Sang-Maudit (Pont-Jest)/29

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VII

Pierre Méral devient plagiaire, et Marius Pergous retrouve, sans s’y attendre, une vieille connaissance.



L’inflammable Marius était prisonnier depuis quatre ou cinq jours, ainsi que nous venons de le dire, et il cherchait vainement à s’expliquer les causes de cette détention d’autant plus singulière qu’on ne lui posait aucune condition pour y mettre un terme, lorsque son geôlier lui répondit un matin, à propos du menu fort, modeste qu’il lui faisait pour son déjeuner :

— Toujours à vos ordres, cher monsieur ; seulement je n’ai plus le sou.

— Ah ! fit l’ex-avoué ; eh bien ! prenez de mon argent.

— De votre argent ! aimable monsieur Pergous, mais c’est votre argent dont il ne me reste plus rien. Est-ce que vous pensiez que nous vous nourrissions gratis ? Il n’y a que l’État qui se conduise ainsi avec ses pensionnaires. Oh ! mes comptes sont en règle, voyez vous-même.

Pierre présentait à son hôte forcé, sur une immense feuille de papier, une note qui faisait moins d’honneur à son talent de calligraphie qu’à son aptitude pour la multiplication.

Les moindres denrées y étaient cotées à des prix fabuleux : les œufs, vingt francs la douzaine ; les côtelettes, trois francs chacune ; le vin, dix francs la bouteille. De plus, depuis quatre jours, l’amoureux de Clarisse se trouvait avoir dévoré de quoi nourrir dix personnes.

Aussi, perdant patience au premier examen de cet étrange mémoire, s’écria-t-il :

— Est-ce que vous vous moquez de moi ? Est-ce que j’ai mangé et bu tout cela ?

— Et nous, cher monsieur, nous, répondit le bossu en souriant, devons-nous donc mourir de faim ? Mon Dieu, ce n’est pas pour moi que je parle, un rien me suffit, surtout en ce moment que le devoir me retient près de vous, c’est-à-dire loin d’une jeune et jolie personne que j’aime et qui m’adore ; mais mon ami, qui n’a pas de peines de cœur, est une superbe fourchette. Et un verre ; ah ! cher monsieur, quel verre !

— Tout cela est d’un prix stupide.

— Je reconnais que c’est un peu cher ; mais vous ne vous imaginez pas combien tout a augmenté dans le pays où nous sommes. De plus, les communications sont très difficiles ; il faut aller loin, fort loin, et dame ! pendant toute la longue route qu’elle doit parcourir, notre cuisinière a joliment le temps de faire danser l’anse du panier. Je me demande même comment cette anse-là tient encore ! Ah ! les domestiques !

— Je voudrais bien que vous ne me prissiez pas pour un imbécile.

— Oh ! pouvez-vous croire !

— Allons, avouez tout simplement que vous voulez me faire chanter. Vous savez bien que je n’ai pas d’argent, puisque vous m’avez tout pris.

— Tout ce que vous aviez dans vos poches, c’est vrai ; mais là-bas, rue du Four-Saint-Germain, on m’a dit que vous aviez un sac énorme.

— On vous a trompé. D’ailleurs vous ne supposez pas que je vais vous donner la clé de ma caisse.

— Je l’ai, cher monsieur, je l’ai, et même celle de votre porte.

Pergous eut un frisson.

Pierre lui avait, en effet, pris ses clefs en même temps que son argent. Ne pensant pas toutefois que le misérable oserait s’introduire dans sa maison, il lui répondit :

— Eh bien, allez chez moi !

— Non pas, quoique ce ne serait, point là un vol avec effraction, passible de l’article 381.

— Ah ! vous connaissez bien votre Code.

— J’ai beaucoup voyagé et, vous le savez, les voyages forment l’esprit. Je pourrais donc, avec une certaine sécurité, me servir de vos clefs ; cependant je préfère autre chose.

— Quoi ?

— Vous avez confiance en ce bon monsieur Philidor ?

— Oui. Après ?

— Procédons par ordre. Vous avez confiance en ce bon monsieur Philidor ?

— Oui, mais que vient-il faire ici ?

— Dans un petit mot que vous lui écrirez, vous lui direz de me remettre… voyons, combien ? Mille, deux mille, trois mille ; oui, trois mille francs.

— Trois mille francs !

— Je crois que cette somme suffira ; et, comme je lui apporterai la clef de votre caisse, la chose marchera toute seule. Je n’oublierai pas de rassurer votre fidèle secrétaire à l’égard de votre santé.

— Jamais !

— Alors vous ne voulez pas déjeuner ?

— Vous avez donc lu les œuvres d’Alexandre Dumas ?

Si étrange que fût cette question de la part d’un homme dans la situation de Pergous, elle ne causa aucune surprise à Pierre, qui était vraiment plein d’humour.

Aussi répondit-il en souriant :

— Non seulement je connais les principaux romans de M. Alexandre Dumas, mais j’ai même eu l’honneur de voir le grand romancier, il y a quelques années. Il était venu visiter, dans le Midi, une ville où je demeurais à cette époque.

— Toulon, probablement, fit l’agent d’affaires. Si M. Dumas y retournait un jour, il pourrait bien vous y retrouver.

— Non, le climat de ce pays ne m’est pas sain ; je ne compte pas y séjourner jamais de nouveau. Mais pourquoi me demandiez-vous si j’avais lu les romans de M. Dumas ?

— Parce que le rôle que vous jouez est tout entier dans Monte-Cristo.

— Vous croyez ?

— Arrêté par le bandit Luigi Vampa, le banquier Danglars dut débourser tout ce qu’il avait d’argent pour acheter de quoi manger.

— Tiens, c’est vrai ! Je me souviens parfaitement de cet épisode, et cela me flatte beaucoup, car je n’y avais pas songé un instant en faisant mes comptes.

— Et si je refuse d’écrire à mon clerc ?

— J’en serais désolé ; monsieur ne pourrait ni déjeuner ni dîner.

— Vous ne me laisserez pas mourir de faim, car, si vous me gardez, c’est que je dois vous être bon à quelque chose.

— Certes non, vous ne mourrez pas de faim, seulement vous ne recevrez qu’une ration de prisonnier.

— Cette ration me suffira !

Comme pour prouver qu’il ne céderait pas, Pergous se jeta sur son lit.

— Oh ! nous le verrons bien, grommela le bossu en s’en allant.

Quelques instants après, il revenait poser bruyamment sur la table un morceau de pain et une carafe d’eau.

L’agent d’affaires affecta de ne le voir ni de l’entendre, et seulement dans l’après-midi, ne pouvant lutter plus longtemps contre les tiraillements de son estomac, il tâta de son repas d’anachorète.

Mais le pain datait de plusieurs jours et l’eau était saumâtre. L’affamé put à peine avaler quelques bouchées de l’un et une gorgée de l’autre.

— Tiens, vous n’avez pas faim, dit Méral, lorsqu’en entrant dans la chambre de sa victime, vers six heures du soir, il aperçut le morceau de pain à peine entamé.

L’ex-avoué, qui arpentait à grands pas sa prison, avait bien envie, au lieu de répondre à son bourreau, de lui sauter à la gorge ; mais il avait remarqué, dès le premier jour, les larges épaules de cet être difforme, dont la vigueur devait être peu commune.

Il s’efforça donc de répondre avec calme :

— Si vous voulez que je mange et que je boive, il faut me donner du pain moins dur et de l’eau plus propre.

— Ah ! dame, fit Pierre, le boulanger ne passe pas tous les jours. Quant à l’eau, c’est la seule qu’il y ait ici. J’avoue qu’elle n’est pas fameuse ; aussi, moi, je n’en mets jamais dans mon vin. Pourquoi n’êtes-vous pas raisonnable ?

— Je n’écrirai pas ; je vous l’ai déjà dit.

— À votre aise et bonsoir. Demain vous serez peut-être plus sage.

Et le misérable se retira, non pas en haussant les épaules, ce mouvement lui était interdit, mais en dodelinant sa tête hérissée.

Pergous passa une nuit terrible ; pour la première fois de sa vie, il sentit le supplice de la faim, car il essaya vainement de toucher au pain qui était resté sur sa table, et, pendant son insomnie, partagé entre le besoin et son avarice, il conçut mille projets de révolte.

Celui dont l’exécution lui paraissait assez facile était tout simplement de surprendre son gardien et de lui sauter à la gorge, avant qu’il ait eu le temps de se mettre sur la défensive.

L’ex-avoué, qui était robuste, pensait que de cette façon il aurait aisément raison du bossu ; il resterait, il est vrai, son compagnon, mais d’abord il pourrait se faire que celui-ci ne fût pas dans la maison, et ensuite un homme peut toujours lutter contre un seul adversaire.

Ainsi décidé à tout risquer pour reprendre sa liberté et ne pas donner son argent, l’intéressant Marius se leva au petit jour et vint se blottir contre la porte.

Il était là, depuis plus d’une heure, lorsqu’il entendit enfin l’escalier résonner sous des pas qu’il connaissait bien.

En effet, quelques secondes plus tard, une clef était introduite dans la serrure ; mais, au moment où le prisonnier se préparait à s’élancer sur l’arrivant, le guichet s’ouvrit et Pierre, car c’était lui, cria de sa voix suraiguë, après avoir parcouru la chambre du regard :

— Comment, cher monsieur Pergous, déjà levé ! Où êtes-vous donc ? Vous ne répondez pas ?

L’agent d’affaires s’en gardait bien. Collé contre la muraille, il se faisait le plus mince possible, dans l’espoir que, ne le voyant pas, son geôlier se déciderait à entrer.

Mais le bossu, cheval de retour dans toute l’acception du mot, était difficile à prendre à quelque piège que ce fût. Il eut aussitôt l’intuition qu’il se tramait, dans cette chambre silencieuse, quelque chose contre lui.

Aussi, loin de se presser d’y pénétrer, reprit-il :

— Je vous préviens, cher monsieur, que je n’entrerai pas avant de vous avoir vu de loin, là-bas, en face, à côté de la fenêtre. Allons, pas de bêtises, ou je ne reviendrai que demain.

Comprenant que sa ruse était éventée et préférant en terminer tout de suite avec sa situation ridicule, Marius se dirigea vers la fenêtre, en disant :

— Suis-je donc obligé de me tenir plutôt à un endroit qu’à un autre ? Alors faites-moi attacher.

— Non pas, je désire tout simplement vous voir, pas autre chose.

Et il entra immédiatement.

Il portait un énorme panier qu’il posa près de la table et dont il se mit à extraire un pâté, un poulet froid, deux bouteilles cachetées, du fromage, des fruits et un flacon d’eau-de-vie.

— Eh bien ! dit-il à sa victime qui le regardait faire avec stupéfaction, êtes-vous plus sage que ce matin ?

Sans répondre, le prisonnier haussa les épaules.

— Tant pis, poursuivit Pierre, car je vous aurais invité à partager mon déjeuner. Vous ne voulez pas ? Alors je vais manger tout seul.

Méral se mit à table, en effet, mais en plaçant auprès de son assiette, à la portée de sa main, son revolver tout armé. Puis, cela fait, il commença son repas en éventrant le pâté et en débouchant une des bouteilles.

Accoudé sur la fenêtre, le patron de Philidor s’efforçait d’échapper à ce supplice de Tantale qui lui était infligé, mais il avait beau faire, son gardien le rappelait à la triste réalité par sa mastication bruyante et ses soupirs de satisfaction.

— Quel fumet ! murmurait-il, comme s’il ne se parlait qu’à lui-même ; quel parfum !

Il engouffrait tranche de pâté sur tranche de pâté ; il avalait verre de vin sur verre de vin.

Cela dura près d’une demi-heure, pendant laquelle Pergous tint bon, mais le grand air qu’il respirait à pleins poumons excitait encore son appétit, son estomac le suppliait, la tête lui tournait, des bouffées de colère lui montaient au cerveau.

Enfin, il perdit patience et, se retournant brusquement vers son bourreau, il lui dit d’une voix étranglée, en dévorant des yeux ce qui restait sur la table :

— Vous auriez pu, du moins, ne pas déjeuner ici.

— Eh ! oui, certes, cher monsieur, répondit l’ex-forçat, en étendant négligemment la main sur son revolver ; mais, que voulez-vous, j’aime la société des gens distingués, et j’espérais que vous me feriez l’honneur de partager mon repas. C’est tout à fait, mais, là, tout à fait à votre intention que j’ai augmenté mon ordinaire. Est-ce que vous croyez que je mange ainsi d’excellentes choses et que je bois de ce délicieux vin tous les jours ? Que non pas, que non pas ! Vraiment vous n’êtes pas raisonnable !

— Taisez-vous, misérable ! gronda le prisonnier dont les yeux s’injectaient.

Et, comme il avait fait un pas en avant, Pierre souleva son pistolet en répondant :

— Des gros mots ! Vous feriez mieux de griffonner deux lignes à ce bon M. Philidor et de venir ensuite vous asseoir là, gentiment, près de moi. Oh ! je n’ai pas mangé votre part ; je n’ai pas touché au poulet et il y a encore une bouteille pleine.

C’en était trop pour le malheureux.

— Soit ! gémit-il, je vais écrire !

En disant ces mots, il se dirigea vivement vers la commode où Pierre, avant de mettre son couvert, avait placé le papier et l’encre.

— À la bonne heure ! s’écria Méral, mais sans toutefois le perdre de l’œil. Que diable ! un homme intelligent ne se laisse pas mourir de faim pour quatre ou cinq mille francs.

— Vous avez dit trois mille, fit Pergous en se retournant.

— C’est hier que j’ai dit trois mille francs ; mais depuis hier j’ai relu dans Monte-Cristo, que vous avez eu la bonté de me rappeler, ce délicieux épisode de l’aventure de Danglars, et, ma foi ! ça m’a donné l’idée d’agir envers vous comme Luigi Vampa envers le banquier parisien. Voilà pourquoi ce n’est plus trois mille francs aujourd’hui, mais quatre mille. Demain ce sera cinq.

— Alors je n’écrirai rien.

— Ne dites pas de bêtises. Si vous n’écrivez pas aujourd’hui, vous écrirez demain, et ça vous coûtera mille francs de plus. Voyons, avouez que je suis bon enfant. Si je le voulais, vous me donneriez ce soir le double en échange d’une aile de poulet et d’un verre de bordeaux.

— Voilà votre affaire, reprit l’ex-avoué pour toute réponse, car il sentait, aux tiraillements de son estomac, que le monstre disait la vérité.

— Fort bien, cher monsieur, fit Pierre après avoir pris connaissance de la lettre ; ma foi, je n’ai plus faim. À vous à festoyer ; moi, je me sauve. Ne vous donnez pas d’indigestion, au moins !

Cette flèche du Parthe lancée, le frère de Jeanne Reboul laissa le champ libre à sa victime, courut à la porte, l’ouvrit et, après l’avoir refermée à double tour, descendit l’escalier plus lestement qu’on ne pouvait l’attendre de son étrange structure.


Ses regards s’arrêtèrent d’abord sur celle des deux visiteuses qui était élégante et jeune.

 

— C’est fait ! cria-t-il à Manouret, qui fumait philosophiquement sa pipe sur un banc du jardin. Ouvre l’œil ; dans deux heures, je serai de retour avec les écus.

Claude applaudit d’un sourire et son complice s’élança hors de la maison.

Quant à Pergous, à peine seul, il s’était attablé pour réparer ses deux jours de diète.

Quatre mille francs un restant de pâté, un poulet et une bouteille de bordeaux, c’était cher ; mais nous pouvons affirmer que l’avare n’y pensa pas tout d’abord ; il n’y songea que lorsque son appétit fui apaisé, et il y songea alors avec des larmes de colère et des idées de vengeance.

Pendant ce temps-là, Méral gagnait rapidement Joinville-le-Pont, car c’était bien dans une des îles voisines de cette station chère aux canotiers que l’agent d’affaires avait été amené.

Là, il prit le train pour Paris.

Il connaissait parfaitement la maison de l’ex-avoué, mais il n’y était jamais entré.

C’était par un commissionnaire que Philidor avait reçu le billet dans lequel son patron lui annonçait son voyage.

Le brave garçon ne s’était permis, à cette nouvelle, aucune réflexion ; il en avait fait part à Victoire, ce qui lui avait permis de voir Marie et d’échanger quelques mots avec elle ; puis, en employé obéissant et zélé, il s’était occupé activement des affaires en cours.

Le lendemain et les jours suivants, tout fier d’être par intérim chef de maison, il accourut à son bureau plus tôt encore que de coutume ; et pendant quarante-huit heures, le travail lui fit un peu oublier son maître ; mais lorsque quatre grandes journées se furent écoulées, il commença à s’étonner de ne pas recevoir une seconde lettre.

Le brave secrétaire était dans cette disposition d’esprit quand la domestique vint un matin lui annoncer qu’un inconnu désirait lui parler de la part de M. Pergous.

— Faites entrer immédiatement, ordonna-t-il à Victoire.

Mais, à la vue de Pierre, il ne put retenir un mouvement de stupeur.

Méral, tout en s’apercevant de l’effet qu’il produisait, n’en garda pas moins son étrange sourire aux lèvres.

— Monsieur Philidor ? dit-il poliment, en s’inclinant autant que le lui permettait sa construction hétéroclite.

— C’est moi, répondit le premier clerc.

— Je vous aurais reconnu de suite, rien qu’au portrait que m’a fait de vous ce cher M. Pergous, qui semble vous aimer beaucoup. Philidor, me disait-il encore hier soir en dînant avec moi, est un honnête garçon dans lequel j’ai pleine et entière confiance ; portez-lui cette lettre ; il suivra avec empressement mes instructions. Ne craignez pas de le prendre pour confident ; il est aussi discret que dévoué.

Intérieurement flatté, quoique fort inquiet de l’air mystérieux du bossu, l’employé prit la lettre qu’on lui tendait, et, après l’avoir attentivement lue et relue, il dit à son visiteur :

— Il m’est impossible d’obéir à M. Pergous : il me charge de vous remettre quatre mille francs, et je n’ai pas la clef de sa caisse.

— La voici, cher monsieur Philidor, fit Méral, en présentant cette clef d’un geste gracieux, la voici !

Le maigre et long clerc marchait de surprise en surprise.

— Qu’est-il donc arrivé ? demanda-t-il.

— M. Pergous a pour vous une telle estime que je crois pouvoir ne vous rien cacher, répondit Pierre, en parcourant du regard la pièce où il se trouvait, comme s’il craignait qu’une de ses paroles ne tombât dans quelque oreille indiscrète. Eh bien ! voici ce dont il s’agit : Vous avez entendu parler de l’Internationale ?

— Non, jamais !

— Voilà ce que c’est de vivre loin des soucis politiques ! Que vous êtes heureux ! L’Internationale est une association qui a pour but l’émancipation des travailleurs, le bonheur du peuple, la liberté pour tous, la république universelle. Votre patron est un de ses chefs.

— M. Pergous ! lui, un homme d’affaires !

— Et un savant ! Oh ! l’Internationale se recrute dans tous les rangs de la société. Auprès de modestes frères tels que moi, il s’y trouve des hommes célèbres, des écrivains illustres. Dans quelques années, elle s’étendra dans l’Europe entière. Son siège est en ce moment à Londres, et c’est parce qu’il a besoin de se rendre en Angleterre pour s’entendre avec le grand Conseil que M. Pergous demande de l’argent.

Si surpris qu’il fût de ces révélations, car il ne s’était jamais aperçu que son maître s’occupât de politique, et tout ému de la marque de confiance qui lui était donnée, Philidor ouvrit la caisse et y prit en tremblant quatre rouleaux de mille francs, qu’il laissa tomber dans la main crochue du bizarre envoyé.

— Avez-vous quelque communication à faire à ce cher M. Pergous ? demanda le bossu en faisant disparaître la somme avec une rapidité de prestidigitateur ; je m’en chargerai volontiers. Aussi bien que vous, je lui suis dévoué.

— Non, répondit le pauvre diable ; dites-lui seulement que j’exécute religieusement ses ordres, à l’égard des affaires, et que j’attends son retour avec impatience. Quand reviendra-t-il ?

— Je ne saurais vous fixer une date certaine. Son séjour plus ou moins long à Londres dépendra des événements ; il durera peut-être environ huit, dix ou quinze jours. Surtout, pas un mot à qui que ce soit ! Les circonstances sont graves ; la moindre indiscrétion pourrait nous envoyer à Cayenne, et on y est fort mal. Je vous en parle par expérience, moi qui, à la suite du coup d’État, dont j’ai été une des victimes, ai passé là-bas une dizaine d’années. Ah ! la politique, cher monsieur, quelle terrible chose ! Ne vous y fourrez jamais !

En disant cela avec un accent de sympathie admirablement jouée, le monstre avait tendu la main au premier clerc qui, rempli de respect pour un homme qui courait de semblables dangers, voulut le reconduire jusqu’à l’escalier.

Inutile d’ajouter que Pierre n’avait pas oublié de reprendre la clef de la caisse en se disant in petto qu’on ne savait pas ce qui pouvait arriver.

Au moment où Philidor allait rentrer dans son bureau, il aperçut Marie qui sortait de l’appartement. Saisissant alors l’occasion qui lui était offerte, il s’approcha de la jeune fille pour lui donner des nouvelles de son protecteur.

— Je vous remercie, répondit Marie ; j’étais également inquiète de l’absence de M. Pergous.

— Vous l’aimez bien ?

— Je lui dois une grande reconnaissance ; j’étais seule, abandonnée, il m’a recueillie. Que serais-je devenue sans lui ? Que deviendrais-je s’il me manquait ?

— Vous oubliez, mademoiselle, ce que j’ai osé vous dire en vous accompagnant à la Salpêtrière : que je vous suis tout dévoué : que, comme vous, je suis sans famille et que je donnerais ma vie pour vous être utile.

On ne saurait exprimer le ton de bonté, de douceur et de sacrifice avec lequel Philidor avait prononcé ces mots.

— Vous êtes un brave garçon, répondit, très émue, la fille de Lucie ; c’est Dieu qui m’a envoyé un frère tel que vous.

— Alors, si vous avez jamais un ennui, un chagrin, c’est à moi que vous vous adresserez, à moi seul ?

— Je vous le jure !

Marie lui tendit sa petite main ; il la prit en tremblant et ajouta :

— Oh ! merci, mademoiselle ; je vous aime tant ! Lorsque je vous rencontre, lorsque je vous vois, cela me fait un si grand plaisir ! J’oublie que je suis laid, que je suis pauvre ; je me dis que je ne suis plus seul au monde, que quelqu’un s’intéresse peut-être à moi. C’est si bon de ne plus se sentir isolé au milieu de tous !

Marie ne retirait pas sa main ; ses grands yeux attachés sur le visage de son ami exprimaient autant de trouble que de reconnaissance.

On eût dit que l’esprit de la chaste enfant venait tout à coup de s’ouvrir à l’intelligence de certains mots qu’elle n’avait pas compris jusqu’alors, et qu’elle éprouvait en même temps de la surprise et une espèce de frayeur.

Le bon Philidor lut tout cela sans doute sur la physionomie de la jeune fille, car il abandonna brusquement sa main et se sauva dans son bureau en murmurant :

— Son frère ! n’est-ce pas trop heureux encore qu’elle me donne ce nom !

Et le malheureux, s’affaissant sur sa chaise, laissa tomber sa tête entre ses mains, puis se mit à pleurer.

Pendant ce temps, Marie, toute soucieuse, rentrait dans l’appartement. Méral, lui, reprenait la route de Joinville-le-Pont.

Lorsqu’il y arriva, Pergous, qui ne pouvait avoir pour son bourreau la reconnaissance de l’estomac, le reçut fort mal, non seulement parce qu’il se rappelait l’humiliation qu’il avait subie, mais encore parce qu’il le savait possesseur d’une somme de quatre mille francs sur laquelle, à un taux usuraire, il allait prélever sa nourriture de chaque jour.

— Vous avez tort, cher monsieur, dit Pierre, pour répondre aux reproches de son prisonnier, ce brave Philidor était fort inquiet et je l’ai rassuré. Je crois même que, grâce au motif que je lui ai donné pour expliquer votre absence, son admiration pour vous n’a fait qu’augmenter.

— Ah ! que lui avez-vous donc raconté ?

— Que vous étiez appelé à Londres par des affaires politiques de la plus grande importance.

— Philidor vous a cru ?

— Sans hésitation !

— Il est encore bien plus bête que je ne le pensais ! Mais peu importe ce que vous avez fait à Paris. Maintenant que vous m’avez arraché quatre mille francs, allez-vous au moins me dire combien de temps je resterai ici ?

— Je l’ignore moi-même.

— Alors épargnez-moi vos visites.

Et, furieux, décidé à ne plus questionner cet être difforme qui semblait se jouer de lui, Pergous lui tourna le dos.

En effet, lorsque Méral, en montant le dîner de son pensionnaire, lui adressa la parole, l’agent d’affaires ne lui répondit pas.

Sept ou huit jours s’écoulèrent ensuite sans que les rapports du prisonnier et du gardien devinssent meilleurs, et Pergous commençait à subir les atteintes d’une véritable hypocondrie, quand un matin Méral apparut, le visage souriant.

— Allons, dit-il à l’ex-avoué, soyez gentil, ne boudez plus ; vous retournerez peut-être à Paris aujourd’hui.

— Si c’est là une nouvelle plaisanterie de votre part, fit Marius en haussant les épaules…

— Rien n’est plus vrai, au contraire, et comme j’ai, quoi que vous en pensiez, beaucoup d’amitié pour vous, je vous annonce une visite, afin que vous fassiez un bout de toilette pour paraître avec tous vos avantages.

— Une visite ?

— Une dame, s’il vous plaît, et superbe, je vous l’affirme, quoique je ne l’aie vue que de loin ; mais je m’y connais. Ainsi, déjeunez de bon appétit et préparez-vous à faire les honneurs de votre appartement. J’espère que vous ne vous plaindrez pas de moi. Nous avons bien eu un petit moment de brouille, mais, tenez, quel festin ! Je veux que vous emportiez de votre séjour ici un bon souvenir.

— Une femme ! pensa Pergous, une femme ! Je supposais bien qu’il y en avait une au fond de cette mésaventure. Qui ça peut-il être ? À moins que ce ne soit celle qui a intérêt à ce que le mystère de l’hôtel de Rifay reste secret ? Ah ! madame, ce que j’ai souffert dans ce taudis et mon silence vous coûteront cher ! Mais pourquoi m’a-t-elle fait arrêter ? Enfin je le saurai bientôt, si cet animal m’a dit la vérité. En attendant, déjeunons.

Pour la première fois, certainement, depuis qu’il était enfermé, l’agent d’affaires prit place à table presque gaiement et mangea avec plaisir.

Il y avait déjà près d’une heure que son repas était terminé, et il se tenait accoudé sur la fenêtre, le cigare aux lèvres, cherchant toujours la solution de l’énigme dont il était la victime, lorsqu’il entendit ouvrir la porte de sa chambre.

Il se retourna, mais, au lieu du bossu qu’il croyait voir, il aperçut un homme qu’il ne connaissait pas et qui s’effaça pour livrer passage à deux femmes.

Ses regards s’arrêtèrent d’abord sur celle des deux visiteuses qui était élégante et jeune, puis, allant ensuite à la seconde qui était plus âgée et moins bien vêtue, il s’écria :

— Françoise ! Toi ! Vous, ici !

— Laissez-nous, dit la première des nouvelles venues à l’individu qui les accompagnait et n’était autre que Justin Delon, mais tenez-vous dehors, sur le palier, quoique je suis persuadée que, monsieur et moi, nous allons nous entendre à merveille.

L’ex-intendant de la Marnière se hâta d’exécuter cet ordre et, dès qu’il eut fermé la porte, la jeune femme dit à l’ex-avoué, en se rapprochant de lui :

— Me reconnaissez-vous, monsieur Pergous ?

— Non, répondit celui-ci, en interrogeant des yeux la Manouret, qui semblait destinée à ne jouer dans cette scène qu’un personnage muet.

— Vous avez alors moins de mémoire que je ne le supposais, reprit l’inconnue.

— Je ne vous comprends pas, madame.

— Rappelez-vous l’hôtel Molière.

— L’hôtel Molière ? Ah ! oui, je me souviens : Mademoiselle Jeanne Reboul !

— Parfaitement. Je vois qu’il n’y a qu’à vous mettre sur la trace.

— En quoi mademoiselle Reboul est-elle pour quelque chose dans mon arrestation arbitraire ?

— Vous allez le savoir.

En disant ces mots, Mme  de Ferney s’était assise sur une des deux chaises qui composaient tout le siège de l’appartement, et, du geste, elle avait invité Pergous à l’imiter.

L’ex-avoué obéit machinalement.

Quant à Françoise, elle restait debout, appuyée contre la fenêtre, ses regards fuyant ceux du prisonnier.

— Monsieur, reprit Jeanne, quelle date est-ce aujourd’hui ?

— Quelle date ? demanda l’agent d’affaires stupéfait de cette question. Dame ! autant que je puis compter exactement, si long que le temps m’ait paru ici, nous sommes le 20.

— Oui, c’est aujourd’hui le 20, mais de quel mois, de quelle année ?

— Parbleu ! du mois de novembre 1867.

— C’est bien cela. Or, M. de Ferney est mort le 20 novembre 1857.

— M. de Ferney ?

— M. de Ferney, le père de l’enfant dont le corps a été trouvé sous le parquet de l’hôtel de Rifay, il y a un mois à peu près.

— Eh bien ?

— Vous ne comprenez pas ?

— Non !

— Rien, cependant n’est plus simple. Cet enfant n’a pu être enseveli là qu’après le départ des personnes qui habitaient l’hôtel à cette époque ; donc, il y a eu aujourd’hui, à midi, dix ans au moins que cette inhumation illégale a eu lieu.

— Ou le crime, madame ; car cette petite fille a été mise habillée dans la caisse.

— Vous me prouvez, par ces détails, que vous avez examiné cette caisse avec le plus grand soin ; donc les personnes qui tiennent à ce que rien de tout cela ne soit révélé ont eu raison d’agir à votre égard ainsi qu’elles l’ont fait.

L’ex-avoué se mordit les lèvres : il s’était trahi et reconnaissait, au calme et au ton de son interlocutrice qu’il avait en elle un adversaire redoutable.

Décidé alors, puisqu’il avait démasqué son jeu, à jouer carte sur la table, il reprit franchement :

— C’est possible qu’on ait eu raison de me retenir prisonnier, mais je n’en suis pas moins maître de ce secret et…


Le misérable s’aperçut alors de nouveau que cette jeune fille était jolie.


— Secret bien inutile aujourd’hui à celui qui le possède, interrompit Jeanne ; je viens de vous dire qu’il y a dix ans.

— Ah ! nom d’un nom ! jura Pergous en bondissant de son siège, le poing serré et l’œil menaçant.

Il avait enfin compris.

Ce mouvement de colère ne parut émouvoir en rien Mme  de Ferney.

— Vous avez saisi. C’est bien heureux ! reprit-elle, sans rien perdre de son sang-froid. Dix ans, c’est le laps de temps que fixe le Code pour la prescription, même d’un crime. De sorte, monsieur Pergous, que s’il y a crime dans ce mystère de l’hôtel de Rifay et si vous aviez l’intention d’en tirer profit, il est trop tard. Vous savez maintenant pourquoi on vous tient ici depuis quinze jours. Qui sait si, le lendemain même de cette soirée où l’on s’est assuré de vous, votre dénonciation ne serait pas arrivée au parquet ?

Décidément, Mlle  Reboul était au moins aussi forte que lui. Un instant abasourdi et démonté par ces explications, le prisonnier reprit cependant :

— Je ne sais qui a pu vous faire supposer cela ; je n’avais formé aucun projet de ce genre. Mais vous, quel intérêt avez-vous dans toute cette affaire ? Ah ! vous êtes madame de Ferney !

— Je n’ai pas de raisons pour vous le cacher, et, puisque vous avez deviné qui je suis, vous devriez enfin comprendre que vous n’étiez pas moins intéressé que moi à ce que le parquet ne se mêlât de rien.

— Pourquoi cela ?

— Tout simplement parce que je suis devenue Mme  de Ferney grâce au faux acte de naissance que vous m’avez procuré.

À cette nouvelle révélation, le digne Marius ne put s’empêcher de pâlir.

— Oh ! ne craignez rien, poursuivit la sœur de Françoise en souriant, il y a également prescription pour vous. Donc, pas plus que moi, vous n’avez à redouter la justice.

— Puisque vous saviez tout cela, pourquoi, au lieu de me retenir ici depuis quinze jours, n’êtes-vous pas venue me trouver ?

— Je préfère la situation telle qu’elle est aujourd’hui.

— Alors je suis libre ?

— Absolument.

— Et les quatre mille francs qui m’ont été volés par vos gens ?

— Les quatre mille francs ?

L’ex-avoué raconta ce qui s’était passé depuis son arrestation.

— Vous pensez bien, répondit Jeanne, qui avait écouté ce récit avec des mouvements de dégoût, que je ne suis pour rien dans tout ceci. Ces quatre mille francs, je vous les rendrai avec de gros intérêts, si nous nous entendons. Entre nous, c’est ce que vous avez de mieux à faire. Débarrassez-vous de cette caisse ; qu’on n’en entende plus parler, et venez me voir. Je demeure, 85, rue de Monceau. Vous demanderez la comtesse Iwacheff. Adieu, monsieur Pergous.

Et, faisant signe à sa sœur de la suivre, Mme  de Ferney frappa à la porte, qui s’ouvrit aussitôt, et elle disparut.

— Joué ! murmura l’homme d’affaires lorsqu’il se vit seul ; joué par une femme ! Oh ! Il faudra bien que je prenne ma revanche un jour ou l’autre. Oui, certes, nous nous reverrons, mademoiselle Reboul, et vous payerez cher mes services, je vous le jure !

Puis, prenant son chapeau, Pergous se dirigea vers l’escalier, d’où il vit émerger tout à coup la tête grotesque et hideuse de son bourreau.

— Vous pensiez bien, cher monsieur, que je ne vous laisserais pas partir sans vous faire mes adieux, dit le bossu avec son sourire moqueur et en continuant à s’avancer…

Pergous eut un instant la pensée de s’élancer sur le misérable et de l’envoyer rouler jusqu’au rez-de-chaussée, mais il aperçut au moment même son second geôlier qui venait sur les pas de son compagnon. Comprenant alors qu’il ne serait pas le plus fort, il se contenta de répondre :

— Vous feriez mieux de me rendre mes clefs, mon argent et ma montre.

— Je montais justement pour faire nos comptes. Si vous voulez vous donner la peine d’examiner cette petite note, vous verrez que je n’ai pas abusé de votre confiance.

Il avait tiré de sa poche un volumineux cahier, dont la vue seule fit monter le rouge de la colère au front de l’ex-avoué.

— C’est bon, assez de pasquinades ! dit-il, en descendant quelques marches.

— Comme vous voudrez, cher monsieur, comme vous voudrez, fit Méral en rejoignant Manouret au bas de l’escalier. Et moi qui me suis donné tant de peine pour tenir tout cela en règle !

— Mes clefs ?

— Les voici, répondit Pierre, en les lui jetant à la volée.

— Et ma montre ?

— Ah ! votre montre, c’est un souvenir de vous que je garderai éternellement ; je ne pourrais pas m’en séparer ! Non, vrai, ça me serait impossible !

En disant ces mots, il avait pris le bras de Claude et l’avait entraîné dans le jardin, laissant le champ libre au patron de Philidor, qui sortit de cette maison où il venait de passer de si mauvais jours en murmurant :

— Mademoiselle Reboul, tout cela vous sera compté avec intérêts !

Une fois dehors de cette villa maudite, Pergous s’orienta et atteignit rapidement le barrage de l’île.

Là, il trouva un bateau, s’y embarqua et gagna en quelques coups d’avirons Joinville, où il prit le train pour Paris, une heure plus tard.

Nous pensons inutile de dire dans quel état d’esprit il était lorsqu’il entra comme un ouragan dans son bureau. Son arrivée subite fit bondir son premier clerc de joie et de surprise.

L’honnête employé commençait à désespérer de revoir jamais son maître.

— Enfin, monsieur, vous voilà donc ! lui dit-il en s’avançant respectueusement. Permettez-moi de vous demander si vous êtes satisfait de votre voyage, si vous avez fait bonne traversée.

— Bonne traversée ? Ah ! oui, répondit l’agent d’affaires, vous avez cru à mon excursion en Angleterre. Vous n’êtes qu’un sol, laissez-moi ! Vous me rendrez compte demain de ce qui s’est passé ici pendant mon absence.

— Monsieur sait que j’ai remis, d’après son ordre, quatre mille francs à son ami.

Le pauvre secrétaire ne pouvait évoquer un plus triste souvenir pour exaspérer davantage encore son irascible patron. Aussi celui-ci répéta-t-il avec un accent de colère :

— Je vous ai dit de me laisser seul !

Désolé autant que stupéfait de cet accueil, le bon Philidor courba la tête et se retira à reculons.

Quant à Pergous, il se laissa tomber dans son fauteuil en murmurant :

— Ah ! madame de Ferney, c’est bien le diable si je ne parviens pas à savoir ce que vous avez fait depuis dix ans et quels liens vous unissent à ces échappés de bagne qui vous servent si bien.