Rosière malgré elle/Épilogue

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Éditions Prima (Collection gauloise ; no 95p. 47-48).

ÉPILOGUE


Huit jours ont passé. Ayant mis son chronomètre au clou pour payer le voyage, Gaston est revenu de Londres, tout seul, comme un homme. Il a présenté Zouzoune à ses parents, qui l’ont trouvée charmante, adorable, délicieuse. Car ils avaient eu, le matin même, une longue et rassurante entrevue avec le notaire de feu Alexandre Baliveau.

Les jeunes gens sont fiancés, et voici Gaston qui arrive chez Zouzoune, pour la première fois, afin de lui faire sa cour,

Ce n’est pas dans le petit taudis du sixième, vous pensez bien. Nouveau miracle qui prouve que Zouzoune est dans la passe de veine où tout vous réussit, un bel appartement s’est trouvé libre, tout meublé, dans la maison même, la locataire en titre ayant fini par avoir le dessous, comme il advient toujours, dans une lutte passionnée avec la bigornette, laquelle l’emmena reposer, tout comme ce pauvre Casimir, sous le territoire de Pantin.

Sophie et Zouzoune sont installées dans un salon presque cossu, en vraies rentières. Gaston arrive, portant une magnifique gerbe de fleurs. Joie, ivresse, chastes baisers. Sophie guigne le bouquet, hésite, puis finit par geindre :

— Qué dommage que ça doive pourrir ici, ce chouette truc-là… Ça ferait si bon effet sur la tombe de mon pauvre Casimir !

Le projet sous-entendu dans ces propos ne semble pas plaire follement à l’amoureux. Peut-être va-t-il protester, dire que ses fleurs sont pour Zouzoune, pour personne d’autre. Mais un vigoureux pinçon dans la cuisse lui intime le silence, cependant que Zouzoune s’écrie :

— Bonne idée, maman !… Cours bien vite les porter, ces belles fleurs, tandis qu’elles sont encore fraîches !

Sophie s’apprête à filer, doublement joyeuse. Car c’est en toute sincérité qu’elle ira fleurir la tombe de son pauvre défunt, qui n’était pas si méchant qu’on veut bien le dire, affirme la bonne âme. Et c’est non moins sincèrement qu’elle se réjouit de faire le voyage, — elle saura s’arranger pour ça — dans la bagnole d’un percepteur de tramway qui est bougrement costaud, et qui lui fait une cour pressante, depuis qu’on la sait veuve et rentière.

Aussi est-elle vite prête, pour ne pas rater la voiture qui lui permettra, en allant rendre ses devoirs à Casimir, de hâter l’avènement de son successeur.

Les moralistes les plus austères vous le diront : une vie bien ordonnée implique un sage équilibre entre les devoirs envers autrui et les devoirs envers soi-même.

Zouzoune, du reste, l’aide de son mieux, bien gentiment, à hâter son départ. Elle lui met son chapeau, l’embrasse, la pousse dehors, écoute son pas qui descend les marches, puis donne deux bons tours de clef, prudents et silencieux.

Les fiancés restent seuls, pour trois grandes heures au moins. Il est donc bien naturel qu’ils choisissent, ayant à s’asseoir si longtemps, le plus moelleux, le plus confortable des sièges qui s’offrent à eux. C’est un divan, vaste et profond. Sans s’être dit un mot, fait un signe, ils se dirigent vers lui, lentement, enlacés. Puis Gaston murmure quelque chose à l’oreille de Zouzoune. La petite répond, toute rose, toute pâmée déjà :

— Dans un frigorifique, alors !… Penses-tu, mon chéri, qu’on va la garder jusqu’au mariage, la vertu de Zouzoune !

Et ils tombent ensemble sur le divan… Sans se faire le moindre mal… Tant que ça dure…


FIN