Saint Paul (Renan)/X. Retour de Paul à Antioche

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Michel Lévy (p. 278-310).


CHAPITRE X.


RETOUR DE PAUL À ANTIOCHE. — DISPUTE DE PIERRE ET DE PAUL. — CONTRE-MISSION ORGANISÉE PAR JACQUES, FRÈRE DU SEIGNEUR.


Paul, cependant, sentait le besoin de revoir les Églises de Syrie. Il y avait trois ans qu’il était parti d’Antioche : bien qu’elle eût duré moins de temps que la première, cette nouvelle mission avait été beaucoup plus importante. Les nouvelles Églises, recrutées parmi des populations vives, énergiques, apportaient aux pieds de Jésus des hommages d’un prix infini. Paul tenait à raconter tout cela aux apôtres et à se rattacher à l’Église mère, modèle des autres[1]. Malgré son goût de l’indépendance, il sentait bien que, hors de la communion avec Jérusalem, il n’y avait que schisme et dissension. L’admirable mélange, de qualités opposées qui formait sa nature lui permettait d’allier de la façon la plus inattendue la docilité à la fierté, la révolte à la soumission, l’âpreté à la douceur. Paul choisit pour prétexte de son départ la célébration de la pâque de l’an 54[2]. Pour donner plus de solennité à sa résolution et s’ôter la possibilité de changer d’avis, il s’engagea par vœu à célébrer cette pâque à Jérusalem. La manière de contracter ces sortes de vœux était de se raser la tête et de s’obliger à certaines prières ainsi qu’à l’abstinence du vin pendant trente jours avant la fête[3]. Paul dit adieu à son Église, se fit raser la tête à Kenchrées[4], et s’embarqua pour la Syrie. Il était accompagné d’Aquila et de Priscille, qui devaient s’arrêter à Éphèse, peut-être aussi de Silas. Quant à Timothée, il est probable qu’il ne s’éloigna pas de Corinthe ou des côtes de la mer Égée. Nous le retrouverons à Éphèse dans un an[5].

Le navire s’arrêta quelques jours à Éphèse. Paul eut le temps d’aller à la synagogue et de disputer avec les juifs. On le pria de rester ; mais il allégua son vœu et déclara qu’il voulait à tout prix célébrer la fête à Jérusalem ; il promit seulement de revenir. Il prit donc congé d’Aquila, de Priscille, et de ceux avec lesquels il avait déjà noué quelques relations, et se rembarqua pour Césarée de Palestine, d’où il fut bientôt rendu à Jérusalem[6].

Il y célébra la fête conformément à son vœu. Peut-être ce scrupule tout juif était-il une concession comme tant d’autres qu’il faisait à l’esprit de l’Église de Jérusalem. Il espérait par un acte de haute dévotion se faire pardonner ses hardiesses et se concilier la faveur des judaïsants[7]. Les discussions étaient à peine apaisées et la paix ne durait qu’à force de transactions. Il est probable qu’il profita de l’occasion pour remettre aux pauvres de Jérusalem une aumône considérable[8]. Paul, selon son habitude, resta très-peu de temps dans la métropole[9] ; il était ici en présence de susceptibilités qui n’eussent pas manqué d’amener des ruptures, s’il eût prolongé son séjour. Lui, habitué à vivre dans l’exquise atmosphère de ses Églises vraiment chrétiennes, ne trouvait ici, sous le nom de parents de Jésus, que des juifs. Il pensait qu’on ne faisait pas la place assez grande à Jésus ; il s’indignait qu’après Jésus on attribuât encore une valeur quelconque à ce qui avait existé avant lui.

Le chef de l’Église de Jérusalem était maintenant Jacques, frère du Seigneur. Ce n’est pas que l’autorité de Pierre eût diminué, mais il n’était plus sédentaire dans la ville sainte. En partie à l’imitation de Paul, il avait embrassé la vie apostolique active[10]. L’idée que Paul était l’apôtre des gentils, et Pierre l’apôtre de la circoncision[11], était de plus en plus acceptée ; conformément à cette idée, Pierre allait évangélisant les juifs dans toute la Syrie[12]. Il menait avec lui une sœur, comme épouse et diaconesse[13], donnant ainsi le premier exemple d’apôtre marié, exemple que les missionnaires protestants devaient suivre plus tard. Jean-Marc paraît toujours aussi comme son disciple, son compagnon et son interprète[14], circonstance qui fait supposer que le premier des apôtres ne savait pas le grec : Pierre avait en quelque sorte adopté Jean-Marc et le traitait comme son fils[15].

Le détail des pérégrinations de Pierre nous est inconnu. Ce qu’on en raconta plus tard[16] est en grande partie fabuleux. Nous savons seulement que la vie de l’apôtre de la circoncision fut, comme celle de l’apôtre des gentils, une série d’épreuves[17]. On peut croire aussi que l’itinéraire qui sert de base aux Actes fabuleux de Pierre, itinéraire qui conduit l’apôtre de Jérusalem à Césarée, de Césarée, le long de la côte, par Tyr, Sidon, Béryte, Byblos, Tripoli, Antaradus, à Laodicée-sur-la-mer, et, de Laodicée à Antioche, n’est pas imaginaire. L’apôtre a sûrement visité Antioche[18] ; nous croyons même qu’il y fit sa résidence ordinaire, à partir d’une certaine époque[19]. Les lacs et les étangs formés par l’Oronte et l’Arkeuthas aux environs de la ville, et qui fournissaient à bon marché aux gens du peuple du poisson d’eau douce de qualité inférieure[20], lui offrirent peut-être l’occasion de reprendre son ancienne profession de pêcheur.

Plusieurs des frères du Seigneur et quelques membres du collège apostolique parcouraient de même les pays voisins de la Judée. Comme Pierre, et différents en cela des missionnaires de l’école de Paul, ils voyageaient avec leurs femmes et vivaient aux frais des Églises[21]. Le métier qu’ils avaient exercé en Galilée n’était pas, comme celui de Paul, de nature à les faire subsister, et ils l’avaient abandonné depuis longtemps. Les femmes qui les accompagnaient et qu’on appelait « sœurs » furent l’origine de ces « sous-introduites », sortes de diaconesses ou de religieuses vivant sous la conduite d’un clerc, qui jouent dans l’histoire du célibat ecclésiastique un rôle important[22].

Pierre ayant cessé de la sorte d’être le chef résidant de l’Église de Jérusalem, plusieurs membres du conseil apostolique ayant de même embrassé la vie de voyage, le premier rang dans l’Église mère fut déféré à Jacques[23]. Il se trouva ainsi « évêque des Hébreux », c’est-à-dire de la partie des disciples qui parlait sémitique[24]. Cela ne le constituait pas chef de l’Église universelle : personne n’avait à la rigueur le droit de prendre un tel titre, lequel se trouvait partagé de fait entre Pierre et Paul[25] ; mais la présidence de l’Église de Jérusalem, jointe à sa qualité de frère du Seigneur, donnait à Jacques une autorité immense, puisque l’Église de Jérusalem restait toujours le centre de l’unité. Jacques était d’ailleurs fort âgé[26] ; quelques mouvements d’orgueil, beaucoup de préjugés, un esprit opiniâtre étaient la conséquence d’une telle position. Tous les défauts qui devaient plus tard faire de la cour de Rome le fléau de l’Église et le principal agent de sa corruption se trouvaient déjà en germe dans cette primitive communauté de Jérusalem.

Jacques était un homme respectable à beaucoup d’égards, mais un esprit étroit, que sûrement Jésus eût percé de ses plus fines railleries, s’il l’eût connu, ou du moins s’il l’eût connu tel qu’on nous le représente. Était-il bien le frère ou même seulement le cousin germain de Jésus[27] ? Tous les témoignages à cet égard sont si concordants qu’on est forcé de le croire. Mais alors ce fut là un des jeux les plus bizarres de la nature. Peut-être ce frère, ne s’étant converti qu’après la mort de Jésus, possédait-il moins bien la vraie tradition du maître que ceux qui, sans être ses parents, l’avaient fréquenté de son vivant. Il reste au moins bien surprenant que deux enfants sortis du même sein ou de la même famille aient été d’abord ennemis, puis se soient réconciliés, pour rester si profondément divers que le seul frère bien connu de Jésus aurait été une sorte de pharisien, un ascète extérieur, un dévot entaché de tous les ridicules que Jésus poursuivit sans relâche. Ce qu’il y a de sûr, c’est que le personnage qu’on nommait à cette époque « Jacques, frère du Seigneur », ou « Jacques le Juste », ou « Rempart du peuple[28] », était, dans l’Église de Jérusalem, le représentant du parti juif le plus intolérant. Pendant que les apôtres actifs couraient le monde pour le conquérir à Jésus, le frère de Jésus, à Jérusalem, faisait tout ce qu’il fallait pour détruire leur ouvrage et contredire Jésus après sa mort d’une façon plus profonde peut-être qu’il ne l’avait fait de son vivant.

Cette société de pharisiens mal convertis, ce monde en réalité plus juif que chrétien, vivant autour du temple, conservant les vieilles pratiques de la piété juive, comme si Jésus ne les eût pas déclarées vaines, formait une compagnie insupportable pour Paul. Ce qui devait particulièrement l’irriter, c’était l’opposition de tout ce monde à la propagande. Comme les juifs de la stricte observance[29], les partisans de Jacques ne voulaient pas qu’on fît de prosélytes. Les anciens partis religieux arrivent souvent à de telles contradictions. D’un côté, ils se proclament seuls en possession de la vérité ; de l’autre, ils ne veulent pas élargir leur horizon ; ils prétendent garder la vérité pour eux. Le protestantisme français présente de nos jours un phénomène semblable. Deux partis opposés, l’un voulant avant tout la conservation des vieux symboles, l’autre capable de gagner au protestantisme un monde d’adhérents nouveaux, s’étant produits dans le sein de l’Église réformée, le parti conservateur a fait au second une guerre acharnée. Il a repoussé avec scandale tout ce qui eût ressemblé à un abandon des traditions de famille, et il a préféré aux brillantes destinées qu’on lui offrait le plaisir de rester un petit cénacle, sans importance, fermé, composé de gens bien pensants, c’est-à-dire de gens partageant les mêmes préjugés, envisageant les mêmes choses comme aristocratiques. Le sentiment de défiance qu’éprouvaient les membres du vieux parti de Jérusalem devant le hardi missionnaire qui leur amenait des nuées de confrères nouveaux, sans titres de noblesse juive, devait être quelque chose d’analogue. Ils se voyaient débordés, et, au lieu de tomber aux pieds de Paul et de le remercier, ils voyaient en lui un perturbateur, un intrus qui forçait les portes avec des gens recrutés de tous les bords. Plus d’une parole dure fut, ce semble, échangée[30]. Il est vraisemblable que c’est à ce moment même que Jacques, frère du Seigneur, conçut le projet qui faillit perdre l’œuvre de Jésus, je veux dire le projet d’une contre-mission chargée de suivre l’apôtre des gentils, de contredire ses principes, de persuader à ses convertis qu’ils étaient obligés à se faire circoncire et à pratiquer toute la Loi[31]. Les mouvements sectaires ne se produisent jamais sans des schismes de ce genre ; qu’on se rappelle les chefs du saint-simonisme se reniant les uns les autres et néanmoins restant unis en Saint-Simon, puis réconciliés d’office par les survivants après leur mort[32].

Paul évita les éclats en partant le plus tôt qu’il put pour Antioche. Ce fut probablement alors que Silas le quitta. Ce dernier était originaire de l’Église de Jérusalem. Il y resta, et désormais s’attacha à Pierre[33]. Silas, comme le rédacteur des Actes, paraît avoir été un homme de conciliation[34], flottant entre les deux partis et attaché tour à tour aux deux chefs, vrai chrétien au fond, et de l’opinion qui, en triomphant, sauva l’Église. Jamais, en effet, l’Église chrétienne ne porta dans son sein une cause de schisme aussi profonde que celle qui l’agitait en ce moment. Luther et le scolastique le plus routinier différaient moins que Paul et Jacques. Grâce à quelques doux et bons esprits, Silas, Luc, Timothée, tous les chocs furent amortis, toutes les aigreurs dissimulées. Une belle narration, calme et digne[35], ne laissa voir qu’entente fraternelle en ces années qui furent travaillées de si terribles déchirements.

À Antioche, Paul respira librement. Il y rencontra son ancien compagnon Barnabé[36], et sans doute ils éprouvèrent une grande joie à se revoir ; car le motif qui les avait un moment séparés n’était pas une question de principe. Peut-être aussi Paul retrouva-t-il à Antioche son disciple Titus, qui n’avait pas fait partie du second voyage, et qui désormais devait s’attacher à lui[37]. Le récit des miracles de conversion opérés par Paul émerveilla cette Église jeune et active. Paul, de son côté, éprouvait un vif sentiment de joie à revoir la ville qui avait été le berceau de son apostolat, les lieux où il avait conçu, dix ans auparavant, en compagnie de Barnabé, ses immenses projets, l’Église qui lui avait conféré le titre de missionnaire des gentils. Un incident de la plus haute gravité vint bientôt interrompre ces douces effusions et faire revivre avec un degré de gravité qu’elles n’avaient pas eu jusque-là les divisions un moment assoupies.

Pendant que Paul était à Antioche, Pierre y arriva[38]. Ce ne fut d’abord qu’un redoublement de joie et de cordialité. L’apôtre des juifs et l’apôtre des gentils s’aimaient, comme s’aiment toujours les natures très-bonnes et les natures très-fortes, quand elles se trouvent en rapport les unes avec les autres. Pierre communia sans réserve avec les païens convertis : violant même ouvertement les prescriptions juives, il ne fit pas difficulté de manger avec eux ; mais bientôt cette bonne entente fut troublée. Jacques avait exécuté son fatal projet. Des frères munis de lettres de recommandation signées de lui[39], comme du chef des Douze et du seul qui eût le droit d’authentiquer une mission, partirent de Jérusalem. Leur prétention était qu’on ne pouvait se donner pour docteur du Christ, si on n’avait été à Jérusalem conférer sa doctrine avec celle de Jacques, frère du Seigneur[40], et si l’on n’apportait une attestation de ce dernier. Jérusalem était, selon eux, la source de toute foi, de tout mandat apostolique : les vrais apôtres résidaient là[41]. Quiconque prêchait sans lettre de créance du chef de l’Église mère, et sans lui avoir juré obédience, devait être repoussé comme un faux prophète et un faux apôtre, comme un envoyé du démon[42]. Paul, qui n’avait pas de pareilles lettres, était un intrus, se targuant de révélations personnelles sans réalité et d’une mission dont il ne pouvait produire les titres[43]. Il alléguait ses visions, soutenant même que le fait d’avoir vu Jésus d’une façon surnaturelle valait mieux que le fait de l’avoir connu personnellement. « Quoi de plus chimérique ? disaient les Hiérosolymites. Aucune vision n’atteint l’évidence des sens : les visions ne donnent pas la certitude ; le spectre qu’on voit peut être un malin esprit ; les idolâtres ont des visions tout comme les saints. Quand on interroge l’apparition, on se répond tout ce qu’on veut ; le spectre brille un instant, disparaît vite ; on n’a pas le temps de l’interroger à loisir. La pensée du rêveur ne lui appartient pas ; dans cet état-là, on n’a nulle présence d’esprit. Voir le Fils hors de sa chair ! mais cela est impossible ; on en mourrait. L’éclat surhumain de cette lumière tuerait. Même un ange, pour se rendre visible, est obligé de revêtir un corps ! »

Les émissaires citaient à ce propos une foule de visions qu’avaient eues des infidèles, des impies, et en concluaient que les apôtres-colonnes, ceux qui avaient vu Jésus, avaient une immense supériorité. Ils alléguaient même des textes de l’Écriture[44], prouvant que les visions venaient d’un Dieu irrité, tandis que le commerce face à face était le privilège des amis. « Comment Paul peut-il soutenir que, par un entretien d’une heure, Jésus l’a rendu capable d’enseigner ? Il a fallu à Jésus une année entière de leçons pour former ses apôtres. Et, si Jésus lui est vraiment apparu, comment se fait-il qu’il enseigne le contraire de la doctrine de Jésus ? Qu’il prouve la réalité de l’entretien qu’il a eu avec Jésus en se conformant aux préceptes de Jésus, en aimant ses apôtres, en ne déclarant pas la guerre à ceux que Jésus a choisis. S’il veut servir la vérité, qu’il se fasse le disciple des disciples de Jésus, et alors il pourra être un auxiliaire utile[45]. »

La question de l’autorité ecclésiastique et de la révélation individuelle, du catholicisme et du protestantisme se posait ainsi avec une véritable grandeur. Jésus n’avait rien décidé bien nettement à cet égard. Tant qu’il vécut et dans les premières années qui suivirent sa mort, Jésus fut si uniquement l’âme et la vie de sa petite Église, qu’aucune idée de gouvernement ni de constitution ne se présenta. Maintenant, au contraire, il s’agissait de savoir s’il y avait un pouvoir représentant Jésus ou si la conscience chrétienne restait libre, si pour prêcher Jésus il fallait des lettres d’obédience ou si l’affirmation qu’on était éclairé de Jésus suffisait. Comme Paul ne donnait de sa mission immédiate d’autre preuve que son affirmation, sa situation à beaucoup d’égards était faible. Nous verrons par quels prodiges d’éloquence et d’activité le grand novateur, attaqué de toutes parts, fera face à toutes les attaques et maintiendra son droit, sans rompre absolument avec le collège apostolique, dont il reconnaissait l’autorité chaque fois que sa liberté n’en était pas gênée. Mais cette lutte même nous le rendra peu aimable. Un homme qui dispute, résiste, parle de lui-même, un homme qui maintient son opinion et sa prérogative, qui fait de la peine aux autres, qui les apostrophe en face, un tel homme nous est antipathique ; Jésus, en pareil cas, cédait tout et se tirait d’embarras par quelque mot charmant.

Les émissaires de Jacques arrivèrent à Antioche[46]. Jacques, tout en accordant que les gentils convertis pouvaient se sauver sans observer la loi de Moïse, n’admettait nullement qu’un vrai juif, un juif circoncis, pût sans crime violer la loi. Le scandale des disciples de Jacques fut au comble, quand ils virent le chef des Églises de la circoncision agir en vrai païen et déchirer ces pactes extérieurs qu’un juif respectable regardait comme ses titres de noblesse et les marques de sa supériorité. Ils parlèrent vivement à Pierre, qui fut fort effrayé. Cet homme, profondément bon et droit, voulait la paix avant tout ; il ne savait contrarier personne. Cela le rendait versatile, du moins en apparence ; il se déconcertait facilement et ne savait pas trouver vite une réponse. Déjà, du vivant de Jésus, cette espèce de timidité, venant de gaucherie plutôt que de manque de cœur, l’avait induit en une faute qui lui coûta bien des larmes[47]. Sachant peu discuter, incapable de tenir tête à des gens insistants, dans les cas difficiles il se taisait et atermoyait. Une telle disposition de caractère lui fit encore cette fois commettre un grand acte de faiblesse. Placé entre deux classes de personnes dont il ne pouvait contenter l’une sans froisser l’autre, il s’isola complètement et vécut à l’écart, refusant tout rapport avec les incirconcis. Cette manière d’agir blessa vivement les gentils convertis. Ce qu’il y eut de bien plus grave encore, c’est que tous les circoncis l’imitèrent ; Barnabé lui-même se laissa gagner à leur exemple et évita les chrétiens incirconcis.

La colère de Paul fut extrême. Qu’on se rappelle la portée rituelle du repas en commun ; refuser de manger avec une fraction de la communauté, c’était l’excommunier. Paul éclata en reproches[48], traita cette conduite d’hypocrisie, accusa Pierre et ses imitateurs de fausser la droite ligne de l’Évangile. L’Église devait s’assembler peu après ; les deux apôtres s’y rencontrèrent. En face, et devant toute l’assemblée, Paul apostropha violemment Pierre, et lui reprocha son inconséquence. « Quoi ! lui dit-il, toi qui es Juif, tu ne vis pas en juif[49] ; dans la pratique, tu te comportes en vrai païen, et tu veux nous forcer à judaïser !… » Alors, il développa sa théorie favorite du salut s’opérant par Jésus et non par la Loi, de l’abrogation de la Loi par Jésus. Il est probable que Pierre ne lui répondit pas. Au fond, il était de l’avis de Paul ; comme tous les hommes qui cherchent par d’innocents artifices à sortir d’une difficulté, il ne prétendait pas avoir eu raison ; il voulait seulement satisfaire les uns et ne pas aliéner les autres. De la sorte on ne réussit d’ordinaire qu’à indisposer tout le monde.

L’éloignement des envoyés de Jacques mit seul une fin au dissentiment. Après leur départ, le bon Pierre recommença sans doute à manger avec les gentils comme auparavant. Ces alternatives singulières de violence et de fraternité sont un des traits du caractère juif. Les critiques modernes qui concluent de certains passages de l’Épître aux Galates[50] que la rupture de Pierre et de Paul fut absolue se mettent en contradiction, non-seulement avec les Actes, mais avec d’autres passages de l’Épître aux Galates[51]. Les hommes ardents passent leur vie à se disputer entre eux sans jamais se brouiller. Il ne faut pas juger ces caractères d’après la manière dont les choses arrivent de notre temps entre gens bien élevés et susceptibles sur le point d’honneur. Ce dernier mot, en particulier, n’a jamais guère eu de sens pour les juifs.

Il semble bien toutefois que la rupture d’Antioche laissa des traces profondes. La grande Église des bords de l’Oronte se divisa, s’il est permis de s’exprimer ainsi, en deux paroisses, d’une part, celle des circoncis, de l’autre, celle des incirconcis. La séparation de ces deux moitiés de l’Église se continua longtemps. Antioche, comme l’on dit plus tard, eut deux évêques, l’un institué par Pierre, l’autre par Paul. Evhode et Ignace sont désignés comme ayant rempli, après les apôtres, cette dignité[52].

Quant à l’animosité des émissaires de Jacques, elle ne fit qu’augmenter. La scène d’Antioche leur laissa un ressentiment dont, un siècle après, on trouve encore dans les écrits du parti judéo-chrétien l’expression indignée[53]. Cet éloquent adversaire qui, à lui seul, avait arrêté l’Église d’Antioche près de leur donner raison, devint leur grand ennemi. Ils lui vouèrent une inimitié qui déjà de son vivant lui suscitera des traverses sans nombre, qui après sa mort lui vaudra de toute une moitié de l’Église des anathèmes sanglants et d’atroces calomnies[54]. La passion et l’enthousiasme religieux sont loin de supprimer les faiblesses humaines. En quittant Antioche, les agents du parti hiérosolymite jurèrent de bouleverser les fondations de Paul, de détruire ses Églises, de renverser ce qu’il avait édifié avec tant de labeurs[55]. Il semble qu’à cette occasion de nouvelles lettres furent expédiées de Jérusalem, au nom des apôtres. Il se peut même qu’un exemplaire de ces lettres haineuses nous ait été conservé dans l’Épître de Jude, frère de Jacques, et comme lui « frère du Seigneur », qui fait partie du canon. C’est un factum des plus violents contre des adversaires innomés, qui sont présentés comme des rebelles et des gens impurs[56]. Le style de ce morceau, qui se rapproche beaucoup plus du grec classique que celui de la plupart des écrits du Nouveau Testament, a beaucoup d’analogie avec le style de l’Épître de Jacques. Jacques et Jude ignoraient probablement le grec ; l’Église de Jérusalem avait peut-être pour ces sortes de communications des secrétaires hellènes.

« Très-chers, pendant que j’employais tous mes soins à vous écrire concernant notre salut commun[57], je me suis vu forcé de vous adresser ce mot pour vous supplier de défendre la foi qui a été une fois pour toutes livrée aux saints. Car il s’est faufilé parmi nous certains hommes (impies prédestinés depuis longtemps à ce crime) qui changent la grâce de Dieu en orgie, et qui nient Jésus-Christ, notre seul maître et seigneur. Je veux vous rappeler, à vous qui savez tout, que Dieu, ayant sauvé le peuple de la terre d’Égypte, punit la seconde fois ceux qui furent incrédules ; que ceux des anges qui ne surent pas conserver leur rang et qui désertèrent leur propre séjour[58], Dieu les a mis en réserve pour le jugement du grand jour en des chaînes éternelles ; que Sodome, Gomorrhe et les villes voisines, qui forniquèrent comme les gens dont je parle et coururent après l’autre chair, sont étendues en exemple, subissant la peine du feu éternel. Semblablement ceux dont je parle souillent la chair en rêve, méprisent l’autorité, injurient les gloires[59]. Or, même l’archange Michel, quand il disputait avec Satan pour le corps de Moïse[60], n’osa pas l’injurier ; il lui dit seulement : " Que Dieu te punisse[61] ! " Mais ceux dont il s’agit blasphèment tout ce qu’ils ne savent pas, et ce qu’ils savent naturellement comme les animaux sans raison, ils s’y perdent. Malheur à eux ! car ils sont entrés dans la voie de Caïn ; ils se sont jetés pour de l’argent[62] dans l’erreur de Balaam[63] ; ils ont péri dans la révolte de Coré. Ce sont ces gens qui sont un écueil dans vos agapes, qui se gorgent sans vergogne, pasteurs qui se paissent eux-mêmes, nuages sans eau, menés çà et là par les vents ; arbres de fin d’automne, sans fruits, deux fois morts, déracinés ; flots sauvages de la mer, écumants de leurs propres hontes ; astres errants, auxquels est réservé pour l’éternité le gouffre des ténèbres. C’est d’eux qu’a prophétisé Hénoch, le septième patriarche depuis Adam : " Voilà que le Seigneur vient avec ses saintes myriades, pour faire le jugement contre tous et pour convaincre tous les impies des œuvres d’impiété qu’ils ont commises et des paroles dures qu’ils ont prononcées contre lui[64]. " Ce sont des grondeurs chagrins, marchant selon leurs désirs, dont la bouche est pleine d’emphase, faisant acception de personnes en vue de leur intérêt propre, des auteurs de schismes, des gens obéissant aux instincts de la vie animale, n’ayant pas l’esprit. Mais, vous, très-chers, souvenez-vous de ce que vous ont dit les apôtres de Notre-Seigneur Jésus-Christ : " Au dernier temps, paraîtront des railleurs, marchant selon leurs désirs impies… " »

Paul, à partir de ce moment, fut pour toute une fraction de l’Église un hérétique des plus dangereux, un faux juif[65], un faux apôtre[66], un faux prophète[67], un nouveau Balaam[68], une Jézabel[69], un scélérat qui préludait à la destruction du temple[70], pour tout dire en deux mots, un Simon le Magicien[71]. Pierre fut censé partout et toujours occupé à le combattre[72]. On s’habitua à désigner l’apôtre des gentils par le sobriquet de Nicolas (vainqueur du peuple), traduction approximative de Balaam[73]. Ce sobriquet fit fortune : un séducteur païen, qui eut des visions quoique infidèle[74], un homme qui engageait le peuple à pécher avec des filles païennes[75], parut le vrai type de Paul, ce faux visionnaire, ce partisan des mariages mixtes[76]. Ses disciples du même coup furent appelés nicolaïtes[77]. Loin d’oublier son rôle de persécuteur, on y insista de la façon la plus odieuse[78]. Son Évangile fut un faux Évangile[79]. C’est de Paul qu’il fut question, quand les fanatiques du parti s’entretinrent entre eux à mots couverts d’un personnage qu’ils appelaient « l’apostat[80] », ou « l’homme ennemi[81] », ou « l’imposteur », précurseur de l’Antechrist, que le chef des apôtres suit à la piste pour réparer le mal qu’il fait[82]. Paul fut « l’homme frivole », dont les gentils, vu leur ignorance, ont reçu la doctrine ennemie de la Loi[83] ; ses visions, qu’il appelait « les profondeurs de Dieu », on les qualifia « profondeurs de Satan[84] » ; ses Églises, on les appela « les synagogues de Satan[85] » ; en haine de Paul, on proclama hautement que les Douze seuls sont le fondement de l’édifice du Christ[86].

Toute une légende commença dès lors à se former contre Paul. On refusa de croire qu’un vrai juif eût pu commettre une noirceur comme celle dont on le trouvait coupable. On prétendit qu’il était né païen[87], qu’il s’était fait prosélyte. Et pourquoi ? La calomnie n’est jamais à court de raisons. Paul s’était fait circoncire, parce qu’il avait espéré d’épouser la fille du grand prêtre[88]. Le grand prêtre, en homme sage qu’il était, la lui ayant refusée, Paul, par dépit, se mit à déclamer contre la circoncision, le sabbat et la Loi[89]… Voilà la récompense qu’on obtient des fanatiques pour avoir servi leur cause autrement qu’ils ne l’entendent, disons mieux, pour avoir sauvé la cause qu’ils perdaient par leur esprit étroit et leurs folles exclusions.

Jacques, au contraire, devint pour le parti judéo-chrétien le chef de toute la chrétienté, l’évêque des évêques, le président de toutes les bonnes Églises, de celles que Dieu a vraiment fondées[90]. Ce fut probablement après sa mort que l’on créa pour lui ce rôle apocryphe[91] ; mais nul doute que la légende ne se soit dans ce cas fondée à plusieurs égards sur le caractère réel du héros. La parole grave et un peu emphatique de Jacques[92], ses façons qui rappelaient un sage du vieux monde, un brahmane solennel ou un antique mobed, sa sainteté d’apparat et d’ostentation, en faisaient un personnage de montre pour le peuple, un saint homme officiel, et déjà une sorte de pape. Les judéo-chrétiens s’habituèrent peu à peu à croire qu’il avait été revêtu du sacerdoce juif[93], et, comme l’insigne du grand prêtre juif était le pétalon ou lame d’or sur le front[94], on l’en décora[95]. « Rempart du peuple », avec sa lame d’or, devint ainsi une espèce de bonze juif, un grand prêtre d’imitation à l’usage des judéo-chrétiens. On supposa que, comme le grand prêtre, il entrait, en vertu d’une permission spéciale, une fois par an dans le sanctuaire[96] ; on prétendit même qu’il était de la race sacerdotale[97]. On soutint qu’il avait été ordonné par Jésus évêque de la ville sainte, que Jésus lui avait confié son propre trône épiscopal[98]. Les judéo-chrétiens firent croire à une bonne partie des gens de Jérusalem que c’étaient les mérites de ce serviteur de Dieu qui suspendaient la foudre prête à éclater sur le peuple[99]. On alla jusqu’à lui créer, comme à Jésus, une légende fondée sur des passages bibliques où l’on prétendit que les prophètes avaient parlé de lui en image[100].

L’image de Jésus dans cette famille chrétienne diminuait chaque jour, tandis que dans les Églises de Paul elle prenait de plus en plus des proportions colossales. Les chrétiens de Jacques étaient de simples juifs pieux, des hasidim, croyant à la mission juive de Jésus ; les chrétiens de Paul étaient bien des chrétiens dans le sens qui a prévalu depuis. Loi, temple, sacrifices, grand prêtre, lame d’or, tout leur est devenu indifférent : Jésus a tout remplacé, tout aboli ; attacher une valeur de sainteté à quoi que ce soit, c’est faire injure aux mérites de Jésus. Il était naturel que, pour Paul, qui n’avait pas vu Jésus, la figure tout humaine du maître galiléen se transformât en un type métaphysique bien plus facilement que pour Pierre et les autres qui avaient conversé avec Jésus. Pour Paul, Jésus n’est pas un homme qui a vécu et enseigné ; c’est le Christ qui est mort pour nos péchés, qui nous sauve, qui nous justifie[101] ; c’est un être tout divin : on participe de lui[102] ; on communie avec lui d’une façon merveilleuse[103] ; il est pour l’homme rédemption, justification, sagesse, sainteté[104] ; il est le roi de gloire[105] ; toute puissance au ciel et sur la terre va bientôt lui être livrée[106] ; il n’est inférieur qu’à Dieu le Père[107]. Si cette école seule nous avait transmis des écrits, nous ne toucherions pas la personne de Jésus, et nous pourrions douter de son existence. Mais ceux qui l’avaient connu et qui gardaient son souvenir écrivaient déjà peut-être vers ce temps les premières notes sur lesquelles ont été composés ces écrits divins (je parle des Évangiles) qui ont fait la fortune du christianisme, et nous ont transmis les traits essentiels du caractère le plus important à connaître qui fut jamais.

  1. I Thess., ii, 14.
  2. Act., xviii, 21, selon la leçon de Griesbach, qui est aussi celle du texte reçu. L’omission de ce passage s’explique ; son interpolation ne s’explique pas aussi bien. Il est vrai que Gal., i et ii, inclinerait à croire que Paul ne fit pas de voyage à Jérusalem entre sa deuxième et sa troisième mission. On peut à la rigueur douter de la réalité de ce voyage, comme de celui qui est rapporté Act., xi, 30 ; xii, 25. Mais il semble bien que l’auteur des Actes y croit ou veut y faire croire. Comp. xviii, 18.
  3. Jos., B. J., II, xv, 1.
  4. Act., xviii, 18. Κειράμενος ne peut se rapporter qu’à Paul, si l’on adopte pour le v. 21 la leçon de Griesbach. Pourquoi Aquila ferait-il ce vœu, puisqu’il ne va pas à Jérusalem ? Pourquoi du moins l’auteur des Actes en parlerait-il ?
  5. Act., xviii, 21, leçon de Griesbach.
  6. Act., xviii, 22. C’est ce qui résulte de l’emploi des deux expressions ἀναϐάς et κατέϐη (cf. Recognit., IV, 35), et surtout des versets 18 et 21.
  7. L’auteur des Actes semble craindre d’insister. Le texte pour toute cette partie est plein d’ambiguïtés et de lacunes.
  8. Gal., ii, 10.
  9. Cela résulte du silence que Paul garde sur ce voyage dans l’Épître aux Galates (voir surtout ii, 10-11).
  10. I Cor., ix, 5 ; Clém. Rom., Epist. I ad Cor., 5.
  11. Gal., ii, 7 et suiv.
  12. Gal., ii, 7, 11 et suiv.
  13. I Cor., ix, 5 ; Clém. d’Alex., Strom., VII, 11 ; Eus., H. E., III, 30.
  14. Papias, dans Eus., H. E., III, 39 ; Irénée, Adv. hær., III, i, 1 ; x, 6 ; Clément d’Alex., cité par Eus., H. E., II, 15 ; Tertullien, Adv. Marc., IV, 5.
  15. I Petri, v, 13. Si, comme on l’a supposé, le παροξυσμός de Act., xv, 39, répond à l’incident rapporté Gal., ii, 11 et suiv., il deviendrait d’autant plus naturel d’admettre que Pierre avait avec lui Jean-Marc à Antioche. C’est à Antioche d’ailleurs qu’un ἑρμηνευτής devait lui être le plus nécessaire.
  16. Homélies ou Récognitions pseudo-clémentines.
  17. Clém. Rom., I ad Cor., 5.
  18. Gal., ii, 11.
  19. En l’an 58, Pierre est absent de Jérusalem. Act., xxi, 18.
  20. Libanius, Antiochicus, p. 360-361 (Reiske).
  21. I Cor., ix, 5 et suiv.
  22. Cf. le Pasteur d’Hermas, vis. i et ii, Eusèbe, H. E., VII, 30 ; concile de Nicée, canon 3 ; loi d’Arcadius et d’Honorius, dans le Code Just., I, iii, 19 ; saint Jérôme, Epist. ad Eustochium, De cust. virg.
  23. Constit. apost., VI, 14 ; Clément d’Alex., cité par Eus., H. E., II, 1 ; Eus., ibid. ; II, 23 ; III, 22 ; IV, 5 ; VII, 19 ; saint Jér., In Gal., i, 19.
  24. Lettre de Clément à Jacques, en tête des Homélies pseudo-clémentines, titre ; homélie xi, 35.
  25. Gal., ii, 7 et suiv.
  26. Selon Épiphane (hær. lxxviii, 14), Jacques aurait eu quatre-vingt-seize ans à sa mort ; cette mort arriva l’an 62. Jacques serait donc né l’an 34 avant J.-C, ou trente ans environ avant Jésus, ce qui est bien difficile, si Jésus et lui étaient de la même mère.
  27. Voir Vie de Jésus, p. 24-25, 153-154. J’incline maintenant à croire que les « frères du Seigneur » provenaient d’un premier mariage de Joseph.
  28. Nous laissons en suspens la question de savoir si ce Jacques est identique à Jacques, fils d’Alphée, ou le Mineur, l’un des Douze. La question n’est pas de première importance pour notre sujet actuel, puisque, dans l’hypothèse de la distinction des deux personnages, Jacques, fils d’Alphée, l’apôtre, reste un personnage tout à fait obscur. Quant à Jacques, fils de Zébédée, ou Jacques le Majeur, sa personne se détache de ses homonymes avec une parfaite clarté.
  29. Voir ci-dessus, p. 60 et suiv.
  30. Épître de Jude, 8 et suiv.
  31. Gal., i, 7 ; ii, 12, etc. Comp. Act., xv, 1, 24. On montrera plus tard la suite de cette contre-mission dans les deux épîtres aux Corinthiens, et dans le rôle que l’auteur des Homélies pseudo-clémentines fait jouer à Pierre, rôle qui consiste à courir le monde sur les traces de Simon le Magicien pour contrecarrer sa prédication et réparer le mal qu’il fait. Voir surtout hom. ii, 17.
  32. Voir, par exemple, Œuvres de Saint-Simon et d’Enfantin, VII, p. 178 et suiv.
  33. C’est ce qu’on peut inférer de I Petri, v, 12. Mais l’identité du Silvain nommé à cet endroit et du compagnon de saint Paul est douteuse.
  34. Notez son rôle, Act., xv, 22 et suiv.
  35. Voir les Apôtres, introd.
  36. Gal., ii, 13, dans l’hypothèse où la rencontre de Pierre et de Paul à Antioche eut lieu en ce voyage.
  37. Titus disparaît après le retour de Paul à Antioche qui suivit le concile de Jérusalem. Il reparaît dans la troisième mission. Il est donc probable que Paul le reprit à Antioche en partant pour la troisième mission.
  38. Gal., ii, 11 et suiv. Cf. Homélies pseudo-clém., xvii, 19, et la lettre prétendue de Pierre à Jacques, en tête de ces homélies, 2. Il est plus naturel de placer l’incident en question à la présente date qu’au passage précédent de Paul à Antioche. L’arrangement de Jérusalem était alors trop récent. En outre, ce qui est dit au verset 13 semble supposer que Barnabé n’était plus sous l’influence de Paul, quand l’incident arriva. Des trois partis que l’on peut prendre pour accorder ici les Actes et l’Épître aux Galates : 1o transporter l’incident Gal., ii, 11 et suiv., dans l’intervalle de la première à la deuxième mission ; 2o nier le voyage de Jérusalem après la deuxième mission, malgré Actes, xviii, 18, 21, 22 ; 3o insérer ce voyage après Gal., ii, 10, quoique Paul n’en parle pas, ce dernier parti est encore le moins embarrassant. Quant aux différents moyens que les Pères, depuis Clément d’Alexandrie, ont imaginés pour excuser ou atténuer l’épisode d’Antioche, ils sont tous absolument gratuits, ne se fondant ni sur les textes ni sur aucune tradition particulière.
  39. Gal., ii, 12 ; I Cor., ix, 2 ; II Cor., iii, 1 et suiv. ; v, 12 ; x, 12, 18 ; xii, 11. Rapprochez τινὲς ἀπὸ Ἰακώϐου ;… χρῄζομεν ὥς τινες συστατικῶν ἐπιστολῶν ;… τῶν ὑπερλίαν ἀποστόλων.
  40. Comp. Gal., ii, 2.
  41. Comp. Apoc, ii, 2 ; xxi, 14.
  42. Récognitions pseudo-clém., IV, 34-35 ; comp. Homél., xi, 35, et l’attestation de Jacques (en tête des Hom.), 1 et 2. Cf. Act., xv, 22 et suiv., où l’auteur admet le principe de l’ἐπιστόλη συστατική, et en fait bénéficier son parti. Cf. Const. apost., II, 58.
  43. II Cor., xi-xii ; Apoc., ii, 2. Dans une rédaction des Acta Petri et Pauli, publiée par Thilo (Halle, 1837 et 1838), où la teinte ébionite est sensible encore, Pierre est informé par les évêques de la doctrine de Paul, et, reconnaissant que ce dernier a cessé d’être ennemi de la Loi, il lui donne son approbation (cf. Baur, Paulus, I, 260-261, 2e édit.). Dans la rédaction publiée par Tischendorf, § 60 (Acta Ap. apocr.), cette nuance est effacée.
  44. Exode, xxxiii, 11 et suiv. ; Nombres, xii, 6.
  45. Homélies pseudo-clém., xvii, 13-20.
  46. Gal., ii, 11 et suiv.
  47. Voir Vie de Jésus, p. 395-396. Comparez la légende Domine, quo vadis ? mentionnée pour la première fois d’une manière certaine par saint Ambroise, mais qui paraît bien plus ancienne. Cf. Origène, Comment. in Joh., tomus XX, § 12, édit. de La Rue.
  48. Gal., ii, 11 et suiv. Cf. le Κήρυγμα Παύλου cité par l’anonyme auteur du De non iter. bapt., parmi les Observationes de Rigault, à la suite des Œuvres de saint Cyprien, p. 139.
  49. Comp. Gal., vi, 13. Dans la pensée de saint Paul, personne n’est capable d’observer toute la Loi ; même ceux qui y sont le plus strictement attachés y manquent.
  50. Gal., ii, 11.
  51. Gal., i, 18 ; ii, 2. Cf. le Κήρυγμα Παύλου, l. c.
  52. Constit. apost., VII, 46.
  53. Homélies pseudo-clém., xvii, 19 ; Lettre de Pierre à Jacques, en tête de ces homélies, § 2.
  54. Homélies pseudo-clém., xvii, 13-19 (voir ci-dessous, p. 303-304, note 8) ; Irénée, Adv. hær., I, xxvi, 2 ; Clém. d’Alex., dans Eus., H. E., VI, 14 ; Eusèbe, Hist. eccl., III, 27 ; Épiphane, Adv. hær., xxx, 16, 25 ; saint Jérôme, De viris ill., 5 ; In Matth., xii, init. ; Primasius, dans la Max. Bibl. Patrum (Lugd.), X, p. 144. L’hostilité de Papias (Eus., H. E., III, 39) et d’Hégésippe contre saint Paul se laisse entrevoir. Cf. Photius, cod. ccxxxii, p. 288 (Bekker), où Hégésippe, comme l’auteur des Homélies, semble réfuter les prétentions de Paul à une révélation particulière. Notez cependant (dans Eus., H. E., III, 32 ; IV, 22) le système d’Hégésippe sur l’Église vierge, non souillée avant la mort de Jacques par des ἀκοαῖς ματαίαις. Il est vrai qu’il apporte lui-même, par εἰ καί τινες ὑπῆρχον, une restriction où saint Paul peut être compris. — Saint Justin même paraît avoir été peu favorable au grand apôtre. Il ne le nomme pas, et attribue aux Douze l’évangélisation des gentils. En un endroit (Dial. cum Tryph., 35 ; comp. I Cor., viii, x), il contredit directement l’apôtre. — Polycrate d’Éphèse ne cite pas non plus saint Paul. Dans la controverse de la Pâque, la seule autorité apostolique alléguée est celle de saint Jean.
  55. Voir l’épître aux Galates tout entière.
  56. Jud., 4, 7, 8, 10, 23. Remarquez le reproche de πορνεία ; c’est celui qui est toujours adressé à la doctrine de Paul. Comp. Jud., 7, et Apoc., ii, 14, 20.
  57. Il s’agit ici d’une plus longue épître, que nous n’avons pas.
  58. Allusion au passage Gen., vi, 1 et suiv., développé dans le livre d’Hénoch, c. vi et suiv.
  59. C’est-à-dire les apôtres de Jérusalem. On admettra facilement qu’il y a là une allusion à la scène racontée Gal., ii, 11 et suiv., si l’on songe qu’il est question de la même scène dans les Homélies pseudo-clémentines, xvii, 19.
  60. Allusion à un livre apocryphe intitulé « l’Assomption de Moïse ». Cf. Hilgenfeld, Novum Testamentiun extra canonem receptum, I, p. 95 et suiv.
  61. Jude oppose ici la modération relative de Satan à l’impertinence de Paul, qui a osé traiter Pierre de κατεγνωσμένος. Cf. Homélies pseudo-clém., xvii, 19.
  62. Cf. Act., viii, 18 et suiv. Voir ci-dessous, p. 514.
  63. Cf. Apoc., ii, 14, et II Petri, ii, 15.
  64. Hénoch, i, 9 (division de Dillmann).
  65. Apoc., ii, 9 ; iii, 9.
  66. Apoc., ii, 2.
  67. Apoc., ii, 20.
  68. Jud., 11 ; II Petri, ii, 15 ; Apoc., ii, 2, 6, 14-15.
  69. Apoc., ii, 20.
  70. Homél. pseudo-clém., ii, 17.
  71. Il n’est pas douteux que, sous le personnage de Simon le Magicien, l’auteur des Homélies pseudo-clémentines ne veuille désigner souvent l’apôtre Paul. Voir surtout hom. xvii, § 19 : ἀνθέστηκάς μοι et le passage Ἢ εἰ κατεγνωσμένον με λέγεις… sont une allusion évidente à Gal., ii, 11 et i, 16. Comp. aussi hom. xvii, 12-17, à I Cor., xii, 1 (ὀπτασίας, ἀποκαλύψεις) ; hom. ii, 17, à Act., xxi, 28. Les Homélies pseudo-clémentines parurent à Rome vers l’an 150 ou 160. Pour leur caractère d’hostilité contre Paul, voir surtout hom. ii, 17 ; iii, 59 ; vii, 4, 8 ; Recogn., IV, 36 ; épître de Pierre à Jacques (en tête des Hom.), 2 ; attestation (ibid.), 1.
  72. Homélies pseudo-clém., iii, 59.
  73. Comp. une étymologie analogue de Balaam : Talm. de Bab., Sanhédrin, 105 a. Une relation vague entre Balaam et Nicolas ou Onkelos se trouve même dans le Talmud : Bab., Gittin, 57 a (cf. Geiger, Jüdische Zeitschrift, 6e année, p. 36-37). Comparez le nom d’Armillus ou Ἑρμόλαος donné à l’Antechrist chez les juifs.
  74. Voir ci-dessus, p. 293-294.
  75. Nombr., xxxi, 16 ; Jos., Ant., IV, vi, 6. Pour les associations d’idées que les judéo-chrétiens établissaient autour de πορνεία, voir les passages de l’Apocalypse et de l’épître de Jude, précités (p. 303), sans oublier Act., xv, 20 ; xxi, 25, et Gal., v, 19-21. Voir ci-dessus, p. 90, 301-303, et ci-dessous, p. 367-369, 395 et suiv., 509. Cette πορνεία en relation avec Balaam est l’étincelle électrique qui fait suivre dans les ténèbres le courant de haine contre Paul.
  76. Plus tard, dans le judaïsme, Jésus (plus ou moins confondu avec Paul) fut quelquefois, autant qu’il semble, désigné à mots couverts sous ce même nom de Balaam. Mischna, Sanhédrin, xi, 1, et la Gémare de Jérusalem, correspondante ; Mischna, Aboth, v, 19 ; Siphré, vers la fin ; Talm. de Bab., Gittin, 57 a (cf. Geiger, Jüdische Zeitschrift, 6e année, p. 31 et suiv.).
  77. Apoc., ii, 6, 14-15.
  78. Récognitions, I, 70-71.
  79. Homél. pseudo-clém., ii, 17.
  80. Irénée, Adv. hær., I, xxvi, 2.
  81. Lettre de Pierre à Jacques, en tête des Homélies pseudo-clémentines, § 2. Cf. hom. xvii, 19.
  82. Hom., ii, 17 ; iii, 59.
  83. Lettre de Pierre à Jacques, § 2.
  84. Apoc., ii, 24 ; cf. I Cor., ii, 10.
  85. Apoc., ii, 9 ; iii, 9.
  86. Apoc., xxi, 14 ; cf. xviii, 20.
  87. Allusion à ceci : Apoc., ii, 9 ; iii, 9. Cf. II Cor., xi, 22 ; Phil., iii, 5.
  88. Comp. Masséket Gérim, c. i (édit. Kirchheim).
  89. Epiph., hær. xxx, 16.
  90. Hégésippe dans Eus., H. E., II, 23 ; Lettre de Clément à Jacques, en tête des Homélies pseudo-clémentines, titre ; Épiph., hær. xxx, 16 ; lxxviii, 7.
  91. Il exista sûrement une légende ébionite de saint Jacques, dont Hégésippe et saint Épiphane nous ont conservé la substance et des extraits.
  92. L’épître qu’on lui attribue a bien ce caractère.
  93. Épiph., hær. xxxix, 4 ; lxxviii, 13.
  94. Exode, xxxix, 6.
  95. Épiph., hær. xxix, 4 ; lxxviii, 14. Jean, devenu après la mort des autres apôtres le grand prêtre des judéo-chrétiens, fut décoré du même insigne. Polycrate, dans Eusèbe, H. E., III, 31 ; V, 24 ; passage qui empêche de regarder ce que dit Épiphane du πέταλον de Jacques comme une pure fable judéo-chrétienne.
  96. Hégésippe, dans Eus., H. E., II, 23 ; Épiph., hær. xxix, 4 ; lxxviii, 13.
  97. Épiph., hær. lxxviii, 13.
  98. Récognit. pseudo-clém., I, 43 ; Constit. apost., VIII, 35 ; Eusèbe, H. E., VII, 19 ; Épiph., hær. lxxviii, 7 ; Jean Chrys., hom. xxxviii in I Cor., xv, 7, p. 355 de l’édit. de Montfaucon.
  99. Hégésippe et Épiphane, endroits cités. Comp. le passage sur saint Jacques, prêté à Josèphe par Origène, Eusèbe et saint Jérôme (Eus., H. E., II, 23). Voir ci-dessus, p. 80, note 4.
  100. Voir ci-dessus, p. 78, note 1.
  101. I Cor., iv, 4.
  102. I Cor., i, 9.
  103. I Cor., x, 16 et suiv. ; xi, 23 et suiv.
  104. I Cor., i, 30.
  105. I Cor., ii, 8.
  106. I Cor., xv, 21 et suiv.
  107. I Cor., xv, 27-28.