Roxane/12

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Éditions Édouard Garand (13p. 22-23).

CHAPITRE XII

LE « BON DOCTEUR »


Le Docteur Philibert était un célibataire, âgé de soixante ans. Sa figure joviale était toujours rose et rasée de frais, ses yeux étaient bleus et rieurs, ses cheveux étaient blancs et bouclés. Il était bien l’homme le plus populaire de la Saskatchewan. Ses malades prétendaient ressentir du mieux aussitôt que le Docteur Philibert mettait le pied dans leur chambre. Il eut probablement fait fortune avec sa profession, s’il se fut établi dans quelque ville ; mais il préférait l’extrême nord, un peu sauvage de la Saskatchewan, sur le bord du lac des Cris. Il possédait d’ailleurs un ranch, dont les produits, ajoutés à ce que lui rapportait sa clientèle lui suffisait amplement pour vivre… et aussi pour faire la charité ; car ce bon médecin était extrêmement charitable. Le ranch du docteur avait nom le Valgai.

Le Docteur Philibert n’était pas un étranger aux Barrières-de-Péage ; c’est lui qui avait soigné Philippe Monthy. Quand nous avons mentionné, dans un autre chapitre, les noms des amis de Roxane et de Rita, nous avons oublié de nommer aussi le Docteur Philibert. Celui-ci avait gardé un souvenir affectueux de la famille Monthy, et Roxane pouvait être assurée de trouver en lui un ami dévoué, toujours prêt à lui venir en aide par de sages conseils, si jamais elle avait besoin d’être conseillée.

— Bonjour, Mlle Monthy ! dit le Docteur Philibert, en entrant dans la salle des Barrières-de-Péage. Comment vous portez-vous ? Comment se porte petite Rita ? Comment va le blessé ? !

— Merci, Docteur, nous sommes en parfaite santé Rita et moi. Mais notre malade va mal, répondit tristement Roxane.

— Pauvre Hugues ! dit le médecin, puis il ajouta : Vous êtes bien pâle, Mlle Monthy. Ne vous vantez-vous pas un peu en affirmant que vous êtes en parfaite santé ?

— Je ne me vante nullement, dit Roxane, en riant ; nous ne nous sommes jamais si bien portées Rita et moi. Rita, va être si contente de vous voir, car elle parle souvent du « bon Docteur ».

Le médecin se pencha sur la jeune fille et lui dit tout bas, en souriant :

— Les excursions nocturnes ne vous vont pas, Mlle Monthy gardez-vous bien d’en prendre l’habitude !

— Ah ! fit Roxane. Vous savez ?… Adrien vous a dit…

— Adrien m’a tout raconté, à moi, à moi seul… J’étais le meilleur ami de M. de Vilnoble, vous savez, et… C’est tout simplement extraordinaire ce que vous avez fait, Mlle Monthy !… Je pense bien que Hugues ne l’oubliera jamais de sa vie… M. de Vilnoble est mort ; mais son dernier testament, fait en faveur de son fils…

— La Forêt des Abîmes… Le Sentier de la Mort… balbutia, à ce moment, le malade.

Aussitôt, le Docteur Philibert s’approcha du canapé.

— Pauvre Hugues ! murmura-t-il. Puis, s’adressant à Roxane : Cette blessure qu’il a à la tête est large et profonde, dit-il ; je vais être obligé de faire quelques points, pour rapprocher les lèvres de la plaie. Qui m’aidera ?.

— Je vous aiderai, Docteur, répondit la jeune fille. Mais son cœur se contracta soudain ; vraiment, elle se demandait si elle pourrait assister impassible, à l’opération !

— Non ! Non ! Pas vous, Mlle Monthy ! s’exclama le médecin. Belzimir…

À ce moment, le père Noé entra dans la salle, en marchant sur la pointe des pieds.

— Ah ! père Noé ! dit le docteur. J’aurais bien besoin de vous… Voulez-vous me donner votre aide, pour une petite opération que je dois faire au malade ? Mlle Monthy s’est offerte, mais…

— J’vous aiderai d’mon mieux, M. l’Docteur, répondit le père Noé. Ce pauvre M. Hugues !

Quand l’opération fut terminée, le médecin proposa qu’on transportât le malade dans une chambre à coucher, et Roxane offrit immédiatement la sienne.

— Cela vous occasionnerait trop d’inconvénients, Mlle Monthy ! dit le Docteur Philibert. La chambre de Belzemir…

— Impossible, Docteur ! — la chambre de Belzimir est au-dessus de la cuisine et l’escalier qui y conduit fait un brusque détour ; vous ne pourriez passer par là, en portant le malade. Il n’y a pas de communication entre nos chambres et celle de Belzimir ; conséquemment, vous seriez obligé de monter le blessé par l’escalier de la cuisine, qui serait impraticable, dans les circonstances. Rita et moi nous prendrons la chambre de Belzimir, qui est libre puisque notre domestique couche dans la salle d’entrée, à cause de la barrière-de-péage, qu’il garde la nuit.

Quand Hugues eut été confortablement installé dans la chambre de Roxane, le vieux facteur s’offrit pour veiller à son chevet pendant une heure ou deux. Le Docteur Philibert redescendit, alors, dans la salle, où Roxane l’attendait. Le médecin donna quelques conseils à la jeune fille à propos des soins qu’exigerait le blessé, puis il se disposait à partir, quand entra Rita.

— Petite Rita ! — dit le médecin.

— Oh ! — C’est le bon docteur ! s’écria l’enfant.

— Maintenant, il faut que je parte, dit le médecin, après avoir donné à Rita un baiser affectueux ; je suis attendu à cinq milles d’ici.

— Mais, il est midi ! objecta Roxane. Quand dînerez-vous alors, si vous allez aux malades à cette heure ?

— Les repas d’un médecin, surtout dans le nord de la Saskatchewan, sont souvent chose assez problématique, vous savez, Mlle Monthy ! répondit, en riant le docteur.

— Rita, dit Roxane à sa petite sœur, demande au bon docteur de dîner avec nous ; il ne te refusera pas, j’en suis sûre.

— Oh ! oui, n’est-ce pas que vous resterez à dîner avec nous, bon Docteur ? s’écria l’enfant.

— C’est entendu ! fit Roxane.

— Mais, mes enfants…

— Ce sera prêt dans un tout petit quart d’heure, Docteur, assura Roxane.

— Et il y aura des poulets rôtis, puis du gâteau et de la crème fouettée pour le dessert, confia Rita à l’oreille du médecin. Aimez-vous la crème fouettée, bon Docteur ? demanda la petite, qui se pourléchait les lèvres d’avance.

— Pour prendre part à un tel festin, que ne ferais-je pas ! murmura le docteur, d’un air si comique que Roxane rit d’un bon cœur.

— Pendant que Roxane va mettre la table, voulez-vous venir voir mon beau lapin blanc Zit ? C’est Roxane qui me l’a donné en cadeau. Venez ! dit Rita au médecin.

— Rita, recommanda Roxane, il ne faut pas que tu fatigues le Docteur Philibert, ma chérie !

— Pas du tout ! — Pas du tout ! protesta le médecin. Comment aimerais-tu posséder un beau mouton tout blanc, ma chérie ? demanda-t-il.

— Un petit mouton blanc ! Oh —

— Je t’en apporterai un du Valgai bientôt, peut-être la semaine prochaine, promit le médecin. Eh ! bien, allons faire la connaissance de Zit !

Avant de quitter les Barrières-de-Péage, le Docteur Philibert eut quelques instants de conversation avec Roxane :

— Hugues pourrait bien reprendre connaissance demain, même ce soir. Ne le laissez pas parler, du moins empêchez-le de parler autant que possible. Il voudra avoir des nouvelles de son père, probablement, et vous pourrez lui raconter… ce que vous voudrez. Les bonnes nouvelles (je veux dire si vous parlez à Hugues des bonnes dispositions de son père, à ses derniers moments) cela ne pourrait que faire du bien au malade. Je reviendrai… attendez… c’est aujourd’hui samedi… j’essayerai de revenir lundi, dans l’après-midi car, dans l’avant-midi, je dois assister aux funérailles de M. de Vilnoble mon vieil ami, et ensuite, à la lecture de son testament.

— À lundi donc, Docteur ! dit Roxane. En attendant, nous prendrons le meilleur soin possible de votre malade ; je suivrai toutes vos indications, très à la lettre.

— C’est sans crainte que je laisse Hugues de Vilnoble entre vos mains, Mlle Monthy. À lundi !

— À lundi, répéta la jeune gardienne des barrières.

Mais le lundi se passa, et d’autre lundis encore sans que le Docteur Philibert revînt aux Barrières-de-Péage ; l’homme propose et Dieu dispose.