Rouen Bizarre/Les métiers bizarres/Les ambulans de l’administration

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LES AMBULANS DE L’ADMINISTRATION

Il y a ambulant et ambulant, comme il y a fagot et fagot. Les marchands ambulans font un métier reconnu et sont porteurs d’autorisations de toute sortes. Mais il existe aussi à Rouen une catégorie bien distincte de ces individus. Ce sont, pour la plupart, des vagabonds qui ne possèdent qu’une idée fort restreinte de ce que peut être un domicile, et qui, cependant, vivent un peu du budget de la ville pour la plus grande sécurité de ses habitants.

On ne peut pas dire qu’ils travaillent, car ils ne font presque jamais rien ; on ne peut pas dire non plus qu’ils ne travaillent pas, car ils s’arrangent in avoir toujours sur eux deux ou trois sous qui les mettent à l’abri de la loi sur le vagabondage, et un reçu de la mairie qui prouve qu’ils peuvent rendre service à l’administration.

Ni chair ni poisson. — Il y a pas mal de gens qui arrivent ainsi, avec beaucoup d’intelligence, à tourner les difficultés.

L’ambulant n’a qu’un moyen de gagner son existence : c’est de se promener de droite et de gauche, principalement dans les quartiers mal famés et d’ « espérer » les événemens. Qu’un ivrogne s’abatte sur le pavé, il est là et il attend le sergent de ville. Quand ce dernier arrive, il y a presque toujours un rassemblement au milieu de ce que les auteurs classiques appellent « un suppôt de Bacchus. » Le représentant de la force publique (toujours pour parler dans le meme style) a besoin d’un aide pour porter jusqu’au poste le plus voisin le pochard. C’est alors que l’ambulant apparaît dans toute sa gloire. Il prend l’ivrogne par les pieds pendant que l’agent soutient la tête et, le lendemain, l’administration reconnaissante décerne au « porteur de bonne volonté » la modeste somme de 25 sous.

Qu’une rixe éclate entre « soleils, » qu’un délinquant fasse des manières pour aller devant le commissaire, l’ambulant est encore la. C’est le « rempart » volontaire de toutes les polices, simplement parce que cela lui rapporte quelque chose. Il est probable que pour il double, il rosserait le guet.

Quand les affaires ne donnent pas, l’ambulant ne se fait pas un cas de conscience de corriger le hasard. C’est ainsi qu’il grisera a mort un compagnon de rencontre, pour avoir ensuite le bénéfice de l’apporter au violon.

Le commissariat de police devient pour lui un petit mont-de-piété, où l’on prête sur ivrognes. Comme l’alcoolisme fleurit beaucoup à Rouen où il y aura, si cela continue, autant de « caboulots » que de consommateurs, l’ambulant est à peu près sûr de ne jamais mourir de faim.

Détail piquant : il a une sainte horreur des agens de la sûreté.