Roméo et Juliette/Traduction Hugo, 1868/Scène XV
Scène XV.
— Les choses ont tourné si malheureusement, messire, — que nous n’avons pas eu le temps de disposer notre fille. — C’est que, voyez-vous, elle aimait chèrement son cousin Tybalt, — et moi aussi… Mais quoi ! nous sommes nés pour mourir. — Il est très-tard ; elle ne descendra pas ce soir. — Je vous promets que, sans votre compagnie, — je serais au lit depuis une heure.
— Quand la mort parle, ce n’est pas pour l’amour le moment de parler. — Madame, bonne nuit : présentez mes hommages à votre fille.
— Oui, messire, et demain de bonne heure je connaîtrai sa pensée. — Ce soir elle est cloîtrée dans sa douleur.
— Sire Pâris, je puis hardiment vous offrir — l’amour de ma fille ; je pense qu’elle se laissera diriger — par moi en toutes choses ; bien plus, je n’en doute pas… — Femme, allez la voir avant d’aller au lit ; — apprenez-lui l’amour de mon fils Pâris, — et dites-lui, écoutez bien, que mercredi prochain… — Mais doucement ! Quel jour est-ce ?
Lundi, monseigneur.
— Lundi ? hé ! hé ! alors, mercredi est trop tôt. — Ce sera pour jeudi… dites-lui que jeudi — elle sera mariée à ce noble comte. — Serez-vous prêt ? Cette hâte vous convient-elle ? — Nous ne ferons pas grand fracas : un ami ou deux ! — Car, voyez-vous, le meurtre de Tybalt étant si récent, — on pourrait croire que nous nous soucions fort peu — de notre parent, si nous faisions de grandes réjouissances. — Conséquemment, nous aurons une demi-douzaine d’amis, et ce sera tout. Mais que dites-vous de jeudi ?
— Monseigneur, je voudrais que jeudi fût demain.
— Bon ; vous pouvez partir… — Ce sera pour jeudi, alors. — Vous, femme, allez voir Juliette avant d’aller au lit, — et préparez-la pour la noce… — Adieu, messire… De la lumière dans ma chambre, holà ! — Ma foi, il est déjà si tard — qu’avant peu il sera de bonne heure… Bonne nuit.