Seneffe (1674)

La bibliothèque libre.
Seneffe (1674)
Revue des Deux Mondes4e période, tome 123 (p. 5-45).
SENEFFE
1674[1]


I. — LE CAMP DU PIÉTON. LES ARMÉES EN CONTACT (10 AOÛT).

... Le camp des Estinnes, occupé par ordre, était trop en arrière et ne convenait en aucune façon ; M. le Prince le quitta, le 23 juillet ; marchant sur quatre colonnes, il vint s’arrêter à 11 kilomètres de Charleroy. L’armée se déploya face à l’est, sur un mamelon en dos d’âne, légèrement accentué, large de 1800 mètres environ, enveloppé au nord, à l’ouest et à l’est par deux ruisseaux en forme de boucle, et se perdant au sud dans le bois de Marche, dont les lieux dits (Coron-les-Bois, etc.) conservent le souvenir. Devant la gauche, le bourg et le château de Trazegnies ; derrière la droite, le village de Piéton, — un nom devenu légendaire. La forme et la dimension du terrain permettaient de varier les évolutions tactiques, à l’abri d’une ligne tenaillée, à intervalles, qui fut rapidement construite et armée d’artillerie. Comme le camp occupait le centre du massif, une large fausse-braie régnait entre le retranchement et les ruisseaux, rendant ainsi la position inexpugnable. Le voisinage de Charleroy et de la Sambre assure les approvisionnemens de tout genre. Au point de vue stratégique, les avantages n’étaient pas moindres. Qu’on jette les yeux sur la carte, qu’on y cherche le ruisseau et le village dont le camp du Piéton a gardé le nom ; on y verra M. le Prince en mesure de tendre la main aux détachemens ralliés, aux convois, aux renforts, inquiétant les ennemis partout, menaçant toutes leurs lignes d’opérations. De quelque côté que survienne le péril ou que s’ouvre la chance, M. le Prince est prêt....

Bientôt les événemens se précipitent; les troupes détachées par ordre du ministre rentrent successivement au camp du Piéton et portent l’effectif de l’armée française à 45 000 hommes environ; les alliés[2] se concentrent et s’approchent; Condé pressent une rencontre prochaine, terrible, décisive. Les grand’gardes sont poussées en avant ; la cavalerie légère redouble d’audace. Chaque jour est marqué par un nouvel exploit de Saint-Clas. Le 8 août, il rentre après avoir enlevé un courrier important, dont suit le résumé : les ennemis sont campés d’Arquennes à Nivelles ; ils prétendent avoir 170 escadrons, donnant de 30 à 35 000 chevaux, 70 bataillons, donnant de 35 à 40 000 hommes, soit 65 à 75 000 hommes. De plus, ils peuvent appeler les garnisons de Flandre ou de Hainaut. Ils font le pain à Mons ; ils ont des amas de blé à Bruxelles.

Le 9 août à dix heures du soir, M. le Prince écrit au Roi : les ennemis ont remué ; leur gauche est toujours près d’Arquennes ; les avant-postes de leur droite sont poussés jusqu’au bois de Buisseret, dans la direction de Familleureux ; leur front entre Feluy et Seneffe. Marcheront-ils demain? — Nous craignions de manquer de fourrage, et, ne voulant pas reculer jusqu’à Maubeuge, où l’on ne serait plus à portée de rien, nous cherchions aux environs une nouvelle position, sans espérer de rencontrer tous les avantages militaires dont nous jouissons en ce moment... Il est probable que les ennemis vont nous tirer d’embarras en marchant. « Nous tascherons de les bien recevoir. Jusqu’icy nos partis n’ont pas esté malheureux. J’ay esté toute la journée à cheval pour les aller reconnoistre. »

M. le Prince est en train. Il sent la poudre, et ses forces se sont ranimées.

Le 10, les alliés font séjour. Des deux côtés, les généraux sont dehors; on s’observe sans s’aborder. Le prince d’Orange, ses familiers, ses partisans voudraient donner aux retranchemens français, cherchent le point faible, ne le trouvent pas, rentrent assez dépités dans leurs quartiers. Cependant ils rapportent une observation consolante, — toute médaille a son revers : — plus la position des Français est forte, hérissée d’obstacles, plus il sera difficile d’en sortir. Décidément Condé n’est plus aussi redoutable ; on le laissera se morfondre derrière ces retranchemens où il se trouve en sûreté, et, s’il se décide à sortir, avant qu’il n’ait franchi la Samme[3] et qu’il ne soit dégagé des défilés qui l’entourent, les alliés seront loin ou auront trouvé de bonnes positions pour le recevoir; c’est peut-être la route de Paris qui s’ouvre ; et Guillaume presse M. de Souches, cherche à le flatter, à secouer sa torpeur.

M. le Prince est convaincu que les ennemis vont marcher ; en descendant de cheval dans l’après-midi du 10, il a pris ses mesures. Oui, les débouchés du camp sont assez mal commodes, surtout vers le nord : des ravins, des fondrières, des bois, enfin le ruisseau, qu’il faut traverser par les gués et passerelles; il y a là une cause d’encombrement, de retards funestes. Afin d’y remédier et d’avoir sous la main un corps à jeter sur le flanc de l’ennemi, soit qu’il attaque, soit qu’il marche, de jour ou de nuit, M. le Prince porte immédiatement, le soir même du 10, au delà du Piéton environ trois mille cinq cents hommes et quinze cents chevaux, avec six pièces légères[4], qui passent la nuit masqués dans un fond, à quelques centaines de mètres au nord des retranchemens. Dans le camp même, près des débouchés, sont également massés trois mille cavaliers d’élite. Gardes du corps. Cuirassiers, Gendarmes, quinze cents dragons (Colonel-Général), les premiers du monde, et quatre bataillons (Navarre, Royal-Italien), qui pourront, au premier signal, se porter où besoin sera.

Avec ses chevau-légers, Saint-Clas fouille le pays entre le Piéton et la Samme, lançant quelques cavaliers au delà de cette rivière pour garder le contact avec l’ennemi sans éveiller l’attention. Au milieu de la nuit, ces éclaireurs repassent la Samme et rejoignent la grand’garde: l’ennemi marche! Bientôt un bruit sinistre, qui grossit et se rapproche, confirme le rapport des éclaireurs et dénonce le passage d’une grande armée qui chemine : tumulte d’hommes et de chevaux, sorte de tonnerre non interrompu, grondement du sol ébranlé par les longues files de voitures, lourds affûts, pesans chariots chargés d’artillerie, de pontons, de bagages.


II. — NUIT DU 10 AU 11. LES ALLIÉS EN MARCHE.

Aussitôt averti, M. le Prince passe le Piéton avant le jour; son fils, ses lieutenans généraux, Luxembourg, Navailles, Fourilles, Rochefort, quelques autres encore, Montal, Choiseul, l’accompagnent. Les troupes sorties le soir, celles qui ont été désignées un peu plus tard, vont le suivre. Les autres se formeront en silence, prêtes à marcher au premier ordre, conduites par les maréchaux de camp. Les traces de l’accès de goutte n’ont pas entièrement disparu : Condé n’a pu mettre de bottes; chaussé comme pour le bal, en souliers et bas de soie, mais galopant avec aisance, il traverse rapidement le terrain accidenté qui sépare le bassin du Piéton de celui de la Samme, et gagne une hauteur qui a un beau commandement; la veille, il s’y était longuement arrêté. Encore aujourd’hui, ce point est jalonné par l’ermitage de Notre-Dame-des-Sept-Douleurs[5]. Quelques cavaliers y sont en vedette; M. le Prince entend leur rapport, observe lui-même un moment, et s’empresse de rejoindre sa grand’garde, qui est rassemblée à une demi-lieue au nord, dans un fond, près de la ferme de Belle, où Saint-Clas attend son général. Là, une sorte de promontoire[6] s’avance dans la vallée; le commandement est le même qu’à la chapelle des Sept-Douleurs, la vue aussi étendue; par elle-même, la position a une importance capitale, que les événemens vont faire ressortir et que Saint-Clas a bien jugée. Il y était avant l’aurore et n’en avait pas bougé ; déjà il a beaucoup vu. Condé se place à côté de lui, écoute, regarde, réfléchit. A sa gauche, à près de deux lieues au sud, le clocher de Fayt, situé sur une arête, domine tout le pays. Les maisons du bourg, alors de médiocre importance, se cachent parmi les arbres fruitiers, les houblonnières qui couvrent les flancs de la hauteur et qui, à leur tour, se perdent dans un océan de bois inégalement touffus et clairsemés.

Un peu plus bas et moins loin, la flèche[7] du Prieuré-Saint-Nicolas s’élance du milieu des vergers ; plus bas encore, au-dessous du Prieuré, un fond marécageux et quelques cabanes devenues aujourd’hui le bourg de Manage. En deçà, une petite plaine, bordée à l’ouest par des bois, à l’est par la Samme, qui, n’étant pas canalisée comme aujourd’hui, coulait au pied des hauteurs, roulant ses eaux du sud au nord, au milieu de marécages, de touffes d’aulnes et de peupliers, et continuait son cours dans la direction de Bruxelles. Aux pieds de Condé, des bosquets et quelques maisons[8] font comme une tête au pont qui traverse la Samme et qui conduit sur la rive gauche au bourg de Seneffe. Là est postée l’arrière-garde des ennemis, que la queue de leurs bagages n’a pas encore dépassée, tandis que l’avant-garde est déjà bien au delà de Fayt; car des hauteurs que Condé vient de par- courir, du moulin de Belle comme de la chapelle des Sept-Douleurs, Ce croquis indique approximativement les distances, la direction des principaux cours d’eau et du Chemin royal », fixe quelques emplacemens et permet au lecteur de suivre non le détail, mais les Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 123.djvu/16 il n’a cessé de voir tout le paysage que nous venons de décrire, sillonné par les interminables colonnes de l’armée alliée, longs serpens dont les anneaux se déroulent lentement, apparaissant dans les prés, les clairières, se dérobant derrière les villages et surtout dans les bois dont le pays est couvert.

De tous les champs de bataille, ceux de Belgique sont peut-être les plus méconnaissables. Nulle part on n’a défriché plus de bois; l’ouverture de nombreux canaux, les progrès de la culture, ont assaini des prairies jadis marécageuses, diminué le volume, rétréci le lit de mainte rivière ou ruisseau, et adouci nombre de pentes jadis escarpées. Ainsi ont disparu ou se sont transformés une foule d’obstacles décrits par les historiens militaires et dont on a peine à retrouver la trace aujourd’hui. Cela est vrai, non seulement pour les champs de bataille du XVIIe siècle, mais encore pour ceux de 1815. Le Ligny n’est plus qu’un filet d’eau; aux Quatre-Bras, où se maintint si longtemps la brigade du duc Ber- nard de Saxe-Weimar, et à Waterloo, les changemens ne sont pas moindres ; où retrouver aujourd’hui le chemin creux d’Ohain et ce parapet naturel derrière lequel les gardes anglaises restèrent inébranlables? Dans les bassins houillers, la transformation est encore plus absolue et le bouleversement complet; partout des maisons, des puits, cheminées, tranchées, monticules, voies ferrées en tout sens ; à peine peut-on relever un indice de l’ancien état des lieux. C’est le cas particulier de l’étrange champ de bataille allongé[9] où Français et alliés se heurtèrent pendant quatorze heures, le 11 août 1674.

La journée du 10 tirait à sa fin, lorsque M. de Souches, cédant aux instances de Guillaume, se laissait arracher l’ordre de reprendre la marche interrompue la veille. Aussitôt le feldzeugmeister change d’attitude; le voilà aussi pressé de mettre ses troupes en route qu’il semblait résolu tout à l’heure à ne pas troubler leur repos ; son parti pris, il a hâte d’en finir avec ce défilé devant le camp de M. le Prince; d’ailleurs, puisqu’il faut marcher, il tient à s’assurer de bons quartiers et un logement tout prêt. L’armée impériale a l’avant-garde ; son bagage part dans la nuit sous escorte; en tête marche M. de Fariaux, major- général au service de Hollande, avec deux mille chevaux fournis par les trois armées. Le feldzeugmeister lui donne un peu d’avance, puis s’achemine avec ses troupes. C’est le bruit causé par cette mise en train qui avait tout d’abord attiré l’attention de Saint-Clas. L’armée de Hollande suit celle de l’Empereur; celle d’Espagne vient la troisième. L’ordre est donné de marcher sur trois colonnes, la cavalerie à gauche du côté de la rivière, l’infanterie au centre, les voitures à droite le long ou au travers des bois. La direction est donnée sur Haine-Saint-Pierre ; c’est là ou près de là qu’on campera, logera comme on pourra; les maréchaux des logis sont partis et y pourvoiront.

La distance à franchir variait entre cinq et quatre lieues, suivant que les troupes quittaient des quartiers plus éloignés (Arquennes par exemple) ou plus rapprochés de Haine-Saint-Pierre ; courte étape, bien longue à parcourir. Pour trois colonnes, il n’y avait qu’une route, un seul « chemin royal », qui, de Nivelles, allait rejoindre vers Binche une antique voie romaine, la « chaussée Brunehaut », et, se bifurquant, conduisait à Mons ou à Landrecies. Mons était l’objectif des alliés; ils comptaient y aller en deux jours. C’est la colonne du centre qui tenait la route royale; les deux autres devaient chercher leur passage dans de mauvais chemins ruraux ou au travers des prés et des bois. A mesure qu’on s’éloignait du point de départ, les obstacles se multipliaient, marais, vergers, clôtures, villages aux étroites ruelles, puis des taillis touffus, chemins creux, pentes abruptes; entre le Prieuré-Saint-Nicolas et Fayt, le pays se rétrécissait beaucoup. Le premier corps d’armée était passé tant bien que mal ; mais les autres s’enchevêtraient, s’entassaient. Songez, que de monde! que de voitures! Soixante à soixante-dix mille combattans, dont le nombre était presque doublé par celui des charretiers, goujats, des femmes surtout, près de cent mille âmes[10].

A certains momens, on ne pouvait ni avancer ni reculer, et l’encombrement paraissait irrémédiable; aussi M. de Souches s’établissait déjà dans son logement de Haine-Saint-Pierre que la queue des convois était à cinq lieues en arrière.

Postée à hauteur et un peu au-dessus de Seneffe, fermant ce village aux traînards et aux voitures, l’arrière-garde attendait la fin du défilé pour prendre le même chemin. Comme la pointe d’avant-garde, elle se composait de détachemens des trois armées, cinq mille chevaux, quelques centaines de dragons et trois régimens d’infanterie hollandais. Le prince de Vaudemont, qui la commandait, lieutenant général au service d’Espagne, n’était pas un inconnu pour les officiers français. On avait admiré à la cour son esprit brillant, sa haute mine ; il avait fait ses premières armes auprès de Condé, en 1668, en Franche-Comté, et venait de combattre, en cette même année 1674, dans le même pays, mais de l’autre côté. C’était le fils du duc de Lorraine et de la Cantecroix, en fait un bâtard, comme Saint-Simon se donne le plaisir de le répéter souvent. Ni cette origine, ni la qualité de prince étranger qu’il s’attribuait n’étaient faites pour lui nuire auprès de Louis XIV ; mais il voulut s’ouvrir dans la chambre des filles un accès que le Roi entendait se réserver, et cela déplut. Le changement ne gênait pas le fils de Charles IV ; il prit parti chez les Espagnols, prêt à passer au service de l’Empereur, et bien accueilli partout, car il était brave et bon officier, enfin se consolant d’avoir perdu l’amitié du roi de France en acquérant celle du prince d’Orange : ce ne sera pas sa dernière évolution, mais c’est celle du moment, et nous nous y tiendrons.

Cette matinée du 11 août lui paraissait longue. Il était là, en face du pont de Seneffe, avant le jour; ses dragons, sur l’autre rive, occupent un moulin, patrouillent dans les buissons; les heures s’écoulent monotones ; pas un Français en vue.

Dès que Saint-Clas avait en quelque sorte éventé la présence et la marche de l’ennemi, il avait fait disparaître tous ses gens : grand’garde enfoncée dans un trou, vedettes très clairsemées, ne dépassant pas les crêtes, s’abri tant derrière les murs, les troncs d’arbres. Avec le tact et la finesse d’un officier de troupes légères, Condé était entré aussitôt dans le jeu de son lieutenant ; il se cache à côté de lui sur le promontoire de Belle, et ne montrera pas plus son monde que l’autre ne laisse voir ses éclaireurs.

Les troupes qui, après leur sortie du camp, s’étaient rassemblées dans un pli de terrain près du château de Vandebeke[11], vont serpenter dans les vallons pour se rendre aux points que M. le Prince leur fait assigner par les officiers généraux. Nulle précipitation; les mouvemens sont calculés de telle sorte que tous arrivent à la fois, un peu avant dix heures, à leur poste de combat autour de Seneffe. C’est là l’heure opportune : attaquée plus tard, l’arrière-garde ennemie trouverait les chemins déblayés, se mettrait peut-être à couvert ; plus tôt, le gros de l’armée ne serait pas assez enfoncé dans les défilés, pourrait tenter un retour offensif. Quant à Saint-Clas, il va changer de rôle et repart avec ses cinq cents chevaux; par les ravins, les bois, il pousse droit dans la direction de Marimont; il ira, s’il le faut, jusqu’à Binche. C’est l’avant-garde des confédérés qu’il cherche. A peine a-t-il pu la joindre du côté de Haine-Saint-Pierre qu’il se montre, se grossit, fait du bruit, engage l’escarmouche. M. de Fariaux, surpris, signale à M. de Souches l’apparition de l’ennemi dans une direction inattendue. Le feldzeugmeister veut y pourvoir, donne des ordres, remue du monde. Quand Saint-Clas disparaîtra, il aura fait perdre plusieurs heures à l’armée impériale, atteint son but.

Entre les enfans perdus et le gros des troupes, Choiseul, maréchal de camp, s’est arrêté à mi-chemin, au point culminant, à Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, avec quelques cavaliers, des estafettes plutôt. Sa mission est de voir au loin, de prévenir, de relier le gros, les détachemens, les enfans perdus. A l’autre extrémité, dans la direction de Nivelles, Fourilles, avec huit cents chevaux, va chercher un gué pour traverser la Samme, qu’il franchit en face de Renissart[12]. Il poussera les escadrons espagnols qui gardent la queue des bagages, culbutera les voitures et reviendra sur le flanc de M. de Vaudemont. Le mouvement est un peu large, mais sans péril dans la circonstance et d’un effet assuré.

Montal est chargé de l’attaque centrale. Près du hameau de Belle, derrière les dernières crêtes, en face et assez près du pont de Seneffe, il forme ses troupes, dragons de Rannes (Colonel-Général) et chevau-légers de Tilladet en première ligne, puis les Fusiliers du Roi avec leurs pièces, soutenus par sept bataillons d’infanterie. Un peu au-dessous du bourg, en suivant le fil de l’eau et en se glissant derrière la brigade Montal, M. le Prince traversera la Samme[13] avec les deux mille chevaux de la Maison du Roi. C’est avec un élan de joie martiale qu’il se met à la tête de cette cavalerie d’élite; il sait ce qu’il peut attendre des soldats qui le suivent.


III. — DIX HEURES DU MATIN. COMBAT DE SENEFFE. DESTRUCTION DE L’ARRIÈRE-GARDE DES ALLIÉS.

Cependant la sécurité de M. de Vaudemont a été troublée... un peu tardivement peut-être. Une de ses patrouilles, en fouillant les bosquets de la rive droite, a cru apercevoir quelques cavaliers qui se sont dérobés assez vite. Divers indices confirment cette rapide observation. Vaudemont s’apprêtait à renvoyer son infanterie; il l’arrête, la ramène dans le bourg, rappelle les postes qu’il avait par delà l’eau, donne l’ordre de barrer ou de détruire le pont. Il n’en a pas le temps ; soudain il se trouve menacé, presque enveloppé de tous côtés.

Il est dix heures. Les dragons Colonel-Général débouchent au galop, par petits groupes, des gorges et des bosquets qui bordent la Samme, délogent à coups de carabine les dragons ennemis qui essaient de défendre le pont, se jettent à bas de leurs chevaux, démolissent rapidement un embryon de barricade, se saisissent des premières maisons de l’autre rive, ouvrent le passage à la brigade Tilladet. Nos cavaliers franchissent le pont, nettoient les jardins, culbutent tous les détachemens qu’ils y rencontrent, et vont se rallier au nord-est de Seneffe, couvrant le débouché d’un second pont qui se trouve en aval et que vont franchir les escadrons de la Maison du Roi. L’infanterie hollandaise est rejetée dans les grosses maisons du bourg, essaie de s’y retrancher.

Déjà les Fusiliers du Roi ont passé la Samme et pris à gauche pour mettre leurs six pièces en batterie, couverts par un petit ruisseau qui coule dans un fond marécageux, parallèlement à la Samme, et qui ne permet aucun mouvement tournant au sud de Seneffe. C’est l’artillerie légère qui apparaît avec son allure leste. Les projectiles de petit calibre ne font guère d’effet sur les grosses murailles; mais ils incommodent les défenseurs, balaient les ruelles. Quelques boulets vont plus loin, atteignent la cavalerie de bataille du prince de Vaudemont, qui se forme à quelque distance à l’ouest du village.

Sous la protection de cette canonnade, de la mousqueterie des dragons et des évolutions de la brigade Tilladet, Montal forme son infanterie, qui a rapidement franchi le pont de Seneffe. Ses trois premiers bataillons sont disposés en éventail ; il commence aussitôt l’attaque et la conduit avec sa fougue ordinaire, embrassant tout le bourg, chassant devant lui les défenseurs et les poussant vers le centre, où ceux-ci s’enferment dans l’église. À ce point la résistance fut plus vive, mais bientôt terminée par l’entrée en ligne des deux bataillons de réserve. Tout le village est emporté. Pas un des fantassins hollandais n’échappe; tous tués ou prisonniers. Leur commandant, un cousin du stathouder, le jeune prince Maurice de Nassau, est blessé et pris en combattant vaillamment. Les pertes des Français étaient faibles; elles eussent été insignifiantes si Montal avait eu la patience de laisser faire l’artillerie; mais cet ardent soldat avait les défauts, les nobles défauts de ses qualités, et s’était un peu hâté. Il porta la peine de sa chaleur et dut se retirer, la jambe cassée d’un coup de feu.

Ce combat d’infanterie n’était pas terminé lorsque la Maison du Roi, profitant du pont qui traversait la Samme un peu en aval de Seneffe, débouche derrière les escadrons de la brigade Tilladet. Rochefort est en tête avec sa compagnie et celle de Noailles[14]; il est heureux et fier de faire « travailler » devant son prince et son général ces Gardes du corps qu’il a choisis, formés, instruits avec tant de soin.

A peine a-t-il dépassé la droite de notre cavalerie légère qu’il découvre la grosse cavalerie des ennemis en bataille sur un terrain ondulé un peu au-dessus de Seneffe, en avant du château et des bois de Buisseret. M. de Vaudemont a rectifié sa position pour soustraire ses cavaliers au feu de l’artillerie française. Trois escadrons se détachent et font face à Rochefort, mille chevaux contre cinq cents ! Encore l’ennemi aurait-il pu engager plus de monde sans les chemins creux qui coupaient et limitaient le terrain. Rochefort n’attend pas le choc et charge sans compter; la mêlée fut chaude; mais l’avantage allait rester au nombre, lorsque M. le Prince déploie sur la droite les autres compagnies des Gardes du corps et les chevau-légers de la Garde, sans attendre les Gendarmes et les Cuirassiers, qui arrivent à la file et resteront en réserve[15]. Vaudemont engage aussitôt les deux tiers de son monde ; environ trois mille de ses cavaliers sont aux prises avec deux mille Français; mais l’élan donné par M. le Prince est irrésistible ; tout plie devant lui ; les gros escadrons des confédérés sont renversés les uns sur les autres.

Le prince lorrain a encore l’avantage du nombre ; il court à sa troisième ligne pour faire charger ses escadrons frais pendant que les Gardes du corps se remettent en ordre et avant que les Gendarmes n’arrivent. À ce moment, Fourilles, qui achevait son mouvement tournant et venait de défaire l’escorte des voitures, se présente sur le flanc des escadrons ennemis. Ce fut décisif. Tous ces cavaliers de diverses nations, se sentant peu soutenus, mal encadrés, se méfiant les uns des autres, ne veulent ni charger, ni attendre le choc, et tournent bride au galop[16] dans la direction qu’avait prise le gros de l’armée alliée. Ils abandonnent leurs colonels et nombre de prisonniers, parmi lesquels le duc de Holstein, le comte de Solms et plusieurs autres personnages de marque, la plupart blessés. Blessé aussi, le prince de Vaudemont, qui a été entraîné dans la déroute. Une grande partie des équipages ont été abandonnés, les charretiers ayant coupé les traits pour se sauver; d’autres, éperdus, emmènent leurs voitures vers les défilés déjà encombrés par les convois.

Le succès est éclatant. L’arrière-garde des confédérés, ce gros détachement de plus de huit mille hommes d’élite, est absolument anéantie; tous les trophées de guerre, drapeaux, étendards, timbales, sont aux mains des Français. Les survivans sont des prisonniers, ou des fuyards qu’on ne ralliera plus.

Ce premier engagement a duré une heure et demie ; c’est celui qui a gardé plus particulièrement le nom de combat de Seneffe. Est-il permis de le définir et de le limiter comme on a l’habitude de faire? Les actions de guerre ne peuvent se diviser par tranches dont on prend ou laisse ce qui convient. Ces divisions, qu’il faut introduire dans le récit de la journée du 11 août pour tâcher d’y mettre un peu de clarté, étaient à peine sensibles dans la réalité, et les incidens de la journée vont se succéder, s’enchaîner sans interruption réelle.

M. le Prince devait-il, pouvait-il s’en tenir à cette moisson de lauriers, saluer poliment les confédérés, dont il voyait le nombre grossir en face de lui sur les hauteurs, et retourner pacifiquement dans son camp, comme il se pratique aux exercices de manœuvres? On l’a beaucoup dit. Mais n’oublie-t-on pas une condition préalable, indispensable? Il eût fallu le consentement du prince d’Orange. — A notre avis, Condé aurait eu tort d’y compter; s’il avait été d’humeur à lâcher prise quand il tenait l’ennemi, il n’est pas douteux que Guillaume ne l’eût reconduit de belle façon, en le poussant et en lui infligeant le plus rude des échecs.


IV. — MIDI. COMBAT DE LA COURRE-AUX-BOIS. L’ARMÉE D’ESPAGNE REPOUSSÉE.

Le prince d’Orange conserve la direction générale et l’exerce avec efficacité. Il se tient au Prieuré-Saint-Nicolas; une grande lieue de pays le sépare de Seneffe. C’est bien loin ; mais derrière lui l’armée impériale est plus loin encore. De cette position presque centrale, Guillaume peut embrasser l’ensemble, se tenir en communication avec M. de Souches, dont il attend le secours avec impatience, et faire mouvoir les troupes qui ralentiront la marche et les progrès du prince de Condé. Le « chemin royal » qui se déroule à ses pieds conduit à Seneffe en droite ligne, et c’est déjà par cette route, grande artère des manœuvres de la journée, que s’avance, disons plutôt que rétrograde l’armée d’Espagne. Laborieusement elle sort des haies, des vergers, des pâtures humides, et se présente à la lisière d’une plaine ondulée, découverte, assez étendue, la gauche en avant de la ferme de la Courre-aux-Bois, la droite vers la Samme. La belle cavalerie wallonne fait le fond de cette armée; le capitaine général, comte de Monterey, n’est pas sur le terrain, retenu ailleurs par d’autres devoirs ; cette absence lui sera reprochée. Il est remplacé par le marquis d’Assentar, mestre de camp général. L’infanterie étant peu nombreuse, — un seul régiment, celui du comte de Beaumont, — le prince d’Orange l’a renforcée de six bataillons hollandais conduits par le comte de Waldeck, et, pour donner confiance, il les fait suivre de six cents chevaux allemands, premier contingent envoyé par M. de Souches. Les fuyards qui reviennent de Seneffe embarrassent et ralentissent tous ces mouvemens.

Avec les Gardes du corps, Condé suivait au pas la cavalerie de Vaudemont dans sa retraite précipitée, lorsque à environ 1 500 mètres en avant de lui il découvrit les têtes de colonnes, qui, débouchant des bosquets de Scailmont, semblaient précéder un corps assez nombreux. M. le Prince s’arrête, donne ses ordres. Il y a des blessés à relever, des prisonniers à rassembler. Il faut surtout reformer les troupes, rallier les dispersés. Si Fourilles n’avait pas pris soin de mettre le feu aux voitures abandonnées, il manquerait encore plus de chevau-légers retenus par le pillage.

Tandis que Luxembourg s’étend à droite et gagne du terrain avec la cavalerie légère, Fourilles, qui s’est remis à la tête de la Maison du Roi, appuie à gauche et couvre le mouvement général, surtout celui de l’infanterie, qui se prépare à l’attaque des vergers et des clôtures[17]. Tous les régimens laissés au camp ont été appelés; ils sont en marche; les premiers échelons arrivent, trouvent les gués reconnus, notamment en amont de Seneffe, vers Soudromont, ce qui active le passage de la Samme et diminue la longueur du parcours. Il faut se hâter : Condé ne laissera pas à son adversaire le temps d’amener ses réserves, ni même de déployer sa première ligne.

La distribution des troupes et la nature du terrain indiquent ce que put être ce deuxième engagement. Quoique assez vif, il dura encore moins que le premier; la marche, les formations avaient pris plus de temps que l’action. Les alliés en sortirent malmenés, mais non sans honneur. La cavalerie wallonne soutint sa vieille réputation ; ses débris purent se retirer à travers les bosquets, qui facilitèrent aussi la retraite de l’infanterie. Ils emmenaient quelques blessés, le comte de Waldeck, le prince Charles, détaché par M. de Souches et futur duc de Lorraine. Ils en laissaient plus aux mains des Français, entre autres le marquis d’Assentar, le général espagnol, qui avait déployé le plus brillant courage[18]. Là encore un Mérode se fit tuer; c’est une vaillante race.

Vers une heure et demie après-midi, Luxembourg, à l’extrême droite, avait gagné beaucoup de terrain; au centre, l’infanterie française occupait le château de Scailmont, au pied de la côte du Prieuré.


V. — UNE HEURE ET DEMIE. COMBAT DU PRIEURE-SAINT-NICOLAS. MORT DE FOURILLES. DÉFAITE DES HOLLANDAIS.

Voici Condé aux prises avec le plus passionné de ses adversaires. Cramponné au prieuré de Saint-Nicolas-des-Bois, Guillaume fait ferme pour recueillir les troupes battues, sauver son artillerie, partie de ses équipages, laisser à M. de Souches le temps d’arriver, et, avec l’aide de Dieu, reprendre l’offensive. Les passages deviennent de plus en plus étroits, les pentes plus raides, le pays plus couvert. Ces obstacles n’arrêtent pas M. le Prince ; il a la Maison du Roi sous la main, il en usera, et tout de suite. La cavalerie légère, que les escadrons arrivant du camp grossissent à chaque instant, se range un peu en arrière sur le terrain récemment conquis vers Scailmont; c’est Luxembourg qui la commande; appuyant à droite, il ira chercher les troupes ennemies qui escortent l’artillerie et les équipages, et, par ce mouvement, tournera le réduit du Prieuré. L’infanterie attaquera de front cette position, que les Gardes du corps et les Gendarmes aborderont par la gauche, se déployant de leur mieux dans un terrain très accidenté ; aussitôt formé, leur premier échelon chargera; M. le Prince se portera un peu plus loin avec le second. Brièvement il donne des instructions à Fourilles comme à un homme qui sait comprendre à demi-mot : Allez tête baissée; vous serez soutenu. De son côté, Fourilles a l’aisance d’un lieutenant éprouvé; n’a-t-il pas la confiance de son général? n’est-il pas trop connu pour qu’on doute un instant de lui ? Il croit pouvoir risquer quelques observations : le terrain n’est pas favorable ; au moins conviendrait-il de laisser souffler les chevaux, d’attendre que la cavalerie fraîche ait gagné du terrain, que le mouvement tournant de la droite se soit plus accentué…

Il est des momens où les minutes semblent des siècles à celui qui croit saisir la victoire. Condé ne s’appartient plus ; il n’entrevoit que le but qui se rapproche et dont rien ne saurait le détourner ; il oublie l’homme, l’ami. D’un geste, il arrête Fourilles : « Je sais, Monsieur, que vous aimez mieux raisonner que combattre ; mais je n’ai pas le temps de vous entendre, et je vous donne l’ordre de charger. » — Une demi-heure plus tard, on rapportait Fourilles percé de coups : « Je sais que mon compte est réglé, dit-il à un de ses amis en lui serrant la main ; ce que je demande à Dieu, c’est de vivre encore quelques heures pour voir comment ce b… là pourra se tirer du pétrin où il s’est mis[19]. » — La mort de ce brave homme, tombant sous le coup d’une apostrophe cruelle, jette une ombre sur la gloire de Condé.

Les escadrons conduits par Fourilles, enveloppés, fusillés, ramenés, perdirent beaucoup de monde ; mais au prix de leur sang ils avaient ouvert le chemin à M. le Prince, qui, reprenant la charge, enfonce tout devant lui. Il va couper les communications entre l’armée de Hollande et l’armée impériale. L’infanterie hollandaise se sacrifie pour lui barrer le passage ; la légende veut que le régiment des gardes du prince d’Orange y soit resté tout entier.

D’autre part, Luxembourg, déployant toutes les brigades de cavalerie légère, s’étend au loin vers la droite, disperse trois bataillons qui gardaient les équipages, s’empare de toutes les voitures et achève son mouvement tournant. Le Prieuré est occupé par l’infanterie française. Les troupes des États et celles d’Espagne, réduites en nombre, abandonnant blessés, prisonniers, équipages, traversent les défilés en désordre, changent de direction et marchent sur Fayt.

Au loin derrière ce village, on peut voir des armes qui reluisent dans les bois, observer des masses qui s’agitent. Rien n’échappe à l’œil de M. le Prince, qui prépare ses ordres en silence. « C’est la déroute ; partout les ennemis fuient, » murmurent les flatteurs ou les étourdis de l’état-major. — « Non, reprend une voix juvénile ; ils changent de front. » Condé se retourne brusquement : « Jeune homme, qui vous en a tant appris »? Et M. le Prince ajoute en souriant : « Il voit clair. » — Ce jeune homme qui « voyait clair » avait vingt et un ans ; depuis quelques mois seulement il était à l’armée ; déjà il avait attiré l’attention de Louis XIV, et il fixait aujourd’hui celle du Grand Condé. C’était Hector de Villars, qui devait conduire nos soldats vingt fois à la victoire, pacifier les Cévennes, et sauver la France à Denain[20].

Villars avait vu juste ; les ennemis ne quittaient pas la partie.


VI. — RETOUR DES ALLEMANDS SUR FAYT. FACE EN ARRIÈRE EN BATAILLE.

Le prince d’Orange avait perdu une partie de son armée, tout le bagage, l’équipage de pont, le trésor ; il avait vu tuer ou prendre nombre d’amis, de parens, détruire des bataillons entiers, enfoncer presque tous ses escadrons. Tant de coups terribles n’ont pas abattu son âme ; il se prépare à une lutte suprême. A des troupes en retraite, presque en fuite, il donne encore une fois pour direction le clocher de Fayt. Là aussi revenaient les Impériaux ramenés de leur bivouac ; c’était le gros de l’armée. Comme ils tenaient l’avant-garde le matin, ils avaient traversé Fayt d’assez bonne heure. M. de Souches, qui les commandait, s’était d’abord occupé de quelques escadrons français, qui, paraissant venir de leur camp en droite ligne et débouchant vers La Hestre par les ravins, s’approchaient au même moment. C’était la troupe de Saint-Clas; il avait bien rempli sa mission. Escarmouchant avec prudence et habileté, dissimulant sa faiblesse, il sut attirer l’attention du feldzeugmeister, si bien que celui-ci tint peu de compte de ce qui se passait du côté de Seneffe ; simple combat d’arrière-garde, pensait-il. Le bruit qui augmentait, le nombre croissant des fuyards ne firent guère d’impression sur ce vétéran. Il ne fut que plus pressé d’atteindre les lieux où son logement était marqué, Haine-Saint-Paul, Haine-Saint-Pierre, Saint-Vaast, d’y établir ses troupes, d’y mettre en sûreté son artillerie et ses bagages. Il fallut les messages réitérés, alarmans du prince d’Orange, la violence du feu, la durée de l’engagement pour le tirer de sa quiétude. Il donna l’ordre de parquer le bagage, de quitter les quartiers et de rebrousser chemin, mais sans hâte et par échelons.

Ainsi toute l’armée alliée, les troupes fraîches qui revenaient sur leurs pas, comme celles que M. le Prince menait battant depuis le matin, allaient se trouver groupées autour du village de Fayt par un mouvement général de « face en arrière en bataille ». C’était l’ensemble de ces marches, contremarches, en avant, en arrière, en tiroir, aboutissant à un alignement nouveau, qui de loin pouvait ressembler à une accélération de retraite, et que le coup d’œil précoce de Villars avait bien apprécié. La position est formidable; mais les alliés ne l’ont pas encore complètement occupée; elle deviendra inattaquable si M. le Prince s’arrête; ou bien l’ennemi débouchera, s’étendra, enveloppera les Français; il va l’essayer tout à l’heure.

Le « chemin royal », après avoir traversé le Prieuré-Saint-Nicolas, s’élève doucement à flanc de coteau, et, à plus d’un quart de lieue[21], atteint l’église de Fayt[22], dont le clocher servait, depuis le matin, de point de direction aux deux armées; c’est le réduit du village. Les maisons, généralement solides et bien bâties, sont éparses sur un plateau ondulé et assez élevé qui s’élargit et se découvre vers le sud. Autour du village, une ceinture de vergers, de jardins, avec de grosses haies et de bons murs, qui forment autant d’obstacles et donnent à la défense de solides points d’appui. Le pays, jadis couvert de forêts, comme l’indiquent les noms de villages et les lieux dits La Hestre, La Basse-Hestre, et même Fayt[23], était encore fort boisé alors, surtout à l’ouest et au nord : haie de Rœulx, bois de Haine. Également à l’ouest, mais plus près du village, le château de l’Escaille[24]. De ce côté, entre le village et les bois, serpente une ravine, bordée de broussailles et difficile à traverser, qui jouera son rôle dans la journée. Beaucoup de houblonnières, avec leur fouillis, surtout vers l’est, où elles se mêlent aux sources, aux prés marécageux, sur des pentes assez raides et accidentées.

Les troupes impériales, dont les échelons achevaient lentement de se distribuer sur la position que nous venons de décrire, étaient restées les dernières attachées à l’ordre compacte ; leurs mouvemens étaient pesans. Guillaume eut quelque peine à obtenir de leurs généraux un ordre plus étendu, qui permît de parer aux mouvemens tournans faciles à prévoir. Leurs rangs s’ouvrirent pour laisser passer les régimens plus ou moins débandés qui montaient par le « chemin royal ». On pouvait compter que l’ennemi serait pressant ; il fallait se hâter : l’ordre de bataille fut donc un peu interverti, non sans mélange des diverses armées comprises dans le grand tout des alliés. Cependant le gros des Hollandais était à l’aile droite[25], dirigée par Guillaume, qui d’ailleurs était un peu partout et ne perdait pas de vue le comte de Souches, objet de son animadversion. Au centre et à la gauche[26], l’infanterie impériale occupait le village et se prolongeait vers les bois, les masses et la cavalerie rangées derrière. Le prince Pio de San-Gregorio commande de ce côté. L’artillerie tenait, à droite et à gauche, quelques pièces prêtes à agir; son groupe principal était auprès des réserves, au point culminant du plateau, les pièces prêtes à foudroyer le village s’il est enlevé par les Français.

Le comte de Souches est au centre; il a l’œil à tout; le vieux capitaine s’est réveillé; par son expérience, son coup d’œil, son froid courage, il va s’élever à la hauteur de l’indomptable ténacité du prince d’Orange. La ténacité ! c’est la vertu de l’heure et du lieu. Les généraux alliés ne peuvent plus espérer une victoire; il s’agit d’empêcher la défaite de tourner à la déroute; il faut profiter de la supériorité numérique et de l’avantage de la position pour limiter l’essor de l’ennemi, s’assurer une retraite honorable. Leur armée va se montrer la digne émule de celle qu’elle combat. Comme les chefs, les soldats feront leur devoir; la palme reste aux Allemands. Robustes, braves, bien exercés, ils sont intacts et n’ont pas supporté, comme les autres, cinq heures de fatigues et de périls. S’ils doivent plier devant la furie française, ils se reformeront aussitôt. Chaque pouce de terrain par eux abandonné sera payé cher; parfois ils reprennent le terrain perdu, et sur certains points ils restent inébranlables. C’est ce qu’on verra dans le récit qui va suivre.


VII. — TROIS HEURES ET DEMIE. COMBAT DE FAYT. CONDÉ DANS LA MÊLÉE. A LA NUIT, LES DEUX ARMÉES RESTENT EN PRÉSENCE.

La nature des lieux, la variété des combats livrés depuis le matin, les derniers incidens avaient troublé l’ordre de bataille des Français, et réparti l’armée en deux colonnes ou plutôt deux groupes de colonnes de force très inégale. À droite, au nord-ouest du Prieuré, au milieu des bois, des vergers et des houblonnières, au delà du chemin dit de Bruxelles[27], M. de Luxembourg conduit les troupes qui avaient enlevé le bagage des Hollandais et dissipé l’escorte. Sur le « chemin royal » et le long de ce chemin, plusieurs colonnes, quittant le Prieuré, s’avancent vers Fayt. M. le Prince fit son déploiement en marchant. Il veut pousser l’ennemi sans lui laisser le temps de souffler, sans attendre ce complément d’infanterie qui ne peut arriver avant le soir. S’arrêter? Il eût dû reculer, et alors il avait sur les bras son adversaire et ses troupes fraîches.

Pendant que Luxembourg presse son mouvement tournant, Condé enveloppe le village avec presque toute son infanterie formée sur deux lignes. L’engagement fut long et très chaud. La seconde ligne tout entière remplit les intervalles de la première. À droite, les trois bataillons des Gardes françaises, soutenus par les Gardes suisses, avancent dans un ordre admirable. Vigoureusement et habilement conduit par le brigadier Rubentel, ce « superbe »[28] régiment gagne assez de terrain au prix de pertes cruelles : sept capitaines, nombre d’officiers et de soldats étaient sur le carreau[29]. Les Gardes prennent position, formant un crochet défensif. Déployés des deux côtés de la route, les régimens du Roi, Royal des Vaisseaux, de Navarre et de la Reine, soutenus par les « petits Suisses » (Stoppa, Erlach, Pfiffer, Salis), s’établissent dans les vergers et les premières maisons; mais, foudroyés par l’artillerie et la mousqueterie, ils ne purent atteindre l’église. Anguien, Condé, Conti et Auvergne s’étendent vers la gauche; le duc de Navailles a le commandement de ce côté.

L’attaque de front ne pouvait réussir que secondée par le mouvement tournant. C’est ce que tentait M. de Luxembourg avec l’aile droite. Il fit commencer l’opération par les Gardes du corps, nettoya les abords du bois d’Haine, puis, rabattant à gauche, rejoignit son gros (régiment de Picardie, Dragons, Cuirassiers du Roi), et attaqua les troupes qui cherchaient à prolonger vers l’ouest la ligne de bataille des ennemis. Lui-même, se jetant à la tête de Picardie, fait un véritable trou dans les masses qui veulent l’envelopper; sa cavalerie s’y élance, charge, culbute plusieurs bataillons et s’empare du canon. Le château de l’Escaille a été enlevé, les bois, la haie de Rœulx traversés, la ravine franchie. M. le Prince, avec les Gardes suisses et quelque cavalerie retirée du centre, marche vers sa droite pour soutenir ou plutôt pour relever son lieutenant ; car Condé a dû prescrire à celui-ci de faire face à droite pour arrêter un parti de troupes alliées, qui, par un circuit au travers du bois de Haine, cherchait à gagner les derrières de l’armée française. Luxembourg remporte là un nouvel avantage : le corps tournant n’a pas le temps de se former; il est chargé, dispersé. Ses débris se retirent en désordre dans la direction de Braine-le-Comte. Le vainqueur abandonne la poursuite pour revenir par le château de l’Escaille à sa place de bataille et reprendre l’attaque qu’il avait momentanément suspendue. Il trouve la situation changée. Pressée par des forces supérieures, la cavalerie (Maison du Roi) qu’il avait laissée comme un rideau pour jalonner la position, a dû repasser la ravine. Elle reste en bataille sur l’autre bord, fusillée, mitraillée par une brigade de l’armée impériale que conduit un Français, le comte de Chavagnac[30]. On était si près les uns des autres que Chavagnac entendait les officiers français dire à leurs hommes décimés par les balles : « Ce n’est rien, enfans. Serrez, serrez! »

Survient M. le Prince. Il donne aussitôt avec les Cuirassiers du Roi et Mestre-de-camp-général, qui poussent jusqu’au canon et le reprennent; mais ils ne peuvent se maintenir au milieu de l’infanterie. La cavalerie impériale leur donne la conduite. On emporte le comte Broglio de Revel, mestre de camp des Cuirassiers du Roi, blessé d’un coup de mousqueton. Le duc d’Anguien aussi a reçu deux fortes contusions. Inquiet pour son fils, M. le Prince s’approche; un biscaïen brise les deux jambes de derrière de son cheval; c’est le troisième qui tombe mort sous lui depuis le matin. « Sauvez-vous. Monseigneur! » lui crie son écuyer en voyant fondre les escadrons ennemis. — « Et comment faire avec mes jambes infirmes! » répond-il, tout prêt à rire de sa mésaventure. L’écuyer disparaît avec les chevaux. Le Grand Condé se tapit au milieu des flaques d’eau sous un buisson. Le flot passe et recule. On relève le héros tout mouillé, on le remonte ; une fois en selle, il se retrouve calme, et reprend sa place au milieu de ses troupes.

Il fallait occuper la ravine pour continuer l’offensive. Les deux bataillons des Gardes suisses arrivaient, encore intacts, précédés de leur vieille réputation. M. le Prince leur prescrit de déloger l’ennemi de l’obstacle naturel qui arrêtait tous les mouvemens ; mais le feu était si vif et le terrain si défavorable que les Suisses ne purent traverser la ravine. Leurs mousquetaires s’embusquèrent sur le bord et entretinrent le feu contre ceux qui tenaient l’autre côté. L’aile droite de l’armée française se trouve ainsi arrêtée à l’ouest du village, conservant une partie des positions qu’elle avait d’abord conquises, en face d’un adversaire nombreux et solidement établi. Rien à faire de ce côté, si ce n’est tenir ferme sans reculer.

Changeant aussitôt son plan, M. le Prince renonce à forcer la ravine; vers l’ouest et le nord du village, il se borne à observer, à contenir l’ennemi; tout son effort va se porter sur la gauche. M. de Navailles avait déployé laborieusement huit bataillons, soutenus par quinze ou seize escadrons, dans un terrain accidenté, boisé, plein de sources et de prés marécageux, à l’est de Fayt. Il est renforcé. A l’extrémité de la ligne, La Motte[31] conduit Royal des Vaisseaux et les Fusiliers du Roi, qui n’ont pu amener leurs pièces, mais qui, pourvus d’un armement supérieur, forment une véritable élite. Soutenue par quatre escadrons de la Maison du Roi et six escadrons de cavalerie légère, la brigade La Motte « fait des merveilles », repousse les charges de douze escadrons, défait quatre bataillons, recueille nombre de prisonniers et pousse jusqu’à une grosse haie entre La Hestre et La Basse-Hestre. Un feu vif et soutenu arrête nos gens à cette haie, où ils restent embusqués. Au delà, au-dessus d’eux, sur la hauteur, on voyait des masses d’infanterie et de l’artillerie.

La nuit trouva l’armée française ainsi postée, maintenant le feu partout, sans avancer ni reculer, formant une ligne brisée, orientée du nord-ouest au sud-est sur un front d’environ 1 800 mètres, la droite s’étendant jusqu’à la haie de Rœulx, derrière la ravine, le centre dans les vergers et les premières maisons de Fayt, la gauche au-dessus de La Basse-Hestre[32]. Les masses de l’armée alliée présentaient un front plus étendu, presque parallèle, mais plus régulier, la gauche vers la haie de Rœulx, la droite vers la pointe des bois de Marimont, le centre dans un terrain découvert dont la cote 170 marque le point culminant. Presque partout, les alliés ont le commandement. Ils couvrent la route de Haine-Saint-Pierre, tiennent l’église et une partie du village de Fayt.

Un écart de deux cents mètres environ séparait les deux fronts. Tant que brilla la lune, le feu continua mollement, sans aucune tentative offensive d’une part ni de l’autre. Puis les hommes, accablés de fatigue, s’endormirent sur place, leurs armes dans les bras, à peine gardés par quelques sentinelles, mais prêts à recommencer cette lutte terrible après quelques heures de repos. C’était bien la pensée de M. le Prince, qui, lui aussi, roulé dans un manteau, s’était endormi dans un buisson à La Basse-Hestre. — On montrait encore récemment l’Épine du Prince. — Il était venu là, à la gauche de son armée, pour soutenir le duc de Navailles, et c’est par là maintenant qu’il espérait reprendre l’offensive au petit jour, comptant sur l’arrivée prochaine de son artillerie et de l’infanterie que lui amenait Magalotti. Il rêvait d’une nouvelle bataille, lorsqu’il fut réveillé par le bruit retentissant d’une fusillade générale.


VIII. — ALERTE DE NUIT. AU JOUR, LES DEUX ARMÉES ONT DISPARU.

Des deux parts on tirait follement, comme toujours dans les alertes de nuit; mais les premiers feux d’ensemble paraissent être partis de la ligne des alliés, qui voulaient ainsi assurer leur retraite, ou plutôt essayer d’en changer le caractère, lui donner l’allure d’une marche en avant, comme si, après le combat, ils continuaient de pousser vers l’étape désignée la veille et où déjà les Impériaux étaient attendus par leurs bagages. L’artillerie passa la première. Toutes les autres voitures étant perdues, la route ne se trouvait guère encombrée; l’infanterie et la cavalerie suivirent assez vite. La marche ne fut nullement inquiétée. Un cordon de troupes légères était resté en position au sud-est de Fayt, rangé derrière les haies et les vergers, pour donner l’alarme au cas d’une reprise d’offensive des Français.

Nul bruit ne troubla la fin de la nuit. Au petit jour, un des officiers de cette arrière-garde s’avisa de regarder par un trou dans une haie. Aucune troupe française n’était en vue. L’officier appela son chef, M. de Chavagnac. Tous deux ensemble passèrent la haie et se trouvèrent dans un pré, où, pêle-mêle avec les cadavres, gisaient de nombreux blessés, qui aussitôt se dressèrent, et, parlant dans toutes les langues, demandèrent qui un chirurgien, qui un confesseur. Chavagnac leur promit d’envoyer un trompette pour les recommander à M. le Prince, et piqua au galop pour aller rejoindre à Haine-Saint-Paul[33] l’état-major des alliés. Grande fut la joie aux nouvelles qu’il apportait. Les généraux ordonnèrent trois décharges pour célébrer leur prétendue victoire, et, marchant aussitôt, allèrent chercher sous les remparts de Mons[34] des ressources qui leur manquaient, des renforts, des secours et un gîte plus sûr que des villages en rase campagne.


IX. — LES TROPHÉES ET LES PERTES.

Guillaume d’Orange ne s’avouera jamais vaincu ; c’est un des traits de ce mâle et ferme caractère ; sa prétention est justifiée par le glorieux entêtement qui ne saurait accepter la défaite ni abandonner à l’adversaire un succès complet, incontesté. Tel on le retrouvera dans ses batailles plus ou moins complètement perdues contre Luxembourg, à Saint-Denis, à Steinkerque, à Nerwinde, à Fleurus. Aujourd’hui, amené par la fortune en présence de Condé, il ne s’est pas troublé, il n’a pas ployé ; toutes les relations hollandaises, allemandes, espagnoles, les gazettes, les récits imprimés à La Haye, à Bruxelles, à Francfort, célèbrent sa victoire (c’est à peine si M. de Souches est nommé), et la défaite des Français, qui ont abandonné le champ de bataille : dejando nos el campo de batalla, concluait emphatiquement une relation espagnole jusque-là sincère et fort peu triomphale. Rien n’était moins conforme à la vérité.

Au bruit de la mousqueterie, M. le Prince s’était mis debout. Autour de lui il y a de l’étonnement, et, parmi les troupes, une certaine confusion, causée surtout par l’épouvante des chevaux. Le calme rétabli, M. le Prince a promptement jugé ce qui se passe. Il ne faut plus songer à reprendre le combat avec un ennemi qui abandonne la partie. Lui-même n’a ni vivres, ni canon; les renforts ne sont pas arrivés. Inutile de rectifier une position incorrecte. Ordre est donné de rentrer au camp du Piéton. A l’aurore, M. le Prince fut rejoint par sa chaise, qui le ramena au quartier général. Depuis vingt-six heures il n’avait quitté la selle que pour prendre quelques instans de repos dans le buisson de La Basse-Hestre. Monté à cheval au petit jour, sans bottes ni éperons, en bas de soie et souliers, quand chaque mouvement lui rappelait ses douleurs, il avait franchi de grands espaces au galop, chargé de tous côtés, roulé trois fois sous son cheval tué.

Nous aimons à citer les jugemens concis que la loyauté de Turenne semble lui arracher. Lorsqu’il sut tout ce que cet infirme avait accompli dans cette journée du 11 août, il écrivit : « J’admire comme M. le Prince a pu résister à un si grand travail[35]. »

En quittant sa chaise à Trazegnies le 12, Condé pouvait à peine parler. Cependant il pourvoit à tout, donne de longues explications verbales à Briord, qui va trouver le Roi, et il envoie un capitaine avec un fort détachement à l’abbaye de Marimont, sur la position même qu’occupait l’ennemi, pour garder le champ de bataille. M. de Souches en était si peu maître que, sur la proposition de Chavagnac, il fit demander « un passeport afin de pouvoir enterrer ses morts et retirer ses blessés[36] ». Les aumôniers et les chirurgiens des alliés se mêlèrent aux nôtres dès le 12. Beaucoup de blessés ennemis furent recueillis dans les hôpitaux français. Pendant trois jours, des corvées et de nombreux volontaires partis du Piéton parcoururent le terrain des divers engagemens depuis Seneffe jusqu’à Fayt, achevèrent de vider les voitures, en firent sortir les femmes qui s’y trouvaient en grand nombre, et finirent par brûler quatre mille chariots abandonnés, ainsi que l’équipage de pont des Hollandais.

On a beaucoup disserté sur ce point : quel est celui des deux partis qui le premier a quitté, — on ne saurait dire le champ de bataille de Seneffe, car ce bourg était déjà fort loin, — mais le lieu précis où la nuit avait trouvé en présence les deux armées qui combattaient depuis le matin ?

En réalité, il n’y eut guère d’intervalle entre le mouvement des deux partis. Peut-être même chacun des deux généraux s’est-il décidé sans connaître la résolution de son adversaire. Tous deux ont bien pu s’éloigner par un mouvement spontané, sans être pressés ni suivis. Toutefois on peut voir par ce qui précède que, si quelqu’un pouvait réclamer le champ de bataille, c’était le prince de Condé.

La version que nous avons adoptée est celle qui s’accorde le mieux avec les relations sérieuses et avec les quelques dépêches qui nous ont été conservées[37]. L’ensemble et l’esprit de ce récit sont justifiés par les incidens qui marquèrent la fin de la campagne et par certains documens contemporains. Voici par exemple ce que, du cabinet même de Guillaume, écrivait un des confidens de ce prince[38] : «... Nous avons perdu six bataillons d’infanterie dont il ne reste personne (on croit voir le tableau des ravages de l’armement moderne) ; tout le bagage de mon maistre et celuy de son armée a esté pris et pillé. Nostre perte est si proche que je ne sais pas quelle résolution on prendra. Nous marchons vers Mons, manquant de tout. L’épouvante est grande. » De Launoy n’était pas aussi fier que son prince; en tout cas, ce n’est pas le langage d’un victorieux. Et, le 16 août, l’aveu est encore plus explicite : « Son Altesse mon maistre veut essayer d’avoir sa revanche ; la perte qu’il a faite est très considérable[39]. » Enfin, au mois de novembre, quand Guillaume fît connaître aux ambassadeurs anglais, Arlington et Ossory, ce qu’il prétendait exiger de la France : « Il fallait gagner des batailles pour exiger de pareilles conditions, » répondit Arlington[40].

Les trophées ont aussi leur éloquence. Les alliés n’en avaient pas recueilli[41]. Comptons ceux qui étaient échus aux Français. M. le Prince dirigea sur les places de l’intérieur trois mille cinq cents prisonniers ramassés par ses troupes. Plusieurs personnages de distinction, blessés et pris, le prince Maurice de Nassau, le prince de Salm, le duc de Holstein, d’autres encore, eurent la permission d’aller aux eaux ou chez eux sur parole. Le marquis d’Assentar, mestre de camp général espagnol, pris après un combat héroïque, mourut de ses blessures.

Cent sept drapeaux ou étendards, enlevés à l’ennemi pendant le combat, furent portés à Versailles par Gourville (18 août), et présentés le 22 par les Cent-Suisses à Notre-Dame de Paris, où l’archevêque chanta le Te Deum en présence du Roi, de la cour et de tous les corps constitués. Te Deum de meilleur aloi que ceux de Madrid, Vienne ou Bruxelles.

Les prouesses des officiers et des soldats français remplissent les pages de la Gazette et des relations[42]... Hélas! si gros qu’il fût, le chiffre des faits d’armes n’égalait pas celui des pertes. C’est la Maison du Roi, infanterie et cavalerie, qui présentait le plus fort contingent de morts et de blessés. Ainsi se trouvaient frappées les familles les plus distinguées de la cour, du parlement, de la ville; le deuil était partout; le retentissement fut grand, et la victoire de Seneffe fut considérée comme une journée néfaste. Mme de Sévigné donne bien le ton : « Nous avons tant perdu à cette victoire que sans le Te Deum et quelques drapeaux portés à Notre-Dame nous croirions avoir perdu le combat.[43] » Et M. le Prince écrivait à Louvois, non sans tristesse : « M. l’intendant vous envoyera demain la liste de tous les officiers que le Roy a perdus. Vous y en trouverez beaucoup, dont j’ay bien de la douleur ; mais en vérité le feu a esté grand et a duré longtemps[44]. »

Il est difficile de fixer le chiffre réel des pertes essuyées par les deux armées. On raconte que les curés du pays prétendaient avoir enterré vingt mille cadavres; c’est une fable. Si l’on fixe à quinze mille le nombre des hommes tués ou blessés et à peu près également répartis entre les deux armées, on sera probablement encore au-dessus de la vérité. Les Français comptaient sept mille hommes hors de combat, tant tués que blessés. Il manquait plus de monde aux alliés, environ douze mille hommes, y compris les prisonniers et les déserteurs[45]. Mais ceux-ci, dès le lendemain de la bataille, s’appliquaient à réparer leurs pertes; au milieu de chefs indécis, d’officiers découragés, la volonté du prince d’Orange s’impose; à force de crier victoire, il réveille quelques illusions, et il arrache de nouveaux sacrifices aux gouvernemens de La Haye et de Bruxelles. De Hollande, cinq régimens marchent sur Mons. L’amiral Ruyter[46] va débarquer les fantassins montés sur ses vaisseaux et leur fera prendre la même route. M. de Monterey promet dix-huit mille hommes, tirés des garnisons espagnoles des Pays-Bas. Dans quelques jours l’effectif réel des alliés, plus fort qu’avant le combat, dépassera soixante mille hommes. L’armée qui se reposait dans les retranchemens du Piéton n’avait à compter que sur elle-même. Le feu n’avait pas épargné l’état-major général. Les suites de deux graves contusions, légèrement traitées d’abord, retenaient M. le Duc au lit. Sur quatre lieutenans généraux, l’un, Fourilles, se mourait; un second, Rochefort, soignait sa blessure à Philippeville. Trois maréchaux de camp étaient hors de combat : le comte de Königsmarck et le marquis de Villeroy, blessés, à l’hôpital ; Montal, le premier de tous, rentré à Charleroy avec la jambe cassée. Blessé aussi le commandant de l’artillerie. Du Metz, qui n’avait pas d’égal dans cette partie. Heureusement Luxembourg restait debout, et M. le Prince tenait bon : « Je me réjouis de vous revoir en train de gagner des batailles, lui écrivait Mademoiselle[47]; c’est un remède pour la goutte qui vous fera plus de bien que tous ceux de Bourdelot. » Assurément, si dans ce moment une crise avait rejeté Condé dans les mains des empiriques, c’eût été au grand dommage de la France. Au milieu de complica- tions très diverses, il avait encore besoin de tous ses moyens pour mener à bien sa laborieuse campagne.


X. — LES ALLIÉS A QUIÉVRAIN (16 AOUT). — M. LE PRINCE A LA BUISSIÈRE (23). LES ALLIÉS, RENONÇANT A L’INVASION, ASSIÈGENT AUDENARDE.

...Aucun renfort ne vint grossir l’armée de M. le Prince ; mais par le rappel de divers détachemens, par le remaniement des garnisons, qui fournirent un certain nombre d’escadrons et de bataillons frais en échange de troupes fatiguées, l’effectif, tombé un moment à trente-deux mille hommes, remonta à plus de quarante mille, en y comprenant les colonnes mobiles maintenues à Philippeville, Avesnes, Lille, Tournay, dont M. le Prince pouvait appeler à lui les unes ou les autres, selon la direction que prendraient ses opérations.

Le ministre fit largement les fonds pour la solde, et donna toute son assistance au commandement pour assurer le service des subsistances. De grands approvisionnemens de farines furent formés ou entretenus dans les quatre places que nous venons de nommer et d’où l’armée pouvait avoir à tirer ses vivres. Des convois de chevaux furent dirigés sur la frontière, où des détachemens allaient les prendre pour les amener aux régimens. Et à ce propos nous citerons quelques paroles qui montrent combien Condé tenait à ses soldats et avec quelle fierté il parlait d’eux. Envoyant en remonte quinze cents cavaliers démontés, il écrivait à Louvois[48] : « Faites en sorte que ces cavaliers, qui sont les premiers soldats du monde, ne se perdent pas. » Charleroy continua d’être abondamment pourvu. L’encombrement y était grand; on en fit partir les prisonniers, dirigés sur l’intérieur. Force remèdes et chirurgiens y furent expédiés de Paris pour hâter la guérison des blessés. Cette place restait encore la principale base d’opérations de l’armée ; car M. le Prince pouvait être appelé à prendre une direction nouvelle, à manœuvrer du côté de la Meuse, et c’est une des raisons qui le retinrent quelques jours à son camp du Piéton. Un gros nuage se formait à l’est. L’électeur de Brandebourg, le duc de Brunswick, avaient mis de nouvelles armées sur pied, et les coalisés s’évertuaient à faire miroiter ces troupes pour en menacer tantôt Turenne et tantôt M. le Prince[49]. Cependant, malgré la pluie de pamphlets et d’estampes dont l’Europe était inondée, la vérité se faisait jour. Bientôt on cesse de croire en Allemagne à la grande Victoire des alliés. « Les affaires vont changer de face. L’électeur de Brandebourg ralentit la marche de ses troupes. Si elles arrivent en Flandre, ce qui est douteux, ce ne sera pas avant la fin de la campagne. La cavalerie de Saxe se retire du Palatinat, où le secours du duc de Brunswick fera peu d’effet[50]. »

M. le Prince n’eut donc pas à se préoccuper longtemps des armées nouvelles, qui, par le Rhin et la Meuse, devaient lui tomber sur les bras. Celle qu’il avait combattue et qui se reformait près de Mons suffisait à fixer son attention. Les généraux qui la commandaient s’appliquaient à soutenir leur rôle de victorieux et à relever la confiance qu’au fond du cœur eux-mêmes ne partageaient plus. Dès le 16 août, ils commencent à remuer et s’avancent de quelques lieues jusque vers Quiévrain. Là, ils se couvrent de retranchemens, construisent des ponts, rassemblent force pionniers, faisant grand bruit des renforts qu’ils reçoivent et cherchant à donner jalousie de tous côtés. Très vigilant, observateur judicieux et plein d’expérience, Broglie les surveillait de sa place d’Avesnes, et jugea de suite qu’ils songeaient moins à préparer un dessein qu’à se donner de l’espace et à faciliter leur subsistance[51]. Condé ne se méprit pas davantage sur ce premier mouvement; sans s’endormir, il prit tout son temps. Rassuré du côté de l’est, dès qu’il eut à peu près reconstitué ses forces, il gagne la Sambre, la remonte, et va prendre position à La Buissière[52], (23 août), se rapprochant des routes que pourraient prendre les ennemis, en mesure de les devancer ou de les suivre en manœuvrant sur l’une ou l’autre rive du fleuve.

Il fallait veiller de très près. Etablis au delà de la Haine, maîtres de Valenciennes, de Bouchain, de Cambrai, les coalisés pouvaient marcher presque sans obstacle jusqu’à la Somme : qu’ils réussissent à forcer le passage, et la route de Paris est ouverte! La pénétration de M. le Prince n’est pas en défaut, et sa puissante intelligence enfante plus d’un plan pour contrarier les projets de l’ennemi ; mais avec son infériorité numérique il n’est pas sans quelque anxiété. A la place de M. de Souches, il n’aurait pas hésité. C’était bien aussi le rêve persistant du prince d’Orange : « Dès que nous serons en mesure, écrivait son secrétaire le 17 août[53], le plan est de se jeter sur quelque place, puis de pénétrer en France et d’y aller le plus avant qu’il se pourra. »

L’armée du Roi est maintenant prête à marcher. Partout, sur la frontière, on fait bonne garde. Confident des soucis de son père, le duc d’Anguien envoie à sa femme l’ordre de quitter Chantilly, et fait armer ses forestiers pour protéger contre un coup de main les objets précieux renfermés dans le château[54]. Mais bientôt il donna contre-ordre.

Mis en échec par la marche de M. le Prince, les alliés reconnurent qu’il ne fallait pas faire fond sur des espérances trop légèrement conçues : l’armée française n’était pas aussi paralysée qu’on avait voulu le croire ou le faire croire au lendemain de la journée de Seneffe. D’ailleurs la discorde régnait dans leur camp. L’antagonisme était complet entre le comte de Souches et le prince d’Orange, le premier se méfiant de l’inexpérience militaire et des préoccupations personnelles de Guillaume, celui-ci prompt à flétrir du nom de trahison l’insouciance et la lenteur du commandant en chef de l’armée impériale. Tous deux étaient au plus mal avec le capitaine général espagnol, comte de Monterey, qui ne s’était pas même trouvé sur le terrain le jour de la bataille. Divisés, mécontens d’eux-mêmes et des autres, comme il arrive toujours lorsque le succès ne resserre pas les liens éphémères d’une coalition, les alliés renoncent à de trop grandes entreprises. Pourront-ils se mettre d’accord pour attaquer une des places avancées que les Français occupent dans les vallées de la Dender, de l’Escaut, de la Lys ?

Le prince d’Orange n’avait même pas renoncé encore à pénétrer en France par la vallée de la Scarpe : « Nous avons reçu le gros canon, écrit de Launoy le 29 août[55], et nous marcherons dans deux jours. On songe à attaquer Douay ou Arras, et si le prince de Condé s’approche, on lui livrera bataille. »

Sans y croire beaucoup, le prince de Condé était tout prêt à accepter le défi, mais en choisissant le lieu et l’heure. Il continuait d’être très exactement et très complètement renseigné. La correspondance officielle, qui, déjà délicate à l’aube de son rapide développement et grosse de conséquences, tenait une place nouvelle dans les soucis et les devoirs du commandement, n’était pas la seule que Condé eût à entretenir. Le même commerce de lettres, toujours très suivi, le tenait en rapports avec les représentans du Roi dans les pays neutres, avec ses propres agens répartis çà et là, avec tous les commandans de places, dans un rayon prolongé. Au premier rang de ceux-ci, il faut encore nommer d’Estrades.

Non moins homme d’État qu’homme de guerre, supérieur par les vues, le savoir et l’expérience, le gouverneur de Maëstricht aurait voulu profiter de notre rupture récente avec la maison d’Autriche pour réparer les erreurs des années précédentes, ramener la France à sa politique traditionnelle, la rapprocher des États secondaires, de la Hollande surtout. « Dites beaucoup de bien du prince d’Orange, écrivait-il à Condé[56] ; je luy ay desjà fait savoir que vous vantiez sa valeur et que vous en escriviez au roy. La conjoncture est favorable pour le détacher des Espagnols, dont il se plainct beaucoup. » Les tendances d’opinion, les sympathies personnelles ne ralentissaient pas l’activité de d’Estrades. Nul n’était plus empressé à déjouer les desseins de Guillaume et à tenir M. le Prince au courant. Il ne se fiait pas seulement aux lettres, aux récits ; ainsi que Broglie et que d’Humières, il faisait battre le pays et poussait ses partis au loin, suivant en cela l’exemple, la pratique de M. le Prince. Comme tous ceux qui se gardent bien, Condé cherchait à garder l’ennemi, tenant toujours dehors les trois ou quatre officiers par lui formés et entendus à ce périlleux métier, hommes précieux qu’il fallait risquer et qui ne revenaient pas toujours, car ils étaient de la race de ceux qui se font tuer[57]. La mort lui enleva le meilleur de tous. Le 29 août, M. de Saint-Clas[58], « estant allé en party et s’estant approché des ennemys près de Quiévrain », fut atteint grièvement de trois coups de pistolet; on le porta dans un château du voisinage, où il languit quelques jours. Le 7 septembre, M. le Prince annonçait sa mort à Louvois : « C’est une très grande perte pour le roy; quant à moy, je le plains extrêmement, et j’en suis affligé au dernier point[59]. » Sans relâche dans sa vigilance, aussi adroit qu’audacieux, Saint-Clas n’avait point d’égal pour mener la cavalerie légère, reconnaître, tâter l’ennemi, le contraindre à se montrer. Voyant toujours clair et juste, il ne laissait jamais son général sans nouvelles, et ses renseignemens étaient si exacts que M. le Prince s’y fiait aveuglément. Son rôle fut grand au jour de la bataille; c’est lui qui, commandant la grand’garde, découvrit le 11 août, à travers la brume du matin, les coalisés en marche; c’est encore lui qui, repartant aussitôt avec ses dragons, trouva moyen d’amuser les Impériaux et les empêcha de songer à secourir leur arrière -garde. Salut à ce héros ignoré, que la mort arrêta sur le chemin de la gloire, victime de son infatigable dévouement! Condé fit son oraison funèbre : « C’est la plus grande perte du monde. »

Rapports d’éclaireurs ou d’espions, avis envoyés d’Avesnes ou d’ailleurs, tous les renseignemens sont d’accord : il faut s’attendre à une entreprise importante et prochaine. M. le Prince a toutes ses troupes dans la main, prêtes à marcher ; il épie l’heure pour s’approcher des ennemis au moment où leur dessein sera prononcé. Bientôt le champ des hypothèses se rétrécit. Les alliés, après avoir marqué un mouvement dans la direction de Valenciennes, repassent rapidement la Haine. En veulent-ils à Ath sur la Dender, ou à Audenarde sur l’Escaut? Ces deux places sont seules menacées ; Condé fera en sorte de secourir l’une ou l’autre. Il va marcher, et donne rendez-vous à d’Humières, qui sortira de Lille renforcé : les garnisons de la Flandre maritime ont ordre d’envoyer leur cavalerie au maréchal ; il sera aussi rejoint par divers corps venant de l’arrière, bataillon des Gardes françaises, compagnies des mousquetaires, etc., près de huit mille hommes.

Les craintes de la cour étaient pour Ath. Le Roi avait prescrit d’y renvoyer M. de Rannes et le parti que déjà M. le Prince avait jeté dans Audenarde. L’ordre arriva trop tard. Mais voici un bien autre embarras : c’est un plan qui émane de haut, présenté ou plutôt repris in extremis, jeté en quelque sorte à la traverse au moment des opérations suprêmes. Le Roi revient aux idées qu’il n’a jamais complètement abandonnées ; il ne se console pas de voir achever la campagne sans qu’aucune conquête ait marqué le succès de son armée. Si Condé voulait faire sa cour, il attaquerait une place, Cambrai, — une bien grosse affaire, — ou au moins Bouchain. Le Roi ne l’ordonne pas, il le propose ; c’est de sa propre main qu’il le demande avec insistance[60]. Ne pourrait-on se diviser? Ici, M. le Duc; là, M. le Prince. Tandis que le fils attaquerait Bouchain, le père marcherait au secours de celle de nos places que les ennemis auraient attaquée. Tout résolu qu’il est à obéir, même à plaire, Condé est trop fidèle sujet, trop bon citoyen, pour se rendre au désir de Sa Majesté. Dans une dépêche adressée à Louvois[61] et fortement raisonnée, il repousse l’idée de mener de front le siège d’une place et le secours d’une autre, « à moins que le Roy ne veuille, en risquant son armée, troquer Audenarde contre Bouchain», et encore ! M. le Prince ne se trouble pas davantage de cette dangereuse fantaisie. Le 14 septembre, il quitte son camp de La Buissière. Le même jour, les alliés investissaient Audenarde.


XI. — SECOURS D’AUDENARDE. RETRAITE DES ALLIES. CONDE A SAINT-GERMAIN.

C’était une place médiocre, malgré de récentes améliorations, dominée sur la rive droite, à l’est, par des hauteurs dangereuses, voisines, et d’un relief assez prononcé ; les collines de la rive gauche étaient plus éloignées et moins hautes. L’Escaut, qui traversait la ville, assurait à la défense le secours des inondations; obligé de se diviser, l’assaillant restait exposé à divers accidens, ruptures de ponts, etc. Le gouverneur, Rochepaire, était un brave homme, mais vieux et fatigué. Heureusement, d’après les instructions antérieures de M. le Prince, un jeune et vigoureux officier, le marquis de Rannes, celui qui commandait les dragons Colonel-Général à l’attaque de Seneffe[62], s’était jeté dans la place avec un détachement de dragons et en avait porté la garnison à deux mille cinq cents hommes. Enfin Vauban venait de s’y enfermer; misa la disposition de M. le Prince quand on espérait un grand siège, il se trouva tout posté pour la défense. C’était le plus précieux des secours. La moitié de l’armée ennemie, Espagnols et Hollandais, s’établit sur la rive gauche ; les Impériaux tenaient la rive droite. Un grand convoi d’artillerie, vivres et munitions, formé à Gand, entra dans les lignes. Le 18, les alliés ouvrirent le feu; pendant deux jours, Audenarde fut battu par cinquante pièces qui tiraient encore le 20, lorsque l’approche de l’armée de secours fut signalée.

Incertain sur l’objet immédiat que poursuivait l’ennemi, mais pénétrant l’ensemble de son dessein, M. le Prince avait réglé sa marche de façon à couvrir ses communications et à s’ouvrir toutes les directions. Il laisse Mons à sa droite, et en cinq jours, par Feignies, Bavay, Quiévrain, Perwels, il gagne Tournay (18 septembre). Là, il trouve le maréchal d’Humières, qui lui donne les nouvelles et lui amène huit mille hommes empruntés aux garnisons des places non menacées. Sans s’arrêter, il franchit l’Escaut, et, suivant la rive gauche par Espierres, il arrive dans la journée du 20 en vue d’Audenarde. Aux approches de la place assiégée, il marche sur trois colonnes ; chaque colonne est précédée d’une forte avant-garde complètement pourvue et composée des diverses armes selon des principes tout modernes[63]; les haltes et les distances sont réglées de telle sorte que les trois colonnes présentent leur tête toujours à hauteur, prêtes à se déployer simultanément ; car M. le Prince s’attendait à rencontrer l’ennemi marchant au-devant de lui ou en position. Mais les alliés restent dans leurs lignes et ne paraissent pas songer à défendre les hauteurs qui s’élèvent à l’ouest (rive gauche) et à quelque distance de la place.

M. le Prince punira l’ennemi de cette négligence et de cette inaction. Tandis que les troupes du centre et de la gauche, continuant leur marche, gravissent lentement les hauteurs, il rapproche sa droite de l’Escaut, fait canonner et enlever l’abbaye de Peteghem, où l’ennemi avait son avancée à la queue de l’inondation. Le soir, l’armée, ayant fait sur la droite en bataille, se trouve établie à l’ouest d’Audenarde, en face des lignes ennemies qu’elle domine. La droite est à Peteghem, la gauche se prolonge vers Oycke. Quelques officiers et un détachement se jetèrent dans les bateaux surpris à Peteghem, traversèrent l’inondation, et portèrent la joie parmi les défenseurs d’Audenarde en leur apprenant qu’ils étaient secourus.

Dans la nuit du 20 au 21, le siège fut levé. L’artillerie de l’assiégeant fut dirigée sur Gand. Les Impériaux, campés dans les lignes de la rive droite, traversent l’Escaut en aval d’Audenarde pour soutenir les Hollandais et les Espagnols, établis sur la rive gauche et menacés par les Français. Le 21 au matin, les alliés simulèrent un retour offensif vers Peteghem pour attirer l’attention de M. le Prince; ayant ainsi gagné un peu de temps, ils profitèrent d’un grand brouillard pour hâter leur mouvement. Ils s’arrêtèrent à une lieue et demie de la place, derrière le ruisseau qui se jette dans l’Escaut à Aspern. M. le Prince les suivit, se mit en bataille et les canonna toute la soirée. Les alliés n’acceptèrent pas le combat. Le 22, assez piteusement, ils continuèrent leur retraite sur Gand; la pluie tombait à torrens et détrempait tous les chemins. M. le Prince n’alla pas plus loin. Il avait atteint son but et fait avorter l’entreprise de l’ennemi, rejeté loin de la France.

Les alliés firent encore mine de vouloir entreprendre et se rapprochèrent un moment de la Dender ; Condé ne leur permit de rien tenter. Nous le trouvons le 2 octobre aux environs de Lessine, tranquillement occupé à pourvoir les places avancées, à les garnir de fourrages et de vivres. Docile à une consigne rigoureuse, il fait aussi détruire ou incendier tout ce qui peut servir à l’ennemi. Les alliés se séparent; le prince d’Orange va rejoindre M. de Rabenhaupt au siège de Grave. Les Espagnols retournent dans leurs garnisons, et les Impériaux marchent vers la Meuse. Le 12 octobre, M. le Prince rentre à Tournay. Il avait été repris par la goutte et fut plusieurs jours sans pouvoir écrire. Le Roi l’avait autorisé à « s’en retourner dès qu’il le jugeroit à propos » ; mais, plus que jamais attaché à la discipline, Condé se rappelait aussi à quelles insinuations il avait été jadis exposé pour avoir profité d’une autorisation officieuse[64]. Quoiqu’il eût « un extrême besoin de faire des remèdes »[65], il demanda qu’on lui fît « savoir précisément l’intention du Roy pour mon retour; car si Sa Majesté laissoit cela à mon choix, je courrois risque de demeurer bien longtemps icy sans nécessité, n’y ayant guère d’apparence de quitter une armée que l’on commande sans un congé exprès du Roy »[66]. La réponse ne se fît pas attendre: « Je désire que vous et mon cousin le duc d’Anguyen vostre fils partiez de Tournay pour vous rendre près de moy, où je remets à vous tesmoingner de bouche la véritable et singulière satisfaction que j’ay des grands et recommandables services que vous et mon dit cousin avez continué de me rendre pendant la campagne[67]. »

Le 2 novembre, après un court repos à Chantilly, M. le Prince gravissait péniblement l’escalier de Saint-Germain. Le Roi, entouré de sa cour, l’attendait au haut du degré. Comme Condé s’excusait de sa lenteur : « Mon cousin, dit Louis XIV en s’avançant, quand on est aussi chargé de lauriers, on ne peut pas marcher vite. »


XII. — RÉSUMÉ DE LA CAMPAGNE DE CONDÉ EN 1674

Nous avons raconté avec quelque développement cette campagne de 1674 en Belgique; c’est la dernière que M. le Prince ait conçue, dirigée dans l’ensemble et dans le détail. Elle ne ressemble à aucune de celles qui l’ont précédée; à notre avis, elle n’est inférieure à aucune.

Elle a été l’objet de vives critiques. On a reproché à Condé de s’être montré morose, lent, indécis, et de n’avoir pas su prévenir le dessein de son adversaire ; de n’avoir pas tiré profit des circonstances pour conquérir des places, — c’était le sentiment du Roi et de son ministre ; — enfin d’avoir commis une grosse erreur tactique en prolongeant inutilement le combat à Seneffe.

S’il n’a pas en effet prévenu les desseins de son adversaire, il les a tous fait échouer après un commencement d’exécution ; lui-même a toujours atteint son but. On parle de lenteur, d’indécision : ce sont les faits qui répondent. Huit jours après avoir pris le commandement, il était à 45 lieues de sa place d’armes, allant chercher en plein pays ennemi, au milieu des alliés qui se concentrent, un gros contingent, — la moitié de ses troupes, — qui se laissait envelopper comme à plaisir. Par sa promptitude, Condé fait rentrer dans le devoir un lieutenant égaré, dégage l’aveugle Bellefonds malgré lui, et, avec la même promptitude, ramène son armée reconstituée sur le terrain qu’il a choisi pour tenir ses adversaires en échec.

Après ce coup de théâtre, la vraie campagne commence; elle est d’abord, elle doit être surtout défensive. En face d’armées très supérieures en nombre, heureusement désunies et imparfaitement commandées, avec des troupes fatiguées, peu disciplinées, des lieutenans insuffisans, il faut protéger notre frontière du nord, de la mer à la Meuse, frontière dentelée, hérissée de flèches qui semblent poussées et comme perdues dans le territoire de l’ennemi pour le provoquer et le tenter. Il faut sauver ces postes avancés, surtout barrer cette route sur laquelle les alliés espèrent toujours s’avancer triomphalement, la route de Paris ! Les troupes de M. le Prince ne seront pas disséminées ni disposées en cordon ; son armée reste dans sa main. Jamais il ne se conforme à la volonté de son adversaire, dont il ne cherche pas à suivre toutes les évolutions, se bornant à les bien connaître ; aucun général n’a été mieux renseigné par de nombreux correspondans, par d’intrépides et infatigables partisans formés à son école. L’ennemi peut s’agiter dans le vide ; à ses mouvemens Condé en oppose d’autres, toujours différens. Par quelques marches opportunes, par le choix des positions qu’il occupe entre l’Escaut et la Meuse, près d’Ath, de Binche, de Charleroy, se tenant toujours rassemblé, il remédie à la faiblesse de son effectif, à l’insuffisance de ses forces, et il fait avorter toutes les tentatives plus ou moins accusées de l’ennemi du côté de la Meuse sur Maëstricht, Liège, Philippeville, vers l’ouest sur Ath, Audenarde, et même sur les places de la Flandre maritime. Enfin l’ennemi ne peut mettre un pied sur le sol de la France.

Il y eut bien quelques retards et quelques mécomptes habilement palliés. M. le Prince aurait voulu faire plus ; mais il n’était pas libre : il avait à lutter contre les difficultés intérieures, qui venaient, non de ses subordonnés, — celles-là ne l’embarrassaient guère, — mais d’en haut. C’est le Roi, qui voudrait des conquêtes, de grands sièges, et qui plusieurs fois revient à la charge, avec déférence, sans emportement, mais avec une ténacité dont il fallait bien tenir compte. C’est le ministre, dont l’imagination enfante de continuels plans de campagne, les prêtant (non seulement à nos armées, mais à celles des ennemis, et qui soudain ordonne des détachemens, déplace les troupes, retient des généraux, arrête, détourne les renforts, trouble l’économie des opérations et des effectifs calculés avec la plus exacte précision.

Cette lutte sourde dura deux mois; au cours du récit, nous en avons indiqué les principales vicissitudes. Pour la soutenir sans provoquer de périlleuses colères, sans manquer au devoir, il fallut beaucoup d’habileté, de fermeté, de patience. Jamais un refus d’obéissance, jamais une récrimination : les généraux, les troupes que le ministre réclame, M. le Prince les fait partir; les sièges que le Roi indique, il les étudie, il les prépare ; mais il gagne du temps ; les moindres indices sont relevés; le péril est mis en lumière; toujours respectueuses, ses dépêches sont nettes et fortement déduites.

Condé finit par avoir gain de cause, un peu tard sans doute, mais encore en temps utile, grâce à la désunion et aux lenteurs des alliés. Le Roi s’est rendu, ne parle plus de sièges, réserve la question : « Ce ne fut pas la moindre victoire de M. le Prince, » écrivait son fils. Les yeux du ministre se sont dessillés ; il rend tout ce qu’il a pris. Dans les premiers jours d’août, les troupes détachées par ordre rentraient au camp du Piéton; M. le Prince voyait arriver, avec les beaux escadrons de la Maison du Roi, celui qui saura les conduire, Fourilles, notre premier officier de cavalerie; Montal est là pour entraîner l’infanterie. Enfin Condé se sent rassuré par la présence de Luxembourg, ce lieutenant incomparable, digne de prendre la première place si la goutte ou le feu la rendait vacante.

Au même moment, les confédérés achevaient leur concentration vers Nivelles. Ils sont plus de soixante mille hommes; M. le Prince n’en a pas quarante-cinq mille. Admirablement éclairé, il observe, connaît les préparatifs des ennemis. Sourd à leurs provocations, il laisse croître leur confiance. Pour lui, leur dessein est clair ; il peut presque fixer l’heure de leur départ, la direction qu’ils suivront. Toutes ses mesures sont prises : les premiers à marcher sont désignés, les échelons formés; mais rien n’est démasqué, rien ne fait soupçonner son plan. Il semble toujours engourdi dans son camp retranché, et on ne devine pas comment il en pourra sortir.

Enfin l’ennemi, irrité de cette immobilité, poussé à bout, outrecuidant, aveuglé par une sorte de dépit, comme s’il sentait croître son mépris pour cet adversaire qui n’accepte aucun défi, craignant aussi l’usure stérile des forces, le retour des divisions, des querelles, se décide à, exécuter le dessein qu’il médite depuis longtemps, — se jeter sur une de nos places de l’intérieur, pénétrer au cœur de la France, — et se risque à marcher presque en vue du camp français. M. le Prince, qui le guette, saisit l’instant où les longues et lourdes colonnes se sont étendues, enchevêtrées, couvrant cinq lieues de pays; il fond sur l’arrière-garde, qu’il isole ; d’un seul coup de filet, il a tout tué ou pris, sauf quelques fuyards : six ou sept mille hommes de moins dans la grande armée alliée.

Condé va-t-il se reposer sur des lauriers si rapidement recueillis? Va-t-il retourner à son camp, ou attendre le gros de ses troupes, qui s’avancent en échelons pour le rejoindre? Mais déjà un grand corps de l’armée alliée a fait demi-tour, rétrograde pour secourir ou venger l’arrière-garde. Il approche. Ce sont des Espagnols et des Hollandais. M. le Prince court au-devant d’eux, ne leur permet pas de se déployer en plaine, les refoule dans les bois, les suit, et se trouve en présence du prince d’Orange, qui, posté au Prieuré-Saint-Nicolas avec le centre des alliés, attend l’armée de l’Empereur.

Celle-ci avait l’avant-garde et déjà prenait son bivouac vers Haine-Saint-Pierre. Distrait par la présence d’une brigade de cavalerie française qui vient d’apparaître dans une direction inattendue, M. de Souches hésite, puis se rend à l’appel de Guillaume. Condé ne lui laissera pas le temps d’arriver. Lui-même d’ailleurs n’est pas libre de s’arrêter. Il ne peut ni tourner le dos, ni rester immobile dans les bois et les ravins, au pied de cette hauteur couronnée de soldats menaçans. D’ailleurs Condé pratique la maxime que Napoléon a formulée : « Soutenir l’offensive jusqu’à la dernière extrémité, pousser toujours à fond les attaques » ; et il continue de pousser à fond. Le Prieuré est enlevé, l’escorte des bagages dispersée; l’ennemi abandonne ses voitures, ses pontons, ses blessés; il se retire malmené, quoique sans débandade.

La fortune reste favorable; mais à chaque pas les sacrifices augmentent; à chaque choc le succès est moins éclatant, moins complet, plus chèrement acheté. Les renforts qui rejoignent successivement ne compensent pas la supériorité numérique que va recouvrer l’adversaire, ni la fatigue de ces troupes qui, depuis le matin, courent d’assaut en assaut et ne cessent de charger que pour parcourir rapidement de grands espaces. La belle armée de l’Empereur est là tout entière, à quelques centaines de mètres[68], fraîche, intacte, sur de bonnes positions où elle recueille les troupes en retraite.

La nature des lieux et les circonstances ne permettaient pas aux Français de s’établir sur le terrain qu’ils venaient de conquérir. Si l’on cessait de marcher en avant, il fallait reculer, dégringoler toutes ces pentes laborieusement gravies, avec l’armée impériale dans le dos. — C’est pour le coup que celui qui était l’âme de l’armée alliée, le prince d’Orange, aurait eu le droit de dire qu’il avait gagné la bataille de Seneffe ! — A battre en retraite devant ces troupes fraîches, aguerries, il y avait plus de péril qu’à soutenir l’offensive. Et à trois heures de l’après-midi, M. le Prince, combattant depuis le jour, entreprit l’attaque de Fayt.

Il la conduisit avec furie, mais non sans méthode. Admirablement secondé par ses lieutenans et par ses troupes, il déploya toutes les ressources de son génie tactique, déjoua les mouvemens tournans, changea deux ou trois fois son plan, manœuvrant par le centre, la droite, la gauche, usant tantôt de l’infanterie, tantôt de la cavaleric.il rencontra des adversaires dignes de lui, des troupes aussi vaillantes, aussi bien menées que les siennes, quoique dans un ordre moins flexible. Les accidens de terrain, les obstacles de tout genre furent disputés, enlevés, repris.

Un moment, Condé put croire à un suprême et complet triomphe : cette espérance lui échappa. De là, un certain ressentiment contre ceux auxquels il attribuait sa déconvenue, et le jugement, sévère dans sa forme sobre et concise, qu’il prononce sur nos plus anciens frères d’armes : « Tout le monde a bien fait, hors les Suisses. » Il était indisposé contre eux, ayant eu souvent maille à partir avec leurs chefs sur le terrain des capitulations[69]. Quand il vit le régiment des Gardes suisses arrêté devant la ravine de Rœulx par un feu terrible et par la difficulté des lieux, il ne tint pas compte de l’obstacle; il se souvint de ses vieux griefs. A notre avis, il fut injuste, comme il l’avait été pour Fourilles. L’histoire a le droit de redresser ces jugemens passionnés. A Seneffe comme ailleurs, nous estimons que les Suisses ont fait tout ce qu’on peut demander à des soldats ; mais il y a eu peu de chefs aussi exigeans que Condé, et cette exigence lui avait souvent réussi.

La nuit trouve les deux armées en contact, se partageant la position. Au jour, toutes deux avaient quitté le champ de bataille. Les alliés avaient-ils le droit de célébrer leur victoire par des salves, d’emboucher la trompette et de remplir l’Europe de leurs chants de triomphe? Deux ou trois étendards furent envoyés à Vienne; — Notre-Dame fut tapissée de drapeaux. — Les villes de France regorgeaient de prisonniers envoyés de Flandre ; — les alliés ne purent jamais trouver les élémens d’un cartel d’échange.

Il est certain que M. le Prince n’a pas pu emporter la position de Fayt. Il n’est pas moins certain que par une retraite prématurée il aurait donné la victoire à un ennemi battu, tandis que par son acharnement il a frappé l’ennemi d’impuissance. On ne trouvera ici ni réfutations, ni apologies; nous nous bornons à résumer les faits, à exposer une situation qui ne saurait être contestée et qui se passe de commentaires. A côté de ce tableau, que pèsent les assertions, les démonstrations, les libelles?

Les alliés tirent des renforts de toutes parts ; leurs rangs grossissent à vue d’œil ; ils font grand fracas de leurs projets ; mais ils ne peuvent dépasser Mons, ni faire pénétrer un partisan en France. M. le Prince a reposé, remanié ses troupes, placé des colonnes mobiles dans certaines places. Il lui suffit de remonter la Sambre et de prendre position pour forcer les ennemis à renoncer à tous leurs beaux projets d’invasion.

Au moins leur faut-il une conquête, si petite qu’elle soit. Ils jettent leur dévolu sur Audenarde, place de second rang, mais dont la reprise leur tenait à cœur et qu’ils voulaient restituer avec quelque fracas au gouvernement des Pays-Bas pour donner une certaine couleur à la fin de leur triste campagne. Soudain M. le Prince apparaît avec son armée. De Lille, de Tournay, les renforts lui arrivent ; de toutes parts on ne voit que Français. Le siège est levé en grande hâte. Sans la présence d’esprit du vieux comte de Souches, objet des sarcasmes de ses collègues, Dieu sait ce qui serait advenu.

La retraite d’Audenarde jeta la « consternation » dans les Pays-Bas. Le spectacle de cette grande armée soi-disant victorieuse, qui s’éclipse à l’approche de M. le Prince et disparaît sans combat au milieu du brouillard, frappe les esprits, que la bataille de Seneffe, mal connue, mal comprise, avait laissés incertains. C’était le corollaire et la preuve de la victoire du 11 août. Ainsi se trouvaient mises à néant les vanteries des généraux alliés. Ceux-ci se séparent piteusement ; la violence de leurs récriminations témoigne de leur état d’âme.

Le 25 septembre, le prince d’Orange, rendant aux États un compte partial et évidemment inexact des opérations devant Audenarde, adressait aux « nobles et puissans seigneurs » une dénonciation formelle contre le comte de Souches[70], imputant au mauvais vouloir constant et à la « conduite surprenante » du général en chef de l’armée impériale le résultat négatif de cette campagne que les alliés avaient entreprise avec de si hautes espérances. Sans se prononcer sur la valeur de ces accusations, le cabinet de Vienne en accepta les conséquences : M. de Souches fut écarté du commandement. Soldat de fortune, il faisait son métier depuis quarante ans. Français, il avait toujours servi l’Empereur, parfois sur les côtes de la Baltique, le plus souvent sur les bords du Danube ou dans les défilés des Carpathes, et il avait beaucoup emprunté aux habitudes des Turcs ou des princes à moitié sauvages qui vivaient aux confins du monde chrétien. Aussi, sur ses vieux jours, il en prenait fort à son aise. Très indulgent pour ses soldats, tolérant tous leurs désordres, même leurs crimes, pourvu qu’ils fussent présens et solides au feu, il était sans merci pour les autres créatures humaines. Son insouciance n’avait pas d’égale. Le lecteur a été témoin de ses lenteurs, de ses tergiversations, souvent si étranges qu’elles semblent calculées. N’est-on même pas fondé à croire que cette hésitation apparente était conforme aux instructions secrètes du Conseil antique On est d’autant plus fondé à le croire que Souches était lié d’intérêts avec le prince Lobkowitz, chef du Conseil aulique. Est-ce fortuitement que la disgrâce de ce favori de l’empereur Léopold coïncida avec celle de Souches ? </ref>? Au feu, d’ailleurs, l’homme de guerre se réveillait; il avait fort habilement et vaillamment défendu le 11 août la position de Fayt : « La valeur et la constance des Allemands en cette journée a conservé les Pays-Bas au Roi catholique, rachète les vols et les violences qu’ils ont commis partout[71]. » Enfin il avait « fort bien fait l’arrière-garde »[72] à la retraite d’Audenarde, où il sauva l’armée des alliés. Nous le perdons de vue à ce jour; retiré dans ses terres de Moravie, il disparaît de l’histoire.

Délivré des embarras qu’avait pu lui causer ce fantôme de généralissime, le prince d’Orange perd en même temps le concours de l’armée impériale, appelée ailleurs. Il ne lui reste rien à tenter sur les frontières de France ni même dans les Pays-Bas espagnols. Il fallut se rabattre sur le siège de Grave. Cette méchante place, toute en terre, étroite, appuyée à la rive droite de la basse Meuse, et comme enfoncée dans une vaste plaine, perdue en pays ennemi[73], était condamnée d’avance. Elle avait joué son rôle, d’abord en facilitant à nos armées l’évacuation des Provinces-Unies, puis en imposant aux alliés une grande dépense d’hommes et d’argent. Nul espoir de la secourir; et cependant le siège n’avançait pas, on était inquiet de la fin. Guillaume en prit la direction, s’y donna tout entier. Cela surprit d’abord, car on avait supposé que les alliés ordonneraient à M. de Rabenhaupt de lever le siège de Grave afin de renforcer leur armée après Seneffe. On sut bientôt qu’au contraire ils espéraient en venir à bout promptement; ils se vantaient même de faire la garnison prisonnière de guerre, ce qui leur eût donné moyen de retirer par un échange quelques-uns des prisonniers de Seneffe. Chamilly leur refusa cette satisfaction.

Le gouverneur de Grave était de ces Bourguignons de longue date dévoués aux Condé. C’est son père qui menait si gaillardement le régiment d’Anguien dans la vigne de Fribourg; le vieillard était mort pendant l’exil de M. le Prince[74], qu’il avait partagé avec son fils cadet[75]. Celui-ci, Noël[76], était resté au service du Roi; mais le cœur n’avait pas quitté M. le Prince. Son énergie dépassa tout ce que la France pouvait espérer. Après quatre mois de siège[77], sur l’ordre écrit du Roi, il remit les ruines de Grave et en sortit avec ses troupes, drapeaux, armes, bagages, emmenant, avec ses pièces de campagne, vingt-quatre gros canons de bronze aux armes royales de France[78].

Le siège de Grave avait coûté 16 000 hommes aux alliés[79]. La garnison française, de 4 000 hommes, comptait 2748 tués ou blessés, dont 183 officiers. On ne peut pas imaginer une défense plus glorieuse.

Nous ne pouvions passer sous silence le fait d’armes de Chamilly, qui couronne et complète l’avantage des Français et l’échec du prince d’Orange. Par ses vanteries de la première heure, celui-ci avait diminué le mérite de sa ténacité et donné prise aux quolibets; il ne fut pas épargné par les sarcasmes de ses amis. Conduit prisonnier à Reims et traité dans une des grandes maisons de la ville, le comte de Staremberg[80] se levait au dessert : « Je bois à Guillaume de Nassau ; il est homme de parole ; il m’avait promis de me faire boire du vin de Champagne en Champagne, il a tenu sa promesse ; seulement il ne m’avait pas tout dit. » En se montrant plus sévère pour le prince d’Orange, l’opinion revenait lentement, incomplètement au prince de Condé. On avait peine à le suivre, lorsque, sans conquêtes, sans batailles, il remplissait si heureusement la partie ardue de sa tâche, et, quand il dut combattre, le chiffre effrayant des pertes voila l’importance du service rendu : les tentatives des coalisés déjouées, la France sauvée d’une imminente et redoutable invasion[81]. L’attention des contemporains, celle de la postérité surtout, s’attache à une autre partie, non moins sérieuse, engagée dans la vallée du Rhin; conduite par Turenne avec une dextérité et une audace sans égales, elle devait se terminer avec le même bonheur et avec plus d’éclat encore.


H. D’ORLEANS.

  1. Extrait de l’Histoire des Princes de la maison de Condé.
  2. Armée de l’Empire ; comte de Souches, feldzeugmeister, proclamé général en chef des alliés. Année des Provinces-Unies : le prince d’Orange, stathouder, l’âme de la coalition. Armée d’Espagne : le comte de Monterey, capitaine général, représenté à la tête des troupes par le marquis d’Assentar.
  3. La Samme se jette dans la Senne au-dessous de Tubize, à 4 000 mètres en amont de Hal.
  4. Deux régimens d’infanterie, la Reine et La Fère, un bataillon des Fusiliers du Roi servant et gardant l’artillerie, brigade Tilladet (cavalerie).
  5. 3500 mètres à l’ouest du camp.
  6. La carte de Belgique au 1/20 000e y place la tour de Belle.
  7. Cette flèche a disparu. Un massif édifice, reste de l’ancien prieuré, sert aujourd’hui de caserne à la gendarmerie.
  8. Le château, les avenues que l’on voit aujourd’hui sur cet emplacement n’existaient pas alors. A en juger par la hauteur des chênes, une portion d’anciens bois a été enclose dans le mur qui enveloppe le parc.
  9. Ce terrain est compris dans la partie la plus animée du bassin de Charleroy: les noms aujourd’hui si connus de Manage et de La Louvière pourraient figurer sur un plan de ce champ de bataille.
  10. Dans l’armée impériale en campagne, la pratique est de passer à chaque compagnie quatre chariots, plus un chariot de vivandier, — à chaque cavalier un bidet, outre le cheval d’armes, — aux fantassins, femmes et ânes, donne e sommari, nombre indéterminé. Ajoutez les équipages de l’armée, chariots pour les vivres, les malades, les munitions, les outils, etc. (Montecuccoli, Aphorismes, t. I, p. 132.)
  11. Aujourd’hui transformé en ferme. L’enceinte maçonnée, la porte armoriée, la chaussée du pont, le fossé, existent encore.
  12. 3 kilomètres nord de Seneffe.
  13. Les travaux du canal et du chemin de fer ont bouleversé les passages dont on retrouve la trace dans le vieux lit de la Samme.
  14. La première compagnie des Gardes du corps, «Gardes écossais », portait le nom de son capitaine, le duc de Noailles, non présent. La quatrième compagnie était commandée, depuis 1669, par le marquis de Rochefort, que nous voyons charger à sa tête. Elle prit plus tard le nom d’Harcourt.
  15. Gardes du corps, seconde compagnie, Luxembourg; troisième, Béthune; depuis 1671, celle-ci avait pour capitaine le duc de Duras. — Il est remarquable que les capitaines des trois compagnies françaises, duc de Luxembourg, duc de Duras, marquis de Rochefort, avaient suivi Condé en exil. A Seneffe, les Gardes du corps formaient huit escadrons commandés par Chazeron (François de Monestay), lieutenant des Gardes, mort lieutenant général en 1697. Les chevau-légers de la Garde étaient conduits (le capitaine duc de Luynes absent) par le sous-lieutenant Henri Balzac, marquis d’Ailly, qui fut tué à la tête de sa compagnie; ils étaient compris dans les dix escadrons formés par le corps de la Gendarmerie, ainsi que les Gendarmes du Roi, commandés par le capitaine-lieutenant prince de Soubise, blessé. Les Cuirassiers du Roi, trois escadrons, de récente formation et déjà haut placés dans l’estime de l’armée, étaient conduits par le mestre de camp-lieutenant comte de Revel (Charles de Broglie), blessé dans l’après-midi.
  16. Lettre du prince d’Orange aux États-Généraux, 18 août 1674.
  17. Le théâtre de ce combat de la Courre-aux-Bois est aujourd’hui traversé par le chemin de fer, et en partie occupé par la station et les maisons de Manage.
  18. Il mourut de ses blessures et fut enterré à Mons. — « Don Fernando de Acuña, marquis d’Assentar, grand de Portugal, gouverneur de Novare, mestre de camp du meilleur et du plus ancien terce espagnol, nommé le terce de Lombardie. On peut dire de lui sans exagération que c’estoit le plus sage, le plus intrépide et le plus judicieux capitaine que les Espagnols ayent eu de son temps en Italie et en Flandre. » (Mémoires manuscrits du baron de Woerden.)
  19. Transporté à Charleroy, Fourilles vécut encore douze jours. — Les Fourilles étaient, de père en fils, aux Gardes françaises ; le frère aîné avait commandé le régiment comme lieutenant-colonel. Par exception, Jean-Jacques Chauméjean, chevalier de Fourilles, servait dans la cavalerie, étant entré comme cornette au régiment d’Harcourt en 16 45 . Depuis, il fit campagne chaque année ; la paix le trouva mestre de camp. Il suivit plus tard Coligny en Hongrie. En 1668, il inaugura les fonctions auxquelles l’appelait la confiance bien placée du Roi avec le titre de « visiteur » de la cavalerie. Mestre de camp général en 1670, lieutenant général du mois de février 1674.
  20. Quelques minutes plus tard, lorsque le général en chef conduisit en personne la charge au milieu d’une mêlée effroyable, la même voix s’éleva : « Enfin ! voilà ce que je désirais tant voir, le Grand Condé l’épée à la main ! »
  21. Environ 1100 mètres.
  22. Nouvellement rebâtie, l’église actuelle de Fayt occupe l’emplacement de l’ancienne.
  23. Le mot Fayt qui, en wallon, se prononce Fa-ï, paraît être un dérivé de fagus (hêtre), et, selon d’autres, de « faîne », fruit de cet arbre, qui était évidemment jadis l’essence dominante dans la région. — Nous n’avons pas besoin de rappeler que, pour retrouver l’état de lieux que nous décrivons, il faudrait remonter au delà de deux cents ans. — Voir la Notice historique sur Fayt-les-Seneffe, par Jules de Soignies.
  24. Environ 400 mètres nord-ouest de l’église. Ce château jalonne la tête de la ravine, encore fort reconnaissable aujourd’hui.
  25. Côté est, en face de la gauche des Français.
  26. Ouest, en face de la droite des Français.
  27. Qui, venant de Binche ou Mons, conduit par Fayt à Braine-le-Comte et à Bruxelles.
  28. Ainsi noté par M. le Prince dans sa revue du 12 mai.
  29. Dans cette journée du 11 août, le régiment des Gardes françaises eut cinq cent quarante-huit homme» hors de combat, dont quarante et un officiers.
  30. Nous avons déjà rencontré le comte Gaspard de Chavagnac servant sous M. le Prince et jouant un rôle assez important durant la guerre civile. Il était huguenot et d’une bonne famille d’Auvergne. Belle réputation militaire. A la paix des Pyrénées, il passa au service du roi catholique, puis à celui de l’Empereur. En 1681, il obtint sa grâce et rentra en France, où il mourut sans enfans en 169(, après avoir été marié trois fois. On a de lui des Mémoires qu’il faut consulter avec discrétion, car il ne les a certainement pas rédigés. — Son frère François, qui avait aussi suivi M. le Prince en 1651, fit souche et mourut en 1675.
  31. La Motte (Charles Guillaud, comte de), capitaine au régiment de Condé, avait suivi M. le Prince aux Pays-Bas. Lieutenant-colonel du régiment d’Anguien lors de son rétablissement (26 octobre 1667), colonel-lieutenant du même régiment (8 avril 1672), enfin brigadier d’infanterie, il continua de servir avec éclat, devint maréchal de camp, grand bailli de Cassel, lieutenant général, et fut tué en Catalogne en 1684.
  32. La Basse-Hestre, environ 1 300 mètres sud-est de l’église de Fayt.
  33. 5 kilomètres.
  34. 4 lieues et demie plus loin.
  35. Turenne à Louvois; camp près Landau, 20 août 1674 (apud Grimoard).
  36. Le comte de Souches à M. le Prince ; Mons, 16 août 1674. A. C. (Archives de Condé). — M. le Prince à Bruant des Carrières ; au Piéton, 21 août 1674. (Archives du comte de Mareuil au château de Puiseux.)
  37. L’un des plus importans documens, la lettre où le prince d’Orange rend compte de l’action à « Leurs Hautes Puissances, Messieurs les Députez des États aux Affaires Secrètes » (18 août 1674, apua Basnage, Annales des Provinces-Unies), ne contient aucune assertion qui ne concorde avec notre récit, sauf un passage dont l’obscurité ne paraît pas involontaire : « Après deux heures de combat (de nuit ? ou douze heures ?), l’ennemi s’est retiré vers son armée (camp ?)… Deux heures après, nous nous sommes rendus dans le camp que nous avions désigné avant la bataille… »
  38. M. de Launoy au comte d’Estrades, 14 août 1674. A. C. (copie).
  39. De Launoy au comte d’Estrades, 16 août 1674. A. E. (Affaires étrangères).
  40. Ruvigny à Pomponne, 29 novembre 1674. A. E. (apud Mignet, Succession d’Espagne, t. IV).
  41. Le nombre des prisonniers ou des trophées recueillis par les alliés était au moins insignifiant; ils n’ont jamais ni produit de chiffres, ni nommé un homme de marque, ni trouvé moyen d’offrir ou d’accepter un cartel d’échange. Deux ou trois étendards furent présentés à Vienne à l’Empereur et portés à Saint-Étienne avec grand fracas. « Si nous n’avons pas ramassé de prisonniers, disent les relations publiées par les confédérés, c’est que les Allemands n’avaient pas voulu faire quartier aux Français. » L’explication est faible.
  42. L’armée qui combattait k Seneffe comptait dans ses rangs seize futurs maréchaux de France : d’abord les lieutenans généraux Luxembourg, Navailles, Rochefort, et l’aide de camp Villars; les maréchaux de camp Villeroy et Choiseul; les brigadiers, mestres de camp et colonels comte d’Ayen (futur maréchal de Noailles), Tallard, Rosen, fils du vieux Rose de l’armée de Guébriant; Montrevel (Nicolas-Auguste de La Baume); Broglie (Victor-Maurice, comte de), qui conduisit la gendarmerie pendant l’action; Marchin, capitaine aux Gendarmes de Flandre, fils du Liégeois qui fut si longtemps le lieutenant préféré de Condé ; Catinat, capitaine aux Gardes, et qu’il suffit de nommer; Montesquiou (futur maréchal d’Artagnan), aide-major aux Gardes; Bezons, des Cuirassiers du Roi; Grancey, des Gardes du corps (futur maréchal de Médavy).
  43. Mme de Sévigné à Bussy ; Paris, 5 septembre 1674.
  44. 14 août. A. C. (minute).
  45. C’est l’estimation de M. de Launoy, le secrétaire du prince d’Orange. Diverses circonstances, trop longues à exposer, en confirment l’exactitude.
  46. De Launoy dit Tromp; mais cet amiral était encore en croisière sur les côtes de France et continua ses opérations dans la Méditerranée. On attendait alors Ruyter, qui revenait de sa campagne infructueuse aux Iles du Vent.
  47. Eu, 17 août 1674. A. C.
  48. 26 août. A. C. (minute).
  49. M. le Prince à Turenne (21 août. A. C), qui manœuvrait alors dans la vallée du Rhin et dans les Vosges; sa plus belle campagne.
  50. Le duc de Vitry à M. le Prince; Munich, 29 août 1674. A. C.
  51. Broglie à M. le Prince; Avesnes, 18 août 1674. A. C.
  52. 4 lieues sud-ouest de Charleroy.
  53. De Launoy à d’Estrades, 17 août. A. C. (copie).
  54. M. le Duc à Gourville, 10 août. A. C.
  55. A d’Estrades. A. C. (copie).
  56. 19 août. A. C.
  57. Au mois d’octobre 1842, le général Bugeaud était en opérations dans l’âpre montagne qui entoure le gros rocher d’Ouarensenis, surnommé par nos soldats la Cathédrale. On lui annonce que le commandant de son arrière-garde, Damesme, chef du 2e bataillon d’Afrique, officier de premier ordre, venait d’être frappé mortellement. Très ému, le général, se retournant vers celui qui écrit ces lignes : « Voyez, lui dit-il, ce sont toujours les mêmes qui se font tuer ! » — Damesme en réchappa pour tomber dans les rues de Paris en juin 1848.
  58. Jean-Louis de Genouillac, sieur de Saint-Clas, brigadier de cavalerie.
  59. Minute originale. A. C.
  60. Le Roi à M. le Prince, 8 septembre. A. C.
  61. 10 et 11 septembre. A. C. (minute).
  62. Nicolas d’Argouges, marquis de Rannes, avait débuté en 1657 dans le régiment de cavalerie du cardinal Mazarin. Lieutenant généra) en 1677, il fut tué au combat de Sickingen, le 13 juillet 1678. Gouverneur et bailli héréditaire d’Alençon.
  63. Après les dragons, qui ouvrent la marche, prêts à combattre à pied ou à cheval, destinés à éclairer le terrain, à reconnaître l’ennemi, engager l’escarmouche, l’artillerie légère prend place avec ses canons de quatre, gardés et servis par les Fusiliers du Roi. Derrière suivent : 200 mousquetaires commandés dans l’infanterie, — des voitures de munitions, — des voitures d’outils, — les pionniers encadrés et organisés. (Ordre de marche du 20 septembre 1674. A. C.)
    Nous ne trouvons pas trace ailleurs, à cette époque, de têtes de colonnes ainsi constituées. Il semble que Condé a devancé les temps.
  64. 1643, Secours d’Allemagne, t. IV, pp. 227-228.
  65. M. le Duc à Gourville, 16 octobre 1674. A. C.
  66. M. le Prince à Le Tellier ; Tournay, 19 octobre 1674. A. C. (minute).
  67. Le Roi à M. le Prince ; Versailles, 21 octobre 1674. A. C.
  68. Il y a environ 1100 mètres entre le Prieuré-Saint-Nicolas et le clocher de Fayt, réduit de la dernière position des alliés.
  69. Jadis (1644) pour le passage de la Meuse; récemment (1672) pour le passage du Rhin. Les Suisses soutenaient que les capitulations ne permettaient pas de les conduire au-delà de la Sarre. Il avait fallu les contraindre par les menaces.
  70. Archives générales du royaume des Pays-Bas. — Lettres secrètes.
  71. Coleccion de Documentos ineditos para la historia de España, t. XCV, pp. 63 et suivantes ; relations de la bataille de Seneffe.
  72. M. le Prince à Louvois; 22 septembre 1674. A. C. (minute).
  73. 30 lieues nord-ouest de Maestricht, 45 lieues de Charleroy.
  74. Ou plutôt un peu après le retour, en 1662. Il s’était retiré en Franche-Comté.
  75. Hérard, mort lieutenant général en 1673. (Sur les Chamilly, voir t. IV, p. 343, note, et t. VI, p. 415, note.)
  76. Noël Bouton, marquis de Chamilly, né en 1636, maréchal de France en 1703, mort en 1715. Quand on lit les sarcasmes dont Saint-Simon accable cet incomparable soldat, on a peine à voir en ce gros homme lourd, épais, un héros de roman. C’est cependant Noël Bouton qui, servant en Portugal (de 1663 à 1668), aurait inspiré à une jeune religieuse la passion si vivement traduite dans les fameuses Lettres portugaises.
  77. Investissement de Grave, 28 juin 1674; capitulation, 29 octobre.
  78. L’ennemi ne put même pas reconquérir les otages précédemment livrés par les villes de Hollande. Chamilly était parvenu à les expédier à Maestricht et à les y laisser sous la garde vigilante de d’Estrades.
  79. « Tant tués, estropiés que déserteurs. » (Relation du siège de Grave, A. C.)
  80. D’autres disent le duc de Holstein.
  81. L’armée des coalisés (environ soixante-dix mille hommes) était la plus nombreuse qui, dans les temps modernes, se fût encore avancée vers les frontières de France.