Rutebeuf - Œuvres complètes, 1839/Des Béguines

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Œuvres complètes de Rutebeuf, Texte établi par Achille JubinalChez Édouard Pannier1 (p. 186-187).

Des Béguines,


ou ci encoumence


LI DIZ DES BÉGUINES[1].


Mss. 7633, 7615.
Séparateur



En riens que Béguine die
N’entendeiz tuit se bien non ;
Tot est de religion
Quanque hon trueve en sa vie :

Sa parole est prophécie ;
S’ele rit, c’est compaignie ;
S’el’ pleure, dévocion ;
S’ele dort, ele est ravie ;
S’el’ songe, c’est vision ;
S’ele ment, non créeiz mie.

Se Béguine se marie,
S’est sa conversacions :
Ces veulz, sa prophécions
N’est pas à toute sa vie[2].
Cest an pleure et cest an prie,
Et cest an panrra baron[3].
Or est Marthe, or est Marie ;
Or se garde, or se marie,
Mais n’en dites se bien non :
Li Rois no sofferroit mie.


Explicit des Béguines.

  1. Cette pièce est imprimée dans le tome II des Fabliaux de Méon, pages 37 et 38, à la fin d’une dissertation sur les étymologies due à Barbazan, qui a joint au texte une traduction littérale, par laquelle, dit-il, « on verra combien il est difficile d’approcher de la beauté de l’original. » Cette pièce est en effet remarquable par la finesse de son ironie et par la pensée qui y préside. J’ajouterai cependant que tout le monde n’a pas traité les Béguines aussi durement que Rutebeuf. Thomas de Cantimpré parle de leurs mœurs avec éloges et s’étend beaucoup sur leur piété ; mais un écrivain postérieur, Villon, les a fort décriées en leur faisant dans son testament le legs que voici :

    Item, aux frères mendians,
    Aux dévotes et aux Béguines,
    Tant de Paris que d’Orléans,
    Tant turlupins, tant turlupines,
    De grasses soupes jacobines *

    * Ayant cherché par curiosité dans un vieux Cuîsinier françois ce que Villon avait pu entendre par soupe jacobine, j’ai trouvé qu’on nommait ainsi jadis (car le mot et le mets n’auraient plus de sens aujourd’hui) « un potage fait avec de la chair de perdrix et de chapons rôtis, désossés, et hachés bien menu avec du bouillon d’amande qu’on verse sur du pain bien mitonné et sur un lit de fromage. On le nourrit avec ce bouillon, dans lequel on délaye des jaunes d’œuf ; puis on passe la pelle rouge dessus. » Cette explication culinaire m’a semblé curieuse à rapporter.

    Et flans leur fait oblation,
    Et puis aprèz soubz les courtines
    Parler de contemplation.

    Leur couvent était situé rue des Barrés, no 24. On l’a nommé depuis l’Ave-Maria. Il fut bâti sur un emplacement acheté par saint Louis à Étienne, abbé de Tiron.

  2. Voyez, pour ce point et pour quelques autres détails, la pièce intitulée Les Ordres de Paris.
  3. Baron, mari.