Roméo et Juliette/Traduction Hugo, 1868/Scène XI
Scène XI (85).
— Veuille le ciel sourire à cet acte pieux, — et puisse l’avenir ne pas nous le reprocher par un chagrin !
— Amen ! amen ! Mais viennent tous les chagrins possibles, — ils ne sauraient contrebalancer le bonheur — que me donne la plus courte minute passée en sa présence. — Joins seulement nos mains avec les paroles saintes, — et qu’alors la mort, vampire de l’amour, fasse ce qu’elle ose : — c’est assez que Juliette soit mienne !
— Ces joies violentes ont des fins violentes, — et meurent dans leur triomphe : flamme et poudre, — elles se consument en un baiser. Le plus doux miel — devient fastidieux par sa suavité même, — et détruit l’appétit par le goût : — aime donc modérément : modéré est l’amour durable : — la précipitation n’atteint pas le but plus tôt que la lenteur…
— Voici la dame ! Oh ! jamais un pied aussi léger — n’usera la dalle éternelle : — les amoureux pourraient chevaucher sur ces fils de la vierge — qui flottent au souffle ardent de l’été, — et ils ne tomberaient pas : si légère est toute vanité !
— Salut à mon vénérable confesseur !
— Roméo te remerciera pour nous deux, ma fille.
— Je lui envoie le même salut : sans quoi ses remerciements seraient immérités.
— Ah ! Juliette, si ta joie est à son comble — comme la mienne, et si, plus habile que moi, — tu peux la peindre, alors parfume de ton haleine — l’air qui nous entoure, et que la riche musique de ta voix — exprime le bonheur idéal que — nous fait ressentir à tous deux une rencontre si chère.
— Le sentiment, plus riche en impressions qu’en paroles, — est fier de son essence, et non des ornements : — indigents sont ceux qui peuvent compter leurs richesses ; — mais mon sincère amour est parvenu à un tel excès — que je ne saurais évaluer la moitié de mes trésors.