Ronsard - Œuvres, Buon, 1587/O France mere fertile. Victoire de Chabor

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LA VICTOIRE DE GVY
de Chabot, Seigneur de Iarnac.


ode ix. Stro. i.


OFrance mere fertile
D’vn peuple à la guerre vtile,
Terre pleine de grand heur,
Pren ceſte douce couronne
Que Chabot pour ſon vœu donne
Au temple de ta grandeur :
Lequel ains que ſon eſpée
Au ſang haineux fuſt trempée,
Du miel de ſa langue molle
Se deſ-aigrit le ſouci,
Et de ſa douce parolle
Flatta ſa chere ame ainſi.

Antiſtro.

» Vne ame laſche & couarde
» Au peril ne ſe hazarde.
» Et d’où vient cela que ceux
» Qui pour mourir ici viuent,
» L’honneſte danger ne ſuiuent,
» A la vertu pareſſeux ?
» Miſerable qui ſe laiſſe
» Engloutir à la vieilleſſe :
» Heureux deux & trois fois l’homme,
» Qui deſdaigne les dangers :
» Touſiours vaillant on le nomme

» Par les peuples eſtrangers.

Epode.

Diſant tels mots il appreſte
Au combat ſes membres forts,
D’vn armet couurit ſa teſte,
Et de maille tout ſon corps :
Il priſt l’eſpée en la deſtre,
Le bouclier en la ſeneſtre,
Et horrible à l’approcher
Eſclairoit comme vne foudre
Qui chet pour ruer en poudre
Le haut ſourci d’vn rocher.

Stro. 2.

» De iuger par coniecture
» La fin de l’heure future
» Nous rend le cœur plus hautain :
» Donnant à qui ſage y penſe,
» Vne grande recompenſe
» D’auoir preueu l’incertain.
Meſmes c’eſt le tout que d’eſtre
Des mains aux armes adeſtre,
Qui doiuent meurdrir la face
De l’aduerſaire odieux,
Et qui font au veinqueur place
Au plus haut ſiege des Dieux.

Antiſtro.

Toy, deuant les yeux de France
Per à per en camps d’outrance,
As remis deſſus ton front
Ce qu’on embloit de ta gloire :
Et i’y grauay la victoire
Que mille ans ne desferont.

Ta main, ta voix, & ta face,
Et le maintien de ta grace
Qui euſt adoucy la rage
Du plus foible belliqueur,
Si la fureur du courage
Ne luy euſt ſillé le cœur.

Epode.

» Vne nuë d’erreur pleine
» Qui nous trouble volontiers,
» Couurant la raiſon nous meine
» Eſgarez des beaux ſentiers :
» Nous fians (ſots que nous ſommes)
» Aux vents incertains des hommes,
» Qui ſoufflent pour nous tromper
» En cent ſortes & manieres,
» Et aux faueurs iournalieres
» Que le fer ſçait bien couper.

Stro. 3.

» Toutefois la palle Enuie
» Eſpie touſiours la vie
» De l’homme, à qui le bon-heur
» De la victoire honorable
» Par ſa face venerable
» A peint l’image d’honneur.
» La loy de nature tourne,
» Rien de ferme ne ſeiourne,
» Diuers vents ſont en meſme heure,
» Ore Hyuer ores Printemps :
» Touſiours la vertu demeure
» Conſtante contre le temps.

Antiſtro.

Ah ! ce labeur que i’accorde

Deſſus ma Thebaine corde
Ne ceſſe de me tenter
Afin qu’au iour ie le monſtre,
Et que ie marche à l’encontre
Du veinqueur pour le chanter,
Le mariant aux haleines
Des trompettes qui ſont pleines
D’vn ſon furieux & graue.
Qui mettroit à nonchaloir
La victoire que ie laue
Dedans les ondes du Loir ?

Epode.

» Qu’on chante les nouueaux Hynnes,
» Mais qu’on vante les vins vieux.
» Ceux qui font les vertus dignes,
» Sont engrauez dans les cieux.
» Du couard la renommée
» Ne fut oncques eſtimée
» (Quoy qu’il face du vaillant)
» Soit au camp parmy les troupes,
» Soit en la mer ſur les poupes
» Lors que lon va bataillant.

Stro. 4.

Mer qui a cognu ta race,
Humble appaiſant ſon audace
Sous ton oncle Gouuerneur
Du flot qui venteux arriue
Contre la Françoiſe riue
Bruyant encor ſon honneur.
» O Chabot, bien peu ie priſe
» De gaigner vne entrepriſe
» Que la Fortune deliure

» A chacun egalement :
» Mais c’eſt beaucoup que de viure
» Par elle eternellement.

Antiſtro.

Ta vertu ſeroit trompée,
Et non-plus que ton eſpée
Miſt à veincre l’ennemi,
Non plus viue ſeroit elle,
Si ie n’auoy coupé l’aile
Du long ſilence endormi :
Monſtre qui a de couſtume
De couuer deſſous ſa plume
La vertu qui s’eſt parfaite
En l’honneur d’vn acte beau :
Mais celle que tu as faite
N’ira pas ſous le tombeau.

Epode.

I’ay iuré de faire coiſtre
Ta gloire contre les ans,
Faiſant par elle apparoiſtre
Combien mes vers ſont plaiſans,
Qui teſmoignent à la France
Comme ta braue aſſeurance
Te fiſt marcher glorieux,
Veſtu d’honneur & de gloire,
Ayant raui la victoire
Par le fer victorieux.