Roxane/27

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Éditions Édouard Garand (13p. 43-44).

CHAPITRE IV

DEUX LETTRES


Le lendemain soir, Roxane se disposait à sortir, afin de respirer un peu l’air du dehors. Elle était à se coiffer, lorsqu’elle entendit frapper à la porte de sa chambre. Allant ouvrir, elle se trouva en face de Mme Dussol.

— Vous alliez sortir, Mme Louvier ? demanda la mère d’Yseult. Je ne vous retiendrai pas longtemps… Je suis venue vous demander de me rendre un service… un grand service.

— Si je le puis, Madame, répondit la fiancée de Hugues, soyez assurée que je me ferai un grand plaisir de vous servir.

— Il s’agit d’une lettre, dit Mme Dussol, en hésitant un peu. Vous le savez, le courrier est déposé dans l’étude de M. Champvert chaque jour… Or, cette lettre que je viens d’écrire, je désire que personne n’en ait connaissance, et c’est pourquoi je venais vous demander si vous vous en chargeriez et la remettriez au facteur, demain, quand il viendra ?

— Mais, avec plaisir ! répondit Roxane. Vous pouvez me confier votre missive, Mme Dussol ; je me charge d’arranger les choses à votre satisfaction.

— Merci ! Oh ! merci ! s’écria Mme Dussol. Je ne sais pourquoi, Mme Louvier, continua-t-elle, mais vous m’inspirez confiance… Voici la lettre, ajouta-t-elle, en retirant de sa poche de robe une enveloppe cachetée.

Roxane, en recevant la lettre, faillit crier, tant fut grande sa surprise ; c’est que, sur l’enveloppe, elle lut l’adresse suivante :

« Mademoiselle Monthy

Barrières-de-Péage
Saskatchewan ».

— Voyez-vous, reprit Mme Dussol, la vie n’est plus tenable ici, et au lieu d’aider à ma fille, il semble que je ne fais qu’irriter mon gendre davantage, chaque jour… Cette lettre est adressée à Mlle Monthy, une bonne et charmante jeune fille, la fiancée de mon cher neveu Hugues de Vilnoble. Elle m’a invitée fort cordialement à aller me promener chez elle. J’irai, si elle peut me recevoir, pour une semaine ou deux. Mlle Monthy est la gardienne des barrières de péage, vous savez. Il y a aussi sa petite sœur à Mlle Monthy : gentille Rita. Pauvre enfant ; elle est infirme !… Nous sommes de grandes amies mignonne Rita et moi. Mlle de St-Éloi, l’amie intime de Mlle Monthy, est aussi aux Barrières-de-Péage, dans le moment… Oh ! Mme Louvier, quel soulagement pour moi que de pouvoir passer quelques jours avec ces deux jeunes filles et cette enfant que j’aime ! Si Mlle Monthy veut bien me recevoir…

— Je suis certaine que vous serez la bienvenue, Madame, dit Roxane. Vous recevrez une réponse à votre lettre dans deux ou trois jours, au plus. Désirez-vous que la réponse me soit adressée, à moi plutôt qu’à vous ?

— Non, merci, ce n’est pas nécessaire, Mme Louvier… Je vais donc compter sur vous ?

— Certes oui ! Votre lettre à Mlle Monthy je la remettrai moi-même au facteur, demain, soyez-en assurée, Madame !

— Mille et mille fois merci ! dit Mme Dussol, en quittant la chambre de Roxane.

Roxane écrivit quelques lignes à Lucie, avant de se mettre au lit.

« Chère Lucie,

En même temps que ceci, tu recevras une lettre adressée à Mlle Monthy. Dans cette lettre dont Mme Dussol vient de me charger pour la remettre personnellement au père Noé, elle exprime le désir d’aller passer une semaine ou deux chez-nous. Je n’ai pas besoin de te dire, chère Lucie, quelle réponse tu dois écrire à cette bonne dame, hein ?…

Pour expliquer à Mme Dussol mon absence des Barrières-de-péage, tu pourras dire que je suis allée… disons… à Fort Chipewyan, soigner une de mes… tantes, qui est vieille et malade… Tu arrangeras bien cela je sais !

Cette pauvre Mme Dussol ! La vie n’est pas semée de roses, pour elle, aux Peupliers, je te l’assure !

Dis à Rita que je lui envoie mille baisers, et que j’espère être de retour chez-nous d’ici à un mois ; avant cela probablement.

À toi toute mon amitié, chère Lucie,

Sincèrement,
ROXANE.

P. S. — Je ne m’étais pas trompée ; le… papier est bien ici, entre les mains de M. C. Il s’agit de m’en emparer maintenant. Prie bien fort et fais prier Rita, pour que je réussisse dans mon entreprise, n’est-ce pas ?

R. M.

Le lendemain, les deux lettres étaient confiées au père Noé. Deux jours plus tard, la réponse de Lucie arrivait à Mme Dussol et celle-ci quittait, au bout de trois jours, les Peupliers pour les Barrières-de-Péage. Seulement ni Yseult, ni Champvert ne connaissaient sa destination ; seuls étaient dans le secret Roxane et aussi le Docteur Philipbert, qui avait conduit lui-même Mme Dussol en voiture.