Roxane/13

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Éditions Édouard Garand (13p. 23-24).

CHAPITRE XIII

EN VOIE DE GUÉRISON


Le lendemain, dimanche, il était onze heures de l’avant-midi, quand Roxane entrant dans la salle, pour y chercher quelque chose, entendit la voix de Rita, à l’étage supérieur. La petite avait obtenu de sa grande sœur la permission de s’installer dans la chambre du malade avec un album de gravures. Roxane ne fut pas très surprise d’entendre Rita parler ainsi, car elle jasait souvent avec ses poupées, ou bien en regardant des images. Mais soudain, une voix plus grave se fit entendre et la gardienne des barrières de péage monta immédiatement voir ce qui se passait en haut.

Hugues de Vilnoble avait repris connaissance. En apercevant la jeune fille, il s’écria :

Mlle Roxane !

— Oh ! Roxane, dit Rita, le monsieur est éveillé, enfin ! N’es-tu pas contente ? Moi, je le suis !

— Que je suis heureux de vous revoir, saine et sauve, Mlle Roxane ! — murmura le malade.

— Je vais aller chercher Zit, pour le montrer au monsieur, dit Rita.

Ce-disant, l’enfant sortit de la chambre, laissant Roxane seule avec le malade.

Mlle Roxane… commença Hugues.

M. de Vilnoble, interrompit la jeune fille, le médecin a expressément défendu de vous laisser parler. Cependant, comme je comprends que vous avez hâte de savoir ce qui s’est passé aux Peupliers, je vais tout vous raconter…

— Mon père ?… interrogea Hugues.

— Hélas ! répondit Roxane, M. de Vilnoble était presqu’à l’agonie quand je suis arrivée aux Peupliers et il est mort cette nuit-là… Mais, attendez : avant que je vous fasse le récit de ce qui s’est passé, vous allez prendre un peu de bouillon, Belzimir ! appela-t-elle.

— Oui, Mlle Roxane ! répondit le domestique.

— Monte donc un bol de bouillon ici immédiatement.

Au bout de quelques minutes, Belzimir arriva dans la chambre, portant sur un plateau, et avec de grandes précautions, un bol de bouillon.

— Ah ! le monsieur est mieux ! s’exclama-t-il.

— Oui, mon ami, je suis mieux, répondit Hugues.

— Nous sommes bien contents, alors, dit le domestique. Y a-t-il autre chose que je puisse faire, Mlle Roxane ?

— Non, Belzimir… excepté surveiller le dîner, car j’ai à causer avec M. de Vilnoble.

— Bien, Mlle Roxane ! Fiez-vous à moi.

Quand Hugues eut bu le bouillon, Roxane lui fit le récit de ce qui s’était passé aux Peupliers. Elle lui parla de son arrivée et de son entretien avec M. de Vilnoble. Elle dit comment celui-ci, pris de remords d’avoir déshérité son fils, avait exprimé le désir de faire un nouveau testament. Elle dit comment elle était allée chercher le notaire Champvert, homme d’aspect sinistre, et l’arrivée de ce dernier aux Peupliers. Elle dévoila le contenu du dernier testament de M. de Vilnoble, testament signé par elle et aussi par le fidèle Adrien. Elle insista sur le peu de confiance du testateur en son notaire et elle raconta que Adrien avait été chargé de mettre le nouveau document sous les oreillers de son maître. Elle parla aussi du regard de colère et de haine jeté sur le moribond par le notaire, au moment de quitter la chambre du malade, regard qu’elle seule avait surpris.

— Après que le testament de votre père eut été fait et signé, ajouta Roxane, il me dit : « Mlle Monthy, vous direz à mon fils que j’ai réparé l’injustice que j’avais commise à son égard… Vous lui direz aussi que je lui laisse ma bénédiction ».

— Pauvre père ! balbutia Hugues, tandis que des larmes coulaient sur ses joues.

— Les dernières paroles que j’entendis de lui furent celles-ci, reprit Roxane ; « Ce testament est le seul valable, le seul… Souvenez-vous en tous ».

— Merci, Mlle Monthy ! s’exclama Hugues. Merci pour tout ce que vous avez fait pour moi !… Combien je voudrais pouvoir vous dire toute l’admiration toute la reconnaissance que je ressens à votre égard !

— Je vous en prie, ne parlez pas ! Je vous l’ai dit, le médecin l’a défendu, dit la jeune fille. C’est aujourd’hui dimanche, reprit-elle, et c’est jeudi soir que vous avez été victime d’un accident. Bianco a buté sur une pierre qui… était sur le chemin. C’est jeudi, dans la nuit, que je suis allée aux Peupliers. Le lendemain matin, à trois heures, votre père expirait… Demain matin auront lieu les funérailles de M. de Vilnoble. Le Docteur Philibert assistera aux funérailles, puis à la lecture du testament, et il viendra vous voir, dans l’après-midi… Maintenant, vous allez prendre des remèdes, qui vous feront dormir, n’est-ce pas ?

On entendit le bruit des béquilles de Rita : l’enfant montait l’escalier, et bientôt, elle arrivait dans la chambre du malade, tenant Zit dans ses bras, pressé contre son cœur.

— Tenez, monsieur, dit-elle à Hugues : voici Zit ! N’est-ce pas qu’il est beau et gentil ?

— Certes, oui ! fit Hugues, en caressant le lapin.

— C’est Roxane qui me l’a donné, Monsieur, dit l’enfant. Elle est bonne Roxane, vous savez, et je l’aime de tout mon cœur. Il faut que vous l’aimiez, vous aussi, si vous désirez que nous soyons amis, vous et moi !

Hugues jeta un regard sur la jeune fille, en souriant ; celle-ci rougit et baissa les yeux.

— Rita, dit-elle, pour couvrir sa confusion, il faut que M. de Vilnoble prenne ses remèdes, puis, nous le laisserons seul, afin qu’il puisse dormir.

Quand Hugues eut pris ses remèdes, Roxane posa sa main sur l’épaule de sa petite sœur, pour l’entraîner ; mais celle-ci, s’approchant du lit, déposa un baiser sur le front du malade et dit :

— Je vous aime bien gros, Monsieur, vous savez !

— Petite Rita chérie ! murmura Hugues, en pressant l’enfant dans ses bras.

L’état de Hugues continua à s’améliorer et le lendemain matin, quand il s’éveilla, il paraissait être en voie parfaite de guérison.

Mais le médecin attendu ne vint pas. Toute la journée, Roxane l’attendit. Chaque fois qu’elle entendait résonner le timbre, dans la salle d’entrée, elle accourait à la fenêtre, dans l’espoir de voir apparaître la figure joviale du Docteur Philibert. Vain espoir ! Et maintenant, il était neuf heures du soir ; il ne viendrait assurément pas.

Heureusement, le malade allait de mieux en mieux ; de fait, au bout de trois jours, il put descendre à la salle, aidé par Belzimir, aidé aussi d’une canne, car, quoique sa blessure à la tête ne le faisait presque plus souffrir, l’entorse qu’il s’était faite au pied droit était loin d’être guérie. Tout allait bien, cependant ; du moins, aussi bien qu’on eut pu l’espérer. Même, Hugues put, avec de l’aide, se rendre à l’écurie, un après-midi, voir Bianco. Le cheval, entendant le pas de son maître, se mit à hennir, à piocher, à se mâter, à renâcler, manifestant ainsi bruyamment sa satisfaction.

Quand il fut de retour dans la salle, Hugues dit à Rita :

— À côté de la selle de Bianco, j’ai vu un joli jouet ; est-ce à toi ce petit poney pour rire qui se nomme Pompon, Rita ?

— Pompon n’est pas un cheval pour rire, M. Hugues ! répondit Rita, fort indignée. Quand vous serez mieux, je vous emmènerai faire un tour en voiture et vous verrez ce que Pompon peut faire !

— C’est bon ! C’est entendu, Rita ; nous irons faire une promenade ensemble, et si Pompon ne se comporte pas à ma guise, je le ferai asseoir à côté de toi, dans la voiture, et je m’attellerai à sa place, hein ?

Ceci amusa tellement la petite infirme, qu’elle alla immédiatement répéter la chose à Roxane, qui était occupée dans la cuisine. Ce soir-là, tandis que Rita sommeillait sur le canapé de la salle et que Belzimir fumait sa pipe, dans la cuisine, Hugues parla longuement de son père, et Roxane l’écoutait avec émotion. Il était facile de comprendre que, malgré le malentendu qui avait existé entre le jeune homme et M. Vilnoble — malentendu dont Roxane ne connaîtrait jamais la cause probablement —, une grande affection avait lié le père et le fils.

Cette soirée fut le prélude de plusieurs autres semblables. La vie s’écoulait douce — principalement pour deux de nos personnages — aux Barrières-de-Péage ; ils n’en attendaient pas moins cependant, et anxieusement le samedi soir, qui devait leur amener le père Noé, porteur de nouvelles du Valgai et aussi des Peupliers.