dans les cieux suivre sa mère,
- Sa mère qui priera pour lui !
- Je n’ai pu fermer sa paupière !
- Elle m’a confié sa volonté dernière.
- Un jour, a-t-elle dit,
- Quand il en sera digne, il lira cet écrit.
- Non, je ne le suis pas non, je me fais justice !
- Plus tard… Conserve encor ce dépôt, chère Alice.
- Tout m’accable à la fois ! en proie à la douleur,
- Je nourris les tourmens d’une ardeur inutile.
- Vous aimez ?
- De la princesse de Sicile
- Les charmes ont touché mon cœur ;
- Je crus sa conquête facile,
Sans espoir. Connais tout mon malheur :
- Je la vis s’attendrir !… mais troublé, mais jaloux,
- Je voulus l’enlever ; j’osai braver son père ;
- De tous ces chevaliers je défiai les coups !
- Ô ciel !
- Je succombais, lorsque, dans la carrière,
- Bertram, un chevalier, mon ami, mon sauveur,
- Aux plus hardis fit mordre la poussière ;
- Je lui dus la victoire et perdis le bonheur.
- Eh quoi ! la princesse Isabelle…
- Depuis je n’ai pu la revoir.
- À ses premiers sermens elle sera fidèle.
- Et comment le savoir ? ALICE.
- Demandez-le vous-même ;
- Et comment le savoir ?
- Écrivez !
- Tu le veux… mais qui le remettra ?…
- Moi !
- L’esprit vient aisément quand on sert ceux qu’on aime.
- Mon ange tutélaire ! ah ! comment envers toi
- Pourrai-je m’acquitter !…
- Vous le pouvez sans peine.
- De ce pauvre Raimbaut vous connaissez l’amour :
- Souffrez qu’un saint homme en ce jour,
- Près des rochers de Sainte-Irène
- L’unisse avec moi sans retour !
- De grand cœur ! tiens.
Scène V.
BERTRAM vient d’entrer et s’approche de Robert.
- ROBERT.
Quel est ce sombre personnage !
- Le chevalier Bertram, mon plus fidèle ami,
- Pourquoi d’un air d’effroi le regarder ainsi ?
- C’est qu’il est en notre village
- Un beau tableau représentant
- L’archange saint Michel qui terrasse Satan,
- Et je trouve…
- Achevez ! quel trouble est donc le vôtre ?
- Qu’il ressemble…
- À l’archange.
à l’autre. Eh ! non vraiment…
- Quelle folie ! Allez, et qu’un hymen heureux.
- Ce soir, mes bons amis, vous unisse tous deux. !
Scène VI.
- Quoi ! tous deux les unir ! à merveille ! courage !
- Ta nouvelle conquête est fort bien avec toi… ROBERT.
- Oui, par reconnaissance.
- C’est le mot de tous les ingrats.
Ah ! crois donc ce langage ;
- Bertram, tu ne la connais pas ?
- Tais-toi, je crains ta funeste influence.
- En moi j’ai deux penchans : l’un qui me porte au bien,
- Naguère encor j’en sentais la puissance ;
- L’autre me porte au mal, et tu n’épargnes rien
- Pour l’éveiller en moi.
- Que dis-tu ? quel délire !
- Quoi ! tu peux te méprendre au motif qui m’inspire ?
- Tu doutes de mon cœur ?
- Non, non, tu me chéris ;
- Je le crois.
- Oui, Robert, cent fois plus que moi-même.
- Tu ne sauras jamais à quel excès je t’aime !
- Ne me donne donc plus que de sages avis.
- À la bonne heure ! et tiens, pour bannir la tristesse,
- Mêlons-nous à ces chevaliers.
- Tente le sort du jeu, partage leur ivresse :
- Nous avons besoin d’or, qu’ils soient nos trésoriers !
- Oui, le conseil est bon.
Scène VII.
- À vos plaisirs veut prendre part.
Le duc de Normandie
- Aux tournois, chevaliers, nous nous verrons plus tard.
- C’est au jeu que je vous défie.
- Nous sommes tous flattés de tant de courtoisie ;
- Allons, voyons pour qui doit pencher le hasard.
- L’or est une chimère,
- Sachons nous en servir :
- Le vrai bien sur la terre
- N’est-il pas le plaisir ?
- Commençons.
Ô fortune ! à ton caprice,
Viens, je livre mon destin ;
À mes désirs sois propice,
Et viens diriger ma main.
L’or est une chimère,
Sachons nous en servir :
Le vrai bien sur la terre
N’est-il pas le plaisir ?
Fortune, ou contraire, ou propice,
Qu’importe ton courroux !
Je brave ton caprice
Et je ris de tes coups.
- J’ai perdu ; ma revanche ! allons, cent pièces d’or !
- À vous les dés.
- De mon côté pourra tourner la chance.
- Allons, allons, je perds encor !
Quatorze ! ah ! cette fois, je pense,
- De mon côté pourra tourner la chance.
- Qu’importe ? va toujours !
- Nous mettons deux cents piastres !
- Eh ! ce n’est pas assez ; cinq cents !
- Nous le tenons.
- C’est ainsi qu’un joueur répare ses désastres.
- Je suis sûr du succès !
- Ah ! grand Dieu nous perdons,
- Console-toi,
- Fais comme moi,
- Plus de dépit ;
- Car tu l’as dit :
- « L’or est une chimère,
- « Sachons nous en servir :
- « Le vrai bien sur la terre
- « N’est-il pas le plaisir ? »
- De son injustice cruelle
- Je veux faire rougir le sort ;
- Contre vous tous je joue encor
- Mes diamans et ma riche vaisselle.
- Cela vraiment nous convient fort.
- Il a raison : à quoi bon en voyage
- S’embarrasser d’un semblable bagage ?
- Ô ciel ! c’est fait de nous !
- Console-toi,
- Fais comme moi,
- Plus de dépit ;
- Car tu l’as dit
- « L’or est une chimère,
- « Sachons nous en servir :
- « Le vrai bien sur la terre
- « N’est-il pas le plaisir ? »
- Et mes chevaux et mes armures !
- C’est tout ce qui nous reste, et je veux l’exposer. BERTRAM.
- Et tu fais bien ; le sort contre qui tu murmures
- N’attend que ce moment pour nous favoriser.
- Seize !
- Quel bonheur ! tu vois bien !…
- Dix-huit !
- Ô ciel ! je n’ai plus rien !
- Ami, console-toi !
- Dans mon destin funeste
- Je t’entraîne avec moi !
- Notre amitié nous reste.
- Mes armes, mes coursiers ne m’appartiennent plus.
- Va leur livrer les biens que j’ai perdus.
Malheur sans égal !
D’un sort infernal
L’ascendant fatal
Me poursuit, m’opprime ;
Craignez mon courroux !
Je puis sur vous tous
Me venger des coups
Dont je suis victime.
Voyez son courroux
Du destin jaloux
Il maudit les coups,
Il jure, il blasphème.
Modérez, seigneur,
Cette folle ardeur :
Craignez ma fureur,
Et tremblez vous-même.
- Console-toi,
- Fais comme moi,
- Plus de dépit ;
- Car tu l’as dit :
- « L’or est une chimère,
- « Sachons nous en servir :
- « Le vrai bien sur la terre
- « N’est-il pas le plaisir ? »
ACTE DEUXIÈME.

Scène PREMIÈRE.
- Que je hais la grandeur dont l’éclat m’environne !
- Des fêtes, des plaisirs, tout, hormis le bonheur !
- Hélas ! mon père ordonne,
- Et va livrer ma main sans consulter mon cœur,
- Quand l’ingrat que j’aimais, quand Robert m’abandonne.
- En vain j’espère
- Un sort prospère ;
- Douce chimère,
- Rêves d’amour,
- Avez fui sans retour.
- D’espoir bercée,
- Tendre pensée
- S’est éclipsée
- Comme un beau jour.
Scène II.
quelques jeunes filles portant des pétitions.
- Approchons sans frayeur !
- À la souffrance
- Donne assistance,
- La bienfaisance
- Est dans ton cœur.
- Dieu ! pour servir Robert, quel moyen !… si j’osais !
- Mais plus d’une princesse, avec reconnaissance,
- A reçu quelquefois de semblables placets !
- Essayons !
- À la souffrance
- Donne assistance,
- La bienfaisance
- Est dans ton cœur.
- Écoute, jeune amie ;
- Viens, mon âme est attendrie !
- Le malheur qui supplie
- À des droits sur mon cœur.
- Le malheur qui supplie
- Mon bonheur est extrême !
- Viens, Robert, toi que j’aime !
- Ô princesse chérie !
- Ton âme est attendrie ;
- Le malheur qui supplie
- A des droits sur ton cœur.
- Un seul moment laissez-moi dans ces lieux.
- Courage ! allons, montrez-vous à ses yeux,
- Elle ne pourra se défendre ;
- Courage ! allons, montrez-vous à ses yeux,
- Son cœur qui fut à vous ne peut vous condamner ;
- Elle consent à vous entendre,
- C’est presque déjà pardonner.
Scène III.
- Avec bonté voyez ma peine
- Et mes remords,
- Et n’allez pas par votre haine
- Punir mes torts.
- L’amour qui me rendit coupable
- Doit vous fléchir ;
- Ah ! si votre rigueur m’accable,
- Il faut mourir.
- Avec bonté voyez ma peine
- Relevez-vous.
- De mon offense
- M’accordez-vous le pardon généreux ?
- Laissez-moi du moins l’espérance,
- Ce dernier bien des malheureux.
- J’aurais dû fuir votre présence
- Et vos remords ;
- Et d’un amant par mon absence,
- Punir les torts.
- Mon cœur par sa douleur extrême
- Est désarmé ;
- Hélas ! Robert, jugez vous-même
- S’il est aimé.
- J’aurais dû fuir votre présence
- Que dites-vous ?… ô destin plein de charmes !
- Silence ! entendez-vous ces accens belliqueux ?
- Ô ciel ! et j’ai perdu mes armes !…
- Je le savais ; j’ai prévenu vos vœux.
- Voyez !
- Armé par vous, je vaincrai sous vos yeux.
Mon cœur s’élance et palpite,
Il bat d’espoir, de bonheur ;
L’amour, l’honneur, tout l’excite ;
Oui, Robert sera vainqueur !
Mon cœur s’élance et palpite,
Il bat d’espoir, de bonheur :
L’amour, l’honneur, tout l’excite,
Du tournoi je suis vainqueur.
- Chevalier, dois-je encor vous apprendre un mystère ?
- Ah ! sur tous vos secrets mon amour a des droits.
- Apprenez donc…
- Eh bien !
- Mon père,
- Sur le plus valeureux voulant fixer son choix,
- Va proposer ma main pour le prix du tournois.
- Ô ciel ! est-il possible ?
- Il compte sur les exploits
- Du prince de Grenade, et le nomme invincible !
- Il a porté ce nom pour la dernière fois.
- Votre bonté va doubler mon courage.
- Silence ! on vient ; pour m’offrir son hommage,
- Le peuple va se réunir,
- Silence ! on vient ; pour m’offrir son hommage,
- Par ordre de mon père, ici, sur mon passage,
- Et par des jeux fêter le mariage
- De six jeunes beautés que ma main dut choisir.
- Fuyez !
Scène IV.
- Ah ! dans ces jeux guerriers offerts à la vaillance,
- Je vaincrai mon rival !
- Oui, si je le permets.
- Que ne puis-je de même, au gré de ma vengeance,
- Dans un combat réel le voir seul et de près !
- Que voulez-vous ?
- À toi, Robert de Normandie,
- Le prince de Grenade adresse ce cartel,
- Et par ma voix il te défie,
- Non dans un vain tournoi, mais au combat mortel.
- Ah ! le ciel qui m’exauce à sa perte l’entraîne ;
- Il m’ose défier ! j’y cours ; guide mes pas.
- Viens, tu le trouveras dans la forêt prochaine.
- Un de nous n’en sortira pas.
Scène V.
- Oui, va poursuivre une ombre vaine !
- Ce prince de Grenade, esclave à moi soumis !
- Comme un fantôme à tes yeux éblouis,
- Va fuir dans la forêt, et pendant ton absence
- De ce brillant tournoi remportera le prix !…
- Mais déjà pour la fête en pompe l’on s’avance…
Scène VI.
Pages, Écuyers, Peuple.
- Accourez au-devant d’elle ;
- Célébrez, peuple fidèle,
- Tant de vertus, tant d’attraits ;
- De nos vœux reçois l’hommage,
- Et qu’ils soient le doux présage
- De ton bonheur à jamais !
- Accueillant notre prière,
- Puisse un jour le sort prospère
- Récompenser tes bienfaits !
- Quand tous nos chevaliers, pour la gloire et leur dame,
- De ce tournoi vont tenter les destins,
- Le prince de Grenade en ce moment réclame
- L’honneur d’être armé par vos mains.
- Je triomphe !… Le voici…
- Et Robert est resté dans la forêt profonde ;
- Robert, égaré par lui,
- Cherche en vain un rival que mon pouvoir seconde.
- Sonnez, clairons, honorez la bannière
- Du guerrier qui guide nos pas.
- Sonnez, clairons ; dans la carrière
- Mars et l’amour arment son bras.
- Sonnez, clairons, honorez la bannière
- Mon jeune maître ne vient pas.
- Quand s’ouvre la lice guerrière,
- Qui peut donc retenir ses pas ?
- Robert, Robert ne viendra pas.
- Le clairon sonne, et l’honneur vous réclame,
- Nobles guerriers, armez vos bras :
- C’est pour la gloire et pour sa dame
- Qu’un chevalier vole aux combats.
- Le clairon sonne, et l’honneur vous réclame,
- Ah ! quelle douleur est la mienne !
- Rien n’est encor désespéré ;
- Mais aux rochers de Sainte-Irène
- Souviens-toi que, pour nous l’autel est préparé.
- Parmi cette jeunesse et brillante et guerrière,
- Vainement je l’attends… tout m’accable à la fois.
- Hélas ! lorsque ma main est le prix du tournois,
- Je ne vois point encor paraître sa bannière.
- Le clairon sonne, et l’honneur vous réclame, etc.
- Voici le signal des combats.
- La trompette guerrière
- Vient de retentir.
- Dans la noble carrière
- Il faut vaincre ou mourir.
- La trompette guerrière
- Que le cri de l’honneur,
- Robert frappe ton cœur.
Ah ! pour moi, douleur cruelle !
Non, Robert ne paraît pas ;
Aux combats l’amour l’appelle.
Quel pouvoir enchaîne ses pas ?
- Le clairon sonne et l’honneur vous réclame ;
- Nobles guerriers, armez vos bras :
- C’est pour la gloire et pour sa dame
- Qu’un chevalier vole aux combats.
- Le clairon sonne et l’honneur vous réclame ;
Déjà commencent les combats ;
Robert, Robert ne paraît pas.
Robert, Robert, c’est dans mes bras,
C’est à moi que tu reviendras.
ACTE TROISIÈME.

Scène PREMIÈRE.
- Du rendez-vous voici l’heureux instant.
- N’est-ce pas là ce troubadour normand ?…
- Que le seigneur Robert ce matin voulait pendre.
- Oui, jamais il ne fait les choses qu’à demi.
- Qui t’amène ?
- Je viens attendre
- Alice, mes amours, que j’épouse aujourd’hui ;
- Alice qui n’a rien… et moi pas davantage ;
- Sans cela nous serions bien heureux en ménage.
- S’il en est ainsi… tiens… prends ! RAIMBAUT, hors de lui.
- En croirais-je mes yeux !
- C’est de l’or !
- J’en fais donc aussi quand je veux !
Voilà donc ce qu’on nomme un heureux !
- Ah ! l’honnête homme !
- Le galant homme !
- Mais voyez comme
- Je me trompais !
- Ah ! désormais
- Je lui promets
- Obéissance,
- Reconnaissance,
- En récompense
- De ses bienfaits.
- Ah ! l’honnête homme !
- Ah ! le pauvre homme !
- Mais voyez comme
- En mes filets
- Je le prendrais
- Si je voulais !
- Faiblesse humaine
- Que l’on entraîne,
- Que l’on enchaîne
- Par des bienfaits. BERTRAM.
- C’est aujourd’hui qu’on te marie ?
- Oui, monseigneur.
- Quelle folie !
- Une folie !
- Ma fiancée est si jolie !
- À ta place, moi, j’attendrais,
- Et sans façon je choisirais.
- Vous choisiriez ?
- Je choisirais.
- Te voilà riche, et, je le gage,
- Toutes les filles du village
- Voudront se disputer ta foi.
- Vous le croyez ?
- Oui, je le croi.
- Au fait ! un si grand personnage
- Doit s’y connaître mieux que moi.
Au fait ! l’honnête homme !
Le galant homme ! etc.
Ah ! l’honnête homme !
Ah ! Le pauvre homme ! etc.
- Le bonheur est dans l’inconstance.
- Le bonheur est dans l’inconstance ?
- Elle seule embellit nos jours.
- Elle seule embellit nos jours ?
- Que gaîté, plaisir et bombance
- Soient désormais tes seuls amours.
- Je pourrai donc tout me permettre ?
- Oui, chaque faute est un plaisir,
- Et l’on a pour s’en repentir
- Le temps où l’on n’en peut commettre.
- Ce système me plaît beaucoup.
- À tous mes compagnons, afin de mieux vous croire,
- Pour commencer, je vais payer à boire.
- Boire !… c’est bien ! Cela peut te conduire à tout.
Ah ! l’honnête homme !
Le galant homme ! etc.
Ah ! l’honnête homme !
Ah ! Le pauvre homme ! etc.
Scène II.
- Encore un de gagné ! glorieuse conquête
- Dont l’enfer doit se réjouir !
- Mais je ris de ses maux et du sort qu’il s’apprête,
- Lorsque dans un instant le mien va s’accomplir.
- Roi des anges déchus ! mon souverain… je tremble !
- Il est là !… qui m’attend… oui, j’entends les éclats
- De leur joie infernale… Ils se livrent ensemble,
- Pour oublier leurs maux, à d’horribles ébats.
- Noirs démons, fantômes,
- Oublions les cieux ;
- Des sombres royaumes
- Célébrons les jeux.
- C’est en vain qu’on voudrait l’arracher de mes bras !
- Non, non, Robert ne m’échappera pas.
- Gloire au maître qui nous guide,
- À la danse qu’il préside !
- Pour toi qui m’es si cher,
- Pour toi, mon bien suprême,
- J’ai bravé le ciel même,
- Je braverais l’enfer !
- De ma gloire éclipsée,
- De ma splendeur passée,
- Toi seul me consolais ;
- C’est par toi que j’aimais !
- Pour toi qui m’es si cher,
- Pour toi, mon bien suprême,
- J’ai bravé le ciel même,
- Je braverais l’enfer !
Scène III.
- Raimbaut ! Raimbaut ! dans ce lieu solitaire
- L’écho seul me répond et j’avance en tremblant.
- Au rendez-vous serais-je la première ?
- Me faire attendre ainsi ! c’est affreux, et pourtant
- Il n’est encor que mon amant !
- Quand je quittai la Normandie,
- Un vieil ermite de cent ans
- Dit : Tu seras un jour unie
- Au plus fidèle des amants.
- Hélas ! j’attends !
- Ô patronne des demoiselles,
- Patronne des amans fidèles,
- Notre-Dame de bons secours,
- Daignez protéger mes amours,
- Mais le soleil soudain s’est obscurci,
- D’où vient ce bruit dont mon âme est glacée ?
- De quelque orage, hélas ! serais-je menacée ?
(La ritournelle gaie reprend.)
- Non, non ; ce n’est rien, Dieu merci !
- Raimbaut disait : Gentille amie,
- Crois à mes feux, ils sont constans !
- En ce jour peut-être il oublie
- Près d’une autre ses doux sermens ;
- Et moi, j’attends !
- Ô patronne des demoiselles,
- Patrone des amans fidèles,
- Notre-Dame de bon secours,
- Daignez protéger mes amours !
- Ô ciel le bruit redouble ;
- D’effroi mon cœur se trouble ;
- La terre tremble sous mes pas !
- Fuyons ! CHŒUR SOUTERRAIN.
- Robert ! Robert !
- Je ne me trompe pas.
- Robert ! Robert !
- C’est le nom de mon maître ?
- Quelque danger le menace peut-être !
- D’ici l’on pourrait voir, je crois,
- Dans ce lieu souterrain.
- Ah ! grand Dieu ! l’éclair brille !
- J’ai bien peur !… c’est égal… mon Dieu !
- protége-moi !
- Toi qui d’un faible enfant, ou d’une pauvre fille,
- Souvent te sers, dit-on, pour accomplir ta loi !
Scène IV.
pale et en désordre.
- L’arrêt est prononcé ! fatal, irrévocable !
- Je le perds à jamais ! on l’arrache à mes bras…
- S’il ne se donne à moi, s’il ne m’appartient pas !
- Demain ! demain !
- À minuit !… misérable !
- Minuit ! on a parlé ! Qui donc est dans ces lieux ?
- Qui donc a lu dans ma pensée ?
- C’est de Raimbaut l’aimable fiancée,
- C’est Alice… D’où vient qu’elle baisse les yeux ?
- La force m’abandonne.
- Qu’as-tu donc ?
- Ah ! grands dieux !
- Viens ici.
- Je frissonne !
- Viens vers moi.
- Je ne peux.
- Qu’as-tu donc entendu ?
- Moi ?… rien !… rien ! BERTRAM.
- Qu’as-tu vu ?
- Moi ?… rien !… rien !
- Rien ! rien !…
Je tremble, chancelle,
Et la voix cruelle
De l’ange rebelle
Me glace d’effroi.
Triomphe que j’aime !
Ta frayeur extrême
Va, malgré toi-même,
Te livrer à moi.
- Approche donc, et que ces doux attraits…
- Éloigne-toi, va-t’en !
- Tu me connais ;
- Ton œil a pénétré ce mystère effroyable
- Aux mortels interdit… et si ta voix coupable
- Osait le révéler, tu péris à l’instant.
- Le ciel est avec moi, je brave ta colère.
- Tu péris, toi, puis ton amant !
- Ô ciel ! BERTRAM.
- Puis ton vieux père,
- Ainsi que tous les tiens.
- Ô ciel !
- Tu l’as voulu, gentille Alice ;
- Par ta vertu te voilà ma complice,
- Et désormais tu m’appartiens.
- La force m’abandonne.
- Sauve ce qui t’est cher.
- Viens ici.
- Je frissonne.
- Viens vers moi.
- C’est Robert.
- Ainsi tu n’as rien vu ?
- Moi ? rien !
- Rien entendu ?
- Non, rien !
- Songe-s-y bien, de toi dépend ton sort.
- Voici Robert, tais-toi, sinon la mort !
Scène V.
- Ses yeux sont baissés vers la terre,
- Il est plongé dans la douleur ;
- Peut-être une secrète horreur
- Cause ce trouble involontaire ;
- Et du danger qu’il va courir,
- Hélas ! je ne puis l’avertir.
- Ses yeux sont baissés vers la terre,
- Profitons bien de sa douleur.
- Mais d’où vient que mon faible cœur
- Frémit d’un trouble involontaire ?
- Du piége où je le vois courir,
- Rien ne pourra le garantir.
- Oui, j’ai tout perdu sur la terre,
- Je m’abandonne à ma douleur,
- D’où vient qu’une secrète horreur
- Me cause un trouble involontaire ?
- Bertram seul peut me secourir.
- Ou je n’aurai plus qu’à mourir.
- Non, non, je brave le trépas,
- Écoutez !
- Parle donc !
- Hélas !
- Allons, parle, ma chère,
- Au nom de ton amant, au nom de ton vieux père.
- Non, je ne pourrai jamais.
- Fuyons, fuyons ! ou je me trahirais.
Scène VI.
- Qu’a-t-elle donc ?
- Qui sait ? l’amour, la jalousie…
- Ce messire Raimbaut qu’elle aime à la folie… ROBERT.
- Parle ; nous sommes seuls ! Perdu… déshonoré,
- Je n’espère qu’en toi… du moins tu l’as juré.
- Et je tiens mes sermens. On nous tendit un piége,
- Si pendant le tournoi, dans ces vastes forêts,
- On égara tes pas… c’est par un sacrilége :
- C’est par là qu’un rival a détruit nos projets :
- Des esprits infernaux il employa les charmes.
- Que faire alors ?
- Le vaincre par ses armes,
- L’imiter.
- Pour conjurer les esprits invisibles ?
Eh ! comment ? Est-il donc des secrets
- Oui.
- Les connaîtrais-tu ? réponds !
- Et ces mystères si terribles
- Ne sont rien quand on a du cœur
Je les connais.
- En auras-tu ?
- Bertram !…
- Je crois à ta valeur.
- Écoute : on t’a parlé de l’antique abbaye
- Que le courroux du ciel abandonne aux enfers ;
- Au milieu des cloîtres déserts
- S’élève le tombeau de sainte Rosalie.
- Ô ciel ! funeste souvenir !
- C’était le nom de ma mère chérie.
- Tu ne dois point parler, si tu ne veux mourir,
- Aux êtres inconnus de qui la destinée.
- À ce séjour est enchaînée.
- Achève !
- Dans ce lieu qu’on ne saurait franchir
- Sans exposer ses jours… auras-tu le courage
- De pénétrer seul sans pâlir ?
- Des chevaliers de ma patrie
- L’honneur fut toujours le soutien ;
- Et, dussé-je perdre la vie,
- Marchons ! marchons ! je ne crains rien.
- Des chevaliers de la Neustrie
- L’honneur fut toujours le soutien,
- Viens, sois digne de ta patrie.
- Marchons ! ton sort sera le mien.
- Il est sur le tombeau, dans ce séjour terrible,
- Un rameau toujours vert, talisman redouté… ROBERT.
- Après ?
- Par lui tout est possible ;
- Il donne la richesse et l’immortalité.
- Après ?
- Des saints autels malgré le privilége,
Robert, il faut qu’il soit ravi par toi.
- Mais c’est un sacrilége !
- Quoi ! déjà tu trembles d’effroi !
- J’irai ! Conquis par moi, ce rameau révéré
- Va se changer en palme triomphale,
- Eh quoi ! tu braverais cette enceinte fatale ?
- Oui, sans crainte je m’y rendrai ;
- Malgré le ciel je l’oserai.
- Avant toi j’y serai !… qu’il cueille ce rameau,
- Et sur lui je reprends un empire nouveau.
- De ses propres désirs devenant la victime,
- Dès qui il pourra les satisfaire tous,
- Ce pouvoir souverain va le conduire au crime,
- Et le crime conduit à nous.
Scène VII.
- Voici donc les débris du monastère antique
- Voué par Rosalie aux filles du Seigneur ;
- Ces prêtresses du ciel, dont l’infidèle ardeur,
- Brûlant pour d’autres dieux un encens impudique,
- Où régnaient les vertus fit régner le plaisir !
(Regardant la statue de sainte Rosalie.)
- Le céleste courroux, attiré par la sainte,
- Au milieu de la joie est venu vous punir,
- Imprudentes beautés !… Ici, dans cette enceinte,
- Vous dormez ! le front pâle et comme en vos beaux jours,
- Ceint encore des fleurs qu’effeuillaient les amours.
- Nonnes, qui reposez sous cette froide pierre,
- M’entendez-vous ?
- Pour une heure quittez votre lit funéraire,
- Relevez-vous ?
- Ne craignez plus d’une sainte immortelle,
- Le terrible courroux !
- Roi des enfers, c’est moi qui vous appelle,
- Moi, damné comme vous !
- Nonnes, qui reposez sous cette froide pierre
- M’entendez-vous ?
- Pour une heure quittez votre lit funéraire,
- Relevez-vous !
- Jadis filles du ciel, aujourd’hui de l’enfer ;
- Écoutez mon ordre suprême !
- Voici venir vers vous un chevalier que j’aime…
- Il doit cueillir ce rameau vert ;
- Mais si sa main hésite et trompe mon attente,
- Par vos charmes qu’il soit séduit ;
- Forcez-le d’accomplir sa promesse imprudente,
- En lui cachant l’abîme où ma main le conduit.
- Voici le lieu témoin d’un terrible mystère !
- Avançons… mais j’éprouve une secrète horreur :
- Ces cloîtres, ces tombeaux font naître dans mon cœur
- Un trouble involontaire.
- J’aperçois ce rameau, talisman redouté,
- Qui doit me donner en partage
- Et la puissance et l’immortalité.
- Quel trouble ! vain effroi ! Grand Dieu ! dans cette image,
- De ma mère en courroux, oui, j’ai revu les traits !
- Ah ! c’en est fait, fuyons, je ne pourrais jamais…
- Il est à nous.
- Accourez tous ;
- Spectres, démons,
- Nous triomphons.
ACTE QUATRIÈME.

Scène PREMIÈRE.
LE MAITRE DES CÉRÉMONIES, toute la Cour,
pages portant des présens.
- Frappez les airs, cris d’allégresse ;
- Cris de victoire et chants d’amour !
- Par nos accens, par notre ivresse,
- Célébrons tous un si beau jour.
- Je viens vous présenter, noble et belle princesse,
- Au nom du jeune époux
- Qui ce soir doit s’unir à vous,
- Ces présens précieux, gages de sa tendresse.
- Frappez les airs, cris d’allégresse, etc., etc. LE MAITRE DES CÉRÉMONIES.
- Frappez les airs, cris d’allégresse, etc., etc.
- Nobles et chevaliers, venez, retirons-nous.
Scène II.
- Du magique rameau qui s’abaisse sur eux
- L’invincible pouvoir vient de fermer leurs yeux ;
- Ta voix, fière beauté, ne peut être entendue
- De ces lieux où me guide un ascendant fatal.
- Dussé-je te ravir, menaçante, éperdue,
- Tu me suivras loin d’un rival.
- Mais non, tu vas céder !… Approchons… qu’elle est belle !
- Ce paisible sommeil, le calme de ses sens…
- Prête un charme plus doux à ses traits innocents.
- Hâtons-nous il le faut… Isabelle !… Isabelle !
- Pour toi je romps le charme où sont plongés leurs sens.
- Où suis-je ? et quelle voix m’appelle ?
- Quel sommeil effrayant avait fermé mes yeux ?
- Que vois-je ? est-ce une erreur nouvelle ?
- Quoi ! Robert en ces lieux !
- Que vois-je ? est-ce une erreur nouvelle ?
- Mon Dieu ! toi qui vois mes dames,
- De ton secours daigne m’aider.
- Voilà donc ces attraits, ces charmes
- Qu’un rival devait posséder !
- Je sens une joie infernale
- À voir son trouble et son effroi.
- Quels regards il jette sur moi !
(À Robert.)
- Une puissance et magique et fatale
- Vous a fait de l’honneur oublier le serment.
- Eh bien ! oui… oui… l’enfer qui me sert et m’entend,
- Va me venger d’un rival que j’abhorre.
- C’est ce matin en combattant
- Qu’avec honneur vous le pouviez encore.
Dieu tout-puissant ne m’abandonne pas,
Au désespoir je crains de le réduire.
Tout, dans ces lieux, reconnaît son empire ;
Toi seul, grand Dieu ! peux enchaîner son bras.
Crains ma fureur, ne me repousse pas ;
Au désespoir tremble de me réduire.
Tout, dans ces lieux, reconnaît mon empire,
Et rien ne peut t’arracher de mes bras.
- Fuyez, retirez-vous, votre espérance est vaine.
- Je cède au transport qui m’entraîne.
- Isabelle, tu m’appartiens !
- Robert !…
- Aucun pouvoir ne peut briser ta chaîne,
- Ne me résiste plus !
- Ah ! laisse-moi.
- Non, viens.
- Arrête !
- Robert, toi que j’aime
- Et qui reçus ma foi,
- Tu vois mon effroi :
- Grâce pour toi-même,
- Et grâce pour moi !
- Quoi ! ton cœur se dégage
- Des sermens les plus doux ?
- Tu me rendis hommage,
- Je suis à tes genoux.
- Robert, toi que j’aime
- Et qui reçus ma foi,
- Tu vois mon effroi :
- Grâce pour toi-même,
- Et grâce pour moi !
- Pour résister je fais de vains efforts.
- Cesse de vains efforts.
- Mon cœur s’émeut à cette voix touchante.
- Entends ma voix tremblante.
- Non, je ne puis maîtriser mes transports.
- Maîtrise ces transports.
- Ah ! sauvons-la de ma propre furie.
- Robert, je te supplie !
- Dans un moment tu vas m’être ravie ;
- En te perdant, je vais perdre le jour.
- Tu ne veux plus de mon amour,
- Cruelle ! eh bien ! prends donc ma vie.
- Que me dis-tu ?
- Tel est mon sort.
- Quoi ! plus d’espoir ?
- ISABELLE.
Un seul me reste.
- Sauve tes jours.
- Je les déteste.
- Fuis, tu le peux !
- Plutôt la mort.
- Dussé-je périr sous leurs coups,
- Isabelle, j’attends mon sort à tes genoux.
- Quelle aventure !… est-ce un prestige ?
- Quelle langueur nous glaçait tous ?
- Sommeil étrange !… où sommes-nous ?
- Mon cœur se trouble à ce prodige,
- Et ma raison vraiment s’y perd.
- Que vois-je ! Ô ciel !… Robert ! Robert !
Arrêtons, saisissons ce guerrier téméraire ;
C’est en vain qu’il voudrait s’échapper de nos bras.
Au destin qui l’attend rien ne peut le soustraire,
Et le jour doit demain éclairer son trépas.
Approchez, je me ris d’une vaine colère,
Dût la foudre en éclats me frapper à vos yeux.
Mon cœur ne connaît pas une crainte vulgaire,
Il défie avec joie et la terre et les cieux.
- C’est pour moi qu’en ces lieux il brave leur colère,
- Hélas ! et je ne peux l’arracher de leurs bras !
- Au destin qui l’attend rien ne peut le soustraire,
- Et le jour doit demain éclairer son trépas.
- C’en est fait, vainement il brave leur colère ;
- Rien, hélas ! ne pourrait l’arracher de leurs bras.
- Au destin qui l’attend rien ne peut le soustraire,
- Et le jour va demain éclairer son trépas.
ACTE CINQUIÈME.

Scène PREMIÈRE.
- Malheureux ou coupable,
- Hâtez-vous d’accourir
- En ce lieu redoutable,
- Ouvert au repentir !
- Ici, de l’humaine justice
- Vous pouvez braver le courroux.
- De la madone protectrice
- L’image veillera sur vous.
- Malheureux ou coupable,
- Hâtez-vous d’accourir,
- En ce lieu redoutable,
- Ouvert au repentir !
Scène II.
- Viens !
- Pourquoi dans ce lieu me forcer à te suivre ?
- Cet asile est sacré, l’on ne peut m’y poursuivre.
- Délivré par tes soins, j’ai cherché mon rival,
- Ce prince de Grenade.
- Eh bien !
- Je suis vaincu.
Ô sort fatal !
- Toi !
- Dans ce combat m’a trahi !
- Tout me trahit aujourd’hui.
Mon glaive lui-même
- Excepté moi qui t’aime,
- Et qui veux ton bonheur. Ne le comprends-tu pas ?
- Oui, puisque tu brisas d’une main imprudente
- Ce rameau qui devait te livrer ton amante,
- Elle est à ton rival ! ROBERT.
- Pour l’ôter de ses bras,
- Quel moyen ? parle !
- Un seul offert à ta vengeance.
- Quel qu’il soit, je le veux !
- Sois à nous ! sois à moi !
- Qu’un écrit solennel nous engage ta foi !
- Pourvu que je me venge ! il suffit… donne…
- Déjà ton cœur balance !
Eh quoi !
- N’entends-tu pas ces chants ?
- Ils nous importent peu.
- Ils frappaient mon oreille aux jours de mon enfance,
- Lorsque pour moi, le soir, ma mère priait Dieu.
Gloire à la Providence !
Gloire au Dieu tout-puissant
Qui sauva l’innocence
Des piéges du méchant !
Ô divine harmonie !
Ô célestes accords !
D’une aveugle furie
Vous calmez les transports.
Sur son âme attendrie
Redoublons nos efforts ;
D’une aveugle furie
Excitons les transports.
- C’est Dieu lui-même qui rappelle
- L’ingrat prêt à l’abandonner.
- De ces lieux il faut l’entraîner.
- Daigne en croire un ami fidèle.
- Entends-tu ?
- Qui peut t’effrayer ?
- Suis-moi.
- Si je pouvais prier !
Gloire à la Providence !
Gloire au Dieu tout-puissant, etc.
Ô divine harmonie !
Ô célestes accords, etc.
Sur son âme attendrie
Redoublons nos efforts, etc.
- Je conçois que ces chants puissent troubler ton âme ;
- Pour ton heureux rival ce peuple fait des vœux.
- Que dis-tu ?
- Que ne vas-tu prier comme eux ?
Dans ce temple où l’hymen les réclame
- Ah ! ce mot seul a ranimé ma rage ;
- Va-t’en ! tu n’es qu’un ennemi !
- Qui ? moi ?
- Ton ennemi ! moi, qui n’aime que toi !
- Moi, qui dans tous les temps protégeai ton jeune âge !
- Moi, qui voudrais avoir tous les biens en partage
- Pour te les donner tous !
- Ô ciel ! qui donc es-tu ?
- Ce trouble, cet effroi… dont mon cœur est ému,
- Ne te l’ont-ils pas dit ? n’as-tu pas entendu
- Ce matin… ce Raimbaut… et ce récit funeste
- Des malheurs de ta mère… ils n’étaient que trop vrais !
- Dieu !
- ROBERT.
Je fus son amant ! son époux ! je l’atteste.
- Qu’entends-je ?
- Et maintenant, Robert, tu me connais !
- Malheureux que je suis !
- Jamais, c’est impossible,
- Ton malheur, ô mon fils, n’égalera le mien.
- Notre tourment à nous, c’est de vivre, insensible,
- De ne pouvoir aimer, de n’aimer jamais rien.
- Tel est l’enfer. Eh bien ! quand le souverain maître
- Eut lancé dans l’abîme un ange révolté,
- Dans mon cœur un instant le repentir vint naître ;
- Et ce Dieu dans sa bonté,
- Dans sa vengeance peut-être,
- Me permit d’aimer ! oui, depuis ce jour cruel,
- Où par toi seul, Robert, mon cœur a pu connaître
- Les craintes, le bonheur, les tourmens d’un mortel ;
- Et toi seul à présent es ma vie et mon être.
- Ô mon fils ! ô Robert ! ô mon unique bien !
- D’un seul mot va dépendre et ton sort et le mien !
- Je t’ai trompé, je fus coupable :
- Tu sauras tout : avant minuit,
- Si tu n’as pas signé ce pacte irrévocable
- Qui pour l’éternité tous les deux nous unit,
- Ce Dieu qui me poursuit, ce Dieu qui nous accable,
- Reprend sur toi tout son pouvoir ;
- Je te perds à jamais ; je ne dois plus te voir !
- Minuit !… minuit !… tel est son arrêt immuable…
- Ô mon fils ! ô Robert ! ô mon unique bien !
- De ce mot va dépendre et ton sort et le mien !
- De ton rival je suis le maître,
- Un des miens avait pris ses traits ;
- Dis un mot, il va disparaître.
- L’hymen va combler tes souhaits ;
- Et les honneurs et la richesse,
- Et les plaisirs et les amours,
- Dans une éternelle jeunesse,
- Vont près de moi charmer tes jours !
- Et ne crois pas qu’ici je veuille te séduire.
- C’est pour ton seul bonheur qu’à présent je respire ;
- Et si ce bonheur même est ailleurs qu’avec moi,
- Va… fuis… Je t’aime assez pour renoncer à toi !
- L’arrêt est prononcé, l’enfer est le plus fort,
- Ne crains pas que je t’abandonne.
- Ô bonheur !
- Qui que tu sois, je partage ton sort.
Maintenant le devoir me l’ordonne,
- Qui que tu sois, je partage ton sort.
Scène III.
- Robert, qu’ai-je entendu ?
- Dans ce lieu qui t’amène ?
- Une heureuse nouvelle !… Ah ! je respire à peine.
- Vous pouvez maintenant compter sur le succès,
- Et rendre grâce au ciel qui vous protége :
- Le prince de Grenade et son brillant cortége
- N’ont pu franchir le seuil du lieu saint.
- Je le sais.
- Et la noble princesse, à votre amour ravie,
- Vous attend à l’autel.
- Pars, il faut t’éloigner.
- Pourriez-vous donc l’abandonner ?
- Avez-vous oublié le serment qui vous lie ?
- Hâtons-nous, le temps presse, et l’heure va sonner. TRIO.
- À tes lois je souscris d’avance.
- Que faut-il faire ?
- Je voudrais vous parler.
Ô ciel ! Avant de vous quitter
- Silence !
- D’un devoir rien ne vous dispense,
- D’un dernier je dois m’acquitter.
Ô tourment ! ô supplice !
Mon fils, mon seul bonheur !
À mes vœux sois propice,
J’en appelle à ton cœur.
Dieu puissant, ciel propice,
Que ton nom protecteur
Dans son cœur retentisse,
Et le rende au bonheur !
Ô tourment ! ô supplice !
Qui déchirent mon cœur,
Faut-il que je périsse
D’épouvante et d’horreur !
- Hâtons-nous.
- Qui peut seul engager ta foi !
Tiens, voici cet écrit redoutable
- Ô ciel ! inspire-moi !
- Donne donc !
- Lisez !
Le voici ! fils ingrat, fils coupable !
- Ô ciel ! c’est la main de ma mère !
- « Mon fils, ma tendresse assidue
- « Veille sur toi du haut des cieux.
- « Fuis les conseils audacieux
- « Du séducteur qui m’a perdue. »
- Eh quoi ! ton cœur hésite entre nous deux ?
- Je tremble… je frémis… Que décider ? ô cieux !
- « Mon fils ! mon fils ! ma tendresse assidue
- « Veille sur toi du haut des cieux. »
- « Mon fils ! mon fils ! ma tendresse assidue
- Mon fils ! mon fils ! jette sur moi la vue,
- Vois mes tourmens, entends mes vœux ;
- D’un vain écrit ton âme est-elle émue ? ALICE, de même.
- « Fuis les conseils audacieux
- « Du séducteur qui m’a perdue. »
- Mon fils ! mon fils ! jette sur moi la vue,
- Prenez pitié de moi !
- Non, partons à l’instant.
- Tu me vois à tes pieds.
- Vois le ciel qui t’attend.
Ô tourment ! ô supplice !
Mon fils, mon seul bonheur, etc.
Dieu puissant, ciel propice !
Que ton nom protecteur, etc.
Ô tourment ! ô supplice !
Qui déchirent mon cœur, etc.
- Viens.
- Viens.
- BERTRAM, poussant un cri terrible.
- Ah ! tu l’emportes, Dieu vengeur !
C’est minuit… ô bonheur !
- Chantez, troupe immortelle,
- Reprenez vos divins concerts :
- Il nous est resté fidèle,
- Que les cieux lui soient ouverts !
- Gloire, gloire immortelle
- Au Dieu de l’univers !
- Il est resté fidèle
- Les cieux lui sont ouverts.